25 septembre 2010

LA CLAUSTRATION PAR LE VOILE

  • Bas les voiles ! – Chahdortt Djavann – Folio n°4332

« J'ai porté dix ans le voile. C'était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle ».

Chahdortt Djavann a porté le voile de treize à vingt-trois ans. Durant ces dix années, elle a vécu un cauchemar religieux, intime, physique, psychique, en vivant dissimulée, masquée, emprisonnée sous une chape de tissus sombre. Parce que Chahdortt Djavann est née femme en Iran, pays théocratique et islamique et non dans une démocratie où les libertés fondamentales et la laïcité prédominent, comme en Europe. « J'aurais mérité, comme tout être humain, d'être née dans un pays démocratique, je n'ai pas eu cette chance, alors je suis née révoltée ».

Qui a décrété qu'une enfant, une adolescente, une jeune fille ou une femme mûre devait se voiler, ne pas montrer sa beauté physique, son visage, son corps, ses mains, ses pieds, ses cheveux ? Au nom de quel précepte moral, social, spirituel, doit-on imposer cette claustration vestimentaire aux femmes ? Pourquoi seulement elles et jamais les hommes ? Parce que naître femme dans un pays islamique est une humiliation, un anathème, un péché, un châtiment pour la mère et la fille. La femme sera toujours la coupable désignée de son propre malheur. C'est par elle que la tentation naît chez l'homme. Dès lors, elles doivent assumer le risque de se faire violenter par eux. Être femme est une tache indélébile, une meurtrissure, le péché originel. « Elle est l'objet potentiel du délit. Toute tentative d'acte sexuel par l'homme avant le mariage relève de sa faute. Elle est l'objet potentiel du viol, du péché, de l'inceste et même du vol puisque les hommes peuvent lui voler sa pudeur d'un simple regard. Bref, elle est la culpabilité en personne, puisqu'elle crée le désir, lui-même coupable, chez l'homme. Une fille est une menace permanente pour les dogmes et la morale islamiques. Elle est l'objet potentiel du crime, égorgée par le père ou les frères pour laver l'honneur taché. Car l'honneur des hommes musulmans se lave avec le sang des filles ! ».

Le voile ou hijab n'est pas un simple foulard couvrant la tête. Loin de là. C'est le symbole, la transcription visible de la séparation entre la communauté masculine – valorisée -, et la société féminine, outragée, dépréciée. Avec le hijab, la femme disparaît, n'existe plus, fantômes errant par les rues, hantant les espaces qui leur sont dévolus. Le hijab n'a rien de commun avec la croix chrétienne ou l'étoile juive. C'est une punition, une sanction suprême. La femme est néant, imperfection, négation. « Une fille n'est rien. Le garçon est tout. Une fille n'a aucun droit, le garçon a tous les droits. Une fille doit rester à l'intérieur, à sa place, elle ne peut circuler à l'air libre. Nul ne peut ignorer que, dans les pays musulmans, les hommes, seulement les hommes, sont agglutinés sur les places publiques ». Le corps féminin est source de désir et de cupidité chez l'homme. Il est non seulement concupiscence, mais aussi objet sexuel. Les mères transmettent à leurs filles l'appréhension, la menace, l'atteinte d'un regard insistant de l'homme, forme psychique du viol et premier pas vers l'humiliation, la souillure et la culpabilité d'être tout simplement soi.

Aujourd'hui, les jeune filles d'origine musulmane qui revendiquent haut et fort leur libre choix de porter le voile intégral est plus souvent un cri de désespoir, un appel à l'aide en Occident, une autre façon de montrer qu'elles existent, qu'elles sont présentent dans une société où il est de plus en plus ardu de trouver sa place. On les voit, on les remarque, on les regarde dans la rue. Donc, elles sont ! Mais c'est aussi une sorte de refuge face à l'exclusion sociale, à l'ostracisme, au reniement de soi et de l'autre. Plutôt le foulard que le RSA et l'indépendance ; plutôt l'aliénation religieuse que le renoncement au dogme d'une éducation familiale pesante, prégnante. Quant aux plus cultivées, elles se revendiquent « libérées par le port du voile ». En sont-elles si persuadées que cela ? « Exclues de leur communauté musulmane quand elles se sont battues pour leur émancipation (cette émancipation qui leur vaut tout au plus le montant du RMI), exclues de la société française, du marché de l'emploi, elles ont payé cher leur indépendance. La société française n'a pas fait assez pour leur intégration. Comment s'étonner que certaines d'entre elles se réfugient sous le voile et essaient de trouver un mari qui les nourrira pour le prix de leur virginité ? ».

« Bas les voiles » de Chahdortt Djavann a le mérite de dire les choses telles qu'elles sont et d'entrer dans le vif du sujet. Elle appuie où cela fait mal. Et elle y réussit parfaitement. Ce texte court, pertinent, percutant, fait le tour d'une question qui dérange, perturbe, gêne bon nombre de personnes en Occident, mais aussi en Orient, n'en doutons pas.

Le voile dans la religion musulmane est au cœur même de notre débat politique et social autour de la notion de laïcité dans nos démocraties. L'auteur prend à partie ces intellectuels français qui parlent pour les autres, celles que l'on ne voit pas, que l'on n'entend pas, drapées qu'elles sont – au propre comme au figuré – dans leur mutisme contraint. Que savent-ils, ces intellectuels, de la réalité d'une situation dramatique et avilissante pour ces femmes ? Peu, voire pas grand-chose. Il est toujours si aisé de parler, de s'agiter, de s'indigner dans un pays, sur un continent, où la parole est libérée et les actes autorisés, légitimés. Ils s'insurgent du port du voile imposé ; ils s'indignent de la proscription de ces femmes voilées dans les écoles, les universités, les administrations. Ils se donnent bonne conscience sans en faire plus, ni alerter sur cette situation sordide. Mais Chahdortt Djavann épingle aussi les intellectuels musulmans qui font partie d'un grand Tout – l'Islam -, et modèrent, temporisent, relativisent la condition féminine dans les pays islamique. Quels sont ceux qui osent hausser le ton face aux violences physiques et psychiques, aux mariages forcés, à la lapidation pour adultère, à la pédophilie, aux arrestations, aux assassinats, à la misère ou à la pauvreté ? Très peu. L'immense majorité soutient le rôle bénéfique de l'Islam et de ses pratiques en Occident. Mieux vaut cela que le chaos dans les banlieues !

Avec « Bas les voiles », Chahdortt Djavann libère la parole d'une certaine manière concernant un tabou social et religieux en France et en Europe plus généralement. Écrit sur un ton sec, froid, distancié, l'auteur sait de quoi elle parle, elle qui a connu la terreur du voile. Elle ne mâche pas ses mots. Elle explique. Elle prévient. Elle rappelle certains faits concernant l'existence de ces ombres voilées qui n'ont de femmes que le terme. Elle souligne les demi-vérités, les vrais mensonges, les sinistres réalités masquées derrière les discours d'intellectuels modérés relatifs au voile. Chahdortt Djavann a fait un choix, crucial. Celui de quitter son pays pour vivre libre de toute emprise. Elle a décidé de témoigner, de dire, d'écrire, de faire savoir la vérité vraie qu'est le quotidien de la femme voilée.

Ce petit livre mériterait d'être lu par toutes les femmes pour mieux comprendre notre chance d'être nées en Occident et à notre époque ! « Ce que chacun de nous doit respecter, c'est l'être humain en tant qu'individu libre de penser et de vivre sa vie comme il l'entend, hors de toute contrainte ».

Les blogs qui en parlent : Ex-musulmans, Majanissa ...

269 - 1 = 268 livres ...

23 septembre 2010

JEUDI, C’EST CITATION !

« Innocent que j'étais, de n'avoir pas compris que les monstres servent d'exutoire au sadisme larvé des « honnêtes gens » !... ».

« Mais qu'est-ce que l'objectivité ?

Et doit-on, au nom de l'objectivité, rester constamment dans un scepticisme prudent et supérieur qui permet de distribuer les blâmes sans se mouiller ? Je n'en sais rien non plus ! ».


En 1952, Jean Meckert est envoyé à Lurs pour le journal France Dimanche pour couvrir ce qui deviendra un des faits divers les plus retentissants du siècle : l'affaire Dominici. Deux ans plus tard, Meckert revient sur cette expérience et examine le rôle tenu par les médias dans le développement de l'affaire. Entre faits bruts et récits à scandale, il tente d'analyser le travail de journaliste et livre son propre point de vue sur des faits qui, cinquante ans plus tard, continuent de susciter des commentaires et d'alimenter des fictions.


La tragédie de Lurs – Jean Meckert – Joëlle Losfeld Editions

18 septembre 2010

LA REPUBLIQUE DES ATOMES

  • Le mariage de Dominique Hardenne – Vincent Engel – JC Lattès Éditions


« Depuis des jours, et pour combien de jours encore, Dominique Hardenne marchait. Il détestait le paysage autour de lui, un paysan ne pouvait pas aimer la terre brûlée, couverte de cendres sales et de bêtes appliquées à pourrir, tout ce gâchis qui ne servirait même pas à engraisser les champs pour une récolte prochaine. Quand elle s'y remettrait, la terre, Dominique n'en savait rien, les bombes se contentaient plus d'exterminer les gens, elles tuaient l'avenir aussi, et il ne fallait rien espérer avant … Dominique n'osait pas compter le nombre d'années qu'il fallait mettre dans cet avant ». Dominique Hardenne, soldat rescapé d'une armée partie en capilotade et ayant perdu ses repères depuis bien longtemps se demande encore comment cette situation a pu dégénérer ainsi ? Pourtant à l'origine, la guerre semblait si lointaine aux informations. Elle se situait là-bas, dans un endroit perdu, reculé. Si loin du quotidien que personne ne pensait un jour être mobilisé pour se battre. A commencer par Dominique Hardenne.

Où ? Pour quoi ? Pour combien de temps ? Alors, tout le monde avait repris les anciens réflexes. De nouveau, on avait écouté les actualités, les échos, les rumeurs. Ceux qui étaient restés à l'arrière avaient recommencé à attendre le facteur, pour avoir des nouvelles du front, des indices de ce qu'il s'y passait. Toujours plus sûres que la propagande officielle ! Comme avant, ils avaient stocké de la nourriture, biens de premières nécessités pour survivre, au cas où. Dans son malheur d'avoir été enrôlé, Dominique avait eu de la chance. Il faisait partie des privilégiés, affecté aux cuisines et faisait équipe avec deux bons gars comme lui, Jean Maillard – paysan comme Dominique -, et André Bizot, caporal et l'intellectuel du groupe. « Maillard était un énorme gaillard au poil sombre et dru. Taiseux, comme Hardenne, raison de leur entente. Bizot, lui, était un citadin qui semblait toujours chercher des yeux un lieu où poser ses idées et ses valises. Petit, avec des lunettes sur le nez et des rides sur le front bien qu'il ne soit pas très vieux. Il avait des yeux gris clair, Hardenne n'en avait jamais vu de pareils. Il avait fait des études et pouvait se lancer brutalement dans des discours compliqués. Mais il s'en voulait de jouer au professeur et s'interrompait, sûr que Maillard et Hardenne avaient davantage à lui apprendre. Dans ces moments-là, les deux paysans rougissaient ».

Comme dans toutes les guerres, certains s'en sortaient mieux que les autres, avec les trafics en tous genres et les filles des bordels ambulants qui vendaient un semblant de plaisir à de la chair à canon. Maillard appartenait à cette catégorie de soldat prêt à tout pour obtenir les bonnes grâces de celles-ci. Pour lui, la vie se résumait à la bonne chair, qu'elle soit féminine ou gastronomique. « Maillard commençait à souffrir, il était en manque – un drogué, diagnostiquait le caporal avec compassion. Hardenne aurait voulu l'aider à trouver une fille tous les soirs, ou du moins régulièrement. Quand on en dégottait une, il fallait payer de plus en plus cher et se battre avec d'autres soldats qui étaient dans le même état que Maillard ».

Pauvre Maillard, victime de ses fantasmes et de ses obsessions ! Hardenne et Bizot avaient décidé de poursuivre leur chemin. Ils s'étaient résignés à laisser Maillard sur le bord de la route, mort non pas au combat – comme les courageux, les héros ou les exaltés -, mais de sa quête du plaisir. Ils avaient finalement trouvé leur havre de paix, endroit presque idyllique en comparaison avec la dévastation du paysage. Tous deux s'y étaient posés. Hardenne avait enfin retrouvé sa chère terre, lui qui ne voulait rien d'autre que de faire pousser ses légumes, redonner vie à ce tout petit bout de nature et espérer en des jours meilleurs.

Mais la guerre, cette Camarde éternelle, les avait retrouvés dans leur coin de paradis. Elle avait réussi à embarquer Bizot au passage. Elle avait bien tenté de récupérer Hardenne. Mais il était rusé, madré comme les paysans. Il savait l'âpreté, la rudesse de l'existence. Dominique Hardenne était endurant, tenace, solide. Lorsqu'il avait entendu le grondement de LA bombe au loin, il avait immédiatement compris et s'était protégé. Car Hardenne ne désirait qu'une seule chose, rentrer chez lui, cultiver ses arpents. Il voulait revoir son village, ses parents, ses amis. Et Nathalie, surtout. Mais dans son bourg comme partout ailleurs où il était passé, plus rien ne subsistait de la vie d'antan, de sa douceur, de cette paix propre aux existences retirées, isolées presque secrètes. « Le paysan avait souffert de découvrir la nature calcinée, son jardin réduit en poussières toxiques ; mais cette peine, plus vive que celle éprouvé à la mort de Bizot, c'était déjà un retour à la vie, un adieu définitif à la guerre. Il était allé saluer Bizot et lui confirmer qu'il avait eu raison pour LA bombe, mais tort pour le reste, et que lui, Dominique Hardenne, s'en retournait chez lui pour vivre enfin, coûte que coûte ».

« Le mariage de Dominique Hardenne » de Vincent Engel est le roman du cataclysme, du nihilisme, de la déraison, de la dévastation, du vide crée par un conflit dont on ne saura que peu de choses au cours de la lecture. Dans cet ouvrage de l'auteur connu et récipiendaire de plusieurs prix littéraires, don celui du « Choix des libraires 2003 » et du « Prix des lecteurs du Livre de poche » pour son « Retour à Montechiarro », et du « Prix des lycéens » pour « Oubliez Adam Weinberger », nous offre un livre antithétique par rapport à l'ensemble de son œuvre riche et variée. Ici, pas de visions esthétiques, artistiques, romantiques ou nostalgiques d'existences, de lieux. Plutôt une perception crue, violente, dépouillée d'espoir, d'avenir, de beauté. Ici, LA bombe est passée, détruisant intérieurement les hommes, les figeant pour l'éternité, asséchant la terre au point de la rendre stérile, froide, sans âme.

En lisant « Le mariage de Dominique Hardenne », le lecteur pénètre dans les pensées et les méditations de Dominique Hardenne, homme silencieux, originel et pragmatique revenant sur son passé, ses expériences avec une lucidité accrue. Dominique Hardenne, fantôme vivant parmi les ombres du passé, des morts, traîne dans son village à la recherche d'un embryon de vie, d'hypothétiques rescapés, d'espoirs vains. Régulièrement, il revient chez Amédée, ancienne amie de sa mère – veuve et bigote -, qui avait vénalement transformé son café en lupanar pour soldats désœuvrés en quête de tendresse tarifée. C'est dans ce lieu que Dominique retrouvera le corps de Nathalie, son seul et unique amour. Que pouvait-elle faire dans un tel endroit ? L'avait-elle fait pour lui signifier de ne rien attendre d'elle, que le passé n'existait plus ?

Pour dépasser ses propres peurs, ses angoisses, ses doutes, pour se donner le sentiment d'exister et se dire que tout pouvait encore recommencer, que tout pouvait se reconstruire, Dominique Hardenne reprendra la culture de la terre. Ce désir de rétablir l'ordre des choses, de redonner une once de vie végétale à un néant, un vide absolu, sera essentiel dans la solitude du personnage pour envisager un autre monde.

« Le mariage de Dominique Hardenne » est un livre visionnaire, un peu comme l'a été « Le meilleur des mondes » de H.G. Wells en son temps, ou le "Rapport de Brodeck" de Philippe Claudel pour l'ambiance étrange qui s'y dégage. Allégorie du 20ème Siècle et de ses horreurs, le lecteur ne peut s'empêcher de percevoir des analogies avec les conditions des Poilus de la 1ère Guerre mondiale ou de l'armée française de 1940 en pleine débandade politique et militaire, ayant perdu ses marques. Monde contemporain confronté aux craintes des guerres nucléaires et bactériologiques, « Le mariage de Dominique Hardenne » est aussi un roman de l'aventure intérieure, d'un homme qui sombre peu à peu dans la folie, qui discute avec les morts pour fuir cette incommensurable solitude, qui se demande comment rebâtir après une telle secousse, comment vivre cet après, unique survivant d'un Big Bang nucléaire. A découvrir absolument !

D'autres blogs en parlent : Librairie Antigone, Melmelie, Léo a lu, Lettre écarlate ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un commentaire.

"Le mariage de Dominique Hardenne" de Vincent Engel a été lu et chroniqué dans le cadre du partenariat avec Ulike et Les Chroniques de la rentrée littéraire. Je les remercie pour cette lecture singulière et captivante.

13 septembre 2010

ESTABA … Y SE MURIO

  • Des gifles au vinaigre – Tony Cartano – Albin Michel Éditions

« Résister jusqu'au bout était le mot d'ordre, mais quand ils lançaient leur « Vive la République ! », cela sonnait un peu creux. Les messieurs du gouvernement qui avaient quitté Madrid pour Figueras savaient-ils vraiment ce qui se passait sur le front ? A. en doutait. Ce qui le révulsait plus encore, c'était que les directives contradictoires faisaient pencher la balance vers la fuite et la dispersion. Dans l'armée républicaine, la rumeur s'était répandue que nombre de leaders politiques avaient déjà pris la direction de la France. A. estimait que là où il se trouvait, la frontière n'était distante que d'une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau. Ralentir la marche forcée. Tenir. Ne laisser aucun espace entre les heures d'angoisse et la mort dans l'âme ».

Février 1939. A. commissaire délégué à la 5ème batterie de DCA a faim, froid et peur. Il ne croit plus ou si peu en la victoire de la Frente Popular sur les troupes franquistes. L'espoir s'est transformé en utopie, en désillusion, en épuisement, en marasme, en piège, puis en épouvante. Ancien tourneur chez Hispano Suiza où il gagnait bien sa vie, militant de la CNT, syndicat anarchiste, A. était occasionnellement danseur mondain pour compléter son salaire et améliorer son ordinaire.

Dès le début de la guerre civile, A. avait voulu jouer au héros, au matamore, au bravache, et montrer qu'il ne laisserait pas passer les troupes fascistes. D'abord dans la rue, puis sur les barricades, enfin engagé volontaire sur le front. A cette heure cruciale, où était Andréa, son ex-femme – hystérique et mélancolique – et sa petite fille de deux ans, Carmen, depuis la chute de Barcelone ? Maintenant que la fin approchait, tout le monde fuyait. Une vraie déroute, un désastre humain et matériel, le long des routes de l'exil – guirlande de malheureux sans début ni fin -, la peur aux trousses, le regard vide et hagard, l'épuisement sur les visages et la misère en bandoulière. « La file des réfugiés ressemblait à des embarcations à la dérive, chahutées par des lames de fond qui ne leur laissaient d'autre choix que de piquer du nez, en avant, un pied devant l'autre, hors d'haleine. Mais pour les soldats, c'était au contraire un temps mort, arrêté, où les secondes et les heures se confondaient, immobiles ».

Barcelone, la proclamation de la république, la fuite honteuse du roi Alphone XIII, comme cela semblait lointain, fictif, presque imaginé, face à ce quotidien fait de cadavres lâchant des relents méphitiques, répugnant, de corps démembrés ; face aux pertes humaines, au gaspillage de matériels, aux supérieurs incompétents ou dépassés par une situation sans issue ; aux civils bouchant les routes de l'exode pour échapper à la répression franquiste. « Des lignes tenues plus au nord par le 5ème corps d'armée auquel il appartenait. A. avait participé à la joie générale quand ils avaient appris la victoire des 40 000 hommes envoyés par le général Rojo pour reprendre Teruel aux fascistes. Rojo lui-même avait fait le déplacement en compagnie du ministre de la Défense de Prieto et d'une escouade de journalistes parmi lesquels on comptait Hemingway et Capa. Pourtant, A. pensait qu'il n'y avait rien à célébrer. Et pour tout dire, cet aréopage de gens fameux, il ne trouvait pas ça drôle du tout. Du pur exhibitionnisme. De la poudre aux yeux … ».

En attendant, il lui faut se cacher, évacuer, tenter de sauver sa peau, passer la frontière, espérer que là-bas – en France – cela ne pourra pas être pire que ce qu'ils ont vécu ici, en Espagne. Rester digne, même dans la défaite. Montrer qu'ils ne sont pas des lâches, des pleutres, des déshonorés. Passer la frontière en ordre de marche alors que tous n'ont toujours eu que mépris et condescendance pour les troupes anarchistes. A la frontière, A. changera d'identité, par inadvertance, ou par hasard, ou par prédestination. Cartaña se métamorphosera, sous l'écriture hésitante et malhabile du fonctionnaire français en Cartano. « "Car-ta-no … Bon …" Il a mal lu la dernière syllabe, confondant l'accent écrit sur le « a » avec la queue d'un « o » telle qu'il la calligraphiait péniblement à l'école primaire de son village natal. A. ne dit rien, se contente de regarder sa nouvelle identité sur la carte que l'autre lui tend. « Cartano ». Cela pourra toujours servir. Et à côté est inscrit « Ferre », constate-t-il, au lieu de « Ferrer », le nom de sa mère. Encore mieux ».

En France, A. reconstruira son existence, rayant, biffant d'un trait son passé de soldat anarchiste. Peu causant, peu disert, presque taiseux, se femme – réfugiée espagnole elle aussi – son fils Antonio ne sauront que le superficiel. Comme si pour A. cela n'avait pas eu lieu d'être, jamais eu de consistance ; comme s'il avait voulu enfouir certains événements, les empêchant ainsi de refaire surface. L'espagnol, c'est grâce à sa grand-mère maternelle – l'abuela – que le petit Antonio l'apprendra en cachette. Désormais, le français deviendra le seul idiome parlé et reconnu par la famille. Histoire de bien montrer que la nouvelle patrie était la République française. L'autre, l'Espagne franquiste n'existait plus. Le passé de A. était resté là-bas, de l'autre côté des Pyrénées. Ses secrets aussi. « Il me confia encore quelques détails sur son passage en France mais il s'abstenait à ne pas répondre franchement à certaines de mes questions comme s'il voulait me mettre à l'épreuve, me convaincre de sa théorie, à savoir que « chacun se démerde à sa façon » puisque, à la fin, on est toujours tout seul ».

Avec « Des gifles au vinaigre », Tony Cartano nous offre un récit et une vision intimes de la guerre d'Espagne en abordant la participation de son père, A. pour Alphonso, anarchiste et membre de la CNT. Personnelle parce que l'auteur retrace, à partir de bribes de souvenirs – maillage d'histoires aux contours flous et aux chroniques aléatoires -, le parcours de son géniteur. Débutant par la fin de la guerre d'Espagne en 1939, « Des gifles au vinaigre » alterne, aux fils des chapitres, passé lointain, obscur, réminiscences d'enfance – évanescents, réels ou imaginaires – et réflexions personnelles sur une histoire majuscule et privée que l'auteur voudrait éclaircir, défricher.

Car dans l'antériorité de ce père, il y a des trous, des béances jamais refermées, pièces manquantes d'un puzzle dont le fils voudrait à tout prix combler, comme pour mettre un point final à une histoire en point d'interrogation. Revenir sur les pas de ce père alors qu'il manque l'essentiel, la matière même pour dire et raconter, c'est entrouvrir la porte du supposé, de l'hypothétique, c'est s'infiltrer dans les replis de la mémoire absente. Tony Cartano a fait de son père une sorte de demi-dieu, mélange subtil de vérité vraie et de fantasmes enfantins, dont les parents sont souvent les héros malgré eux.

Scindé en deux parties, « Guerre » et « Exil », « Des gifles au vinaigre » retrace le parcours d'un homme singulier, passionné, exalté, pris dans le tourbillon de l'histoire de son pays, de son engagement politique et moral. Si dans « Guerre », le témoignage est animé, passant de l'avant à l'après avec les souvenirs d'enfance de l'auteur. « Exil » est la partie la plus sobre, la plus profonde, la plus méditative. Tony Cartano revient sur les épreuves de ce père une fois la frontière franchie, et se pose beaucoup de questions. Plutôt que de tenter de les résoudre, auteur préfère – de loin – les suggérer, les reconstituer à sa façon avec sa perception personnelle, les rebâtir différemment pour créer une œuvre où se mêlent subtilement, habilement le vrai et l'envisagé.

Écriture d'une grande sensibilité, d'une immense douceur où pointe un soupçon de nostalgie, de regret presque, dans un style souple, aérien éthéré, ne tombant jamais dans le pathos, « Des gifles au vinaigre » nous offre une autre image de ces exilés espagnols, cherchant en France une patrie de substitution, l'espoir une autre existence et parfois une forme d'oubli de l'avant. Mais ce roman est avant tout un vibrant et pudique hommage à son père, son héros.

D'autres blogs en parlent : aproposdelivres, Fashion ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître que je vous ajoute à cette courte liste !

"Des gifles au vinaigre" a été lu dans le cadre de la rentrée littéraire en partenariat avec Ulike.

8 septembre 2010

FLEURS ...

Ces quelques fleurs en hommage à ma tante que j'aimais ...







6 septembre 2010

LE DECLIN DE L’EMPIRE INDIEN

  • Les derniers flamants de Bombay – Siddharth Dhanvant Shanghvi – Des 2 Terres Éditions

Karan Seth, jeune photographe au talent incontestable à « l'India Chronicle », se voit dans l'obligation de réaliser un reportage sur Samar Arora, pianiste surdoué et concertiste virtuose, qui avait subitement stoppé sa carrière internationale à vingt-cinq ans sur un coup de tête. « Un soir à Boston, il s'était levé en plein récital et avait quitté la scène sous les yeux de son public médusé. Il expliqua plus tard qu'il était sorti prendre l'air … et que, brusquement, « la musique s'était tarie ». Dans l'impossibilité de tirer un trait définitif sur le virtuose, les critiques américains ne prirent jamais sa retraite au sérieux, croyant qu'il préparait un come back. Mais Samar résilia le bail de son appartement en enfilade de Brooklyn, boucla ses bagages et rentra à Bombay, où il acheta le dernier cottage du front de mer à Worli ; désormais il y vivait, des droits que ses disques lui rapportaient tous les ans ». Depuis, plus personne n'avait d'informations crédibles le concernant. Il avait été jusqu'à virer son agent pour ne plus être dérangé. Il se murmurait qu'il vivait en ermite au bord de la mer, et lorsqu'il sortait, la jet set de Bombay se réjouissait de ses frasques et en parlait des semaines durant.

C'est au « Gatsby », lieu branché de la mégapole indienne où il fait bon se montrer pour qui veut jouir d'une bonne cote de popularité auprès les médias qui comptent, que Karan seth captera les premiers clichés de son modèle improvisant une partie endiablée de claquettes sur le comptoir du bar. C'est grâce à la beauté de ces photos que Samar sera séduit par la qualité du travail d'artiste de Karan Seth. En l'invitant chez lui pour réaliser une série de portraits personnels, le jeune photographe fera la connaissance de Leo, écrivain américain - amant de Samar -, et de Zaira, actrice sulfureuse et célèbre de Bollywood. Par-delà ces personnages fantasques – enfants gâtés de l'Inde moderne – ce qui attire particulièrement le photographe, c'est la ville elle-même. Bombay l'électrise, l'enfièvre, le happe, l'enthousiasme, l'ébloui. Il veut à tout prix collationner un maximum d'images, de couleurs, d'ambiances, de paysages, d'impressions de cette ville tentaculaire, démesurée, monstrueuse et vorace avant que le Bombay de l'ancien temps ne disparaisse sous le béton des agents immobiliers qui veulent la transformer en cité occidentalisée et kitsch à la manière de Bollywood. « - Quand j'ai été engagé par India Chronicle, je me suis demandé : pourquoi les gens affluent-ils dans cette ville ? Bombay est laid et sale ; hors de prix ; ses charmes sont limités. Mais après y avoir passé quelques semaines à peine, j'ai su que j'avais trouvé mon chez-moi. Il y avait bien quelque chose qui attirait les gens ici, dans cette mégapole et pas ailleurs. J'ai remarqué, par exemple, que tout le monde y fuyait la solitude ; c'était évident dans les trains, dans les rues, dans les temples, aux premières des films. – Mais la plupart des gens ne font pas autre chose dans toutes les villes du monde à n'importe quel moment donné, objecta Samar. – C'est vrai, mais ils le font différemment à Bombay. Sans la distraction de la beauté, sans la consolation de l'art, les gens trouvent du répit les uns chez les autres. Cela dit, une rencontre, même si elle produit des étincelles, n'est pas synonyme d'un début de relation. A Bombay, les gens se parlent peu, ils ne se touchent guère, ils se dévisagent comme des soldats, blessés, vaillants, dingues ».

Pour mieux comprendre l'atmosphère singulière de cette ville composite et bigarrée, Kaira incitera Karan à visiter Chor Bazaar, vaste marché aux puces où tout se vend et où tout s'achète, pour y dénicher un fornicateur de Bombay. Armé de son Leica, Karan découvrira un monde et un environnement uniques propres à l'idée qu'il se fait de cette ville indienne. Au cours de ses déambulations parmi le peuple de Bombay, Karan fera la connaissance de Rhea – artiste ayant interrompu une brillante et prometteuse carrière pour se consacrer à son couple – qui fréquente ce quartier pittoresque et coloré à la recherche de son inspiration. En voyant ses superbes instantanés dans « India Chronicle », Rhea lui propose d'immortaliser les flamants de Sewri condamnés à disparaître, comme le Bombay actuel, ou à s'adapter à leur biotope. « Karan n'avait jamais rien vu de semblable aux vasières de Sewri : sur cette vaste étendue criblée de cratères, d'immenses mares emplissaient les creux des ondulations de la terre saturée d'eau. Cela lui rappela les premières photos du sol lunaire. Dans la douce lumière d'un jour nouveau, des flamants jusqu'à l'horizon, sur leurs échasses, avec leurs grosses mandibules inférieures et leurs grandes ailes aux plumes dentelées, rose fébrile à la pointe ; avec leurs becs recourbés en crochets de pirate, ils perçaient avec diligence le limon et piochaient des algues ».

« Les derniers flamants de Bombay » ou la description d'un Inde quelque peu éloignée des clichés que l'on nous vend sur papier glacé. Dans son deuxième roman, Siddharth Dhanvant Shanghvi nous raconte la vie, le quotidien, d'une cité gigantesque aux allures de pachyderme passif et atone qu'est Bombay. Mais cette inertie, cette paresse n'est qu'apparente, de surface. En réalité, cette mégapole aux 16 millions d'habitants est prête à imploser, à éclater sous la pression de sa population venue de tous les états indiens. Elle cache en son sein, dans ses entrailles, tout un peuple qui grouille, se bat et se débat pour survivre, telle une fourmilière. A travers Karan Seth, son personnage principal, par la grâce de son Leica – œil à la sensibilité exacerbée, au regard aiguisé, affûté, à la vision macroscopique, miroir grossissant les qualités et les défauts, les bonheurs et les malheurs, les joies et les tristesses -, l'auteur relate l'Inde actuelle et celle de demain. Tous les personnages représentent une part de ce pays si mal connu des occidentaux.

Ainsi Samar Arora, excentrique, extravagant, homosexuel en rupture de ban avec sa famille qui n'accepte pas son orientation sexuelle, se noie dans le léger, le futile, l'éphémère, disparaissant pour mieux réapparaître et être admiré, adulé. Samar Arora qui craint l'oubli, dernier vrai dandy de cette Inde décadente. Et Kaira, incarnation, personnification de la star bollywoodienne qui – sous ses apparences de poupée Barbie indienne superficielle – cache une générosité, une humanité profonde et réelle. Kaira, amoureuse éperdue de Samar, devant se contenter de son amitié sincère, vraie, totale, disparaîtra tragiquement.

Car dans l'Inde de Siddharth Dhanvant Shanghvi la violence est partout présente, physique, verbale, psychique. Tout comme la corruption politique qui ronge la société. Malheur à qui tente de refuser une faveur à ses nouveaux Maharadjahs dont l'empire est construit sur le mensonge, la dépravation, le détournement, le chantage, la cupidité, la soif de pouvoir. Tous les moyens sont bons pour atteindre leurs objectifs, même tuer.

L'auteur n'élude pas les problèmes de politique intérieure qui minent l'Inde, avec la présence de partis politiques populistes et nationalistes qui veulent régenter la société en s'appuyant sur des valeurs racistes, xénophobes, sectaires où tout ce qui n'entre pas dans leur dogme est rejeté, banni, stigmatisé. Dans cette Inde émergente, la futilité, l'apparence, l'emphatique tient lieu de passe-droit. Ici comme ailleurs, on veut gagner de l'argent, beaucoup et vite. Peu importe les moyens, puisque tout n'est qu'illusion. Ne reste que la spiritualité, qui soude encore la population.

Cependant, « Les derniers flamants de Bombay » hésite sans cesse entre grandeur et insouciance. Il tangue et flotte entre deux eaux, celle de l'immersion totale dans une société âpre, dure, moderne où seuls règnent les plus forts et celle plus légère du roman à l'eau de rose bollywoodienne. C'est un peu dommage, surtout qu'en éliminant ces puérilités, « Les derniers flamants de Bombay » aurait gagné en densité, en clairvoyance, en gravité, en puissance. Ce qui aurait rendu ce roman réellement fascinant.

D'autres blogs en parlent : Biblioblog, Antigone, George Sand, Choco, Cynthia, Amanda, Keisha, Chaplum, Kathel, Caroline, Tamara, Armande, Daniel Fattore ... D'autres sans doute. N'hésitez pas à vous signaler par un petit commentaire que je vous ajoute à ce chapelet !

"Les derniers flamants de Bombay" a été lu dans le cadre d'un partenariat entre Babelio et les éditions Des 2 Terres. Je remercie chaleureusement Guillaume et Nina Salter, éditrice pour cet envoi.

3 septembre 2010

LE SURVIVANT

  • Zimmer – Olivier Benyahya – Allia Éditions


« Je suis rentré d'Auschwitz le onze avril 1945. Je fêterai demain mes quatre-vingt deux ans. D'un point de vue strictement juif, je n'ai jamais été plus détendu qu'après Auschwitz. S'appeler Zimmer et habiter Paris après avoir été déporté là-bas, c'était quelque chose dont on ne mesure pas la portée. Ça vous avait des parfums de sainteté. Je le dis tel que je le ressens, et n'en déplaise à certains, jamais je n'aurai été plus apaisé qu'à l'époque où je suis rentré des camps. Encore que le mot apaisé me semble mal choisi. Mes nuits étaient agitées. Il y avait tout de même des choses dont je peinais à me défaire. Mais ne pinaillons pas. Il fallait s'appeler Zimmer à la Libération et flâner aux abords du Vélodrome d'Hiver en arborant un numéro à l'avant-bras. C'était quelque chose ».

Bernard Zimmer est un vieux monsieur respectable qui vit à Paris depuis toujours. Né dans le quartier de l'Opéra, il s'est installé rue du Temple après la Libération et son retour de Pologne. C'est là qu'il a connu sa femme ; là que Claude – son frère -, se cachait pendant l'occupation grâce à l'aide apportée par un couple généreux ; là encore que Zimmer a appris son métier et crée son entreprise de textile. Toute une existence pleine de remembrances dans cette rue du Temple. Et puis, pour tente d'oublier l'impossible, l'inoubliable, Zimmer a déménagé dans le 7ème arrondissement. Ici au moins, on vit tranquille, en paix, sans la présence des Arabes. Le prix du m² et la réticence des voisins dissuadent cet entourage qu'il considère inconvenante, discourtoise. « Nous y avons toujours joui de cet oubli auquel je faisais allusion, cet oubli précautionneux que nous avons appris à élever au rang d'aspiration. D'un point de vue strictement juif, le prix du mètre carré dans certains quartiers de Paris est un signe de Dieu. Le Tout-Puissant veille sur nous. Il se repent. Voilà ce que je dis à Marianne. Le prix de l'immobilier dans les beaux quartiers c'est la repentance de Dieu après Auschwitz ».

Pour lui, tout individu se doit d'être fier de ce qu'il est, ou a été. Il doit marcher la tête haute, sûr de lui, sans craindre rien ni personne. C'est un peu la raison pour laquelle il en veut aux Juifs en général. Cette volonté qu'ils ont de se fondre dans la masse, de disparaître, de devenir expert dans l'art du camouflage, tel le caméléon, indispose Zimmer. S'il le pouvait, il réglerait son compte aux Juifs aussi. Mais Zimmer préfère s'occuper du sort des Arabes pour le moment. Il en a déjà éliminé trois et compte bien ne pas s'arrêter en si bon chemin. D'ailleurs, il approuve cet humoriste noir qui se déguise en juif avec fausse barbe et papillotes pour railler le sionisme. « Grâce aux Juifs, il peut désormais parler plus librement, ne plus ennuyer les gens avec les sempiternels championnats de génocide en Afrique, il peut faire comme si ces malheureux en avaient fini de sucer les pierres ». Si ce comique noir avait vécu à l'époque de ses vingt ans, Bernard Zimmer lui aurait appris comment on s'amusait de cet accoutrement, comment on criait, on hurlait, on vociférait « Mort aux Juifs ». Les temps changent. Maintenant, les Juifs se sentent partout chez eux. Parfois, Zimmer se demande si ce n'est pas une ruse pour tous les enfermer une nouvelle fois.

De même, les goys doivent se sentir un peu coupable de ce passé pour leur offrir autant de lieux de commémoration. C'est toujours la même chose avec les goys. Ils adorent l'humour juif, le trouvent drôle, burlesque tout autant que dramatique, caricatural, plein d'autodérision, divertissant, émouvant. Et puis, alors que chacun vivait en harmonie, cette dérision ne convient plus. Tout change. Le Juif est stigmatisé. Il est décrété coupable de tous les maux, de toutes les souffrances, de toutes les crises et des dégâts faits. Le Juif est pris à parti. « Que le fait de ne plus nous trouver aussi drôles les déstabilise, que la nostalgie de l'esprit juif – cet esprit juif qu'ils appréciaient sans comprendre qu'ils se faisaient baiser – les conduise à perdre le sens des réalités. Où sont passés nos Juifs si drôles ? Où sont passés nos Juifs si bons compagnons et si pleins d'esprit et comment ont-ils pu nous faire ça ? !!, ils sont là à tituber, sont pris de vertiges, et voilà comment on se retrouve un beau jour à sucer des glaçons dans un train ».

« Zimmer » ou le parcours, le cheminement, la progression psychologique d'un individu à jamais marqué dans sa conscience par son histoire personnelle et collective. « Zimmer », premier roman d'Olivier Benyahya, où les pensées, les réflexions d'un vieil homme qui ne distingue plus la réalité de son quotidien d'un passé qui a été et qui ne passe encore pas. Au cours de ses réminiscences, Bernard Zimmer revoit son adolescence à Paris, ce qui l'a construit – ses grands-parents juifs assimilés et français, la religion -, la tolérance et un regard empreint d'humanisme vis-à-vis de l'autre. Au travers de son personnage, Olivier Benyahya nous parle de la communauté juive, de ses relations équivoques avec Israël, du sionisme, des Palestiniens, des clivages moraux, sociaux entre Séfarades et Ashkénazes. Les premiers étant vus comme des Arabes nés juifs par les seconds perçus comme de vulgaires polacs, juifs religieux stricto sensu, purs, ne souhaitant que la construction antique et biblique du Grand Israël. Mais rassurez-vous, il n'élude pas les problèmes sociaux contemporains. Par le regard acéré, aiguisé, acerbe voire même cynique de Zimmer, Olivier Benyahya attire notre attention sur la situation dramatique et inextricable des banlieues, de l'immigration, de tous ceux que les différentes politiques ont cantonnés dans ces lieux – nouveau ghetto aux murs psychologiques souvent difficiles à faire tomber – pour les contingenter, les maintenir, les oublier. Bien sûr, il y a l'insécurité, la précarité, la peur de l'autre. Six millions de musulmans contre six cent mille juifs, comment lutter pour se préserver ? L'histoire est une roue infernale qui tourne inlassablement et broie quelque peu la mémoire de certains. Les craintes d'aujourd'hui sont-elles les terreurs d'hier ? Faut-il s'exiler, fuir de nouveau à New York ou Tel Aviv en raison d'un regain d'antisémitisme ? On use et abuse de ces poncifs pour faire revenir les plus dociles au bercail, en Israël. Mais Zimmer ne partira pas là-bas. De même qu'il n'est jamais revenu en Pologne. C'est un homme mentalement et intellectuellement mort qui persiste à vivre à travers ses souvenirs. Dans un texte court – soixante-dix pages – à l'écriture âpre, pertinente, percutante, l'auteur nous fait pénétrer l'âme et les considérations d'un individu à jamais détruit, terrorisé, mortifié par son expérience de la vie qui n'a été qu'un vain combat contre ses propres démons. Récit elliptique sur la résilience, sur cette difficulté de re-naître après un tel cataclysme humain, Olivier Benyahya nous fait prendre conscience que toute réparation, résurrection, guérison est un événement précaire, fragile, instable qui peut se déliter, basculer à tout instant. « Je vous donne mon holocauste. Je vous le donne de bon cœur. Et je vous souhaite la mort ». L'essence même de « Zimmer » est contenue dans ces quelques phrases. Édifiant !

"Zimmer" d'Olivier Benyahya a été lu et chroniqué dans le cadre des



1 septembre 2010

QUE LIRA-T-ON EN SEPTEMBRE ?

Inutile d'essayer de se le cacher, de le voiler, de le masquer, mais la rentrée – qu'elle soit littéraire ou de poche – sera riche, très riche, trop peut-être. Déjà, la rentrée littéraire 2010 affiche plus de 700 ouvrages de toutes sortes. Autant dire qu'il sera impossible de lire tous les auteurs, au moins les plus jeunes, les premiers romans. Tout le monde va se précipiter sur les valeurs sûres, hésitant à deux fois (parfois même beaucoup plus), avant de se décider à découvrir ces plumes fraîches, romanciers à succès de demain, ou écrivains éphémères d'une rentrée qui laisse peu de place au soleil, parce que tout le monde sait qu'il y aura beaucoup d'appelés pour très, très peu d'élus.

Début septembre je ne ferai pas de pronostic hasardeux, n'ayant rien d'une Pytie, devineresse des blogs ! Non. Je me contenterai de vous faire simplement un petit panorama des sorties … poche de ce mois-ci. Mais attention, après deux mois relativement calmes, la scène est large, la gamme est d'autant plus vaste !

  • Éditions 10/18

Tableaux d'une exposition – Patrick Gale

De son écriture tout en nuances, Patrick Gale nous livre une chronique familiale douce-amère autour de la figure maternelle d'une artiste peintre bohème et excentrique, dans le décor splendide de la Cornouailles. Par une belle journée d'hiver, Rachel Kelly s'écroule dans son atelier. Cette peintre renommée laisse derrière elle une œuvre impressionnante et une famille déchirée. Un homme, d'abord, Antony, qui fut son compagnon, son soutien, son souffre-douleur aussi, quand ses crises dépressives étaient trop fortes ; deux fils qui ne se sont jamais sentis à la hauteur de cette mère trop douée, trop passionnée, trop vivante ; une fille, Morwenna, qui a choisi de fuir...Comment les liens qui les unissaient se sont-ils distendus ? Qui était vraiment cette artiste de génie, gravement malade, qui a toujours fait passer l'art avant tout ? Pourquoi la fragile Morwenna a-t-elle soudain rompu avec ses parents ? Qu'est-il arrivé à Petroc, le petit dernier, le fils préféré, disparu trop tôt ? Quels secrets les tableaux de Rachel Kelly ont-ils encore à livrer ?

The Anomalies – Joey Goebel

Dans une petite ville paumée du Kentucky, une improbable complicité se noue entre cinq excentriques. Opal, octogénaire lubrique en bottes de cow-boy et T-shirt des Sex Pistols. De soixante-douze ans sa cadette, Ember, bassiste surdouée aux pulsions destructrices. La satanique Aurora, bombe frigide qui ne prend son pied qu'à la batterie. Ray, Irakien efféminé à la recherche du soldat qu'il a blessé pendant la guerre du Golfe. Enfin le charismatique Luster, poète et chanteur afro-américain, éternel incompris qui gagne sa vie comme commissaire de piste dans un cynodrome. Tous ont une passion, la musique, et un rêve, conquérir le monde avec leur groupe totalement déjanté, The Anomalies. The Anomalies est un roman hilarant, irrévérencieux et terriblement original.

L'ombre en fuite – Richard Powers

Washington. Adie Klarpol, une jeune artiste désillusionnée, est engagée par une compagnie d'informatique pour travailler sur un système expérimental, " la Caverne ". Ce simulateur d'univers virtuels en 3D permet de revisiter, entre quatre murs, les chefs-d'œuvre de l'art. Beyrouth. Taimur Martin, professeur d'anglais, est pris en otage par des fondamentalistes islamistes. Seul dans un cachot, il n'a que sa mémoire et son imagination pour s'évader. Un simulateur d'univers virtuels, un cachot: deux pièces dissemblables, toutes deux ouvertes à toutes les transformations, l'une par la magie de l'informatique, l'autre par la ténacité de l'esprit humain. Deux univers a priori inconciliables dont Richard Powers, avec son sens renversant du romanesque, tire une polyphonie grandiose. Le romancier explore le destin de l'art à l'époque du virtuel, celui de la mémoire à l'époque de l'informatique et questionne une fois de plus les rapports entre science, histoire et imagination.

Lait noir – Elif Shafak

Maternité et écriture ne font pas toujours bon ménage. L'une paraît menacer l'autre et vice-versa. Comment marier la blancheur du lait à la noirceur de l'encre ? Comment préserver son indépendance tout en berçant sa progéniture '! Ainsi lorsque Elif Shafak. à la naissance de sa fille, sombre dans une dépression, six petites créatures têtues et véhémentes l'accompagnent. Ces dames, voix intérieures de l'auteur - et l'on pourrait dire de toute femme -, exposent avec détermination, intelligence et humour leur conception du monde et de la féminité. De Miss Cynique lntello à Miss Ego Ambition, de Miss Intelligence Pratique à Darne Derviche, de Maman Gâteau à Miss Satin Volupté. La femme d'hier, d'aujourd'hui et de demain s'exprime dans ses contradictions et ses rêves. Elif Shafak témoigne ici avec brio de la crise d'identité à laquelle peuvent être confrontées les femmes lorsqu'elles veulent à la fois être mères et créatrices. Évoquant ces hautes figures de la littérature que sont Virginia Woolf. Simone de Beauvoir et Doris Lessing. Lait noir est aussi un portrait de la société turque dans sa double dimension : orientale et occidentale. Tout autant roman qu'autobiographie, voici le livre le plus grave et le plus drôle, le plus iconoclaste et le plus intime de l'auteur, qui réinvente la femme, pour nous dire que tout lui est possible.

  • Livre de Poche

La mauvaise rencontre – Philippe Grimbert

Loup et Mando sont des amis inséparables depuis leur plus tendre enfance. Mando note dans un carnet, les événements qui marquent leur vie. Etudiant, Loup découvre la psychanalyse et se rapproche de son professeur. Mando vit cette relation comme une trahison.

Lettres et carnets – Hans et Sophie Scholl

Une édition qui se veut délibérément plus grand public, plus « romanesque », tout en se dotant d'une documentation historique sans faille et d'un éclairage pédagogique approfondi. Plusieurs dossiers thématiques sont proposés en fin de volume : chronologie, les personnages évoqués dans la correspondance (famille, membres du groupe, inspirateurs et continuateurs) ; le contexte historique ; l'embrigadement de la jeunesse ; l'âme allemande à travers l'évocation de la nature, de la musique et de la religion ; les mouvements résistants en Allemagne ; de la légende à la réalité. Cette édition, réalisée par Isabelle Hausser, sera mise en avant dans notre action de prescription vers les professeurs de lycées. Forte mise en avant sur nos sites grand public et enseignants. Partenariat en cours de négociation avec l'éditeur du DVD.

Ulysse from Bagdad – Eric-Emmanuel Schmitt

Saad Saad, Espoir Espoir en arabe, fuit Bagdad et souhaite regagner l'Europe, mais la difficulté de passer les frontières rend son voyage compliqué. Son périple dans le monde contemporain rappelle celui d'Ulysse, premier voyageur à affronter une série d'obstacles. En filigrane, l'auteur pose des questions sur les frontières et l'identité.

La mémoire des murs – Tatiana de Rosnay

Pour sa nouvelle vie de femme divorcée sans enfant, Pascaline a trouvé l'appartement qu'elle voulait. Mais contre toute attente, elle se sent mal dans ce deux-pièces pourtant calme et clair. Elle apprend qu'un drame y a eu lieu mais elle décide malgré tout de rester entre ces murs marqués par la tragédie, qui lentement la poussent à déterrer une ancienne douleur, qu'à 40 ans elle devra affronter.

La peur – Gabriel Chavallier

Le narrateur raconte la Première Guerre mondiale telle que G. Chevallier lui-même l'a vécue, comme simple soldat, sur le front puis, blessé, à l'hôpital. Paru pour la première fois en 1930, ce roman témoigne de la terrible expérience des combattants face à la férocité et l'inutilité de cette guerre.

Le cœur glacé – Almudena Grandes (2 tomes)

Le jour de sa mort, Julio Carrion, prestigieux homme d'affaires qui a acquis son pouvoir durant la dictature de Franco, lègue une fortune considérable à ses enfants. Lors de son enterrement, son petit-fils Alvaro, le seul à ne pas avoir voulu travailler dans les affaires familiales, rencontre Raquel Fernandez Perea, jeune femme inconnue. Il apprend qu'elle fut la dernière maîtresse du défunt. Peu à peu, d'autres secrets sont dévoilés et le passé franquiste du grand-père resurgit.

Un juif pour l'exemple – Jacques Chessex

En 1942, dans le bourg vaudois de Payerne, l'antisémitisme gagne les esprits. Arthur Bloch, marchand de bestiaux juif, venu pour la foire, est la victime toute trouvée du groupe mené par le garagiste Fernand Ischi et le pasteur Lugrin.

N'espérez pas vous débarrasser des livres – Umberto Eco

A la veille de l'arrivée sur tous les marchés du monde des nouvelles générations de livres électroniques, deux écrivains bibliophiles s'interrogent sur l'avenir du livre. Une discussion à la fois savante et humoristique qui nous fait traverser 5000 ans d'histoire du livre, du papyrus au fichier électronique.

  • Folio

Le bonheur des familles – Carlos Fuentes

Les gens heureux n'ont pas d'histoire, c'est bien connu. Mais les familles heureuses ? Tout au long de ces seize récits qui sondent les différentes couches de la société mexicaine, l'exploration des relations familiales dans leur intimité la mieux gardée fait voler en éclats idées reçues et principes. À travers des situations qui mettent en jeu aussi bien le rapport du Président avec son fils que celui d'une femme avec l'assassin de sa fille, un curé cachant son enfant dans un village de montagne, deux frères liés par la haine, une épouse subissant par amour le sadisme de son époux, un don Juan à qui ses conquêtes rendent cruellement la monnaie de sa pièce, un général obligé de choisir lequel de ses deux fils il va sacrifier, Carlos Fuentes démontre une fois de plus sa capacité à créer des personnages dont les élans, les petitesses, les vices nous interpellent autant qu'ils nous fascinent. Avec ce livre, le grand romancier mexicain nous offre une véritable "Comédie humaine".

Le lièvre de Patagonie – Claude Lanzmann

" Quand venait l'heure de nous coucher et de nous mettre en pyjama, notre père restait près de nous et nous apprenait à disposer nos vêtements dans l'ordre très exact du rhabillage. Il nous avertissait, nous savions que la cloche de la porte extérieure nous réveillerait en plein sommeil et que nous aurions à fuir, comme si la Gestapo surgissait. "Votre temps sera chronométré", disait-il, nous ne prîmes pas très longtemps la chose pour un jeu. C'était une cloche au timbre puissant et clair, actionnée par une chaîne. Et soudain, cet inoubliable carillon impérieux de l'aube, les allers-retours du battant de la cloche sur ses parois marquant sans équivoque qu'on ne sonnait pas dans l'attente polie d'une ouverture, niais pour annoncer une brutale effraction. Sursaut du réveil, l'un de nous secouait notre petite sieur lourdement endormie, nous nous vêtions dans le noir, à grande vitesse, avec des gestes de plus en plus mécanisés au fil des progrès de l'entraînement, dévalions les deux étages, sans un bruit et dans l'obscurité totale, ouvrions comme par magie la porte de la cour et foncions vers la lisière du jardin, écartions les branchages, les remettions en place après nous être glissés l'un derrière l'autre dans la protectrice anfractuosité, et attendions souffle perdu, hors d'haleine. Nous l'attendions, nous le guettions, il était lent ou rapide, cela dépendait, il faisait semblant de nous chercher et nous trouvait sans jamais faillir. A travers les branchages, nous apercevions ses bottes de SS et nous entendions sa voix angoissée de père juif : "Vous avez bougé, vous avez fait du bruit. - Non, Papa, c'est une branche qui a craqué. - Vous avez parlé, je vous ai entendus, ils vous auraient découverts." Cela continuait jusqu'à ce qu'il nous dise de sortir. Il ne jouait pas. Il jouait les SS et leurs chiens.

Les feuilles mortes – Thomas H. Cook

Eric Moore a toutes les raisons apparentes d'être heureux : propriétaire prospère d'un magasin de photos et d'une jolie maison dans une petite ville sans problème de la côte Est, il mène une vie de famille épanouie auprès de sa femme Meredith et de son fils Keith, un adolescent de quinze ans. Cet équilibre parfait va pourtant voler en éclats à jamais... Un soir comme les autres, ses voisins demandent à Keith de garder Amy, leur fille de huit ans. Au petit matin, Amy est introuvable. Très vite, l'attention de la police se porte sur Keith et ce dernier, pataud et mal dans sa peau, se défend maladroitement. Du jour au lendemain, Eric devient l'un de ces parents qu'il a vus, à la télévision, proclamer leur foi dans l'innocence de leur enfant. Alors que l'enquête de la police se recentre autour de Keith, Eric doit lui trouver un avocat et le protéger contre les soupçons croissants de la communauté. Mais est-il tout à fait sûr de l'innocence de son fils ? Si Keith était coupable, et s'il était prêt à répéter son geste... Quelle devrait être alors la responsabilité d'un père? Les feuilles mortes est le récit d'une confiance brisée et celui des efforts héroïques d'un homme pour retenir coûte que coûte les liens qui l'unissent à tous ceux qu'il aime.

Du sang et du miel – Graham Hurley

Un cadavre sans tête, ballotté par la mer au pied d'une falaise de l'île de Wight, ramène Joe Faraday, ornithologue amateur et inspecteur aux Crimes graves de Portsmouth, sur les lieux de son enfance. Mais observer les oiseaux de mer n'est pas à l'ordre du jour: l'enquête piétine, car on ne parvient pas à identifier le corps. Quand elle s'oriente vers une maison de retraite tenue par un ex-soldat marié à une réfugiée bosniaque, les pistes se brouillent: l'homme, connu pour sa violence, est aussi un passeur de clandestins, originaires des Balkans pour la plupart. De son côté, le constable Winter peaufine sa technique de détective réfractaire au règlement. Maddox, aimable call-girl dont il s'éprend et qui lui récite du Rimbaud, l'aidera-t-elle à confondre un homme d'affaires local persuadé que le mot impunité a été créé pour lui ? Les deux affaires se soldent sur une note de cynisme désabusé: aujourd'hui, la politique prend, de plus en plus, le pas sur la justice. Et Hurley, fidèle à son message, dénonce un "ciment social qui part en poussière"

  • Point Seuil

Les veilleurs – Vincent Message

Oscar Nexus a tué trois personnes dans la rue, puis il s'est endormi sur les cadavres. Nexus est un marginal auquel son emploi de veilleur de nuit n'a donné qu'un ancrage très fragile dans la réalité. Interné dans une clinique, il est pris en charge par Joachim Traumfreund, un médecin atypique et brillant qui a participé dans sa jeunesse aux mouvements de réforme de la psychiatrie. C'est à lui et à Paulus Rilviero, un officier de police, qu'on confie le soin de tirer au clair les mobiles de Nexus et de déterminer s'il est responsable de ses actes. Afin de se consacrer à ce cas intriguant, Traumfreund transfère le criminel dans une annexe de la clinique, un bâtiment situé dans un coin de montagne que l'hiver isole peu à peu. Une fois sur place, nos deux enquêteurs découvrent que Nexus est un dormeur pathologique qui reprend nuit après nuit le fil du même Grand Rêve. Pour comprendre son crime, Traumfreund et Rilviero vont devoir s'immerger dans cet univers onirique où Nexus mène une véritable vie parallèle. Captivés par les récits du meurtrier, ils sont parfois rattrapés par le doute : comment être sûrs qu'ils n'ont pas affaire à un fabulateur ? A partir de ce fait divers, Les Veilleurs nous entraîne dans une exploration passionnante des territoires de la folie et du sommeil. Reprenant certains codes des grands thrillers hollywoodiens, l'auteur compose une fresque sur la place de l'imaginaire dans la société moderne, plus rationaliste qu'aucune autre, mais aussi fascinée par les mondes virtuels et les faces nocturnes de la réalité.

Une année dans la vie de Tolstoï – Jay Parini

En cette année 1910, suite à la publication de Guerre et Paix et d'Anna Karénine, Léon Tolstoï est l'écrivain le plus célèbre au monde. Mais la notoriété a un prix. Déchiré entre ses exigences ascétiques et le luxe dans lequel il vit, le comte cherche la paix, loin de ses treize enfants et des discordes qu'attisent sa femme Sophia et son disciple Tchertkov. Il s'enfuit donc, ultime étape d'une quête vécue comme un chemin de croix qui s'avèrera dans la petite gare d'Astapovo, envahie le temps d'une agonie par une meute de journalistes. S'inspirant des journaux intimes et de la correspondance des familiers de Tolstoï, Jay Parini dresse le portrait d'un mythe vivant, idolâtré ou manipulé, aimé ou haï, avant tout profondément humain.

Démon – Thierry Hesse

Quelles furent les dernières pensées de Franz et Elena ? C'est la question qui obsède Pierre, après que son père, Lev Rotko, lui a raconté un soir de novembre 2001 ce qu'il lui avait obstinément caché durant des années : le destin de ses parents, Franz et Elena, des Juifs russes assassinés par les nazis, son exil en 1953, et tous les malheurs communs aux êtres pris dans la tourmente de la guerre. Pour Pierre, cette révélation est comme une déflagration : la guerre, qu'il connaît bien pour avoir sillonné, en tant que grand reporter, l'Afrique de l'Ouest, fait cette fois effraction dans son histoire intime. II veut vraiment connaître Franz et Elena? Alors il lui faut éprouver la vie avec la peur, la vie avec la mort. Du jour au lendemain, Pierre part pour Grozny, qui se révèle tragiquement parfaite pour faire l'expérience de l'abandon. Et Démon est le roman de cette expérience. Dans ce livre au souffle épique défilent tour à tour le massacre des Juifs d'Ukraine, la mort de Staline, l'attaque des Twin Towers vue par Poutine, un attentat meurtrier dans un théâtre de Moscou. Thierry Hesse transforme notre actualité en histoires. En mettant en scène des dizaines de personnages, de lieux, d'époques, il nous prouve qu'il sait aussi transformer notre Histoire en roman, comme avant lui Tolstoï ou Vassili Grossman.

Le remplaçant – Agnès Desarthe

"Peut-être ferais-je mieux de commencer par expliquer que mon grand-père n'est pas mon grand-père. Bouz, Boris, Baruch n'est pas le père de ma mère. Le père de ma mère a été tué à Auschwitz en 1942. B.B.B. - appelons-le ainsi, pour faire plus court - est l'homme avec qui ma grand-mère, la vraie, a refait sa vie... si l'on peut dire." Né en Moldavie, province tour à tour roumaine et soviétique avant d'être partiellement annexée par l'Ukraine, B.B.B. traverse le siècle sans déranger personne. Occupant cette place laissée vacante, il joue un rôle à la fois discret et nécessaire. Lui, le "remplaçant", est devenu irremplaçable. En confrontant son image avec celle du pédagogue polonais Janusz Korzack, directeur de l'orphelinat du ghetto de Varsovie, Agnès Desarthe trace le portrait de son anti-héros favori.

  • Pocket Editions

Le Livre d'Hanna – Géraldine Brooks

En Europe, en Australie et à Jérusalem, de 1480 à 2002. 1996, Sarajevo. Hanna Heath, une Australienne d'une trentaine d'années, conservatrice passionnée de manuscrits anciens, se voit confier le livre que tout chercheur rêverait de tenir entre ses mains : une célèbre Haggadah, vieille de plusieurs siècles, retrouvée il y a peu dans les ruines de la ville. Dépêchée de l'autre bout du monde pour cette mission, Hanna compte bien percer les secrets de ce livre hébreu, de ses sublimes enluminures et de ces hommes et femmes de toutes religions qui l'ont fabriqué, manié et sauvé à travers les âges. Elle s'intéresse ainsi à la personnalité d'Ozren Kamaran, le bibliothécaire musulman du Musée national, qui a caché la Haggadah pendant le siège de Sarajevo. Marqué par les tragédies du passé, cet homme ténébreux va éveiller des sentiments nouveaux en Hanna… Mais, riche de ses découvertes sur l'artefact, la jeune femme part mener l'enquête, prête à tout pour découvrir l'incroyable destin de ce livre sacré, témoin éclatant des drames de l'Histoire auquel lui et son peuple ont survécu. De Sarajevo pris dans la tourmente nazie à la montée de l'antisémitisme dans les années 1890 à Vienne, des dernières heures de l'Inquisition vénitienne à l'expulsion des Juifs de l'Espagne d'Isabelle la Catholique, Hanna parvient à lever un bout du voile sur ces actes de courage ou de lâcheté qui ont fait l'histoire du manuscrit. Depuis ce bibliothécaire musulman qui va sauver la Haggadah sous le nez des Allemands, à ce censeur papal et ce rabbin, rongés par des vices cachés, qui vont le faire échapper aux flammes condamnant les ouvrages hérétiques, jusqu'à cette esclave musulmane africaine, passionnée de peinture, dans l'Andalousie mauresque de la convivencia. En hommage à tous ceux-là et bien d'autres encore, Hanna se lance dans une quête de vérité, qui va la mener plus loin qu'elle ne l'aurait imaginé…

Mangez-le si vous voulez – Jean Teulé

Nul n'est à l'abri de l'abominable. Nous sommes tous capables du pire ! Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune périgourdin, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. C'est un jeune homme plaisant, aimable et intelligent. Il veut également profiter de l'occasion pour promouvoir son projet d'assainissement des marais de la région. Il arrive à quatorze heures à l'entrée de la foire. Deux heures plus tard, la foule devenue folle l'aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé. Comment une population paisible (certes angoissée par la guerre contre la Prusse et sous la menace d'une sécheresse exceptionnelle) peut-elle être saisie en quelques minutes par une telle frénésie barbare ? Certains s'efforceront d'arracher la malheureuse victime des mains de ces furieux. Mais si peu. Seule Anna, une jeune fille amoureuse, risquera sa vie pour le sauver. En vain. La barbarie l'emportera…