2 mai 2009

MIEUX VAUT RIRE DE TOUT

  • L'allumeur de rêves Berbères - Mohand Saïd Fellag - J'ai Lu n°8722


Alger, dans les années 1990. Alors que la ville est en proie à la peur des attentats et à la terreur des islamistes, Zakaria - écrivain déchu par le régime dont il s'est fait le chantre - observe ses coreligionnaires depuis le balcon de son appartement. Pendant les quelques heures du retour de l'eau la ville renaît à la vie. Chacun se dépêche de profiter de cette manne providentielle et limitée offerte par le Ministère de l'Hydraulique. Durant cette parenthèse de bonheur aquatique que tout le monde attend avec impatience, les machines à laver démarrent dans un brouhaha indescriptible, les tuyaux d'arrosage irriguent bougainvillées, hibiscus, plants de tomates ou de haricots verts, lavent voitures et escaliers, les habitants se douchent et remplissent bidons, bouteilles et bassines avant une nouvelle coupure annonciatrice de restriction d'eau. Tout le monde est aux aguets pour ne pas rater la distribution de cette eau providentielle et rare. Pendant ces heures nocturnes et miraculeuses, c'est une autre vie, plus belle, plus active, plus fantaisiste aussi, qui se déroule sous les yeux de Zakaria l'écrivain. "Cette seconde vie, nocturne, remet les compteurs à zéro et nettoie les cerveaux des tourments et pressions de la veille. En dispersant sa sève bienfaitrice, la plomberie redonne aux pauvres créatures laminées par la désespérance le goût de croire de nouveau aux choses. Subitement, des actions aussi banales que rire, boire un café, fumer une cigarette, aimer, raconter une histoire, redeviennent des gestes fondamentaux, des rites magiques participant à la reconstruction de l'espoir et au ressourcement des désirs. Des êtres aussi dissemblables qu'un philosophe francophile, un stalinien, un ancien combattant, une vieille femme juive, un inventeur, un imam orthodoxe, un handicapé moteur, un marchand de légumes, un ex-émigré, un inspecteur de police, un islamiste pur et dur, un chauffeur de taxi ou une prostituée clandestine, s'assoient autour d'un thé, rient en débattant de tout et de rien comme s'ils étaient des caravaniers faisant halte dans une lointaine oasis afin d'échanger du sel et des nouvelles".

Parce que la journée, la vie est un véritable enfer, une torture morale et psychologique pour la plupart de ces habitants. Encore plus pour Zakaria qui a trahi la cause pour laquelle il a longtemps chanté les louanges. Et cela, personne ne lui a pardonné. Rejoindre le camp des démocrates mérite la mort pour qui tente l'expérience. Les premières menaces l'ont presque rassuré sur son courage. Il les a même prises à la légère. Elles l'ont bien fait rire. Petit à petit, le ton a changé, en même temps que les mots utilisés. Surtout, ces intimidations ont concerné toute sa famille, sa femme - Nadia - ses enfants. Partout où ils se trouvaient, ils étaient repérés. Impossible de se cacher, de fuir pour se faire oublier. Cette situation a
perturbé Zakaria qui s'est mis à boire, à se barricader chez lui, à stocker des denrées, prêt à tenir un siège face à un occupant invisible mais envahissant. Sans parler des cauchemars qui hantaient ses nuits, sa recherche effrénée d'une arme quelconque pour se protéger, marteau, pistolet ou fusil de chasse. Tout et n'importe quoi, mais se sentir en sécurité.

Ces pressions morales, l'éclatement de la cellule familiale, la mise au ban de la société vont pousser Zakaria à reprendre sa plume pour raconter, dire ce qu'il voit, observe, analyse du quotidien de ses voisins et semblables. "Aujourd'hui, comme une fourmi, je glane les minuscules événements sortant de l'ordinaire par leur teneur étrange, caustique ou dramatique. Je dresse un fichier d'histoires de gens de mon quartier. Parfois, leurs acteurs viennent eux-mêmes me les raconter, des écrivains en herbe rédigent leurs tourments intérieurs et me les apportent dans l'espoir que je les aide à les faire publier. On glisse sous ma porte des suppliques, des requêtes, des menaces, des injonctions, des épanchements, des lettres d'amour, des lettres de mort".

Et sa cité relève plus de la Tour de Babel que d'un Club privé anglais. Ainsi, lorsque Zakaria rencontre le pauvre Nasser, gazier de son état, et qu'il apprend qu'il a - lui aussi - été menacé de mort par les intégristes, l'idée lui vient de se servir de son histoire pour raconter la sienne. Ce livre sera celui de sa Rédemption, sa renaissance littéraire, son retour en grâce. Dans son quartier, il y a aussi deux femmes qui comptent, Rose et Malika. Rose, "Madame", de confession juive et hissée au rang de quasi-divinité par sa profession de sage-femme, Malika, prostituée qui connaît les hommes mieux que personne, avaient toutes les deux trouvé leur place au sein du CQGAP (Comité de Quartier pour la Gestion de l'Antenne Parabolique). Personne, au sein de ce syndicat de quartier et noyauté par les hommes, ne remettait en cause leur présence féminine. Et puis, il y a Aziz, un bricoleur hors pair capable à lui seul de tout réparer, du moulin à café antédiluvien aux stimulateurs cardiaques. Du fond de sa cave, Aziz prépare un petit bijou de technologie censé lui assurer la fortune : un alambic en cuivre !

"L'allumeur de rêves Berbères" est un roman extraordinaire, drôle, caustique, cynique. A travers Zakaria - son double écrivain - Fellag nous fait part de sa vision de la société algérienne dans les années 1990, en pleine guerre contre les islamistes. Pris entre la révolution populaire et les fanatiques du Front Islamique du Salut qui terrorisaient les personnes refusant d'abroger leurs droits et leurs libertés, les personnages de ce roman sont touchants. Par leur furieuse envie de vivre comme tous l'entendent, ils deviennent les héros ordinaires en lutte contre le dogmatisme religieux et l'ostracisme des fondamentalistes d'un Islam pur et dur. Et que le lecteur ne s'y trompe pas, "L'allumeur de rêves Berbères" est fin, certes, mais surtout pas léger. Car, loin de rechercher la facilité, Fellag nous fait ressentir une situation cruelle, menaçante, sectaire où seule règne la loi du plus fort. A travers des apparences cocasses, médiocres, voire banales, c'est le quotidien de millions d'algériens pris dans la nasse de l'islamisme radical que l'auteur nous relate. Que ce
soit leur tentative pour sortir le soir se retrouver entre amis à "La Méduse bleue", bar ouvert pendant le couvre-feu où pour monter une antenne parabolique collective à l'aide d'un couscoussier format famille nombreuse, Fellag nous montre une population prête à beaucoup de sacrifices et d'audaces pour dépasser leurs peurs et vivre normalement.

En lisant "L'allumeur de rêves Berbères" on ne peut s'empêcher de faire le lien entre "A quoi rêvent les loups" de Yasmina Khadra pour la violence qui transpire entre les lignes, mais aussi "La vie devant soi" de Romain Gary pour la générosité des habitants de cet immeuble, pour analogie à Madame Rose, pour Malika, la prostituée au grand cœur. Dans une langue vivante, aérienne, délicate, Fellag nous fait partager une vie où seuls l'humour et la fantaisie aident la population à supporter l'insupportable.

L'avis de Lael qui n'a pas vraiment aimé cette lecture.

3 commentaires:

Ys a dit…

Beaucoup trop actuel et politique pour moi, même sur le mode caustique...

Nanne a dit…

@ Ys : Je comprends qu'il y a des fois où l'actualité est difficile à entendre ou à lire, mais ce roman est plein d'humour et de dérision ... Il en a écrit d'autres, tout aussi drôles et légers !

Anonyme a dit…

Merci à vous
de nous faire partager votre passion
pour un allumeur de rêves berbères magnifique Fellag:)))

Puis-je à mon tour vous présenter
un extraordinaire allumeur de rêve du Québec, Canada
par la scène, poète-conteur...

ENTRE MONTREAL ET PARIS
SIMON GAUTHIER
LE VAGABOND CELESTE

courriel de Simon Gauthier
du 3 avril 2013
le lendemain de son spectacle
LE VAGABOND CELESTE
à la maison de la culture
cote des neiges, montreal

Salut Pierrot,

Tu dormais mon cher,
sur ta paillasse
hier au soir
tu dormais sur la plancher
de ton ami chansonnier

tu dors dans les draps de ton doctorat

pendant que je conte
l’histoire de cet homme vagabond
de cet écho de ta vie
de cet inspirant récit
d’un homme voyageur
vêtu de lumière

Pendant que le vagabond céleste marche
parmi les étoiles
tu peux dormir mon ami
tu peux dormir

dans l’esprit des gens
réunis,
tinte tinte les clefs
tinte
tinte
le rêve
Le vagabond céleste
habille de chaleur

le corps désir de ceux qui rêvent et de ceux qui pleurent
ceux qui rêvent et de ceux qui pleurent

Bonne journée Pierrot

Simon

——

réponse de Pierrot

Cher Simon

Oui, hier soir, je dormais avec, dans mes bras, la biographie de Cervantes
de Jean Canavaggio. Ce Cervantes qui a écrit Don Quichotte à 53 ans alors qu’il était en prison et qu’il lui manquait un bras.Qui aujourd’hui ferait confiance à un homme de 53 ans en prison à qui il manque un bras?:))))) Seul un impossible rêve permet un tel surgissement d’impossible réalité.

On m’a rapporté l’immense délicatesse artistique avec laquelle tu redonnes
espoir à ceux et celles qui écoutent le conteur-poète de la Côte nord.Autant Mon ami Woodart que mon compère de bibliothèque Raymond le philosophe ont été invités par ta passion de passeur de rêves à naviguer vers leur rêve personnel. Tu as fait de ma démarche un conte post-moderne qui risque d’enflammer les humains comme des lampadaires. Tu es vraiment devenu un allumeur de coeurs-réverbères. Woodart a été plus qu’épaté. Lui qui me connait à l’usure depuis 40 ans, il a noté ta force à coudre des tableaux de mots par de la lumière de rêve dans laquelle il a reconnu ta signature d’une très grande maturité créatrice.

Une vie d’artiste, c’est une longue marche
et je te vois enjamber des continents
un flambeau à la main.

Mes 64 ans bien au calme
dans leurs bottines
qui se préparent à repartir le 15 juin
saouls de liberté, te souhaitent

Bonne route internationale camarade, car,
comme Félix Leclerc, un jour, le succès t’attendra
ici au Québec à un de tes retours d’Europe.

Pierrot
www.enracontantpierrot.blogspot.com
www.reveursequitables.com
www.simongauthier.com

sur youtube
simon gauthier conteur video vagabond celeste

longue vie à vous
et à votre blogue :)))

Pierrot