3 avril 2010

"BOULEVARD OF THE BROKEN HEARTS"

  • Les raisons du doute - Gianrico Carofiglio - Seuil Policiers Éditions

Guido Guerrieri, avocat pénaliste à Bari, est appelé à la prison pour défendre un certain Fabio Paolicelli, dit Fabio Ray-Ban. L'apercevant, celui-ci reconnaît en son futur client un cogneur fasciste. Il a d'excellentes raisons de ce souvenir de lui, parce que ce Fabio Ray-Ban a empoisonné son adolescence dans l'Italie des année 1970. "Les fascistes étaient organisés de façon très professionnelle. Comme des criminels professionnels. Ils avaient pour arguments politiques des barres de fer, des chaînes et des couteaux. Quand ils n'empoignaient pas des révolvers. Il suffisait de traverser la via Sparano, non loin de l'église de San Fernandino, considérée comme une zone noire, avec un journal, un livre, voire des vêtements inadéquats, pour passer un mauvais quart d'heure. J'en fis, moi aussi, l'expérience. J'avais quatorze ans et j'étais très fier de ma parka verte. Un après-midi où je me promenais dans le centre-ville avec deux copains tout juste sortis de l'enfance, nous fûmes encerclés. Nos agresseurs avaient seize ou dix-sept ans, mais on aurait dit des hommes. A cet âge-là, deux ans de différence comptent autant qu'une vie. Parmi eux, un garçon blond, grand et maigre, au visage à la David Bowie. Malgré l'obscurité, il portait des lunettes Ray-Ban. Il étirait ses lèvres fines en un sourire qui me glaça le sang".

Une drôle d'histoire lui est tombée dessus, comme la misère sur le bas-clergé ! En revenant de ses vacances au Monténégro, Fabio Paolicelli est arrêté par la police financière italienne qui procédait à des fouilles en règle de certains véhicules considérés comme suspects. Par un malheureux hasard, sa voiture cachait quarante kilos de cocaïne très pure, sans même que le principal intéressé n'en soit informé. Comme le veut la procédure dans ces cas-là, on lui demande de désigner un avocat pour le défendre. Et là, l'affaire prend une tout autre tournure. Miraculeusement, un inconnu se présente à la femme de Fabio Paolicelli avec le nom d'un avocat à conseiller à son mari - Corrado Macri, de Rome - qui enfoncera son client plus qu'il ne l'aidera. Celui-ci ira même jusqu'à refuser de se faire payer ses honoraires ! Fabio Paolicelli est persuadé que son défenseur l'a grugé. C'est la raison pour laquelle il demande à Guido Guerrieri de l'aider à comprendre ce qui lui est arrivé et de le sortir de prison. "- On raconte que vous ne vous dérobez pas quand la cause est juste. "On raconte que vous êtes un type bien." Je sentis un léger fourmillement sur le cuir chevelu, puis le long de la colonne vertébrale. "Et on raconte que vous êtes très habile." Je ne savais pas quoi dire. Il poursuivi, et sa
voix se fêla, comme s'il avait épuise les forces dont il avait besoin pour se maîtriser. "Sortez-moi d'ici ! Je suis innocent, je vous le jure. J'ai une petite fille. C'est la seule chose qui compte vraiment dans ma vie. J'ai fait un tas de conneries, mais cette gosse est ma raison de vivre. Je ne l'ai pas vue depuis que j'ai été arrêté. Je n'ai pas voulu qu'elle me rende visite en prison et je ne l'ai donc pas vue depuis cette maudite matinée." Ses derniers mots avaient été un compromis entre un râle et un murmure".

Malgré la bonne foi apparente de Fabio Paolicelli, les erreurs de procédure de son
prédécesseur, Guido ne se sent aucun désir, encore moins la volonté de défendre cet ancien fasciste apparemment tombé dans les mailles du filet de la mafia locale. Qu'il se débrouille et se trouve un autre défenseur. Guido, quant à lui, a surtout envie de se venger des rebuffades passées en refusant de le défendre. Mais lorsque la femme de ce dernier vient au cabinet de Guido Guerrieri, sa première réaction est de lui opposer un refus catégorique. ""Voyez-vous, madame - dès l'instant où je pris la parole, ma morgue me parut odieuse -, il est nécessaire d'examiner les actes afin d'exprimer une opinion sensée. Et pour élaborer des alternatives, transactions incluses, il est indispensable de connaître les questions de procédure, les questions techniques qui peuvent échapper à des néophytes". Bref, c'est moi, l'avocat. Toi, consacre-toi à l'ikebana, à la cérémonie du thé ou à ce que tu veux. Et puis rien ne garantit que j'accepte de défendre le cogneur fasciste - probablement doublé d'un trafiquant - que tu as pour mari. Car j'ai un compte à régler avec ses amis et lui depuis une trentaine d'années". Malheureusement pour Guido, Natsu Kawabata, la superbe épouse de Fabio Ray-Ban, est entré dans sa vie au moment où elle a franchi le seuil de son cabinet ! Pour presque se rassurer que son client ne lui mentait pas - maintenant qu'il avait décidé de s'occuper de son affaire - Guido Guerrieri fera appel à Carmelo Tancredi "[...] inspecteur de police spécialisé dans la chasse aux pires rebuts de l'humanité : les violeurs, les tortionnaires, les trafiquants d'enfants". Si son ami le tranquillise quant à la version des faits de son client, il lui rappelle aussi de s'intéresser à son ancien défenseur, plutôt qu'à la femme de Fabio Paolicelli !

"Les raisons du doute" de Gianrico Carofiglio appartient à cette nouvelle vague de roman policier très en vogue actuellement, le Legal Thriller. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'auteur frappe fort avec son personnage, Guido Guerrieri. Avocat malheureux en amour, intègre, loyal, moral, scrupuleux, honnête mais qui sait se servir des rouages de la machine judiciaire italienne pour sortir ses clients dans l'ornière où ils se sont généralement mis, Guido Guerrieri est aussi et surtout un intellectuel, féru de belles lectures et rêvant de devenir écrivain, boxeur à ses heures perdues, amateur de belles femmes et de musique. Cela pourrait s'arrêter là et ferait un policier agréable à lire. Mais "Les raisons du doute" va plus loin. Et
c'est ce qui en fait un bon roman policier à l'italienne. Ici, pas de violence physique, pas d'insultes ni de grossièretés, pas de policier redresseur de torts et jouant les justiciers. Au contraire, un avocat rusé comme un renard, madré, subtil et intelligent, parfois un brin cynique et macho - juste ce qu'il faut - pour nous le rendre attirant. Dans son roman, Gianrico Carofiglio convie le lecteur à une découverte des arcanes de la justice italienne, proches de chez nous. Il nous fait partir à la rencontre d'un milieu qui ne nous est pas si souvent dévoilé. Ici, les avocats sont parfois honnêtes, parfois véreux. Les policiers aident les avocats grâce à de petites combines pas toujours légales, les magistrats restent à leur place et font régner l'ordre pour le bien public. Et puis, en toile de fond, il y a Bari, ville portuaire des Pouilles s'ouvrant sur l'Adriatique et sur l'Europe de l'Est, où la mafia est très active, les trafics en tous genres, nombreux et fructueux. Bari, belle citée du sud de l'Italie, animée comme le sont les villes italiennes, mais qui se pare parfois d'une légère teinte d'inquiétude. L'ensemble, servi par une écriture nerveuse et une histoire qui ne se relâche pas, donne un très bon moment de lecture.

"Les raisons du doute" de Gianrico Carofiglio a été lu dans le cadre d'une opération spéciale de Babelio et des éditions du Seuil, que je remercie pour cette belle découverte.

D'autres blogs en parlent : Leiloona, Kali, Georges Sand et moi, Mango, Cécile, Esmeraldae, Fashion, Cathulu, Choco ... D'autres peut-être ? Merci de vous signaler par un petit mot en commentaire !

293 - 1 = 292 livres ...

19 commentaires:

keisha a dit…

j'en parlerai... quand le moment sera venu, j'ai trop de billets en attente.
Vite lu, bonne ambiance italienne, ça change...

Dominique a dit…

Tous les billets sont bons alors pour ce polar ? Bonne nouvelle car je l'ai dans ma petite pile perso, et puis je ne suis pas contre un voyage au soleil de l'Italie

Kali a dit…

Tu en parles très bien, et je suis d'accord avec ce que tu dis de cette mesure, l'auteur a su ne pas tomber dans l'excessif et ça donne un côté "vrai" qui touche!

Nanne a dit…

@ Keisha : Il se lit vraiment très facilement et l'ambiance de l'Italie du sud ajoute un petit côté très agréable et chantant, presque ! J'attends ton billet pour savoir ce que tu en diras ...

@ Dominique : Je crois que tous les billets publiés ont été positifs ! Et on s'embarque facilement pour Bari, les Pouilles, l'Italie du sud ... On boit, on mange, on rit, comme en Italie. C'est une lecture très agréable, bien que ce soit un policier !

@ Kali : C'est ce que j'ai aimé dans l'écriture de cet auteur. La mesure, le recul par rapport au personnage, à la situation, à l'atmosphère bien rendue des tribunaux ! Il est juge anti-mafia et actuellement sénateur des Pouilles, et on ressent très bien qu'il aime son métier, et sa ville ... Et ça sonne jute !

Anonyme a dit…

Eh bien cette nouvelle vague de romans policiers ne me tente pas du tout, et c'est tant mieux parce que j'ai plein de vagues précédentes échouées dans ma PAL !

Aifelle a dit…

Malgré tous les bons billets sur ce roman, le thème ne m'attire pas du tout .. je vais passer.

Manu a dit…

Je n'ai pas donné suite à la proposition de Babelio car, comme Ys et Aifelle, je ne suis pas tentée du tout par ce genre.

Leiloona a dit…

Je suis aussi de ton avis : une écriture qui nous donne envie de tourner les pages pour connaître la suite et des personnages attachants. Un bon livre, même si la mention de legal thriller m'étonne tout de même.

choco a dit…

Je viens moi aussi de rendre ma copie sur ce roman ! Je suis moins enthousiaste que toi. Un bon roman mais sans plus.

Nanne a dit…

@ Ys : Ce n'est plus une bibliothèque chez toi, mais une vraie plage pour surfer ;-D C'est vrai qu'il faut faire des choix face à tout ce qui se publie et les propositions faites ! Cela dit, je ne regrette pas ce choix, parce que - contrairement aux Legal thriller américains -, celui-ci est concis et n'en fait pas trop. Et puis, le personnage est plutôt séduisant ...

@ Aifelle : Sachant que l'on ne peut pas tout lire, et que c'est un vrai drame de le savoir, tu as raison de faire le choix de passer ! Il y a plein d'autres livres à lire et à aimer tout autant ...

@ Manu : C'est étrange de ta part, car je suis presque sûre que ce roman t'aurait plu ! Mais comme pour Aiffelle, tu as entièrement raison de faire des choix et d'être sage ... Chose que je ne sais pas faire, malgré une PAL gigantesque ;-D

@ Leiloona : Je me souviens de ton billet et c'est vrai que ce roman se lit d'une traite et sans interruption ! Les personnages sont bien campés et parfaitement décrits dans leurs fonctions. L'auteur maîtrise bien son sujet et son univers (normal) ... Le personnage principal est très attachant, je reconnais. La mention "Legal thriller" vient du fait que l'enquête est réalisée par un avocat et que tout se joue dans le prétoire, en fait ! C'est à la mode en ce moment ...

@ Choco : Je vais aller lire cela ! Visiblement tu as accroché, mais sans plus ... Pourtant Guido Guerrieri a du charme, non ?!

Theoma a dit…

Il m'a l'air très bien mais je vais plutôt choisir quelques poches de ton billet précédent. Tout est une histoire de choix et de temps !

Nanne a dit…

@ Theoma : Tu viens de résumer la situation de tout blogueur, le temps et le choix ! Ce roman est vraiment très bien, et on accroche vite parce que l'écriture est facile, riche, simple et le personnage, très attachant ... Mais dans les poches de ce mois-ci, il y a de belles lectures à faire. Et aussi vite lu ;-D

Anonyme a dit…

Jusqu'à maintenant, j'étais intriguée, mais sans plus par cette histoire mais, là, tu me donnes carrément envie de découvrir ce roman !! ;-)

Anonyme a dit…

C'est Lounima, l'"anonyme" : j'ai un petit problème : je n'arrive pas à saisir mon pseudo + url. Je vais investiguer... ;-)

Nanne a dit…

@ Lounima : Chère anonyme, ce roman policier fleure bon l'Italie et sa douceur ! Ici, pas de violence physique, pas de coup, que de la subtilité, du café noir et serré, des filles, et des hommes qui regardent les filles ... De temps en temps, un avocat qui fait très bien son travail ! Avec une écriture très agréable et fluide, c'est un roman qui se lit très vite et très bien ... Si tu veux le lire, je peux te l'envoyer !

Lounima a dit…

Pourquoi pas ? Le problème étant : quand aurai-je le temps de le lire ?? (Ma PAL a dépassé les 60 livres, et s'approche des 70... c'est terrible ! ) ;-)

Nanne a dit…

@ Lounima : Je te rassure de suite : si tu voyais la PAL que j'ai et les livres que j'ai accepté de recevoir parce que le sujet me plaisait, cela t'effraierait ;-D Tu prends le temps qu'il faut pour le lire ... Du moins où je sais à qui j'ai envoyé le livre, le temps ne me pose aucun problème ! Je te l'envoie dans quelques jours.

Lounima a dit…

Bonjour Nanne,
Livre bien reçu... je l'emporte en vacances avec moi (cela tombe bien, je vais en Italie)...
Et merci pour ta généreuse proposition qui ne pourra rester sans réponse. ;-) Dès qu'un livre de ma modeste bibliothèque te semble intéressant, n'hésites surtout pas, ce sera avec grand plaisir !! :D

Nanne a dit…

@ Lounima : Je suis heureuse de savoir que tu pars en vacances avec ce roman que j'ai vraiment apprécié ;-D J'espère que ce séjour italien sera merveilleux pour tout le monde ... Comme je te l'ai dit, inutile de me le renvoyer ! J'irai piocher dans ta bibliothèque, mais dès que j'en aurai terminé avec tous les livres voyageurs et autres envois de maisons d'édition. Merci encore ...