25 septembre 2010

LA CLAUSTRATION PAR LE VOILE

  • Bas les voiles ! – Chahdortt Djavann – Folio n°4332

« J'ai porté dix ans le voile. C'était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle ».

Chahdortt Djavann a porté le voile de treize à vingt-trois ans. Durant ces dix années, elle a vécu un cauchemar religieux, intime, physique, psychique, en vivant dissimulée, masquée, emprisonnée sous une chape de tissus sombre. Parce que Chahdortt Djavann est née femme en Iran, pays théocratique et islamique et non dans une démocratie où les libertés fondamentales et la laïcité prédominent, comme en Europe. « J'aurais mérité, comme tout être humain, d'être née dans un pays démocratique, je n'ai pas eu cette chance, alors je suis née révoltée ».

Qui a décrété qu'une enfant, une adolescente, une jeune fille ou une femme mûre devait se voiler, ne pas montrer sa beauté physique, son visage, son corps, ses mains, ses pieds, ses cheveux ? Au nom de quel précepte moral, social, spirituel, doit-on imposer cette claustration vestimentaire aux femmes ? Pourquoi seulement elles et jamais les hommes ? Parce que naître femme dans un pays islamique est une humiliation, un anathème, un péché, un châtiment pour la mère et la fille. La femme sera toujours la coupable désignée de son propre malheur. C'est par elle que la tentation naît chez l'homme. Dès lors, elles doivent assumer le risque de se faire violenter par eux. Être femme est une tache indélébile, une meurtrissure, le péché originel. « Elle est l'objet potentiel du délit. Toute tentative d'acte sexuel par l'homme avant le mariage relève de sa faute. Elle est l'objet potentiel du viol, du péché, de l'inceste et même du vol puisque les hommes peuvent lui voler sa pudeur d'un simple regard. Bref, elle est la culpabilité en personne, puisqu'elle crée le désir, lui-même coupable, chez l'homme. Une fille est une menace permanente pour les dogmes et la morale islamiques. Elle est l'objet potentiel du crime, égorgée par le père ou les frères pour laver l'honneur taché. Car l'honneur des hommes musulmans se lave avec le sang des filles ! ».

Le voile ou hijab n'est pas un simple foulard couvrant la tête. Loin de là. C'est le symbole, la transcription visible de la séparation entre la communauté masculine – valorisée -, et la société féminine, outragée, dépréciée. Avec le hijab, la femme disparaît, n'existe plus, fantômes errant par les rues, hantant les espaces qui leur sont dévolus. Le hijab n'a rien de commun avec la croix chrétienne ou l'étoile juive. C'est une punition, une sanction suprême. La femme est néant, imperfection, négation. « Une fille n'est rien. Le garçon est tout. Une fille n'a aucun droit, le garçon a tous les droits. Une fille doit rester à l'intérieur, à sa place, elle ne peut circuler à l'air libre. Nul ne peut ignorer que, dans les pays musulmans, les hommes, seulement les hommes, sont agglutinés sur les places publiques ». Le corps féminin est source de désir et de cupidité chez l'homme. Il est non seulement concupiscence, mais aussi objet sexuel. Les mères transmettent à leurs filles l'appréhension, la menace, l'atteinte d'un regard insistant de l'homme, forme psychique du viol et premier pas vers l'humiliation, la souillure et la culpabilité d'être tout simplement soi.

Aujourd'hui, les jeune filles d'origine musulmane qui revendiquent haut et fort leur libre choix de porter le voile intégral est plus souvent un cri de désespoir, un appel à l'aide en Occident, une autre façon de montrer qu'elles existent, qu'elles sont présentent dans une société où il est de plus en plus ardu de trouver sa place. On les voit, on les remarque, on les regarde dans la rue. Donc, elles sont ! Mais c'est aussi une sorte de refuge face à l'exclusion sociale, à l'ostracisme, au reniement de soi et de l'autre. Plutôt le foulard que le RSA et l'indépendance ; plutôt l'aliénation religieuse que le renoncement au dogme d'une éducation familiale pesante, prégnante. Quant aux plus cultivées, elles se revendiquent « libérées par le port du voile ». En sont-elles si persuadées que cela ? « Exclues de leur communauté musulmane quand elles se sont battues pour leur émancipation (cette émancipation qui leur vaut tout au plus le montant du RMI), exclues de la société française, du marché de l'emploi, elles ont payé cher leur indépendance. La société française n'a pas fait assez pour leur intégration. Comment s'étonner que certaines d'entre elles se réfugient sous le voile et essaient de trouver un mari qui les nourrira pour le prix de leur virginité ? ».

« Bas les voiles » de Chahdortt Djavann a le mérite de dire les choses telles qu'elles sont et d'entrer dans le vif du sujet. Elle appuie où cela fait mal. Et elle y réussit parfaitement. Ce texte court, pertinent, percutant, fait le tour d'une question qui dérange, perturbe, gêne bon nombre de personnes en Occident, mais aussi en Orient, n'en doutons pas.

Le voile dans la religion musulmane est au cœur même de notre débat politique et social autour de la notion de laïcité dans nos démocraties. L'auteur prend à partie ces intellectuels français qui parlent pour les autres, celles que l'on ne voit pas, que l'on n'entend pas, drapées qu'elles sont – au propre comme au figuré – dans leur mutisme contraint. Que savent-ils, ces intellectuels, de la réalité d'une situation dramatique et avilissante pour ces femmes ? Peu, voire pas grand-chose. Il est toujours si aisé de parler, de s'agiter, de s'indigner dans un pays, sur un continent, où la parole est libérée et les actes autorisés, légitimés. Ils s'insurgent du port du voile imposé ; ils s'indignent de la proscription de ces femmes voilées dans les écoles, les universités, les administrations. Ils se donnent bonne conscience sans en faire plus, ni alerter sur cette situation sordide. Mais Chahdortt Djavann épingle aussi les intellectuels musulmans qui font partie d'un grand Tout – l'Islam -, et modèrent, temporisent, relativisent la condition féminine dans les pays islamique. Quels sont ceux qui osent hausser le ton face aux violences physiques et psychiques, aux mariages forcés, à la lapidation pour adultère, à la pédophilie, aux arrestations, aux assassinats, à la misère ou à la pauvreté ? Très peu. L'immense majorité soutient le rôle bénéfique de l'Islam et de ses pratiques en Occident. Mieux vaut cela que le chaos dans les banlieues !

Avec « Bas les voiles », Chahdortt Djavann libère la parole d'une certaine manière concernant un tabou social et religieux en France et en Europe plus généralement. Écrit sur un ton sec, froid, distancié, l'auteur sait de quoi elle parle, elle qui a connu la terreur du voile. Elle ne mâche pas ses mots. Elle explique. Elle prévient. Elle rappelle certains faits concernant l'existence de ces ombres voilées qui n'ont de femmes que le terme. Elle souligne les demi-vérités, les vrais mensonges, les sinistres réalités masquées derrière les discours d'intellectuels modérés relatifs au voile. Chahdortt Djavann a fait un choix, crucial. Celui de quitter son pays pour vivre libre de toute emprise. Elle a décidé de témoigner, de dire, d'écrire, de faire savoir la vérité vraie qu'est le quotidien de la femme voilée.

Ce petit livre mériterait d'être lu par toutes les femmes pour mieux comprendre notre chance d'être nées en Occident et à notre époque ! « Ce que chacun de nous doit respecter, c'est l'être humain en tant qu'individu libre de penser et de vivre sa vie comme il l'entend, hors de toute contrainte ».

Les blogs qui en parlent : Ex-musulmans, Majanissa ...

269 - 1 = 268 livres ...

14 commentaires:

Dominique a dit…

Un livre à lire assurément, ton billet est tout à fait édifiant, la femme toujours opprimée, violentée, le voile et la lapidation certes pour les femmes musulmanes, la violence physique pour toutes les femmes ...
Les progrès sont lents et un peu dérisoires hélàs

Nymphette a dit…

Je suis d'accord avec Dominique: ton article est édifiant et incite à lire ce livre pour comprendre et avoir des clés pour "juger". Sur le fond, évidemment, il est facile de dire "on va interdire le voile" pour que les femmes soient libres, mais la liberté ne s'impose pas... elle s'apprend!

Mangolila a dit…

Celles qui portent ce voile en France liront-elles ce livre? L'ignorance et l'intolérance sont toujours là,hélas!
Nanne, je viens de lire ton blog-it et te souhaite bien du courage: c'est long à faire un deuil mais on y arrive!

Alicia a dit…

Oui, c'est un livre que je lirai, car la situation dramatique de ces femmes m'a toujours interpellée et ton excellent article m'incite à le faire.
Bien à toi, Nanne et bon courage.

Lounima a dit…

Un magnifique billet pour un livre à lire...

Aifelle a dit…

Ton billet est on ne peut plus clair, je note ce livre dans les indispensables et qu'il vienne d'une femme l'ayant vécu dans sa chair le rend plus précieux, au moins elle sait de quoi elle parle.

Marie a dit…

Féministe convaincue, je suis entièrement d'accord avec ton beau billet !
Ma seule réserve est qu'il ne faut pas faire preuve de la même intolérance à sens inverse. Tout comme le voile, cela doit être interdit à l'école et dans le milieu professionnel. Par contre, il n'est pas forcément judicieux de l'interdire dans la rue car cela radicalise certaines ados qui prennent des postures de martyres. Il faut plutôt compter sur l'éducation à l'école, l'action d'information et de militantisme de certaines association et une amélioration de leur condition économique... La misère génère toujours des comportements absurdes et liberticides.
Ce qui me fait peur, c'est que j'ai déjà vu de telles femmes se faire insulter dans la rue à cause de leur tenue et cela m'insupporte complètement.

keisha a dit…

Merci pour ce billet, si je vois ce livre... Je ne connais pas trop le sujet, les femmes voilées sont rares par chez moi... Un foulard plus "culturel" qu'autre chose d'ailleurs, et chez les plus âgées. J'ai bien dit foulard, pas plus, hein?
Comme les mamies d'origine portugaises qui s'habillent en noir.

Nanne a dit…

@ Dominique : C'est un tout petit livre, mais dont on apprend énormément. A lire et à faire lire autour de soi pour entrevoir tout ce qui se cache derrière la voile ! La violence n'est pas que physique ; elle est aussi psychique, morale, intellectuelle ... Les femmes et les petites filles en font encore et toujours les frais !

@ Nymphette : La liberté ne s'impose pas, elle s'acquiert, s'éduque, s'apprend ! Si on impose le voile dans une société - ou toute idée néfaste et restrictive - les personnes ne connaîtront que cela. Il leur sera, dès lors, difficile de vivre autrement ... Le travail est de faire savoir qu'il existe une autre façon de vivre sa religion, ses idées en s'ouvrant aux autres et au monde ! Le travail est long et semé d'embuches.

@ Mango : C'est la question que je me suis posée tout au long de ma lecture ! Si elles sont voilées extérieurement, ne sont-elles pas endoctrinées, contraintes, poussées moralement de le faire par d'autres ?! Or, ce livre s'adresse aussi - et surtout - à elles. Merci pour ce mot qui me rassure. Je commence à aller un peu mieux. Le travail de deuil se fait. Ne reste qu'à gérer l'absence qui est encore difficile ...
@ Alicia : Lis-le, pour savoir et faire savoir autour de toi, en parler et mieux comprendre toute la complexité d'une situation dramatique ! C'est encore le mieux pour éviter l'intolérance et l'exclusion ...

Manu a dit…

Un livre intéressant et qui permettrait d'éclairer beaucoup de choses. Je note.

Nanne a dit…

@ Lounima : Merci pour le compliment ! C'est assurément un ouvrage à lire pour comprendre ce phénomène sociétal. Surtout qu'il est très court à lire et très facile à lire ...

@ Aifelle : Le moins que l'on puisse dire c'est que l'auteur c'est de quoi elle parle, puisqu'elle a subi le voile de son enfance à la fin de son adolescence ! C'est d'autant plus intéressant, qu'elle ne se contente pas de décrire un vécu personnel, mais analyse une situation dramatique et aliénante pour les femmes et les filles ...
@ Marie : Bien que n'étant féministe comme tu peux l'être, je suis tout à fait d'accord avec ce que tu écris. Comment ne pas l'être, d'ailleurs ! Il est important de passer par l'information, l'explication, l'ouverture d'esprit, pour que ces femmes comprennent l'importance que revêt cette attitude radicale et intégriste. Il ne faut pas les stigmatiser, car ce serait les faire passer pour des martyrs. Par contre, les insultes dans la rue et autres bassesses, sont à proscrire ! Cela ne fait pas preuve d'intelligence ...

@ Keisha : Tu devrais le trouver en bibliothèque, sans problème je pense. Je suis comme toi, j'habite dans un quartier où il n'y a pas ce genre de situation, parce que privilégié ! Et comme toi, j'ai surtout vu des personnes âgées qui portent le foulard, parce que attachées à leur culture et leur religion, et non pas le hijad ou le voile intégral ... Ce sont les comportements extrêmes qui me font peur pour elles et pour la société !

Nanne a dit…

@ Manu : Un livre d'un intérêt certain et qui permet de se faire une idée plus précise sur un sujet plutôt brûlant ! Il permet de se poser certaines questions, et de partir à la recherche des réponses ... Et donc, de lire d'autres ouvrages autour du même thème !

dasola a dit…

Bonjour Nanne, billet très intéressant. Le constat est terrible. Habitant Paris, je suis effarée de voir le nombre de jeunes filles qui portent à le voile dans cette ville. Intérieurement, je suis choquée. Je ne sais pas ce qu'elles veulent prouver. Il y en a qui mendie. C'est triste. Je note ce livre. Bonne journée.

Nanne a dit…

@ Dasola : Je pense que ce livre est vraiment à lire pour tenter de comprendre le pourquoi du voile et tout ce qu'il y a derrière. Ce n'est pas un livre polémique ou une diatribe contre les femmes voilées, mais l'auteure a subi cet enfermement et explique une situation que nous avons du mal à comprendre en Occident ! Je comprends ton attitude face à ces filles de plus en plus jeunes qui se marginalisent et se coupent de notre société, pour des raisons plus sociales ou familiales que religieuses ... Ce livre pourra te donner quelques explications !