29 décembre 2010

LE PRÊTRE ROUX

  • Antonio Vivaldi – Sophie Roughol – Acte Sud Classica Éditions


« Est-il personnage plus connu et plus mystérieux qu'Antonio Vivaldi ? Sa musique a traversé les siècles et les continents, a séduit tous les publics et tous les âges, son nom, à l'égal de celui de Mozart, est synonyme de musique classique pour les plus réfractaires au genre. Et pourtant, c'est le même compositeur qui disparaît dans l'anonymat le plus total, entraînant dans le néant la majeure partie de son œuvre, avant la résurrection musicologique du début du XXe Siècle. Et qui, bien que connu de son vivant dans l'Europe entière, cache à ses biographes des pans entiers de son existence, comme si, par hases régulières, l'homme devenu invisible échappait au regard et à la plume de ses contemporains ».

C'est à Vienne en Autriche et non à Venise – sa ville natale à laquelle il sera toujours intimement lié – que sera enterré Antonio Vivaldi, le 28 juillet 1741. Virtuose du violon, il faudra patienter jusqu'en 1920 – soit près de 179 ans – pour découvrir toute la valeur artistique et l'acuité de son talent. Pourtant, les commentaires relatifs à ses compositions musicales seront peu amènes, voire même cyniques et acerbes. Igor Stravinsky a été pour le moins acide en assénant que Vivaldi aurait écrit six cents fois le même concerto ! C'est dire si les préjugés et autres idées préconçues ont la vie dure et ont persisté dans le temps.

Il s'en est fallu de peu que le monde de la musique ne connaisse jamais le génie foisonnant d'Antonio Vivaldi. A peine né, il est en danger de mort et recevra même les sacrements de sa nourrice, Margarita Veronese. Toute sa vie, Antonio Vivaldi sera de santé précaire. Sans doute, est-ce pour cela qu'il sublimera son art du violon ? Qu'importe. Le petit Antonio va baigner dans une ambiance où la musique est au cœur même de la vie familiale, grâce à son père – Giovanni Batista Vivaldi – violoniste réputé à Venise. C'est au cours de la messe de minuit de San Marco que le jeune et talentueux Antonio Vivaldi donnera sa première représentation publique. « Venise, au tournant de deux siècles, vit dans la maturité d'une sensualité radieuse et pleinement assumée, dans une licence et une avidité de plaisirs soulignées par tous les chroniqueurs. Le jeune Antonio glisse des ombres des tabarri et des inquisiteurs aux lumières de la piazza et aux éclats des courtisanes, des étals bigarrés de commerçants de toutes nationalités aux mosaïques de la basilique, des promesses des charlatans à celles des prêtres, du regard d'une danseuse triste aux dérobades d'une bauta, dans le chant continuel des gondoliers, femmes, commerçants, maîtres et domestiques ».

Mais avant de devenir le violoniste, le librettiste, le concertiste prolifique et exubérant qu'il deviendra, l'hyperactif touche à tout Vivaldi deviendra prêtre. Ainsi son père l'aura décidé. Ainsi en sera-t-il. En 1703, il entre comme maître de violon à l'Ospedale della Pietà, une des quatre institutions vénitiennes recueillant des orphelines ou les fillettes des familles les plus pauvres afin de leur donner une éducation à la fois religieuse et musicale, leur assurant un autre avenir que celui de la rue et de la débauche. Vivaldi, ayant un sens aigu des affaires et aimant l'argent, verra dans cette opportunité de quoi vivre aisément de son talent sans se préoccuper de son avenir financier, tout en restant libre de composer à sa guise.

A partir de 1711, Antonio prend la place de Gasparini, directeur de l'Ospedale della Pietà et du théâtre Sant'Angelo. Désormais, la voie royale s'ouvre à lui après des années de manigances, de complots, d'intrigues, de machinations de batailles sourdes, de départs fracassants et de retours non moins tapageurs pour s'assurer le poste. « A trente-cinq ans, Antonio Vivaldi peut désormais régner : violoniste virtuose, compositeur de musique religieuse, instrumentale et d'opéras, entrepreneur de spectacles enfin établi sur sa propre scène. Le peu de témoignages laissés par le compositeur sont consacrés pour une bonne part aux affres du métier d'imprésario, que Vivaldi n'exerce – parfois sous des noms d'emprunt – que pour pouvoir monter comme il le souhaite ses propres compositions : « Je m'engage franchement dans de telles entreprises, risquant mes propres deniers et sans avoir recours à des emprunts ».

A l'issue de la lecture de cet « Antonio Vivaldi » de Sophie Roughol, le lecteur est tenté de se demander qui était réellement ce drôle de personnage, multiforme, changeant, excentrique, capricieux, ambigu. Religieux, génie du violon, compositeur de musique profane et sacré pour magnifier son amour de Dieu, lui qui ne dira jamais une seule messe de sa vie ? Un opportuniste, musicien avisé, auteur de pièces de théâtre, d'opéras, profitant de sa situation de prêtre et de directeur de l'Ospedale della Pietà pour être l'impresario avide et corrompu de ses œuvres les moins spirituelles ? Quoi qu'il en soit, Antonio Vivaldi nous a légué une œuvre dense, abondante, hétéroclite que le 20ème Siècle a permis de redécouvrir, après une trop longue période de disgrâce.

On serait aussi tenté de se dire que ce diable de Vivaldi a tout fait pour se faire oublier de ses contemporains. Ludion facétieux de la musique, artiste subtil de son temps, il a pris un certain plaisir à mélanger les styles musicaux, alternant la musique liturgique et la musique laïque, passant de l'opéra au théâtre populaire, brouillant volontairement les pistes de sa vie privée. Des pans entiers de son existence nous sont – encore aujourd'hui – presque totalement inconnus. Comme si Antonio Vivaldi avait pris un malin plaisir à s'extraire du monde, à disparaître le temps nécessaire pour mieux revenir sur le devant de la scène.

Ce prêtre sans paroisse, ni paroissiens, vivra exclusivement pour l'amour de son art. Il refusera que ses opéras soient chantés par les grands castrats du 18ème Siècle, tels Farinelli, Carestini ou Caffarelli, comme cela était la norme à son époque, et imposera sa cantatrice – ancienne élève de l'Ospedale della Pietà -, Anna Giraud (Giró). Beaucoup s'interrogeront sur la réalité de cette relation. Amour réel et consommé entre le maître et son élève ? Amour platonique et néanmoins puissant, puisé dans la foi et l'amour de la musique ? Nul ne le saura vraiment jamais.

Dans « Antonio Vivaldi », le lecteur discerne un personnage mystérieux, compositeur prolixe, impresario cupide, un caractère singulier, individualiste et indépendant, n'en faisant qu'à sa tête, amis des princes européens, des grandes familles patriciennes de Venise, s'opposant au diktat de Rome et de l'Inquisition encore prégnante dans la société de son Siècle. Personnalité virevoltante, tourbillonnante, instable, ne tenant jamais en place, pétulante et brillante, ingénieuse, Antonio Vivaldi nous a légué une œuvre protéiforme, d'une richesse non encore totalement exploitée.

« Ville et vie kaléidoscopiques, imbriquées au point d'en mourir chacun à son tour quand la séparation devient définitive. Car Vivaldi disparu, une certaine Venise s'efface simultanément. Retrouver Vivaldi, c'est retrouver Venise. Écouter Vivaldi, c'est écouter Vivaldi ».


260 - 1 = 259 livres à lire ... Le problème, c'est que le père Noël est passé par là ces derniers jours !

10 commentaires:

Belledenuit a dit…

Tu me donnes envie de le lire. Je suis attirée de plus en plus par ce genre de livre. Merci pour ton très bel avis et bonnes fêtes de fin d'année :D

Dominique a dit…

C'est ce qu'on appelle terminer l'année en fanfare
J'ai repéré cette collection chez actes sud mais je n'ai rien lu encore
Tu es très tentante

allie a dit…

Je ne savais pas qu'il avait été prêtre! Ça semble être un drôle de numéro ce grand Vivaldi! J'ai très envie de lire ce livre également! Merci pour ce très beau billet!

zarline a dit…

Ton billet fait remonter des souvenirs de mes cours d'histoire de la musique. C'est fou ce qu'on oublie vite, même quand le sujet est intéressant. Bref, je dis pourquoi pas pour ce livre, une petite révision s'impose.

moustafette a dit…

Sympathique le bonhomme ! mais je le réserve à mes oreilles, en ce moment j'écoute beaucoup le Nisi Dominus et le Stabat Mater imperprétés par Philippe Jaroussky et Marie Nicole Lemieux, un bonheur !

Karine:) a dit…

Tiens, moi aussi tu me rappelles des souvenirs! Merci pour ce billet, Nanne!

Nanne a dit…

@ Belle de Nuit : Cette série chez acte Sud est une belle réussite. Les biographies des musiciens présentés sont excellentes et c'est un régal de se replonger dans une époque et sa musique ... Et puis, Vivaldi est intimement lié à Venise !

@ Dominique : Je n'ai qu'un conseil à te donner, c'est de lire ces biographies chez Acte Sud Classica ! Cette série est une réussite et donne l'essentiel, sans entrer dans des notions de musicologie ... Et puis, en fin d'ouvrage, il y a un index des œuvres musicales pour continuer la découverte. Avec Vivaldi, j'avais envie de partir pour Venise et sa singularité ! Mais j'en ai d'autres en réserve ;-D

@ Allie : Je crois que peu de personnes savent que Vivaldi était prêtre, car il n'a jamais donné une seule messe ... Et puis, il y a de nombreux trous (ou vides) dans sa biographie et personne ne sait où il était, ni ce qu'il a fait dans ces moments-là ! Sans parler de ses relations avec les orphelines de l'Ospedale della Piéta, pour le moins ambigües. Bref, un drôle d'oiseau à découvrir et à écouter !

@ Zarline : Cette biographie est une bonne piqûre de rappel en histoire de la musique ! Il est court, synthétique et très bien écrit ... On apprend beaucoup de choses sur l'homme Vivaldi et son œuvre. Une belle occasion de se remémorer les cours de faculté ;-D

Nanne a dit…

@ Moustafette : Je ne sais pas si Vivaldi était un personnage fréquentable ! Mais il a eu une vie bien remplie, riche et trépidante avec un caractère bien trempé ... En écoutant son œuvre, on a du mal à l'imaginer comme cela. Le CD de Philippe Jaroussky est un vrai bonheur pour les oreilles. Mais rien ne t'empêche de lire aussi sa riche biographie ;-D

@ Karine:) : C'est toujours sympathique d'aider les copines à se souvenir de certaines lectures ;-D Il y a "Les violons du roi" de Jean Diwo qui parle aussi de Vivaldi !

Anne a dit…

Eh oui, Vivaldi n'est pas seulement l'homme enjoué que sa musique laisse parfois deviner...

Nanne a dit…

@ Anne : Vivaldi a été un personnage un peu trouble et pas aussi honnête que beaucoup l'imagine ! Il a écrit des centaines de concerts, des opéras, des arias ; il a été prêtre et amoureux de ses élèves et il y a un grand trou dans sa biographie qu'aucun spécialiste n'arrive à expliquer ...