26 juillet 2011

GEORGE GROSZ, OU LE PEINTRE ANTI-SOCIAL

  • De la bourgeoisie au communisme révolutionnaire



Je vous ai déjà dit toute la passion que j'éprouve pour l'Allemagne et sa culture, son histoire et ses artistes. Dans ma bibliothèque, je possède un livre d'Erich Maria Remarque - " L'Obélisque noire" - dont la couverture est ornée d'un dessin de George Grosz : Dehors et Dedans. Vous allez encore vous demander quel est cet artiste dont je vais vous parler ! Quasiment inconnu, ou presque. Pas si sûr. Je suis même sûre que vous connaissez un certain nombre de ses peintures, tellement caractéristiques de son style au graphisme heurté, violent, caricatural, cruel et cynique et qui illustrent dossiers et documents traitant de l'histoire de l'Allemagne de 1918 à 1933.

George Grosz fût successivement dessinateur caricaturiste, peintre allemand, puis américain. Né à Berlin en 1893, sa jeunesse se déroulera dans l'Allemagne de Guillaume II. Il poursuit des études artistiques à l'Académie Royale de Dresde, puis à Berlin. Son premier dessin est publié en 1910. Sa haine pour le militarisme prussien et outrancier de l'époque, du nationalisme, du clergé et de la bourgeoisie - dont il est issu - lui serviront de thème pour croquer ses contemporains. Bien qu'il semble manifester une sympathie pour le milieu ouvrier et les chômeurs - ayant renié son milieu et la religion - il est plus attiré par la littérature et sa rébellion intérieure.
La 1ère Guerre Mondiale transforme son antimilitarisme en antinationalisme. En 1916, par refus du nationalisme germanique et par amour pour l'Amérique, il transforme son prénom Georg en George et son nom, Gross en Grosz. Il décidera de ne s'exprimer qu'en anglais par provocation.

Dès 1914, bien qu'étant apolitique, il s'engage comme volontaire. Réformé en 1915, pour raisons de santé, il sera réincorporé en 1917 et transféré dans divers centres hospitaliers où il finira la guerre. "
Cette époque que j'ai vécue dans le carcan du militarisme était une défense perpétuelle - et je sens que tous les actes que j'accomplissais alors me dégoûtaient du plus profond de moi-même", dira-t-il de cette époque. Les dessins de cette période montrent des champs de bataille avec leurs cortèges de destructions, de morts, d'horreurs. Il ne sera pas le seul à peindre la monstruosité de la vie des tranchées. Les dessins de George Grosz seront proches de ceux d'Otto Dix ou de Max Beckmann.

En 1918, l'union des artistes du
Novembergruppe se créé à Berlin, influencée par la révolution d'octobre en Russie. George Grosz y adhère et défend la révolution soviétique. La même année, il devient membre du KPD - le parti communiste allemand. L'écrasement des mouvements spartakistes et des Conseils de Bavière par les sociaux-démocrates, aidés de l'armée et des corps francs, radicalisera davantage ses dessins. Cela lui vaudra de nombreux démêlés avec la justice, pour insultes envers l'armée impériale avec un recueil "Gott mitt uns" en 1921, pour outrage aux bonnes mœurs et trouble à l'ordre public avec "Ecce Homo", où il décrivait la vie privée de la bourgeoisie.

Entre-temps, le mouvement Dada naît en 1916 à Zurich, représentant le nihilisme
total. Il arrive à Berlin en 1918, et George Grosz sera l'un de ses premiers représentants. C'est au sein de ce mouvement artistique que Grosz poussera la provocation à son paroxysme. Il réalisera avec John Heartfield un photomontage, Dadamerika. George Grosz sera nommé Propagandada lors d'un meeting Dada. En 1920, il organise avec John Heartfield la première Foire Internationale Dada. Cent soixante quatorze œuvres sont présentées. Max Ernst et Otto Dix y exposent leurs œuvres. La galerie sera fermée par la police et condamné à une forte amende.

En 1922, lors d'un séjour en Union Soviétique, où il rencontrera Lénine, George Grosz dresse un bilan désastreux du pays et de ses conditions de vie. Il quittera le parti communiste en 1923, tout en continuant à collaborer à l'organe de presse de celui-ci. Il croque des bourgeois repus et obscènes, des militaires arrogants et vulgaires. En 1926, pour dénoncer la condamnation à mort des deux anarchistes italiens
Sacco et Venzetti, George Grosz dessine une statue de la Liberté ensanglantée brandissant une chaise électrique. En 1928, Erwin Piscator met en scène "Les aventures du brave soldat Chvéïk" de Jaroslav Hasek. George Grosz dessine un recueil de dessins, projeté en arrière-scène. Cela lui vaudra une peine de prison de deux mois et 2 000 marks d'amende pour blasphème. On y voyait un Christ crucifié avec un masque à gaz et des bottes militaires. La légende disait "Ferme-la et continue à servir". George Grosz est sans aucun doute l'artiste qui a le mieux pressenti l'arrivée du nazisme en Allemagne. Au cours d'une conversation avec Thomas Mann, George Grosz prédit en 1933 "qu'Hitler ne tiendrait pas six mois, mais six ans ou même dix ans [...]". Il émigre aux États-Unis juste avant l'arrivée des nazis au pouvoir. Il sera le premier à se voir retirer la nationalité allemande et ses œuvres trouveront une place de choix dans l'exposition sur l'art "dégénéré" en 1937.

Son talent de caricaturiste est très apprécié aux États-Unis. Déjà, en 1932, il avait
été invité à enseigner à L'Art Students League de New York. Il y restera jusqu'en 1936, puis créera la Sterne-Grosz School. Son admiration pour les États-Unis l'empêchera d'être critique. Son œuvre deviendra plus traditionnelle, plus calme et plus sereine. Toutefois, George Grosz continue ses dessins sur l'actualité. Bien qu'ayant pris la nationalité américaine, les dessins de George Grosz railleront quand même les mœurs de son pays d'adoption. En 1958, il réalise une série de collages grotesques sous le titre "Cookery School", dans lequel il fustige la société de consommation américaine. Cette œuvre est une anticipation du Pop'Art. La même année, il est nommé membre de l'Académie des Beaux-Arts de Berlin Ouest. Il décide de revenir définitivement en Allemagne en 1959. Il y décède la même année. Certains critiques d'art voyaient en Grosz un anti-moderniste, l'antithèse d'un Picasso, d'un Matisse ou d'un Brancussi, ces représentants de l'art moderne. George Grosz, dessinateur cruel, cynique et témoin de son époque ? Ou bien un moraliste ?

6 commentaires:

Aifelle a dit…

J'ai très vaguement entendu parler de cet artiste. Grâce à toi, j'en sais un peu plus.

Dominique a dit…

Comme tu le dis j'ai rencontré sa peinture certainement comme illustration d'ailleurs mais j'aurais été incapable de dire un mot sur ce peintre
Je ne suis pas fan de ses oeuvres mais l'homme est vraiment intéressant, bien peu de communistes ont eu cette lucidité dès les années 20 et poursuivre une route d'artiste engagé était à la fois courageux et téméraire à l'époque
Moraliste je ne sais pas mais un homme debout sans conteste

Margotte a dit…

Un billet très intéressant ! Je découvre ton blog avec plaisir ;-) J'ai moi aussi un faible pour M. Remarque..

Nanne a dit…

@ Aifelle : Désormais, tu ne pourras plus dire que tu ne le connais pas ;-D Et si un jour, un musée réalise une exposition de ses œuvres, je te conseille d'aller la visiter, elle sera certainement extraordinaire ... C'est un peintre de grand talent !

Nanne a dit…

@ Dominique : Ces œuvres servent souvent pour des affiches ou des couvertures en lien avec la République de Weimar ou la 2ème GM en Allemagne. Mais ce peintre ne se limite pas à être qu'un artiste, c'est aussi une des figures marquantes des années 1920-1930 de par son engagement politique et moral. Un peu comme Brecht, Klaus Mann ou E. Remarque, entre autre ... Ces peintures peuvent choquer, heurter ou déranger. Elles reflètent son opinion de l'époque !

Nanne a dit…

@ Margotte : Merci pour l'intérêt porté par ce petit billet pour un artiste peu connu chez nous ... Je suis toujours heureuse de faire partager et découvrir des auteurs ou des artistes singuliers et rares ! Bienvenue dans ma bibliothèque. J'aime aussi beaucoup E. Remarque. Je vais en parler bientôt ...