26 juillet 2011

GEORGE GROSZ, OU LE PEINTRE ANTI-SOCIAL

  • De la bourgeoisie au communisme révolutionnaire



Je vous ai déjà dit toute la passion que j'éprouve pour l'Allemagne et sa culture, son histoire et ses artistes. Dans ma bibliothèque, je possède un livre d'Erich Maria Remarque - " L'Obélisque noire" - dont la couverture est ornée d'un dessin de George Grosz : Dehors et Dedans. Vous allez encore vous demander quel est cet artiste dont je vais vous parler ! Quasiment inconnu, ou presque. Pas si sûr. Je suis même sûre que vous connaissez un certain nombre de ses peintures, tellement caractéristiques de son style au graphisme heurté, violent, caricatural, cruel et cynique et qui illustrent dossiers et documents traitant de l'histoire de l'Allemagne de 1918 à 1933.

George Grosz fût successivement dessinateur caricaturiste, peintre allemand, puis américain. Né à Berlin en 1893, sa jeunesse se déroulera dans l'Allemagne de Guillaume II. Il poursuit des études artistiques à l'Académie Royale de Dresde, puis à Berlin. Son premier dessin est publié en 1910. Sa haine pour le militarisme prussien et outrancier de l'époque, du nationalisme, du clergé et de la bourgeoisie - dont il est issu - lui serviront de thème pour croquer ses contemporains. Bien qu'il semble manifester une sympathie pour le milieu ouvrier et les chômeurs - ayant renié son milieu et la religion - il est plus attiré par la littérature et sa rébellion intérieure.
La 1ère Guerre Mondiale transforme son antimilitarisme en antinationalisme. En 1916, par refus du nationalisme germanique et par amour pour l'Amérique, il transforme son prénom Georg en George et son nom, Gross en Grosz. Il décidera de ne s'exprimer qu'en anglais par provocation.

Dès 1914, bien qu'étant apolitique, il s'engage comme volontaire. Réformé en 1915, pour raisons de santé, il sera réincorporé en 1917 et transféré dans divers centres hospitaliers où il finira la guerre. "
Cette époque que j'ai vécue dans le carcan du militarisme était une défense perpétuelle - et je sens que tous les actes que j'accomplissais alors me dégoûtaient du plus profond de moi-même", dira-t-il de cette époque. Les dessins de cette période montrent des champs de bataille avec leurs cortèges de destructions, de morts, d'horreurs. Il ne sera pas le seul à peindre la monstruosité de la vie des tranchées. Les dessins de George Grosz seront proches de ceux d'Otto Dix ou de Max Beckmann.

En 1918, l'union des artistes du
Novembergruppe se créé à Berlin, influencée par la révolution d'octobre en Russie. George Grosz y adhère et défend la révolution soviétique. La même année, il devient membre du KPD - le parti communiste allemand. L'écrasement des mouvements spartakistes et des Conseils de Bavière par les sociaux-démocrates, aidés de l'armée et des corps francs, radicalisera davantage ses dessins. Cela lui vaudra de nombreux démêlés avec la justice, pour insultes envers l'armée impériale avec un recueil "Gott mitt uns" en 1921, pour outrage aux bonnes mœurs et trouble à l'ordre public avec "Ecce Homo", où il décrivait la vie privée de la bourgeoisie.

Entre-temps, le mouvement Dada naît en 1916 à Zurich, représentant le nihilisme
total. Il arrive à Berlin en 1918, et George Grosz sera l'un de ses premiers représentants. C'est au sein de ce mouvement artistique que Grosz poussera la provocation à son paroxysme. Il réalisera avec John Heartfield un photomontage, Dadamerika. George Grosz sera nommé Propagandada lors d'un meeting Dada. En 1920, il organise avec John Heartfield la première Foire Internationale Dada. Cent soixante quatorze œuvres sont présentées. Max Ernst et Otto Dix y exposent leurs œuvres. La galerie sera fermée par la police et condamné à une forte amende.

En 1922, lors d'un séjour en Union Soviétique, où il rencontrera Lénine, George Grosz dresse un bilan désastreux du pays et de ses conditions de vie. Il quittera le parti communiste en 1923, tout en continuant à collaborer à l'organe de presse de celui-ci. Il croque des bourgeois repus et obscènes, des militaires arrogants et vulgaires. En 1926, pour dénoncer la condamnation à mort des deux anarchistes italiens
Sacco et Venzetti, George Grosz dessine une statue de la Liberté ensanglantée brandissant une chaise électrique. En 1928, Erwin Piscator met en scène "Les aventures du brave soldat Chvéïk" de Jaroslav Hasek. George Grosz dessine un recueil de dessins, projeté en arrière-scène. Cela lui vaudra une peine de prison de deux mois et 2 000 marks d'amende pour blasphème. On y voyait un Christ crucifié avec un masque à gaz et des bottes militaires. La légende disait "Ferme-la et continue à servir". George Grosz est sans aucun doute l'artiste qui a le mieux pressenti l'arrivée du nazisme en Allemagne. Au cours d'une conversation avec Thomas Mann, George Grosz prédit en 1933 "qu'Hitler ne tiendrait pas six mois, mais six ans ou même dix ans [...]". Il émigre aux États-Unis juste avant l'arrivée des nazis au pouvoir. Il sera le premier à se voir retirer la nationalité allemande et ses œuvres trouveront une place de choix dans l'exposition sur l'art "dégénéré" en 1937.

Son talent de caricaturiste est très apprécié aux États-Unis. Déjà, en 1932, il avait
été invité à enseigner à L'Art Students League de New York. Il y restera jusqu'en 1936, puis créera la Sterne-Grosz School. Son admiration pour les États-Unis l'empêchera d'être critique. Son œuvre deviendra plus traditionnelle, plus calme et plus sereine. Toutefois, George Grosz continue ses dessins sur l'actualité. Bien qu'ayant pris la nationalité américaine, les dessins de George Grosz railleront quand même les mœurs de son pays d'adoption. En 1958, il réalise une série de collages grotesques sous le titre "Cookery School", dans lequel il fustige la société de consommation américaine. Cette œuvre est une anticipation du Pop'Art. La même année, il est nommé membre de l'Académie des Beaux-Arts de Berlin Ouest. Il décide de revenir définitivement en Allemagne en 1959. Il y décède la même année. Certains critiques d'art voyaient en Grosz un anti-moderniste, l'antithèse d'un Picasso, d'un Matisse ou d'un Brancussi, ces représentants de l'art moderne. George Grosz, dessinateur cruel, cynique et témoin de son époque ? Ou bien un moraliste ?

17 juillet 2011

TOUT SUR LA VIE DE MA MERE ...

  • La Civilisation, ma Mère !... – Driss Chraïbi – Folio n°1902



« Voilà le paradis où je vivais autrefois : mer et montagne. Il y a de cela toute une vie. Avant la science, avant la civilisation et la conscience. Et peut-être y retournerai-je pour mourir en paix, un jour … […]. Souffrance et amertume d’avoir tant lutté pour presque rien : pour être et pour avoir, faire et parfaire une existence – tout, oui, tout est annihilé par la voix de la mer. Seule subsiste la gigantesque mélancolie de l’autrefois, quand tout était à commencer, tout à espérer. Naissance à soi et au monde. Une autre vague vient par-dessus la première et fulgure. Étincelle et ruisselle d’une vie nouvelle. Sans nombre, débordant par-delà les rives du temps, de l’éternité à l’éternité d’autres vagues naissent et meurent, se couvrant et se renouvelant, ajoutant leur vie à la vie. D’aussi loin qu’on les entende, toutes ont la même voix, répètent le même mot : paix, paix, paix… ».

Deux fils racontent leur mère avec une tendresse et une vénération infinies, dans le Maroc des années 1930. Femme forte, fidèle et fragile à la fois, gardienne des traditions ancestrales délivrées par son éducation morale et religieuse strictes, cette mère aimante et aimée transmettait – sans le savoir – son sens de la vie à ses enfants. Vivant dans un monde à elle, créé pour elle et par elle seule, cette femme omettait ce qui se passait à l’extérieur, refusant presque la civilisation pour se protéger d’éventuels démons. Son univers clos était une enceinte infranchissable et immuable dans laquelle le temps semblait s’être arrêté. Elle vivait ainsi, à son rythme lent, infini, nonchalant, mesuré. Elle refusait même obstinément que la violence des Hommes et des civilisations, et la souffrance n’entrent dans son milieu, viennent perturber cet équilibre construit au fil du temps. «
Et ce faisant, elle soliloquait, fredonnait, riait comme une enfant heureuse qui n’était jamais sortie de l’adolescence frustre et pure et ne deviendrait jamais adulte, en dépit de n’importe quel événement – alors que, la porte franchie, l’Histoire des hommes et leurs civilisations muaient, faisaient craquer leurs carapaces, dans une jungle d’acier, de feu et de souffrances. Mais c’était le monde extérieur. Extérieur non à elle, mais à ce qu’elle était, mais à son rêve de pureté et de joie qu’elle poursuivait tenacement depuis l’enfance. C’est cela que j’ai puisé en elle, comme l’eau enchantée d’un puits très, très profond : l’absence totale d’angoisse ; la valeur de la patience ; l’amour de la vie chevillé dans l’âme ».


Et comme cette femme dédaignait le modernisme, c’est lui qui se rendra à elle. Par la grâce de la radio et de la fée électricité ! Vous auriez dû entendre ces grondements dignes d’une mer en furie, ces déferlements comme quand souffle le vent de la tempête, ces vitupération comme quand un événement important fait sortir tout un quartier dans la rue. Une vraie révolution pour cette mère habituée
au calme, à la temporisation, à l’obsédante habitude des tâches du quotidien. Monsieur Kteu deviendra ainsi l’homme tant attendu. Elle lui parlera, échangera, sera en accord ou en désaccord avec lui. Jamais il ne répondra ; jamais il ne la contredira ; jamais il ne remettra sa façon de penser en cause. Elle respectera Monsieur Kteu au point de le nourrir ! « C’est ainsi que le « magicien » s’installa dans la maison et l’anima du matin au soir. Déclamant, chantant, criant, riant. Ma mère était persuadée qu’il s’agissait d’un être vivant, en chair et en os, une sorte d’érudit doublé d’un devin qui avait beaucoup voyagé, beaucoup appris et, tel Diogène, se cachait dans une caisse à l’abri des horreurs de ce monde. Afin de nous départager, elle l’appela Monsieur Kteu. D’ailleurs, elle n’eût pas sur prononcer d’un jet son nom en entier : Monsieur Blo Punn Kteu – encore moins Bla Upunn Kteu. Elle dialoguait avec lui, l’approuvait, n’hésitait pas à l’interrompre […] ».

Que dire du fer à repasser électrique qui rendra l’âme dès sa première utilisation pour avoir été chauffé sur le brasero ; du téléphone qui permettra à cette mère – bavarde impénitente – d’appeler du nord au sud du pays pour discuter avec des inconnus ou avec les opératrices téléphoniques et avoir connaissance de la situation du pays ; ou encore de la cuisinière rutilante qui se transformera en coffre fort, sans jamais pouvoir détrôner l’antique brasero familial ! Tout nouvel objet, symbole du monde moderne, était un outil magique, source de quiproquo et de scènes d’un comique involontaire de la part de cette mère naïve. «
Comment ? Je suis plus âgée que toi. C’est moi qui t’ai enfanté, et non le contraire, il me semble. Un fil, c’est un fil. Et un arbre égale un autre arbre, il n’y a pas de différence entre eux. Tu ne vas pas me dire que ce fil s’appelle Monsieur Kteu, que cet autre s’appelle Fer à Repasser, et celui-là Monsieur Bell ? Simplement parce qu’ils sont de couleurs différentes ? A ce compte-là, il y aurait trois génies dans la maison ? Et plusieurs espèces humaines sur la terre ? C’est ça ce qu’on t’apprend à l’école ? ».


Driss Chraïbri a mêlé la voix de deux fils pour raconter l’histoire d’une mère et d’une femme, dans le Maroc des années 1930. Par ces deux voix, l’auteur de «
La Civilisation, ma Mère !... », relate la société marocaine, qui cherche à s’émanciper du joug colonial pour mieux devenir acteur de son propre devenir.


Comme toujours, les choses ne vont pas dans le sens que l’on souhaiterait. Et surtout, il y a cette mère – être unique, comme le sont toutes les mères – candide, ingénue, spontanée. Son seul souci semble être le bonheur de sa famille. Son monde se limite aux murs de sa maison. Jusqu’au jour où son mari décide de faire entrer la civilisation dans l’univers continu, perpétuel, irrévocable de cette femme. Et là, c’est le bouleversement, la transformation dans le quotidien de cette femme qui vivait jusqu’alors à un rythme presque fœtal.


Petit à petit, ses deux fils – chacun à leur façon – vont la faire sortir de la carapace dans laquelle elle s’était claquemurée depuis trente-cinq ans. Elle va s’ouvrir, s’émanciper, se libérer, vivre et se lancer dans l’existence. Elle se décidera à accepter ce changement en apprenant à conduire, en passant des diplômes, en se mettant à fumer, en s’habillant à l’occidentale, en soutenant l’indépendance de son pays, faisant de la politique, à son niveau.« La Civilisation, ma Mère !... » est un livre drôle, fin, plein d’humour, pudique et nostalgique à la fois. Dans une écriture légère et parfaite, Driss Chraïbri nous fait partir à la découverte d’un monde perdu dans notre société : celui de l’innocence, de la pureté, de la candeur, de la douceur, de l’apprentissage de la vie quel que soit l’âge. Grâce à lui, on s’émeut, on sourit, on éclate de rire presque jusqu'aux larmes en lisant les péripéties de cette jeune femme et de sa métamorphose.

D'autres blogs en parlent : Leïla, Passeuredelivres, Essel, AlcoholicFriends, Cercle des lecteurs ...

Un article de Pierre Assouline sur Driss Chraïbi sur son blog, La République des Livres.

Un autre article sur l'ensemble des livres de Driss Chraïbi sur le blog des Écrivains Maghrébins, pour ceux et celles qui voudraient lire d'autres ouvrages de cet auteur.

237 - 1 = 236 livres dans ma PAL ...

12 juillet 2011

QUAND LA JALOUSIE RONGE L'ÂME ET LE COEUR

  • Vingt-quatre heures d’une femme sensible – Constance de Salm – Phébus Éditions



« Mon amour, mon ange, ma vie, tout est trouble et confusion dans mon âme ! Depuis une heure entière, j’attends, j’espère. Je ne puis me persuader que tu ne sois pas venu, que tu ne m’aies pas au moins écrit quelques lignes, après cette fatale soirée. Il est une heure … peut-être es-tu encore chez cette femme ! Quelle nuit je vais passer ! Ah ! mon Dieu ! je n’ai pas une pensée qui ne me soit une douleur. Le ciel sait que le moindre doute sur ta tendresse me paraîtrait une horrible profanation ; mais n’est-ce donc rien que ces longues heures de désespoir ? ».

Quarante-quatre lettres et billets pour dire, exprimer, écrire, crier, témoigner son amour, sa passion, son dépit à un homme – son amant – que Constance de Salm a vu disparaître dans la calèche de Madame de B**. Une nuit et une journée de tourments, d’angoisses, d’émois, de détresses, de divagations pour tenter de comprendre le comportement ambigu de cet homme habituellement galant à son égard. Et voilà, comme à chaque fois qu’une femme amoureuse est assaillie de doutes sur son pouvoir de séduction, sur sa capacité à se faire aimer de son amant, à se sentir l’unique objet de ses pensées et de son désir, Constance de Salm échafaude des théories sans fondement, se torture une âme déjà en proie aux idées noires et funestes de la fin d’un amour qu’elle voudrait total, absolu, parfait, suprême, éternel. «
Mais qu’a donc cette Mme de B*** pour me mettre dans cette horrible situation ? S’il faut croire ce que l’on en dit, son âme tout entière t’offrirait-elle une seule étincelle du feu qui dévore la mienne ? Oh ! non ; mais elle est belle, elle est coquette ; et seuls, seuls dans une voiture ; les vêtements se touchent, les mains se rencontrent, on respire le même air ; on est homme, on est femme … Ah !... ».

Dès lors, comment imaginer l’amour autrement que parfait, sublime, précieux, irremplaçable, exclusif, quand on donne tout à un homme qui apparaît se comporter comme un être indifférent, voire méprisant ? Car le sentiment amoureux a une valeur hautement symbolique et est bien plus qu’une émotion, qu’un trouble que Constance de Salm place au-dessus de tout. L’amour est autre chose qu’une simple relation entre deux êtres. C’est un ensemble complexe d’émois, d’exaltations, de sensations que chacun partage, échange, dans ces instants de solitude à deux, d’intimité recherchée. «
Non, tu ne me trahiras pas, tu ne trahiras pas ces serments tant de fois répétés ; tu ne les profaneras point par des sensations étrangères ; tu ne le pourrais pas. Il y a dans l’amour autre chose que l’amour, une union plus intime encore, des rapports qu’il n’appartient pas aux âmes communes de comprendre ni de sentir, un entraînement d’un être vers l’autre, qui ne tient à rien de ce que la pensée peut définir. C’est par l’accord
involontaire de ces sentiments, de ces délices inconnues, que nous sommes unis, chère âme de ma vie ! Que peut une Mme de B*** contre des liens si sacrés ? ».

Et chaque femme qui approche son amant est un accablement psychique supplémentaire. Elle guette le moindre geste, le plus petit regard, la plus infime attitude qui pourrait laisser filtrer l’ombre de la trahison amoureuse. Pendant toute
cette journée, alternant entre espoir, certitude, joie, chagrin, neurasthénie, dépit, suspicion, défiance, bonheur, appréhension, extase, euphorie, ultimatum, supplication, Constance de Salm attendra une lettre, un signe de son amant. « Ton billet du matin manque seul, dans ce moment, à ma félicité. Ah ! comme ma main va trembler de joie en le recevant ! Comme je vais me hâter de me dérober à tous les regards pour qu’aucun œil profane ne saisisse sur mon front les sensations qu’il va me falloir éprouver ! car je ne crois pas que dans mon emportement j’irai le lire avec avidité : après en avoir regardé rapidement la dernière ligne, je me retirerai dans ce cabinet où j’ai reçu tes premiers serments ; j’en fermerai la porte avec soin ; je me placerai dans le siège que tu occupes ordinairement près de moi, et là, tout entière à l’amour, je savourerai lentement et avec délices le charme de chacune de tes douces paroles ; je me plairai à contempler ces caractères tracés par ta main, à toucher ce papier que tu auras touché ; je le presserai sur mon cœur, sur mes lèvres brûlantes, et, relisant cent fois les expressions de ta tendresse, je prolongerai ainsi mon illusion jusqu’au moment désiré que te ramènera enfin près de moi ».

«
Vingt-quatre heures d’une femme sensible » de Constance de Salm où les égarements de la rivalité féminine qui empoisonne les pensées de son auteure. Au fur et à mesure de la lecture de ce magnifique roman épistolaire, le lecteur est confronté aux sentiments suscités par les débordements de l’imagination de son épistoliaire. D’abord contrariée parce qu’elle a aperçu son cher soupirant monter dans la même berline qu’une femme galante, ses pensées vont très vite aborder les rivages du dépit amoureux, du ressentiment, de la divagation que génère ce sentiment.

Constance de Salm, tour à tour éperdue d’amour et effondrée à la pensée de perdre son amour, va se supplicier l’esprit en élaborant des scenarii sur les raisons de cette perte soudaine et inexpliquée. Ombrageuse au point de friser l’hystérie, Constance
de Salm sera prête à tout pour confirmer ses soupçons chimériques, issus de son raisonnement lancinant sur la tromperie, la dissimulation, l’adultère, l’inconstance, le désamour. Au cours de cette nuit et de cette journée, elle passera par tous les stades des émotions, de la colère au déni, du renoncement à l’imploration, de l’espoir à la conviction. Comme souvent, elle évoquera même le souhait d’en finir physiquement pour ne plus souffrir, espérant ainsi le retour de l’être tant chéri, tant aimé.

«
Vingt-quatre heures d’une femme sensible » est un roman éminemment romantique, passionné, sensible, empreint de la notion d’amour pur, unique, auquel chaque individu doit s’abandonner totalement. Si tel n’est pas le cas, alors la mort vaut mieux qu’une résignation, qu’un renoncement ou – pire – qu’un amour sans passion. Il y a dans ce roman une telle force de conviction, de tels élans amoureux, une telle emphase que l’on retrouve là toute la puissance évocatrice des grands auteurs romantiques des 18ème et 19ème Siècles. C’est tout simplement merveilleux !

D'autres blogs en parlent : Pascale, Cynthia, Keisha, Stephie76, Kenza, Lilly, L'encreuse, Liliba, Laure, Martine, Erzebeth, Florinette, Emmyne, Charly, Babelio, Clarabel ... D'autres, peut-être ?! Si je vous ai oubliées, merci de vous faire connaître par un petit message que j'ajoute votre lien.

"Vingt-quatre d'une femme sensible" de Constance de Salm est un livre voyageur de Liliba. Je tenais à la remercier particulièrement pour sa patience à mon égard et à sa (très) grande tolérance ... Ce livre va enfin retourner à son heureuse propriétaire !

Je vous joins un extrait de la pièce de théâtre tirée de ce superbe roman épistolaire et joué lors du Festival d'Avignon en 2009.




Vingt-quatre heures d'une femme sensible

238 - 1 = 237 livres dans ma PAL ...

8 juillet 2011

UNE TETE CONVOITEE ...

  • Tête de nègre - Daniel Picouly - Librio 2€ n° 209


"3 septembre 1792. Le bruit du couperet dévala du ciel. Un ciel bleu qui n’attendait que ça pour crever. Le choc percuta les bastaings de l’échafaud. Plein centre. L’onde se propagea comme une toile d’araignée au-dessus du crâne de l’Edmond et du Rouquin. Ils attendaient là, cachés juste à l’aplomb de la guillotine. L’orage roulait au loin. Edmond dressa l’oreille pour saisir au passage ce grattement furtif sur l’osier. Le bruit d’un rat qui filoche dans son trou. Une tête venait de tomber dans le panier. Une tête anonyme de ci-devant".

Paris sous le signe de la Terreur. En cette année de l’an de Grâce 1792, la Veuve Noire tourne à plein régime, débitant des têtes à tour de bras. Il faut reconnaître que ce n'est pas les aristocrates qui manquent dans la capitale. Le bourreau n'a pas le temps de s'ennuyer. Il travaille à temps plein ces temps-ci. Place du Carrousel, même les Poissardes sont fatiguées de chanter la Carmagnole pour déchaîner la foule présente qui assiste au spectacle macabre. Cette foule n’est d’ailleurs pas la seule à observer les têtes qui tombent dans la sciure, les unes après les autres. Edmond, alias Ed Cercueil, attend lui aussi impatiemment une tête bien particulière. Celle du fils du marquis d’Anderçon, un jeune homme métis aux yeux bleus. Avant que le couperet ne tombe, Germain d’Anderçon a murmuré une phrase pour le moins sibylline pour Ed Cercueil. « Ma mère, mon père, punissez Delorme !… Edmond se récita les derniers mots du jeune homme pour les graver dans sa mémoire. Un filet de sang mauve lumineux s’insinua par la jointure des planches. Il le recueillit dans la petite fiole pendue à son cou par un lacet de cuir. Remplie, elle ressemblait à une améthyste oblongue ».

Ni une, ni deux, le marquis demande à Ed de retrouver la tête de son cher fils afin de lui donner une sépulture chrétienne, en bon aristocrate qui se respecte. "Il y a tout un trafic macabre autour des têtes de guillotinés. Je vous passe les détails. Nous avions des assurances. Mais nous avons été trahis. C'est insensé, mais ... on a volé la tête de notre fils. Edmond n'était même pas surpris. Tout le monde savait que ce genre de trophées était très recherché par des apothicaires, des chirurgiens,
des étudiants en médecine, des montreurs de baraque foraine ou simplement des collectionneurs". Pour cette mission de haute voltige dans un monde pour le moins violent et sans concession, le marquis d'Anderçon lui adjoint Jonas - alias Fossoyeur Jones - surnom venant de sa profession. Voilà Ed Cercueil et Fossoyeur Jones en partance pour Haarlem, situé derrière les Jardins du Luxembourg, à la recherche d'une tête d'aristocrate métisse pour le moins convoitée ... et pas que par la famille du mort.

Leur enquête les mènera dans une gargote minable, "La gamelle de la Révolution". La tenancière leur conseille de renoncer à cette expédition, sous peine d'être transformés en petits pains à viande. C'est une sale affaire et la tête se trouve entre de trop mauvaises mains. De gargotes en bagarres, de maquereaux boulangers
en courses-poursuites, Ed Cercueil et Fossoyeur Jones arriveront - enfin - à approcher Delorme, "Noir venu de Saint-Domingue après les évènements terribles de l’an passé dans cette île. Il est arrivé avec ce Fournier, qu’on appelle l’Américain. Il fut, paraît-il, un compagnon de Toussaint Louverture. Après un bref séjour à Bordeaux, il s’est installé à Paris. On ne sait pas trop de quoi il vit. Il habite dans le quartier derrière le Luxembourg où se sont regroupés un grand nombre de Noirs. […] C’est Delorme qui règne sur cette Cour des miracles. La police laisse faire. [...] D'ailleurs, Delorme est un indicateur appointé". Ce que ces deux loufiats vont découvrir dépassent la réalité et l'entendement. Entre rites vaudous et croyances africaines, rien ne leur sera épargné. Quant à la tête aux yeux bleus qui est une perle rare et qui vaut son pesant d’or, allez donc savoir pourquoi elle est l'objet d'une telle course à l'échalote !

En reprenant les personnages d’Ed Cercueil et de Fossoyeur Jones, rencontrés dans les romans du célèbre romancier américain Chester Himes, Daniel Picouly a voulu rendre un hommage appuyé à ce grand auteur du roman noir. « Tête de nègre » reprend le style des romans noirs américains de Chandler, Hammet ou Himes. Et pour être noir, ce récit l’est, je vous l’assure ! En effet, sur fond de pagaille révolutionnaire, Daniel Picouly transporte deux Noirs en pleine Terreur à la recherche d’une improbable tête d’un aristocrate métis, amant platonique de la princesse de Lamballe.

Dans « Tête de nègre », le lecteur sera quelque peu surpris de trouver un quartier surnommé Haarlem où les Noirs de Paris se concentrent, des carrosses publics jaunes qui transportent le peuple et non plus seulement les aristocrates en goguette, au cri de Yeil ! Ho ! Kab ! Au détour de cette promenade quelque peu délirante, le lecteur un peu attentif se retrouvera au cœur du quartier de Les Nox, référence au jazz d’Harlem à New York. Enfin, allant de surprise et étonnement, il assistera à la rencontre fortuite d’un jeune général de trente ans, fils d’un noble et d’une esclave et qui donnera à la France l’un de ses plus grands écrivains classiques. "Tête de nègre" est un policier atypique et un récit à clés. C'est tout à la fois drôle, saignant, morbide, macabre, à l'humour noir et tranchant comme la guillotine. On se retrouve dans une atmosphère entre Eugène Sue et les romans noirs américains des années 1950, où la violence côtoie le cynisme désabusé.

D'autres blogs en parlent : Wens, Nouchki76 ...

Ce court récit est une relecture attentive et enchantée ...

2 juillet 2011

QUE LIRA-T-ON EN JUILLET ?

Un peu de retard à l’allumage ! La faute au beau temps, à la chaleur et à l’arrivée de l’été un peu partout … Du travail, aussi. Mais on ne parlera pas de choses qui fâchent !

Si les mois précédents nous avaient donné à lire beaucoup de belles sorties en poche, l’été sera un tout petit peu plus calme. Plutôt une bonne nouvelle pour l’état lamentable de nos chères Piles A Lire qui n’en peuvent plus d’être alourdies par toutes les tentations venant des lectures de blogs.

  • 10/18
Au pays du fou rire - P.G. Wodehouse

La « so British » Lady Clara se fait du mouron. Son fiston, alcoolique de renom, vient de lui annoncer ses fiançailles avec, horreur, une Américaine ! La machine de guerre est lancée. Objectif : récupérer ce traître de rejeton à Hollywood, mythique territoire des stars et starlettes, toutes plus fatales les unes que les autres... Un choc des cultures drôle à se damner. Une plongée dans l'univers irrésistible de P. G. Wodehouse.


Le secret de Torrenova – Simonetta Agnello Hornby


Sur fond de Sicile écrasée de soleil, grandeur et décadence d’une famille de la bourgeoisie minée par les conflits... Au cœur de l’Italie du Sud d’aujourd’hui, tiraillée entre archaïsme et modernité, le propriétaire de la fabrique locale de pâtes artisanales qui a fait sa fortune sent son empire commencer à se déliter. À l’heure de franchir le cap de la soixantaine, Tito dresse un sombre tableau de son existence : père autoritaire dont les enfants contestent la toute-puissance, c est également un mari volage et un piètre chef d’entreprise, incapable de s adapter aux exigences du monde moderne. Mais l'intransigeant pater familias cache aussi un douloureux secret... Il est un enfant illégitime n’ayant jamais connu sa mère. Sa tante Rachele, octogénaire vivant en recluse dans une chambre du domaine, ne pourrait-elle pas l’aider à se réconcilier avec son passé, avec les siens et avec lui-même ? Le Secret de Torrenova marie avec bonheur tous les ingrédients d un grand succès populaire. Avec cette saga familiale au style fluide et à l’impeccable scénario, sur fond de nature sicilienne omniprésente et exubérante, Simonetta Agnello Hornby réussit le pari osé et risqué d aborder non seulement le thème de la recherche des origines, mais aussi avec une pudeur, une sensibilité et une subtilité tout à fait remarquables le tabou de l’inceste.

Hôtel des adieux – Brad Kessler


Une nuit, au large de la Nouvelle-Écosse, un avion rempli de passagers chute brusquement et sombre dans l’océan. Kevin et Douglas, retirés depuis dix ans sur Trachis Island, où ils tiennent un hôtel, sont témoins du drame. Alors que l’on recherche les corps dans l’espoir de retrouver des survivants, les proches des victimes sont hébergés chez eux. Venant tous d horizons très différents, ils vont peu à peu former une communauté singulière, née de leur solidarité face au deuil. Deux Taïwanais, ayant perdu leur fille, font des offrandes à son fantôme. Un musicien bulgare joue du piano, en souvenir de sa femme violoncelliste. Deux adolescents hollandais affrontent la rage au cœur la disparition de leurs parents. Un exilé iranien récite des poèmes persans pour pleurer sa petite-nièce. Mais le cœur du livre, c'est Ana, spécialiste de la migration des oiseaux, dont le mari, lui-même ornithologue, est une des victimes du crash. Renouant avec la mythologie (Icare est là, en filigrane, mais aussi Ceyx et Alcyone, couple transformé par les dieux en oiseaux), Brad Kessler nous entraîne avec une empathie profonde et contagieuse dans l'histoire d'Ana, son bonheur passé, l'infini chagrin de la perte, puis, petit à petit, le retour à la vie, malgré la tragédie.
  • Livre de Poche
Cette brume de la mer me caressait comme un bonheur – Guy de Maupassant

Parmi les 250 chroniques que Maupassant écrivit dans diverses revues entre 1876 et 1887, un grand nombre furent consacrées à ses voyages, et notamment à ses pérégrinations autour de la "Grande Bleue". Cet ouvrage réunit 45 de ces récits de voyages "au pays des yachts", en Corse, en Italie et en Afrique du Nord.

Huis clos en Toscane – Diana Lama

Vingt ans après, six anciennes camarades de classe se retrouvent dans la somptueuse villa où elles avaient séjourné ensemble l'année de leur bac. Seule Piera, l'organisatrice de ce week-end " entre filles ", manque à l'appel. Lucia, Amanda, Déda, Maria Luisa, Tatti et Giovanna imaginent alors toutes sortes de motifs à son absence. Très vite, trois autres disparaissent. Leurs amies se rassurent en pensant qu'elles ont filé à l'anglaise. Mais la tension ne cesse de monter, d'autant que le week-end prend fin et que le minibus censé venir chercher les hôtes de la Villa Camerelle se fait attendre. C'est alors qu'Amanda, la plus angoissée de la bande, fait une macabre découverte. Y aurait-il une meurtrière parmi elles ?


L’incroyable histoire de Mademoiselle Paradis – Michèle Halberstadt

Maria-Theresia von Paradis naît à Vienne en 1759, sous d'heureux auspices. Fille unique du conseiller de l'impératrice, admirée pour sa beauté et son talent précoce pour le piano, elle est atteinte encore enfant par une cécité brutale. A dix-sept ans, son père qui lui a déjà fait subir des traitements inopérants et douloureux la confie au célèbre magnétiseur Mesmer (qui a découvert avant Freud le pouvoir du psychisme et de la suggestion pour guérir)... Entre eux, le courant passe aussitôt... jusqu'à lui faire recouvrer la vue et l'envie de la reperdre, car Maria-Theresia comprend vite ce dont la cécité la protégeait : le pouvoir, le calcul, le ressentiment, l'avidité, tout ce qui empêche les hommes d'être sereins.

Maruzza Musumeci – Andrea Camilleri

Pauvre émigré sicilien, Gnazio Manisco a réussi en Amérique. Mais quand il refuse un service à la mafia, il sait que ses jours sont comptés et décide de rentrer au pays. De retour à Vigàta, il acquiert une terre en bordure de mer, dont on murmure que le propriétaire précédent est mort d'avoir surpris une étrange créature pleurant sous l'olivier millénaire. Grâce à l'entremetteuse du village, Gnazio pourrait épouser Maruzza Musumeci, une femme d'une grande beauté qu'un trouble peu banal retient jusque-là de se marier : elle se prend pour une sirène. Gnazio est-il l'homme qui saura la convaincre du contraire ? Entre récit romanesque et conte fantastique, Maruzza Musumeci narre avec sensualité et truculence la destinée d'une famille sicilienne, de 1895 à 1943.

  • Folio
Le requiem de Franz – Pierre Charras

«Et j'ai découvert Thérèse, en même temps que je découvrais ma Messe en fa. Pendant les répétitions, j'avais écouté la messe et Thérèse et, là, je les entendais.

Alors, en pleine béatitude, j'ai senti l'amour s'abattre sur moi, comme d'autres sont foudroyés par la beauté, la foi. À moins que ce ne soit de ma propre musique que je sois tombé amoureux. Ou de l'amour lui-même. Ou de Dieu.» Bien que mort prématurément à trente et un ans, Franz Schubert aura eu le temps de composer plus de mille œuvres, dont quelque six cents lieder. Par-delà les siècles, comme le génial témoin revenu d'un voyage dans le temps, Pierre Charras fait entendre au présent la voix du compositeur, au plus près du processus créatif, et dessine les contours d'une âme tourmentée.

La lumière et l’oubli – Serge Mestre

1953, quelque part en Catalogne, deux adolescentes trompent la vigilance des gardes civils, sautent du train et s'enfuient à travers la campagne. Filles de
Républicains espagnols, Esther et Julia échappent ainsi à leur sort dans une Espagne soumise au joug franquiste. Mais c'est trente-cinq ans plus tard, en France, qu'elles retrouvent la pleine mémoire de leur aventure. Par vagues successives, le souvenir brûlant les submerge et l'Espagne qu'elles ont fuie ressuscite en une fresque irréelle et terrible où se croisent de multiples destins : enfants martyrisés dans les couvents, lourds secrets des familles adoptives, médecins convaincus de pouvoir extirper "le gène du marxisme", résistants passeurs qui risquent leur vie à la frontière... Bien au-delà d'un classique roman historique, La Lumière et l'Oubli est une épopée du souvenir, où remontent d'étranges coïncidences familiales, révélant à chaque personnage la face cachée de ses origines.

La patience de Mauricette – Lucien Suel


« J'ai écrit beaucoup de pages, mais je n'arrive pas à suivre. Je sais trop de choses. Je ferme comme un robinet devant mes yeux. Trop de choses effroyables. J'ai fait du mal. Je dois raccorder mes nerfs. La Lys me suit après Haverskerque Armentières à travers Comines pour aller dans la mer. L'eau revient dans les nuages. Mon petit Émile tombe dans la pluie. Ici c'est ma peine. Je l'accomplis ». Mauricette Beaussart, soixante-quinze ans, a disparu de l'hôpital où l'on soigne sa santé mentale. Son ami Christophe Moreel entreprend de la retrouver. Au fil de sa quête, le passé et le présent de Mauricette s'entrecroisent, tissant peu à peu le portrait d'une femme riche de ses grandes souffrances et de ses petits bonheurs.