19 août 2011

JOURNAL D'UN FOU CRIMINEL

  • Le nain - Pär Lagerkvist - La Cosmopolite - Stock Éditions



"Je mesure vingt-six pouces, mais je suis parfaitement bâti, avec les proportions requises, sauf que j'ai la tête trop forte. Au lieu d'être noirs comme ceux des autres, mes cheveux sont roux, très épais et très raides, rejetés en arrières des tempes et d'un front plus frappant par la largeur que par la hauteur. Ma figure est imberbe ; à part cela, elle ressemble à celle de tous les hommes. Mes sourcils se rejoignent. J'ai une force physique considérable, surtout quand je suis en colère. Lorsqu'on nous fit lutter, Josaphat et moi, je le mis sur le dos au bout de vingt minutes et l'étranglai. Depuis, je suis le seul nain à la cour".

Bienvenu dans le monde de Piccolino. Piccolino n'est pas un bouffon risible, un pantin ridicule. Piccolino est un nain. Mais de la pire espèce. Luciférien, inhumain, pervers. C'est un être odieux, antipathique, haïssable, monstrueux - physiquement et moralement. En plus d'être laid, il est vieux comme le monde. Et cela semble lui convenir à merveille. Sur son visage difforme, disgracieux, circule toutes les haines, les rancœurs, les méchancetés qu'il pense et qui exsudent, qui suintent le long de ses rides nombreuses et profondes. "Je me montre tel que je suis, sans m'embellir ni m'enlaidir. Peut-être n'est-ce pas naturel. En tout cas je me félicite d'avoir cet aspect".

Piccolino déteste tout le monde à la cour du prince, particulièrement Théodora, épouse de son seigneur. Pourtant, il la tient entre ses mains parce qu'il lui sert de confident, de confesseur, d'émissaire secret de ses amours clandestines. Son amant du moment - Don Ricardo - est son pire ennemi. S'il en avait le pouvoir, Piccolino les enverrait tous les deux rôtir dans les feux de l'enfer. Il tire de son animosité contre la société de son époque, contre les grands de la cour, contre le peuple, contre les artistes, les savants, les humanistes, les sages une jouissance extatique. "Je connais mieux la princesse, ce qui n'est pas étonnant, puisque je la hais. On a du mal à comprendre un être humain qu'on ne hait pas, car on se trouve désarmé devant lui, on n'a rien pour le percer à jour".

La seule personne que Piccolino ne puisse pas détester, c'est son prince. Parce que celui-ci est une partie de lui-même. De son handicap physique, de son infirmité anatomique, il a fait une force en étant indispensable à son souverain, en lui ressemblant, en le mimant. Qu'on lui crache dessus, qu'on lui jette des ordures,
qu'on l'insulte, il en tire presque une certaine fierté. Tout ce que la plèbe, la piétaille n'ose dire ou faire à son prince, il le fait subir à Piccolino. Et cela lui donne un pouvoir, une arrogance que sa taille et son origine lui interdisent d'avoir. "On se rend compte de la force que je représente. Et cela me remplit de satisfaction de constater que je suis haï".

Piccolino, être assoiffé de haine, dévoré de vengeance inassouvie, se repaît dans la
violence gratuite, dans la dévastation. Il y puise sa raison d'être, d'exister. Par la cruauté mentale ou physique, il se sent enfin vivre, il se donne une importance qu'il n'a pas en temps de paix. Il est méprisant et arrogant avec les faibles et les perdants, déferrant avec les forts et les riches. "C'est une existence merveilleuse ! Quelle délivrance pour le corps et l'âme quand on prend part à une guerre. On devient un autre homme. Je ne me suis jamais trouvé si bien ; je respire à pleins poumons ; je circule avec aisance, on dirait que mon corps est léger comme l'air. Je n'ai jamais été aussi heureux. Oui, j'ai même l'impression que je n'ai jamais été heureux auparavant".

"Le nain" de Pär Lagerkvist où la part sombre qui sommeille en chacun de nous. Voilà comment on pourrait résumer ce chef d’œuvre du Prix Nobel de Littérature suédois. J'avais pris un grand plaisir à le découvrir dans "Barabbas" aux prises avec les grands thèmes qu'il a développés dans l'ensemble de son œuvre : la force de la religion dans nos vies, la foi et l'engagement de chacun, la solitude face à nos choix, la cruauté humaine aussi.

Avec "Le nain", Pär Lagerkvist revisite la notion de monstre humain au travers de son singulier personnage, Piccolino. Piccolino, le nain déshumanisé, sans émotion ni sensibilité pour lui et pour les autres, pour ses congénères d'infortune, pour les humains en général. Ce gnome tordu, déformé, tourmenté, noueux, ridé, strié comme un vieux bois trop sec, observe son environnement avec son regard vipérin, malveillant, acerbe. Car chez Piccolino, personne ne trouve grâce à ses yeux. Tout est scruté, fouillé, disséqué, analysé, répertorié, hiérarchisé pour être ensuite réutilisé au moment propice. C'est un être abject, ignominieux, qui a l'art de dépeindre ses contemporains avec une certaine finesse et une grande psychologie. Selon lui, le monde est à son image, sinistre, inquiétant, trouble, dérangé, égaré. Rien ni personne ne pourra le sauver. Surtout pas la Foi religieuse. Parce que Piccolino ne croit pas. C'est un incroyant, un impie, un athée presque blasphématoire. La seule chose en laquelle il souscrit est la guerre. Piccolino jouit de la guerre, de ses souffrances, de ses douleurs, de ses désastres comme d'un bonheur et d'une jubilation suprêmes.

En 270 pages, Pär Lagerkvist fait relater à Piccolino le quotidien d'une cour sous la Renaissance italienne, ses félonies, ses forfaitures, ses hypocrisies, des non-dits. Tout au long de ces pages magnifiquement écrites son personnage éructe, vitupère,
blasphème, diffame, dénigre, calomnie, discrédite la race humaine qu'il juge distincte de la race des nains. Il s'honore d'être différent, supérieur malgré ses imperfections, ses difformités physiques et psychiques. Dans sa folie destructrice, dans sa mégalomanie, Piccolino entraînera son univers dans une chute vertigineuse.

Avec "Le nain" écrit en 1944, le lecteur ne pourra s'empêcher d'y voir une allégorie funeste et inquiétante des horreurs de la 2ème Guerre mondiale et des dictatures qui ont mené le monde au bord du gouffre. Écrit comme un journal intime, sans date précise, "Le nain" est l'un des grands ch
efs d’œuvre de Pär Lagerkvist qui nous dévoile une société encore étrangement contemporaine. Un monde à notre image et sans concession ! "Les hommes aiment à se voir refléter en des miroirs troubles".


D'autres blogs en parlent : Litenblomma, L’œil en marche, Hervé, Ernesto Violin, Classiques ! ...


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13 août 2011

LE PLETZL AU COEUR DE PARIS

  • Rue des Rosiers : une manière d'être juif - Jeanne Brody - Autrement Éditions


L'ouvrage de Jeanne Brody s'ouvre sur la parole de quelques habitants de la Rue des Rosiers. Tout le monde sait que la parole libère, que les mots ont tout leur poids quand les ombres du passé font surface pour faire souffrir et ressentir l'absence des disparus. La Rue des Rosiers, c'est un peu comme la rue Kroshmalna à Varsovie, Josefov à Prague, Lower East Side à New York ou Méa Shéarim à Jérusalem, lieu de convergence de tous les Juifs arrivés en France, concentration de toute l'immigration des communautés Ashkénazes, Séfarades ou Orientales. Que l'on vienne d'Alsace, de Pologne, d'Allemagne, de Russie, d'Algérie, du Maroc, de Turquie ou de Tunisie, ce quartier est un Pletzl - petite place - sorte de Shtetl niché, caché, tapi dans Paris. Ainsi, pour le rédacteur en chef de "L'Arche", le square des Vosges appartient à son origine profonde, à ses racines. "Je suis un enfant de la rue des Rosiers ; je suis un enfant de la place des Vosges ; dans une certaine mesure mon père était un enfant de la rue des Rosiers et moi je suis un petit-fils de la rue des Rosiers. Alors tout ça compte ! Et si je ne pouvais plus m'y promener j'aurais un manque tragique, terrible ! La rue des Rosiers, c'est une manière d'être juif, de se mouvoir juif, l'endroit où les juifs vivaient, mes souvenirs !".

Bien sûr, il y a encore et toujours la sempiternelle rivalité entre les Juifs d'Europe de l'Est et centrale - ashkénazim -, et ceux d'Europe de l'Ouest, séfaradim ! Entre ceux s'exprimant en yiddish et ceux n'en comprenant pas le moindre mot ; entre ceux vivant dans la stricte obédience religieuse, et ceux l'adaptant à leur manière de vivre. Mais pour beaucoup, la Rue des Rosiers "C'est le quartier le plus pourri ! C'est le quartier où je vis et c'est le seul où je vivrais !".

La Rue des Rosiers n'est pas à proprement parler un quartier juif comme Montmartre ou Belleville l'ont été. Il est Le quartier juif enfoui au cœur de Paris par excellence. Ici se côtoient le riche et le pauvre, l'intellectuel et le manuel, le Hassid et
l'orthodoxe, le Juif libéral et le Loubavitch, sans parler des goys intégrés dans ce métissage. De ce melting pot social, culturel, cultuel, de ce brassage inter-ethnique, de ces miscellanées hétéroclites et parfois explosifs, a jailli un quartier atypique et singulier, vivant, remuant, vibrant, étourdissant où chaque civilisation a laissé sa trace. "Il ne s'agissait pas de couches pétrifiées, mais de traces bien vivantes - de personnes et de commerces existant côte à côte : des Juifs et des non-Juifs, de vieux artisans de province, des petits commerçants nés au début du siècle dont les parents étaient paysans, des représentants de presque toutes les vagues d'immigration. Toute son histoire était encore visible, inscrite sur les pavés, sur les façades des immeubles et sur les visages de ses habitants".

Pour qui ne connaîtrait pas encore la Rue des Rosiers et son foisonnement
communautaire et spirituel, sa ferveur religieuse, je ne saurais conseiller de (re)voir "Rabbi Jacob" pour l'atmosphère, ou encore d'écouter les sketches de Popeck pour l'humour juif mâtiné de l'accent yiddish bien appuyé ! Passer ces poncifs habituels, vous y rencontrerez un univers propre à cet arrondissement situé au centre de la capitale où le temps semble inexorablement suspendu depuis des décennies, voire des siècles parfois.

Dans "Rue des Rosiers : une manière d'être juif", Jeanne Brody nous fait vivre les bruits de la rue, entendre les murmures des prières dans la synagogue, à l'oratoire du coin ou derrière ses rideaux, à l'abri. Elle nous fait écouter les silences - lourds et pesants comme ces absents éternels que l'Histoire a engloutis sans jamais réussir à les faire oublier, encore moins disparaître -, et ceux imposés par le rythme de la Foi. Parce que dans cette Rue des Rosiers, c'est 5 000 ans de Judaïsme qui vibre à travers chaque habitant authentique, surprenant, déconcertant, curieux, cocasse, drôle, émouvant, extravagant. Ici, c'est tout à la fois la recomposition d'un Ghetto d'Europe centrale, d'un Mellah d'Afrique du Nord, que vous retrouverez dans chaque visage rencontré, dans chaque façon de vivre sa judaïté, dans chaque accent, mot ou intonation. Et que dire des odeurs, des saveurs de la cuisine, quand les parfums des épices orientales viennent subtilement se mélanger aux beygels chauds, quand le couscous rivalise avec le cholent !

Évidemment, dans "Rue des Rosiers : une manière d'être juif", l'histoire de la 2ème Guerre mondiale tient une place notable, de par son poids dans la mémoire des
lieux, des murs, dans les souvenirs mêmes de ses habitants. Ici, chacun est un pan de la réminiscence, de la souvenance de ce douloureux passé qui a failli engloutir un peuple. Mais ce serait réduire la chronologie de cette communauté juive de Paris si pittoresque, qui se maintient à cet endroit depuis le 12ème Siècle ! Elle fait partie d'un grand Tout qui appartient à cette collectivité, et dont la Rue des Rosiers est l'épicentre. "Face aux grands bouleversements sociaux tels que les pogroms et les guerres, les juifs n'ont trouvé que le yiskerbuh, le "livre de souvenir", comme moyen de ne pas perdre le lien avec le passé. Ces livres, écrits spontanément par les membres de plusieurs centaines de communautés disparues aujourd'hui, sont bien sûr une forme de qaddish collectif écrit".

Pour ceux et celles qui s'en souviennent, et pour les curieux, je vous mets une vieille chanson de Mort Shuman - Brooklyn by the sea. Les paroles racontent, elles aussi, un peu l'atmosphère de ces quartiers juifs ...




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7 août 2011

AH ! LA FAMILLE ...

  • Pleine lune à Blandings - P.G. Wodehouse - La Découverte Éditions


"La lune raffinée qui était au service du château de Blandings et dans son district était presque pleine, et la demeure ancestrale de Clarence, neuvième comte d'Emsworth, se trouvait, depuis quelques heures déjà, baignée dans ses rayons d'argent. Ils brillaient sur ses tours et ses créneaux, veillaient respectueusement sur la sœur de lord Emsworth, lady Hermione Wedge, qui s'enduisait le visage de crème dans la chambre bleue ; ils se glissaient par la fenêtre ouvertes dans la chambre rouge mitoyenne où résidait quelqu'un qui valait vraiment la peine d'être vu, Veronica Wedge pour être précis - la superbe fille de lady Hermione -, qui regardait le plafond, étendue sur son lit, en rêvant d'avoir des bijoux convenables à porter pour le prochain bal du comté. Une jolie fille n'a besoin, bien sûr, d'aucun autre joyau que sa beauté, sa santé et son charme, mais quiconque eût voulu faire comprendre cela à Veronica eût entrepris une tâche insurmontable".

Le domaine de Blandings pourrait être un havre de paix et de sérénité pour ses habitants. Imaginez un instant un château anglais posé sur un écrin de verdure, la nature à perte de vue, le silence seulement troublé par le bêlement des moutons, le meuglement des vaches, le chant d'un coq dans le lointain. "Ici, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté", comme l'a si bien écrit Baudelaire ... Voilà ce que devrait être l'atmosphère délicate du château de Blandings ! Sauf que la famille de lord Emsworth est tout, sauf conventionnelle. Et Clarence Threepwood, neuvième compte d'Emsworth se fait du souci au point d'en perdre le sommeil. C'est dire ! Et pas pour l'Impératrice, sa splendide truie de concours agricole, qui ronfle du sommeil du juste dans son wigwam et objet de toutes ses attentions. Je vous rassure de suite ! "Je te l'affirme. Et que crois-tu que faisait le cochon ? Qu'il chantait ? Qu'il récitait le monologue d'Hamlet ? Rien de tout ça. Il respirait, rien d'autre. Je t'assure, l'idée d'être coincé à Blandings au moment de la pleine lune, avec Clarence, Galahad, Freddie et de Plimsoll dans les environs, ne m'attire pas vraiment. C'est comme faire naufrage sur une île déserte avec les Marx brothers".

Au cours de cette nuit de pleine lune, le colonel Egbert Wedge, son beau-frère, apprendra à Clarence le retour de son cadet, Freddie, à Blandings. Rien que d'apprendre cette nouvelle, le comte d'Emsworth en tremble d'avance. Et si encore cet imbécile venait seul ! Même pas. Il a décidé de se faire accompagner par un jeune Américain très riche, alcoolique et fêtard notoires, Tipton Plimsoll. Tout un programme pour venir perturber la quiétude de ce lieu empreint d'un calme absolu. "Une fois encore, lord Emsworth demanda la bénédiction de son âme. L'idée que son plus jeune fils, l'Honorable Freddie Threepwood, s'occupât de succursales anglaises, lui semblait presque incroyable. Des années de vie commune avec ce garçon lui avaient donné l'impression qu'il avait à peine assez d'intelligence pour ouvrir la bouche quand il voulait manger, certainement pas plus. [...] Comme beaucoup de pères de la haute société britannique, il était quelque peu allergique aux fils cadets et n'était jamais ravi de retrouver celui qu'un funeste destin lui avait procuré".

Le plus dur pour Freddie sera de convaincre Tipton Plimsoll de lâcher Londres, ses pubs et ses soirées alcoolisées pour venir se perdre à Blandings, au fin fond de la campagne anglaise. L'objectif non avoué est de lui faire signer un contrat exclusif pour la vente de biscuits pour chiens dans les drugstores Tipton aux États-unis. Et
pour qui connait Freddie et son sens des affaires, sait par avance que la transaction est loin d'être conclue. Une sombre histoire de nain barbu, d'inconnu au physique ingrat proche du gorille apparaissant et disparaissant à la vue de Tipton à la suite d'une mémorable soirée trop arrosée le feront changer d'avis. "Tipton expliqua qu'un zigoto à tête de gorille apparaissait et disparaissait derrière la porte vitrée, et le barman répliqua qu'il n'avait rien remarqué. Tipton dit : "Oh, vraiment ?" et devint, pour la première fois, pensif. Il lui parut soudain que les yeux de l'apparition, en rencontrant les siens, avaient semblé lui lancer un regard d'avertissement. En tout cas, ils le considéraient avec une fixité singulière ; et, en se souvenant des paroles d'E. Jimpson Murgatroyd, il ressentit une bouffée d'appréhension. Faible pour l'instant, mais qui commençait à croître".

Pour qui ne connaitrait pas encore P.G. Wodehouse, je leur rappellerai qu'il est anglais, père spirituel et littéraire du butler Jeeves, de lord Ermsworth. Une fois posé le décor général, autant vous prévenir immédiatement si vous recherchez une famille de la Gentry britannique conventionnelle, académique, classique, traditionnelle, passez votre chemin ! Vous avez fait fausse route. Dans "Pleine lune à Blandings" vous allez pénétrer dans un monde pour le moins ... étonnant, insolite, atypique. Vous voilà prévenu. Parce que chaque protagoniste de ce roman loufoque, farfelu pourrait faire l'objet d'une analyse complète.

De Clarence Threepwood, lord d'Ermsworth, vouant à l'Impératrice, sa truie, un amour passionné au point de la faire portraiturer pour l'immortaliser au même titre que tous les ancêtres de sa lignée, à Freddie, son fils cadet, représentant les biscuits pour chien "La Joie du chien de Donalson", vous avez déjà un petit aperçu de l'excentricité de cette joyeuse famille So British ! Si on ajoute au tableau de chasse deux cousines, dont Veronica ravissante idiote au QI proche de l'huître, et Prue envoyée à Blandings en punition, comme d'autres au couvent, pour avoir voulu épouser un artiste peintre aux traits de gorille, je pense que le décor est planté. Et n'ayez crainte, tous les personnages sont du même cru. Il n'y en n'a pas un qui échappe à la plume acide, acerbe, grinçante, mordante, presque impertinente de P.G. Wodehouse.

Par-delà l'humour et la dérision qui président dans "Pleine lune à Blandings", P.G. Wodehouse égratigne allégrement l'aristocratie anglaise et ses travers, pour le plus grand plaisir du lecteur. Dans ce roman, le lecteur comprend que tous les protagonistes passent leur temps comme ils le peuvent, ont surtout du temps à perdre et ne font rien, vivent sur leurs acquis passés et n'ont aucunement envie de faire un effort. Tous ont une tare sociale quelconque, sont des bons à rien ou à pas grand chose. L'auteur prend un malin plaisir à dénigrer cette société où la principale activité reste la paresse, la nonchalance cultivée comme un art de vivre. En plus de
la critique sociale, P.G. Wodehouse compare sournoisement le mode de vie de la noblesse britannique - représentée par la famille Threepwood - à la bourgeoisie américaine - incarnée par Tipton Plimsoll -, l'une ancestrale, archaïque, pétrifiée, l'autre naissante, moderne, changeante. Et c'est ce mélange doux-amère entre passé et avenir qui donne la tonalité de "Pleine lune à Blandings".

Vous l'aurez compris, "Pleine lune à Blandings" est un moment de lecture réjouissante, menée tambour battant avec une histoire rocambolesque, mélange du théâtre de boulevard où les portes claquent, les amants se perdent et se retrouvent, où les quiproquos sont la règle, et du burlesque digne des Marx Brothers !

D'autres blogs en parlent : A livre ouvert, Erzebeth.


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2 août 2011

QUE LIRA-T-ON EN AOUT ?

Une belle brochette de livres à découvrir et à lire en ce mois d’août (où je serai en vacances bien méritées pour quelques jours), en espérant qu’il ne sera pas aussi pourri que le joyeux mois de juillet. Si tel devait être le cas, vous n’aurez aucun remord en vous plongeant tête baissée sans ces délicieuses lectures.
  • 10/18
Le ciel de Bay City - Catherine Mavrikakis

Dans cette ville du Michigan où elle est née, entre supermarché, autoroute et lycée, tout destine Amy à l'adolescence sans histoire d'une jeune Américaine type. Tel est bien le souhait de sa mère, juive polonaise venue sur ce continent tout neuf pour tenter de fuir le passé familial. Mais dans la maison de tôle de Veronica Lane, les fantômes ne se laissent pas oublier. Les nuits d'Amy sont hantées par d'horribles cauchemars, où ressurgissent étrangement les suppliciés de la Deuxième Guerre mondiale, comme aussi le visage de sa sœur aînée morte à la naissance. Ses jours eux sont habités par de sourdes obsessions, qui peu à peu se matérialisent dans une course contre la montre pour échapper à la malédiction familiale, dont le ciel toxique de Bay City se fait l'écho. Le roman détaille les jours cruciaux de 1979, pendant lesquels le destin de la narratrice va basculer : le 4 juillet, fête de l'Indépendance et jour de ses dix-huit ans, la maison de tôle prend feu. La famille entière part en fumée, dans un saisissant retour de l'histoire, laissant Amy face à son présent. Tout l'enjeu de ce livre puissant et inspiré est bien dans la volonté désespérée de son héroïne d'en finir avec le passé. Devenue pilote de ligne pour échapper enfin à la poussière et à la cendre, elle n'aura de cesse d'interroger le ciel serein et indifférent... Grand roman américain en ce qu'il ne cesse de croire possible l'avenir de ses personnages, Le Ciel de Bay City interroge avec une effrayante justesse la capacité d'un peuple à oublier son histoire.

Sommeil – Haruki Murakami

Envoûtante, onirique, mystérieuse, une des nouvelles les plus énigmatiques de Haruki Murakami, dans une édition luxueuse, superbement illustrée pour restituer tout le mystère, la magie, la fantaisie de l'univers du maître. Une femme, la trentaine. Elle est mariée, a un enfant. Le matin, elle fait les courses et prépare les repas. L'après midi, elle va nager à la piscine. Elle vit sa vie comme un robot. Mais la nuit, quand tout le monde dort, la femme se verse un verre de cognac, mange un peu de chocolat, lit et relit Anna Karénine. La nuit, cette femme redécouvre le plaisir. Dix-sept nuits sans sommeil...

Une catastrophe naturelle – Margriet de Moor

Un lundi, on apprend qu'une dépression se déplace du Groenland en direction des côtes de l'Europe de l'Ouest. Le même jour, Armanda supplie sa sœur Lidy de partir à sa place en Zélande passer le week-end avec sa filleule. En contrepartie, elle gardera sa fille, âgée de deux ans, et accompagnera son mari à une fête familiale. Cette substitution ne devrait choquer personne puisque les deux sœurs se ressemblent au point d'être parfois confondues. Cette petite mise en scène va pourtant bouleverser leurs vies. Le samedi 31 janvier 1953, tandis que Lidy se rend à Zierikzee, se lève cette tempête historique qui rayera de la carte le sud-ouest des Pays-Bas. Lidy, avec quelques inconnus, tentera de braver les éléments déchaînés. En vain. Armanda se glissera alors dans l'existence de sa sœur disparue. Elle épousera son mari, ils auront deux enfants et, en apparence, ni remords ni culpabilité. Mais l'ombre du drame plane sur tous les actes du quotidien. Entre catastrophe naturelle et catastrophe intime, Margriet de Moor nous fait découvrir dans ce magnifique roman les destins entremêlés de deux sœurs que rien ne peut séparer.
  • Livre de Poche
1940-1945 Années érotiques (Tome 1 & 2) – Patrick Buisson

" Travail, Famille, Patrie. " Lorsqu'on regarde la vie de la France occupée sous le prisme de la sexualité, que reste-t-il de ce triptyque qui devait symboliser la " Révolution nationale " ? Rien, en vérité. Ou plutôt une incroyable somme de contradictions. La première divise les équipes dirigeantes de Vichy. Deux courants ne cessent de s'y affronter : d'un côté, la droite conservatrice et cléricale désireuse d'en finir avec la démocratie républicaine ; de l'autre, un courant fasciste fasciné par le modèle allemand, souvent encadré par des personnalités venues de la gauche socialiste et communiste. L'ordre moral des premiers ne parvient pas à cohabiter avec l'ordre viril des seconds. Contradiction aussi entre une France vaincue et humiliée, que les discours officiels invitent à la pénitence, et le développement d'une sexualité de guerre marquée par des débordements en tous genres et le goût pour la fête, en particulier à Paris et à Vichy. Dressant une fresque magistrale, qui couvre aussi bien l'histoire politique, littéraire, cinématographique que la chanson, la mode ou les faits divers, le journaliste et politologue Patrick Buisson, directeur de la chaîne Histoire, révèle la face cachée de l'Occupation dans une enquête sans précédent, où l'anecdote le dispute à la révélation, et qui justifie une relecture vertigineuse de cette période.

Géométrie d’un rêve – Hubert Haddad

Pour tenter d'oublier Fedora qu'il a aimée à en mourir, un romancier s'exile sur les côtes du Finistère, dans un manoir qui domine l'Océan. Emporté par l'esprit des lieux, il commence un journal intime où peu à peu se mêlent personnages réels et fictifs. De Fedora, soprano lyrique qui se donne le jour mais se refuse la nuit, à l'étudiante japonaise persécutée par son frère yakusa, les héros de ses romans, ses maîtresses disparues, ou encore Emily Dickinson, prennent un même caractère de réalité. Mille et Une Nuits d'un insomniaque qui se raconte des histoires, Géométrie d'un rêve est le roman de la jalousie inexpiable et de l'amour fou.

La légende de nos pères – Sorj Chalandon

Après avoir été journaliste à La Voix du Nord, Marcel Frémeaux est devenu biographe familial. Un matin, Lupuline Beuzaboc se présente à lui. Elle veut que Marcel retranscrive la vie de son père, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Marcel s'attache d'autant plus à cet homme que son père était lui-même résistant. Un texte émouvant et fort.

La maison de Roza – Hubert Klimko

Œuvre bouleversante sur l'exil, l'amitié, la vieillesse et la solitude; ballade nordique du bonheur simple et de la douleur, avec La Maison de Rira, Hubert Klimko nous livre un roman à deux entrées dont l'intime concordance se révèle peu à peu. Un jeune émigrant polonais est embauché dans une maison de retraite où il fait la connaissance d'une vieille dame aveugle, Róza. Une rencontre qui change sa vie... Bien des années plus tôt, un homme a défié Dieu et décidé que son bonheur ne dépendait que de lui. Il s'est marié, a bâti une maison, a vu naître ses deux filles, Rósa et Karitas. Et la tragédie a frappé.

Le club des incorrigibles optimistes – Jean-Michel Guenassia

Michel Marini avait douze ans en 1959. C'était l'époque du rock'n'roll et de la guerre d'Algérie. Lui, il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau. Dans l'arrière-salle du bistrot, il a rencontré Igor, Léonid, Sacha, Imré et les autres. Ces hommes avaient passé le Rideau de Fer pour sauver leur peau. Ils avaient abandonné leurs amours, leur famille, trahi leurs idéaux et tout ce qu'ils étaient. Ils s'étaient retrouvés à Paris dans ce club d'échecs d'arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Et ils étaient liés par un terrible secret que Michel finirait par découvrir. Cette rencontre bouleversa définitivement la vie du jeune garçon. Parce qu'ils étaient tous d'incorrigibles optimistes. Portrait de génération, reconstitution minutieuse d'une époque, chronique douce-amère d'une adolescence : Jean-Michel Guenassia réussit un premier roman étonnant tant par l'ampleur du projet que par l'authenticité qui souffle sur ces pages.

Le lit défait – Françoise Sagan

Lorsque Béatrice a négligemment quitté Édouard cinq ans plus tôt, il a été vite remplacé. Il faut dire que ce garçon, bien que séduisant, était très jeune et manquait d’avenir. Mais le voilà désormais auteur à succès, coqueluche du Tout-Paris et toujours aussi amoureux d’elle, Béatrice, la magnifique, la féroce actrice de boulevard. Elle retombe dans ses bras, étonnée de se souvenir encore de lui. Ce beau couple ne manque pas d’exciter les curiosités, chacun se demandant combien de temps il va durer. Et Édouard le premier, qui sent bien que Béatrice lui résiste et lui échappe, qu’elle n’est pas vraiment amoureuse, mais il ne peut rien faire d’autre que l’aimer passionnément. Il est même prêt à supporter les infidélités de son adorée. Jusqu’au jour où Béatrice comprend qu’elle aime, pour la première fois. Elle l’aime vraiment. Dans ce livre, les sentiments amoureux sont dépeints avec une telle acuité, une telle vérité qu’on a l’impression que Françoise Sagan vit les mêmes événements au même moment. Elle écrit comme si elle détaillait ses propres mouvements du cœur et nous donne ici une des clés qui font qu’une histoire d’amour peut ou non exister.

Le paquet – Philippe Claudel

Un homme tire un énorme paquet auquel il semble tenir plus que tout. Que renferme-t-il donc ? Le corps de sa femme qu'il aurait assassinée ? Les seuls biens qui lui restent ? Ses souvenirs, ses rêves, ses joies ? Les débris d'une vie ? Nos lâchetés, nos abandons, nos laideurs ? Tous nos maux et nos mots impuissants ? Lorsque le monde s'effondre, la question n'est pas de savoir ce que l'on sauve, mais ce dont on ne peut se débarrasser. Écrite et mise en scène par Philippe Claudel, interprétée par Gérard Jugnot, Le paquet sera créé à partir de janvier 2010 au Petit Théâtre de Paris.

Les petits sacrifices – Caroline Sers

De 1914 à 1950 : le destin d'une famille de notables français, les Dutilleul, sur trois générations. Petite fille au moment de la déclaration de guerre en 1914, Charlotte grandit dans le souvenir des catastrophes survenues lors d'une réception donnée par ses parents le jour de l'assassinat de Jaurès. Jeune femme, elle sera sacrifiée " à la famille et donnée en mariage à un commerçant pour garder la propriété à la campagne, menacée de saisie. Mère, elle en viendra à prendre une décision terrible pour éviter l'effondrement de tout ce en quoi elle croit.

Les revenantes – Pierre Daix

Aux tous derniers jours de l'Allemagne nazie, Julia - dont le mari s'est tué à Paris pour lui épargner la torture dans les locaux de la Gestapo -, Claudine, infirmière communiste, Lucette, mannequin de haute couture, Gisèle, violoniste, se trouvent brusquement libérées d'un centre de réclusion en Saxe. Katie, officier anglais sortie d'un camp de la mort, les y rejoint. Elles découvrent qu'elles sont un gage dans une tentative de paix lancée lors de la chute du Reich par Himmler, patron des SS. Ceux-ci se déchargent de la tâche de les conduire en Suède sur Franz Werfer, lieutenant de la Wehrmacht. Tandis que les armées russe et américaine établissent leur jonction sur l'Elbe, ces femmes rencontrent le fond de l'enfer dans l'Allemagne disloquée. Franz se décide alors à les conduire chez les Alliés tout proches. Roger, maquisard reconverti en correspondant de guerre, va les y escorter. Charles, rescapé, attend Julia au Lutetia, à Paris, où rentrent les déportés. Tel est le point de départ du roman Les revenantes. La victoire venue, qui voudrait entendre d'où et de quoi elles reviennent ? Et pourront-elles retrouver la vie " normale " des jours sans guerre ? Pierre Daix a vécu, à la fin d'avril 1945, la libération des femmes occidentales détenues à Mathausen. Il a écrit entre 2001 et 2008 ce roman de survivant qu'il a porté sa vie durant.

Mes illusions donnent sur la cour – Sacha Sperling

Sacha est en dehors de sa vie, à côté de ses pompes ; il pose sur le monde qui l’entoure un regard sans concession. Quand Augustin débarque sans prévenir, Sacha est immédiatement en admiration et il lui semble avoir trouvé son héros : Augustin ose et agit quand lui ne fait qu’hésiter et fantasmer. À eux d’eux, ils vont multiplier les expériences extrêmes, frôler la mort pour se prouver qu’ils vivent. Empêtré dans ses contradictions, tiraillées entre un père totalement absent et une mère qui règle les problèmes avec de l’argent sonnant et trébuchant, Sacha choisit le danger et la passion que représente Augustin. Parce que la transgression est une étape nécessaire mais surtout parce qu’il a enfin l’impression d’exister dans le regard d’un autre. Alors il commence à mentir, à dissimuler, et très rapidement son quotidien se délite.

Six mois, six jours – Karine Tuil

Juliana Kant, première fortune allemande, femme froide, retenue, secrète et mariée, a une aventure amoureuse avec Herb Braun, un homme qui a tout du gigolo. Au bout de quelques mois, d'hôtel en hôtel, d'un rendez-vous clandestin à un autre, Herb menace de révéler leur liaison à la presse. Le gigolo est dénoncé et emprisonné. Banal chantage ? Pas seulement, car l'affaire fait ressortir le passé peu reluisant de la famille Kant et leur proximité avec les nazis pendant la guerre. Un roman violent, très fort qui est à la fois le portrait d'une femme prête à tout pour aimer ainsi qu'une saisissante plongée chez les damnés de l'histoire, raconté par l'homme de confiance de la famille, témoin complice de toute la barbarie des hommes...
  • Folio
Impardonnables – Philippe Djian

Francis est un écrivain à succès, meurtri par l'existence. Sa femme et l'une de ses deux filles sont mortes devant ses yeux. À soixante ans, il est maintenant installé au Pays basque où il a mis de côté ses derniers remords en se remariant. Mais voilà que sa fille Alice, qu'il chérit plus que tout, disparaît brutalement et brise ce fragile équilibre. De la forteresse mentale qu'il se construit pour ne pas s'effondrer, il va découvrir un monde sans pardon possible.
  • Point Seuil
La vingt-septième ville – Jonathan Franzen

" Au début du mois de juin, William O'Connell, chef de la police de St. Louis, annonça son départ à la retraite et les membres du Conseil de la Police municipale, dédaignant les candidats soutenus par l'establishment politique, la communauté noire, la presse, l'Amicale des Agents et le gouverneur du Missouri, choisirent une femme anciennement attachée à la police de Bombay, en Inde, pour entamer un mandat de cinq ans à ce poste. Toute la ville fut atterrée, mais cette femme - une certaine S. Jammu - entra en fonctions avant que quiconque ait pu l'en empêcher. " St. Louis (Missouri), dans les années 80. Autrefois prospère, la cité décline, au point d'être passée du rang de quatrième ville des États-Unis à celui de vingt-septième. L'élection inattendue de S. Jammu à la tête de sa police pourrait enrayer ce lent processus. Cette jeune femme charismatique et mystérieuse, qui doit à ses actions musclées une immense popularité, vient à peine d'installer son pouvoir lorsque la rumeur d'une sordide affaire de corruption déstabilise le Conseil municipal... La Vingt-septième Ville est le premier roman de Jonathan Franzen. Lorsqu'il paraît aux États-Unis, en 1988, ce livre marque d'emblée la volonté de l'auteur des Corrections de prendre ses distances avec l'autobiographie. Et son désir de se colleter avec la société américaine, dans toutes ses dimensions, publiques et privées. En recourant à la métaphore du complot politique, Franzen analyse magistralement la fin du rêve américain sous la forme d'une comédie noire.

Le chantier – Mo Yan

" La route noire rampe, immense dragon décapité." Une route en construction quelque part dans la campagne chinoise: on ignore où et quand elle doit aboutir. Avec le départ du chef de chantier, les "mauvais éléments", subitement livrés à eux-mêmes, oublient la discipline et le carcan idéologique. Dans ce paysage décharné, affamé, la proximité d'un village peuplé de créatures humaines et animales attise les pulsions. Les instincts individuels et les passions se déchaînent sur ce théâtre inattendu de la comédie humaine: jeu, vol, crime, folie, violence animale, sexuelle... traversés d'éclairs de bonté, de finesse et de beauté. Où diable va-t-on ? Ce roman vif, brutal, dont les audaces et le burlesque interrogent sans ambages le socialisme tel qu'il a cherché sa voie en Chine, permet à l'auteur d'afficher une maestria qui explose la langue de bois, dynamite le discours politique. Avec Le Chantier, Mo Yan affirme son génie singulier et nous livre une fable intense, complexe, envoûtante, teintée de son habituelle truculence. Un roman remarquable d'intelligence et de vivacité.

L’été de la vie – J-M Coetzee

Après Scènes de la vie d'un jeune garçon et Vers l'âge d'homme, voici le troisième volet de l'entreprise autobiographique de Coetzee : il a atteint la trentaine et, de retour au pays natal, partage avec son père vieillissant une maison délabrée dans la banlieue du Cap. Autobiographie fictive puisque l'auteur confie la tâche d'un portrait posthume à un jeune universitaire anglais qui recueille les témoignages de quatre femmes et d'un collègue qui auraient compté pour l'écrivain en gestation dans les années 1970. Ce quintette de voix laisse entrevoir un homme maladroit, mal à l'aise, brebis galeuse de la famille afrikaner qui peine à ouvrir son cœur. La femme adultère, la danseuse brésilienne, la cousine chérie, l'universitaire et la maîtresse française s'accordent à faire de lui un amant sans chaleur, un amoureux indésirable, un enseignant sans charisme. Ces entretiens sont encadrés de notes et fragments extraits de carnets où l'écrivain s'interroge et se cherche. Dans ce récit où se mêlent le comique et le ridicule, la mélancolie et le désespoir, Coetzee se livre avec prudence et dévoile peu à peu un cœur en souffrance sous la cuirasse. Il invite une nouvelle fois le lecteur à une superbe méditation sur la condition humaine.

Tâche de ne pas devenir folle – Vanessa Schneider

C’est une histoire de fous. D’une famille de fous, dont Marthe aura été le pilier. Pour sa petite-fille, retracer la vie de sa grand-mère, ce parcours baroque entre la France et la Roumanie, c’est renouer le lien des origines. C’est comprendre un héritage singulier, un message, un vœu que l’on murmure à soi-même : « Tâche de ne pas devenir folle. »

Le testament d’Olympe – Chantal Thomas

Nous sommes au milieu du XVIIIe siècle, sous le règne de Louis XV. Deux sœurs, Apolline et Ursule, sont les héroïnes de ce livre. Elles sont nées à Bordeaux, dans un milieu très religieux. Le père, adepte de la Providence, s’adonne avec délice au bonheur de ne rien faire. La mère est en prières. La famille s’enfonce dans la misère. Ce dont Apolline, en disciple de son père, s’aperçoit à peine, tandis que l’aînée, Ursule, ambitieuse et libre, n’a qu’une envie : s’enfuir. Bientôt, les deux jeunes filles se perdent de vue. Apolline est mise dans un couvent, puis devient préceptrice. Elle en sort quelques années plus tard pour retrouver sa sœur mourante, et découvrir dans un manuscrit le récit de ses aventures. Ursule, rebaptisée Olympe, a réussi à se faire emmener à Paris par le duc de Richelieu. Elle rêve de faire carrière au théâtre, mais son protecteur a d’autres plans. Fournisseur royal attitré en matière de plaisir, il offre Olympe à Louis XV. Olympe, aimée par Louis XV, est rongée par le désir de s’imposer face à Mme de Pompadour. Devenue mère, elle croit triompher. Mais, avec la soudaineté des alternances de faveur et défaveur, elle perd tout. On l’exile et la marie de force en province et lorsqu’elle revient à Paris pour dénoncer la violence de son sort, elle est arrêtée et envoyée à l’Hôpital. Ce portrait de deux sœurs qui font des choix opposés, s’en remettre à la Providence, ou miser sur l’intrigue, est l’occasion de raconter un monde dominé par l’étrange duo que forment le duc de Richelieu, le plus célèbre libertin de son siècle, et le roi Louis XV, habité par le goût de la mort, le désir des femmes, et le sens du péché. Les jeux du pouvoir sont imprévisibles, et il est bien hasardeux de vouloir défier son destin.

Au pays des hommes – Hisham Matar

Tripoli, 1979. La société libyenne étouffe sous le régime autoritaire du colonel Kadhafi mais le jeune Suleiman, neuf ans, a bien d'autres soucis : il s'ennuie sous l'écrasante chaleur estivale. Son père est absent, on le dit en voyage d'affaires. Sa mère, adorée, crainte, erre dans la demeure, de plus en plus souvent ivre, et délire jusqu'à épuisement. Tout est murmure, tout est secret, tout est hostilité. Mais bientôt le monde du petit Suleiman bascule : en plein centre-ville, un matin, il aperçoit Baba, son père, caché derrière d'épaisses lunettes noires. Pas un signe, pas un geste, l'homme les ignore, sa mère et lui. Subtilement, la peur et le doute s'installent dans la vie de Suleiman. Qui sont ces hommes en armes qui viennent fouiller la maison ? Pourquoi le père de Karim, son meilleur ami, est-il emmené par la police ? Comment se fait-il que sa mère brûle un à un les livres de la bibliothèque, jusqu'alors véritable trésor familial ? Un livre puissant et juste sur la fin de l'enfance et l'horreur de la répression politique.

Journal 1955 – 1962 – Mouloud Feraoun

Quatre jours de plus, et Mouloud Feraoun aurait connu l’Algérie indépendante. Il a été assassiné par l’OAS le 15 mars 1962. Son Journal, écrit durant la guerre, rend compte de ses espoirs, de sa tristesse et de ses doutes quotidiens. De l’insurrection des fellaghas à l’oppression du peuple algérien, l’écrivain se fait un devoir de témoigner des événements de son pays.

Le quai de Ouistreham – Florence Aubenas

" La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place. J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail. J'ai loué une chambre meublée. Je ne suis revenue chez moi que deux fois, en coup de vent : j'avais trop à faire là-bas. J'ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers, et je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. Je suis devenue blonde. Je n'ai plus quitté mes lunettes. Je n'ai touché aucune allocation. Il était convenu que je m'arrêterais le jour où ma recherche aboutirait, c'est-à-dire celui où je décrocherais un CDI. Ce livre raconte ma quête, qui a duré presque six mois, de février à juillet 2009. J'ai gardé ma chambre meublée. J'y suis retournée cet hiver écrire ce livre. ", Florence Aubenas.

Les vents contraires – Olivier Adam

Depuis que sa femme a disparu sans jamais faire signe, Paul Andersen vit seul avec ses deux jeunes enfants. Mais une année s'est écoulée, une année où chaque jour était à réinventer, et Paul est épuisé. Il espère faire peau neuve par la grâce d'un retour aux sources et s'installe alors à Saint-Malo, la ville de son enfance. Mais qui est donc Paul Andersen ? Un père qui, pour sauver le monde aux yeux de ses enfants, doit lutter sans cesse avec sa propre inquiétude et contrer, avec une infinie tendresse, les menaces qui pèsent sur leur vie. Dans ce livre lumineux aux paysages balayés par les vents océaniques, Olivier Adam impose avec une évidence tranquille sa puissance romanesque et son sens de la fraternité.