28 janvier 2009

VIENNE, ENTRE MEMOIRE ET SOUVENIRS

  • Café viennois - Michèle Halberstadt (Livre de Poche n°30931)


"Partir avec sa mère. Quelle drôle d'idée. Clara voyageait toujours seule. Une interview. Une valise. Une chambre d'hôtel. Un entretien à faire, un papier à écrire. Une journée à passer pour se sentir en vie. partir avec sa mère. Faire l'égoïste. Se comporter comme si elle était seule, célibataire. Oublier mari et enfant. Essayer de trouver les mots. Avoir le courage de se mettre à nu devant le seul être au monde qui ne la jugera pas".

Frieda est tout à son bonheur de pouvoir accompagner Clara pour un séjour mère - fille à Vienne, en Autriche. Des vacances entre elles seules, sans homme et sans enfant. Frieda est la gaieté incarnée. Drôle et avenante, elle charme tout le monde, et donne même de l'élan à sa fille dans son quotidien de femme, de mère et de journaliste ; elle qui en possède de moins en moins. Elles sont si différentes, mais
semblables, parce que du même sang.

Vienne, la ville d'origine de Frieda, née Hartmann.
Vienne, que Frieda n'a plus revu depuis cinquante-quatre ans. A peine le pied posé sur le sol autrichien, les souvenirs refluent comme une crue du Danube. Elle voulait présenter sa ville à Clara, sa fille. Lui faire bénéficier de sa splendeur, de ses trésors enfouis. "Elle se souvenait de tout. L'historique des monuments, le noms exact des vingt-trois arrondissements, le tracé du Danube, l'adresse de la maison de Freud et le patois local pour expliquer à un marchand des rues comment elle voulait qu'il accommode leurs saucisses".

Premier accroc, un vieil immeuble dans une rue sombre. Trente-trois marches. De l'entresol au premier étage. Et, d'un coup, tout revient comme un arrière goût
d'amertume, la montée du nazisme et de l'antisémitisme en Autriche, la peur de tous et les angoisses d'Éva - la propre mère de Frieda - que Ernst, le père, ne peut plus calmer par quelques paroles de réconfort. A treize ans, Frieda vient de comprendre qu'elle est de trop, qu'elle doit partir, quitter son pays, anéantir ses souvenirs, oublier son passé.

Ainsi, depuis son arrivée à Vienne, Clara prenait lentement conscience de l'impact de ce voyage sur Frieda. Tout ce qu'elle avait jusque-là caché, enfoui, nié, balayé d'un revers de main comme on chasse une improbable poussière, ressurgissait, refaisait surface. Elle qui croyait bien connaître sa mère, découvrait une tout autre personne, femme fragile à la sensibilité exacerbée. Surtout, l'Autriche n'était pour Clara qu'une réminiscence culinaire, fait de subtils arômes des gâteaux et sucreries au massepain, sur un fond de valses de Strauss et de lecture de Vicky Baum. Avait-elle besoin de lui cacher l'histoire de sa vie d'avant, d'être aussi pudique sur ses souffrances psychiques, elle qui paraissait si expansive. Maintenant que Clara avait - elle aussi - souffert, elle se sentait prête à entendre l'histoire de sa mère. Une histoire d'errance, de fuite, de course effrénée vers la liberté.

Enfin, le choix de la France comme terre d'exil et l'apprentissage par Frieda de l'élégance parisienne. C'est décidé pour elle, puisque l'Autriche ne veut plus de Frieda Hartmann et des siens, Frieda prendra la France pour patrie. "Elle qui venait de laisser derrière elle la ville la plus fascinante, la plus cultivée d'Europe, refusait d'être une réfugiée, ce mot atroce qui signifiait qu'on n'était plus chez soi nulle part. Puisqu'elle ne pouvait être viennoise, alors elle serait parisienne, c'est-à-dire nonchalante, assurée, naturellement élégante, à l'image de ces femmes dont elle passait des heures en terrasse à détailler inlassablement la silhouette et la mise".

Alors que Clara se promet de guérir du mal qui l'obsède et la ronge, Frieda - enfant - n'aura pas le temps de profiter de sa jeune vie parisienne. Il lui faut fuir, à nouveau. La débâcle l'amènera de Houlgate à Riva Bella, avant d'atterrir à Périgueux. Périgueux, la ville de la paix intérieur retrouvée, de la sérénité, du bonheur de vivre. Comme un jour de vacances ensoleillé qui ne finira jamais. Mais Périgueux ne sera qu'un refuge provisoire et illusoire. Il lui faudra fuir encore et toujours devant le danger, les mesures anti-juives, les rafles.

Il faudra à Clara l'opportunité d'un reportage sur le film de Carol Reed, "Le Troisième Homme", pour pouvoir comprendre Vienne et s'approprier l'histoire de
Frieda. Elle repartira seule sur les pas de sa mère, de son passé, de ses origines, recherchant les lieux où elle a vécu, ceux qu'elle a fréquentés pour s'imprégner de leur atmosphère, accepter ses racines et être - enfin - elle-même.

Dans "Café viennois" le lecteur est très vite saisi d'un sentiment d'oppression, d'angoisse, de peur. Il pressent et comprend dès les premières pages que Vienne et Frieda sont inexorablement liées pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Ce livre est un subtil chassé-croisé entre passé troublé et présent agité. On sent la pesanteur lorsque Frieda critique la lâcheté de l'Autriche, son immobilisme, sa
bienveillante neutralité à l'égard du nazisme et son repli dans un glorieux passé. Mais une certaine légèreté vient contrebalancer ce douloureux magma. Légèreté des cafés viennois, de leurs pâtisseries, des croissants feuilletés et de leur origine, de la trop fameuse Sacher torte de chez Demel. Douceur des intérieurs feutrés et ouatés des habitations, des salons de thé, des théâtres. Surtout, "Café viennois" raconte - par-delà la simple relation mère - fille -, le rapport à la mémoire et la place donnée aux souvenirs dans une filiation. Vienne, ville splendeur, ville musée, tout à la fois capitale et provinciale, belle au bois dormant, est magnifiée avant d'être haïe. C'est un livre que l'on prend plaisir à lire autant pour la description et l'atmosphère des cafés que pour l'histoire de l'Autriche qui sert de toile de fond au roman et lui donne un arrière-goût cinématographique qui nous fait invariablement penser au "Troisième Homme" de Reed.

Liredire retiendra de ce roman l'émotion douce qui s'en dégage tout au long de sa lecture, Sol n'a pas aimé le style d'écriture de l'auteur qui l'a tenue à distance de l'histoire, Mireille a beaucoup aimé pour l'ambiance qui s'y dégage, Clarabel a aussi aimé ce roman, particulièrement le côté culinaire du sujet, Florinette nous parle de l'auteure, Moustafette qui a apprécié ce livre pour sa sympathique balade dans l'histoire d'un pays qui n'a pas trop culpabilisé après la guerre sur son comportement.

26 janvier 2009

LA TACHE DE DIEU


"A l'époque où existaient en Islam des asiles psychiatriques, des fous vivaient libres en Occident au point d'y gouverner les esprits. Présenter et dresser des bûchers, telles étaient leurs missions. Las de voir ces déments (inquisiteurs et sorciers curieusement associés et flanqués d'une clientèle influençable et superstitieuse) martyriser les chats noirs, Dieu toucha de son doigt magnanime la robe des victimes. Depuis lors, sur l'encolure, le front, où le doigt de Dieu s'appliqua, une tache blanche orne le pelage maudit. On l'appelle :"la tache de Dieu". Cette empreinte immaculée eut le mérite de soustraire des crucifixions ou des flammes quelques innocents dont le seul crime était qu'ils fussent entièrement de couleur noire".


Extrait - "Sa majesté le chat" - Louis Nucéra

22 janvier 2009

SOUS LES ORS DU PALAIS IMPERIAL

  • Mémoires d'une dame de cour dans la Cité Interdite - JIN Yi (Picquier Poche)


He Rong Er est entrée à l'âge de treize ans comme dame de cour de l'impératrice douairière Cixi. Elle passera sa vie à servir cette impératrice énigmatique derrière les murs "rouges et violets" de l'antique Cité Interdite. Offerte en cadeau à un eunuque à dix-huit ans, He Rong Er finira sa vie comme modeste femme de ménage à la chute de l'empire. C'est de cette façon que l'auteur, alors jeune étudiant en histoire, fera la connaissance de cette dame de cour indiscrète, ne sachant ni lire, ni écrire, mais à la langue bien pendue et aux souvenirs vivaces et très fournis. Grâce à cette honorable vieille dame, le lecteur peut ainsi découvrir le quotidien, l'intimité et les détails de cette vie interdite au public qui se cachaient derrière les hauts murs de cette cité mystérieuse et séculaire.

La tradition de la cour impériale voulait que chaque dame de cour soit d'origine mandchou. De même, les eunuques ne devaient être que des Han, vrais chinois. Ces dames avaient une vie réglée comme un métronome, avec des codes et des règles ancestraux. La coquetterie n'était pas d'usage. Bien au contraire, la sobriété et la simplicité prévalaient. Tout excès était répréhensible. A chaque saison, toutes recevaient quatre ensembles en soie réalisés sur mesure, vert pour la belle saison,
violet pour l'automne et l'hiver. "Pour nous faire belles et nous distinguer les unes des autres, nous jouions sur nos revers de cols, nos ourlets de manchettes, nos bas de jambes de pantalon, nos chaussures aux empeignes brodées. Mais nous devions malgré tout rester très limitées dans notre coquetterie".

Être dame de cour imposait des règles de bienséance. Elles ne pouvaient pas rire aux éclats. Mais elles ne devaient pas montrer leur tristesse, non plus. Le sourire était de rigueur, quelle que soit la situation. La coutume était telle qu'elle allait jusqu'à imposer une position pour dormir, dépendant des croyances, tabous et superstitions nombreux dans la société chinoise. En cas de transgression à ce code, elles étaient sévèrement punies. Ayant un statut inférieur à celui des eunuques, les dames de cour n'apprenaient ni à lire, ni à écrire. Par contre, elles savaient coudre, broder, tricoter et tisser. Et lorsqu'elles quittaient le palais, vers l'âge de vingt-cinq ans, elles ne se trouvaient pas démunies et pouvaient se reconvertir.

En raison de son habileté et de son dévouement à l'impératrice Cixi, He Rong Er a reçu l'immense honneur de la servir pour fumer le narguilé. Ce qui était vu comme une chance et une gloire pour une dame de cour, pouvait aussi très vite devenir un
enfer. La moindre faute commise entraînait des mesures de rétorsion sévères pour elle, sa famille et sa "tante", tout à la fois chaperon et ancienne dame de cour reconvertie. "Vous aurez affaire au dieu du feu. Si par mégarde, vous laissiez tomber sur le corps de l'impératrice douairière la moindre étincelle, votre tête ne vous appartiendrez plus. Si vous laissiez tomber la moindre étincelle sur le sol, votre famille même sera mise en cause".

La vie du personnel de cour est avant tout régit par le quotidien de l'impératrice Cixi, convertie au bouddhisme et superstitieuse, croyait aux rites chamaniques mandchous. Élégante et raffinée, elle passait en moyenne six heures par jour pour se faire belle avec des produits de beauté qu'elle se fabriquait. Détestant les parfums artificiels, les eunuques avaient imaginé de remplir des pots de fruits offerts par les provinces du Sud. Tous les palais exhalaient de senteurs naturelles les plus subtiles et les plus délicats. "Ainsi, en toutes saisons, le palais entier embaumait de parfums exquis et rafraîchissants. En été, l'arôme délicieux traversait les rideaux de bambou et flottait longtemps sous les toits de la longue galerie. Nous respirions profondément, et les effluves pénétrants de ces fruits exotiques nous envahissaient d'une sensation savoureuse, unique. En hiver, une odeur agréable, légèrement sucrée, mêlée à une chaleur chatouillante, caressait le visage, et tout le corps s'imprégnait d'une douceur languissante. C'était la saveur du palais des Beautés. Une saveur secrète".

Du lever au coucher de l'impératrice douairière, tout était orchestré avec maestria dans les moindres détails. La nuit, une dame de cour était spécialement chargée de surveiller la qualité du sommeil de l'impératrice, de s'assurer que tout se passait pour le mieux car - au matin - elle était interrogée par les médecins de la cour qui établissaient un bulletin de santé. Dans ce palais où tout ce qui la concernait était chroniqué, répertorié, un sujet était pourtant tabou : ses plats préférés. Personne, pas même ses cuisiniers personnels ne devaient percer ce mystère, de crainte d'être tués immédiatement. Mais le plus frustrant, est qu'une loi millénaire imposait de ne servir que trois cuillerées d'un même plat !

Outre le cérémonial pesant des repas, des célébrations et des commémorations des défunts, des dieux, des bons et des mauvais esprits, il y avait la coutume des pieds bandés. Contrairement aux chinoises, les mandchoues ne se bandaient pas les pieds. Ils étaient enserrés dans des étoffes et - dès l'enfance - les fillettes apprenaient à marcher bien droit avec les pieds comprimés dans ces tissus. Les pieds, par pudeur, ne pouvaient
être que cachés. Aucun eunuque, même parmi les plus proches de l'impératrice, ne pouvait les apercevoir. Cela aurait été sacrilège et licencieux.

"Mémoires d'une dame de cour dans la cité interdite" de JIN Yi nous invite à une visite exceptionnelle, celle de la Cité Interdite au temps des empereurs. Avec He Rong Er comme guide, nous apprenons toutes les manies, les superstitions, les exigences des empereurs et les contraintes imposés au personnel de la cour et aux eunuques. Tout - ou presque - nous est divulgué de la part d'une personne pour qui le silence était de rigueur dans son emploi auprès de l'impératrice Cixi.

Sur Hérodote, un article sur cette impératrice équivoque.

17 janvier 2009

LA NAISSANCE DU THE


"Un jour, il y a plus de quatre mille années de cela, l'empereur Chen Nung voyageait avec son escorte dans une contrée éloignée de son vaste pays. Comme la route était longue et harassante, il demanda à prendre un peu de repos à l'ombre d'arbres qui le protégeraient du soleil. Le convoi s'arrêta et l'empereur s'assit en tailleur sous un arbuste inconnu. Il réclama aussitôt un bol d'eau bouillante car il avait grand soif et ne connaissait que ce breuvage pour se désaltérer. On s'empressa de le lui porter. C'est alors qu'une feuille tomba dans le bol de l'empereur. Chen Nung but sans s'en rendre compte et un parfum à la fois doux et amer lui emplit la gorge. Intrigué, il inspecta le fond de ce bol et y trouva la feuille au parfum si envoûtant. Le thé venait de naître".


Extrait - "Opium" - Maxence Fermine

15 janvier 2009

L'ORIGINE DE L'ART

  • Dictionnaire de Lascaux - Brigitte et Gilles Delluc (Éditions Sud Ouest)


En découvrant par hasard l'entrée de la grotte de Lascaux, le 8 septembre 1940, Marcel Ravidat, Jean Clauzel, Maurice Quéroi et Louis Périer ne savent pas encore qu'ils viennent de trouver un joyau de l'art paléolithique. Ce n'est que le 12 septembre 1940 qu'ils pénétreront dans la grotte et apercevront les peintures pariétales et leurs magnificences.

Depuis 1940, Lascaux fascine et obsède les chercheurs et les amateurs de la Préhistoire. Qui étaient réellement ces hommes et d'où venaient-ils ? Comment vivaient-ils ? Pour quelles raisons étaient-ils à Lascaux ? Et surtout, quelle était la symbolique des fresques murales qu'ils nous ont laissés en héritage ? Grâce au "Dictionnaire de Lascaux" de Brigitte et Gilles Delluc - préhistoriens, spécialistes d'art paléolithique -, ces quelques questions et de nombreuses autres y trouvent leurs réponses.

Avant de s'intéresser aux Hommes de Lascaux et à leurs peintures, quelle était la fonction initiale de la grotte la plus connue dans le monde ? Plusieurs interprétation. La première hypothèse, dans les années 1950, est de A. Leroi-Gourhan, préhistorien et professeur au Collège de France. Selon lui, Lascaux aurait
été un sanctuaire religieux. La grotte, alternativement décorée d'ensembles et de frises, comprend des peintures, des gravures et des signes assimilés à une signature éthnique des auteurs. Cet ensemble très structuré montre que Lascaux pouvait être un lieu de culte religieux. Il s'opposait ainsi à une interprétation généraliste et globalisante répandue à cette époque qui laissait croire à la présence de rituels chamaniques. Cette théorie avait été émise à propos de la scène du Puits, analysée comme une transe. Elle a donné lieu à des contestations de la part de nombreux spécialistes. Dès 1961, une théorie cosmique est avancée. Des scientifiques pensent que Lascaux aurait été choisie en raison de son orientation, l'entrée étant éclairée lors du coucher de soleil du solstice d'été.

Les Hommes de Lascaux étaient des Cro Magnons, dont la présence est attestée en Europe occidentale depuis plus de 35 000 ans. C'est déjà une civilisation avancée avec une vie sociale organisée. Ceux de Lascaux étaient des artistes, peintres et graveurs, vraisemblablement au service d'une grande idée religieuse et sans doute déchargés des corvées quotidiennes. Ils possédaient les techniques de la peinture (trait, aplat, estompe, modelé) et celles de la gravure. Ces artistes étaient avant
tout des chasseurs qui maîtrisaient les détails de l'anatomie des animaux et leur comportement. On apprend que Lascaux, comme toutes les grottes ornées, n'a jamais été un habitat. Toutefois, des restes d'ossements d'animaux y ont été retrouvés, notamment de rennes, quelques chevreuils, sangliers ou lièvres, permettant de reconstituer l'alimentation de ces hommes. En plus des ossements, des objets mobiliers ont été découverts élaborant une datation précise du lieu et une connaissance de l'environnement grâce aux pollens. Une cinquantaine d'objets ont été extraits dans le Puits de Lascaux, dont des sagaies, des aiguilles, des poinçons, des lissoirs, des baguettes, tous en os.

Grâce au "Dictionnaire de Lascaux", on apprend que l'endroit est un des premiers sites archéologiques où la méthode d'étude des pollens a été mise en œuvre. Visiblement, les utilisateurs de Lascaux auraient connu une forêt mixte avec des pins sylvestres, des noisetiers, des troènes, des groseilliers, des noyers, des châtaigniers. Toujours selon ces pollens, les scientifiques ont pu évaluer le climat. Le temps de Lascaux est celui d'un réchauffement entre deux périodes plus froides,
avec des températures proches de celles de notre époque.

Lascaux est la grotte paléolithique la plus richement dotée avec une domination de peintures de chevaux. Les archéologues ont recensé pas moins de 2 000 animaux et signes sur la totalité des parois. Un seul homme est représenté, "L'Homme du Puits", silhouette rudimentaire avec une tête à bec, étendu sur le dos et menacé par un bison blessé fonçant sur lui. La présence de l'animal souffrant ajoute à l'étrangeté de ce décor, d'autant que le thème de la douleur est rarissime dans l'art préhistorique et la mort jamais explicite. C'est - en partie - cette scène qui rend le site de Lascaux exceptionnel. Dans cette anfractuosité unique en son genre, les caractères archaïques contrastent avec une exécution techniquement parfaite des animaux.

Ces animaux, sujet principal de l'art paléolithique avant les signes, les hommes et le non-dit - environnement, traits humains et objets - sont hiérarchisés et groupés par espèces. Certaines d'entre elles sont plus rares que d'autres, de même que les comportements explicites (accouplement, affrontement). Ces groupements et cette hiérarchie dans le décor de Lascaux font penser à l'œuvre d'artistes au service d'une grande idée spirituelle. Mais la question qui continue à se poser à tous est A qui cet art était-il destiné ? Sans doute ne trouvera-t-elle jamais de réponse définitive et suffisante.

Le "Dictionnaire de Lascaux" est une véritable source d'informations pour qui s'intéresse à la Préhistoire. Brigitte et Gilles Delluc, tous deux spécialistes de cette période, abordent dans ce vaste ouvrage tous les aspects de Lascaux. De la décoration à l'archéologie, de l'histoire à la géologie, de la chimie à la médecine en
passant par la biologie et la botanique, tout converge vers Lascaux. Dans une langue simple, claire et érudite sans cependant être inaccessible, ces deux scientifiques amène l'amateur éclairé et le profane dans une balade à travers le temps et l'espace, celui de Lascaux et des hommes de Cro Magnon. Ce dictionnaire est très bel objet qui alterne les textes, les photos couleurs et noir & blanc, les esquisses, les relevés et cartes topographiques dans un ensemble harmonieux. Cet ouvrage a été une belle découverte, originale, même si je l'aurais plus apprécié sous forme thématique. A offrir et à s'offrir pour (re)visiter un lieu unique de la Préhistoire et mieux appréhender l'art de nos énigmatiques ancêtres.

Pour continuer la visite, le site de Lascaux, ici.

Encore un grand merci à Masse Critique, à Babelio et aux Éditions Sud Ouest pour ce très bel envoi.

12 janvier 2009

LES PREJUGES

  • La circoncision - Bernhard Schlink (Folio 2€ n°3869)


Andi aime Sarah, quoi de plus naturel. Seulement, Andi est Allemand et Sarah, juive américaine. Lorsqu'il est présenté pour la première fois à toute la belle-famille, il cherche à séduire, à plaire, à convenir, à ne pas faire d'impair. Andi a bien appris de Sarah quelques bribes de l'histoire familiale, la déportation de certains, les persécutions des autres. Il a pourtant été bien accueilli, malgré sa nationalité. Tous, y compris oncle Joseph et tante Leah - les rescapés - ne lui ont trouvé que des qualités. C'est le jeune homme qu'ils ont rencontré, avec qui ils ont échangé. Pas l'allemand, son histoire personnelle, encore moins le passé de son pays. "Tu leur as beaucoup plu à tous. J'ai eu droit à toutes sortes de compliments sur ton compte : comme tu étais beau, comme tu étais intelligent, et quel charme, quelle modestie, quelle modestie ... Pourquoi aurais-tu voulu qu'ils t'embêtent avec ton histoire ? Ils le savent, que tu es allemand". Pourtant Andi se sent mal à l'aise. Cela a été un sujet de dispute entre eux. La première depuis leur rencontre coup de foudre à Central Park. Pas la dernière.

Et puis, il y a Rachel, la sœur de Sarah. Rachel, juive pratiquante, qui veille sur l'avenir spirituel de ses enfants. Parce que, pour elle, point de salut en dehors de la religion. Il lui est inconcevable que ses enfants n'épousent pas des Juifs, pour
préserver la tradition. Pas de mariage mixte chez elle. Ce serait une perte définitive pour le judaïsme. Andi ne comprend pas ce comportement. Il ne l'admet pas parce qu'il se sent heurté par ce jugement à l'emporte-pièce, cette exclusion arbitraire. Et de la part des amis de Sarah, il y a bien quelques petites allusions sur des expressions en allemand, comme lorsqu'une pagaille extrême est qualifiée de "polonaise" ou encore de répéter plusieurs fois la même chose "jusqu'au gaz". Andi n'accepte pas ces attaques perfides et mesquines sur sa langue, son pays, sa culture, son histoire et tente - tant bien que mal - de se défendre avec ses arguments.

Enfin, il y a le séjour en Allemagne. Andi est tout à son bonheur de faire découvrir son pays, la beauté de ses paysages, sa culture. Andi est heureux parce que Sarah est une femme merveilleuse qui a su se faire accepter par ses parents dès les premiers instants. Première brèche dans ce séjour idyllique, le passé paternel, avec un poste d'attaché économique chargé d'inventorier les œuvres d'art des pays occupés pendant la guerre. Il fallait rassurer Sarah, la mettre en confiance. Pourquoi calmer ses angoisses, sa méfiance ? Parce que de confession juive ? Et une nouvelle fois, Andi de se justifier sur un détail sans importance, sur une phrase, un mot anodin et sans intérêt.

En fait, dans ce couple mixte, tout peut être sujet à dispute. Une parole en l'air, un mot mal employé, un sujet banal, une expression ou une blague stupides, tout est occasion pour Andi ou Sarah de se sentir attaqué. "Leurs familles étaient un sujet scabreux, mais l'Allemagne aussi, et Israël, et les Allemands, et les Juifs, et son travail à lui, et celui de Sarah, la conversation pouvant alors facilement venir sur celui d'Andi. il s'habitua à censurer ce qu'il voulait dire, à préférer taire telle impression critique sur la vie new-yorkaise et, quand il trouvait faux et
prétentieux les propos que tenaient sur l'Allemagne et l'Europe les amis de Sarah, à ne pas le dire".

Jusqu'au jour où Sarah amalgamera Allemand et Holocauste. C'est la goutte qui fera déborder le vase, la phrase de trop, la comparaison systématique qui renvoie toujours à un passé qui n'appelle aucune justification, pas la moindre
explication parce qu'il n'y en a pas. "Ce que tu as à voir avec l'Holocauste ? Tu es allemand, tu as à voir avec l'Holocauste. Et cela préoccupe les gens même quand ils sont trop polis pour te les montrer".

"La circoncision" de Bernhard Schlink aborde deux thèmes sensibles, celui des couples mixtes, d'une part, celui du poids du passé et de la Mémoire dans le couple, d'autre part. Dans un texte limpide et fluide, l'auteur nous interpelle sur la difficulté de faire vivre un amour dans un couple aux origines religieuses et ethniques différentes. Dans le couple Andi / Sarah, c'est lui qui est l'éternel coupable. Il ne peut qu'avoir tort puisqu'il est allemand, l'ennemi historique par définition. Il porte en lui les stigmates d'un passé qu'il connaît, qu'il subit et dont il est - lui aussi - victime par sa naissance. En lisant "La circoncision" on à l'impression qu'Andi ne peut faire autrement que d'accepter son sort de "méchant", même
lorsqu'il tente une explication, une justification de comportement. Sarah, victime éternelle par l'histoire de sa famille, est un être presque insupportable à vouloir à tout prix imposer sa manière de voir à Andi. elle semble persuadée de détenir la vérité vraie, de ne jamais se tromper, de ne pas faire d'erreur de jugement. Au final, on se demande ce qu'Andi pourrait bien faire pour sauver son couple de chamailleries permanentes et usantes. Quand bien même il trouverait une solution, nul doute qu'elle ne conviendrait pas à Sarah, parce que trop ... allemande.

L'avis de Lilly, celui de Rats de biblio ... D'autres peut-être. Faites-le moi savoir dans un commentaire.

9 janvier 2009

MES MISCELLANEES BLOG O TRESORS


Ça y est, c'est fait ... Ou plutôt, elle l'a fait !! Qui ? Grominou a publié depuis hier sa méga-liste pour le challenge Blog-o-Trésor. Parce que c'est elle qui a fait le plus gros du travail. Et pour l'avoir parcouru hier au soir, je peux vous dire qu'il y a matière à trouver son bonheur pour tous ceux (?) et celles qui ont décidé d'y participer. Imaginez une compilation de 785 livres répertoriés en une liste alphabétique permettant de faire un choix judicieux. Un tel travail mérite toutes nos félicitations, parce qu'il faut du courage et de la volonté pour synthétiser les 115 listes de 10 livres des participants, éviter les doublons et mettre à côté de chaque titre le nombre de fois où celui-ci a été cité. Un mot : BRAVO !

Après les remerciements, passons donc à la liste que j'ai établi. Je l'ai conçu en gardant à l'esprit la monstrueuse PAL que je possède. Je n'ai donc choisi que des livres qui attendent d'être (re)lus ou que je possède depuis des lustres dans ma bibliothèque et qui finiront en poussière s'ils ne sont pas lus incessamment. So, let's go :
  • Vent d'Est, vent d'Ouest - Pearl Buck
  • La petite fille de M. Linh - Philippe Claudel
  • La promesse de l'aube - Romain Gary
  • Si c'est un homme - Primo Levi
Mais, vu la liste de Grominou et les tentations, rien ne dit que je ne ferai pas deux fois ce challenge dans l'année !!

6 janvier 2009

LE POIDS DU PASSE

  • Un secret - Philippe Grimbert (Livre de poche n°30563)


"Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible".

On sait combien il est difficile d'être un enfant unique. Très fréquemment, ces enfants s'inventent une fratrie invisible, une histoire familiale revue et corrigée d'eux seuls connue, des secrets partagés à jamais enfouis. Le narrateur a toujours su qu'il avait un frère. Plus qu'un désir, une certitude venue d'on ne sait où, née de l'inconscient. C'est une vieille peluche flétrie qui va lui permettre de matérialiser cette relation. Son frère, il le veut - et le sent - comme un être fort, supérieur, triomphant, dominant toutes les disciplines où il échouait. Lui qui était né malade, frêle, fragile et malingre, voulait son double sportif, sain, résistant. "[...] je me plantais devant le miroir pour inventorier mes imperfections : genoux saillants, bassin pointant sous la peau, bras arachnéens. Et je m'effarais de ce trou sous le plexus dans lequel aurait tenu un poing, creusant ma poitrine comme l'empreinte jamais effacée d'un coup".

Normal de se l'imaginer ainsi lorsque ses propres parents sont des athlètes, bronzés et musclés, qu'ils tiennent un magasin de gros où se fournissent les boutiques de sport en vêtements divers. Cet enfant sagace qui se délecte des étiquettes des
rayonnages pour mieux inventer les silhouettes des nageuses et autres gymnastes a une confidente - bien réelle - Mademoiselle Louise, qui a un cabinet de massage dans le même immeuble que l'entrepôt paternel. Ils se reconnaissent l'un dans l'autre, complices de leur différence, partageant leur handicap. A Louise, un pied-bot, au narrateur, une maigreur cadavérique. "Certains jours plus propices à la confidence, Louise racontait l'enfance d'une petite fille boiteuse, moquée, vivant dans l'ombre de ses camarades plus agiles. Je m'y reconnaissais. Je voulais en savoir davantage mais très vite, comme à chaque fois qu'elle abordait un sujet pénible, lui venait ce même geste pour écarter la douleur : elle balayait l'air de ses mains et plantait son regard interrogateur dans le mien, attendant mes confidences".

Se rêvant une famille parfaite avec un frère créé de toutes pièces - jumeau spirituel et double idéal - le narrateur va supposer la rencontre de Maxime et de Tania, ses parents, à partir de morceaux épars lâchés par bribes. De ce patchwork d'informations, il va coudre une vie modèle. Un père gymnaste qui veut faire oublier ses modestes origines d'Europe Centrale. Tania, belle et douée d'un sens artistique certain, défilant pour les couturiers et dessinant des modèles pour les journaux de mode. Ils se rencontreront à L'Alsacienne, leur club de sport. Ils s'aimeront, se marieront. Et la guerre arrivera. La guerre, cette période bénie aux dires des
parents, passée quelque part à Saint-Gaultier dans l'Indre. Une vraie parenthèse de bonheur dans un monde de violences, de deuils. Puis la libération et le retour à la vie normale, comme si rien ne s'était passé, les retrouvailles avec la famille, les amis et Louise, déjà fidèle au poste.

Qu'il est doux le temps de l'enfance fait d'exquises chimères et romanesque à souhait, images d'Épinal d'une époque révolue où tout finissait toujours bien. Où la cruauté, la méchanceté n'étaient pas de ce monde. Mais la réalité des adultes est souvent à des années-lumière des divagations enfantines et des trésors d'imagination déployés pour s'adoucir le quotidien. Ce sont ses quinze ans qui feront violemment basculer le narrateur dans le passé familial. Et, une fois de plus, c'est Louise qui sera la passeuse de mémoire, la gardienne d'une histoire lourde à transmettre. "Le lendemain de mes quinze ans, j'apprenais enfin ce que j'avais toujours su. J'aurais pu moi aussi coudre l'insigne à ma poitrine, comme ma vieille amie, fuir les persécutions, comme mes parents, mes chères statues. Comme tous ceux de ma famille. Comme leurs semblables, ces voisins, ces inconnus, dénoncés par la dernière syllabe de leurs noms en sky, en thal ou en stein".

Quinze ans ou la fin des illusions. L'entrée fracassante dans la sinistre réalité, dans l'odieux quotidien d'un passé aux couleurs grises et obscures. D'un coup, trois prénoms se gravent dans son esprit : Robert, Hannah, Simon. Enfin, ce frère
évanescent, inventé, façonné, a un prénom, une histoire. Simon qui a connu le magasin rue du Bourg-l'Abbé, qui a fait la fierté de son père par sa force, sa puissance, sa santé robuste. Simon qui a connu et aimé Louise, lui a raconté ses petits secrets et ses grands bobos d'enfant. L'histoire familiale n'est pas aussi heureuse que dans les récits. Le quotidien est source d'angoisses, les familiers se transforment en danger réel ou potentiel, la terreur prend toutes les formes. Maxime refusera obstinément de voir la vérité, cruelle. Il refusera le port de l'étoile jaune, symbole du reniement, de l'exclusion, marque de la différence et du rejet, parce que rien ne le distingue des autres. "Maxime balaye avec colère ces arguments : rien ne le désigne aux yeux de l'ennemi, pourquoi l'inquiéterait-on ? A-t-il le nez aquilin, les doigts crochus, le menton fuyant que les affiches de la terrible exposition du palais Berlitz proposent aux Parisiens pour leur permettre de reconnaître les ennemis de la France ?". Maxime reprochera à ses proches leur attitude mièvre, défaitiste, servile face à la fatalité. Pour lui, il faut fuir, quitter ces lieux où le danger est permanent. Partir se faire oublier, être quelqu'un d'autre, vivre sous une autre identité. Tout pour passer au travers des rafles qui embarquent tout le monde, Français et Apatrides. Simon, lui, n'aura pas cette chance.

"Un secret" de Philippe Grimbert est un livre sépulture, presque un kaddish - prière des morts dans la religion juive -, en hommage à ce frère qu'il portait dès avant sa naissance en lui. Dans une langue sobre, simple, pure et limpide, sans lyrisme ni
pathos, l'auteur nous fait partager ce secret si lourd à porter et à vivre pour un jeune garçon. Comment un enfant, par essence innocent, peut-il endosser le poids d'une histoire si pesante, celle de sa famille et de son frère, d'un passé si difficile à raconter, à dire, à accepter ? Pourquoi cet enfant porte-t-il, inconsciemment, une culpabilité jamais effacée, lui qui n'était pour rien dans cette tragédie humaine ? Telles sont les questions que l'on peut se poser à l'issue de ce livre si émouvant, nous touchant tous quelque part, au fond de nous-mêmes, parce qu'il nous parle d'une enfance massacrée, anéantie, annihilée, par l'absurdité des adultes. On ne peut s'empêcher de détester certains personnages du "Secret", coupables expiatoires d'un drame inconcevable qui les dépassait tous. Au final, c'est l'empathie qui prédomine parce que chacun - à leur niveau - portera le fardeau de l'indicible.

L'avis de Sylire sur le film éponyme qu'elle a trouvé conforme au livre très émouvant et sensible, celui de Biblioblog, celui des rats de biblio tous enthousiastes, Mireille de Passion de lire qui a trouvé ce livre sobre où tout est suggéré, Anne-Sophie de La Lettrine nous parle de ce qui fait l'intérêt de ce livre, Belle de nuit l'a trouvé bouleversant et inoubliable, BlueGrey nous parle d'une histoire universelle, Joelle a trouvé cet ouvrage artificiel et n'a pas été touchée, pour Jules ce livre a été une belle découverte, Lilly l'a trouvé - elle aussi - bouleversant, Lou pour qui l'auteur mérite notre respect, l'avis d'une autre Lily, Kali a été touchée par ce récit, Mirianne a été touchée par l'histoire au moment où elle se révèle... D'autres ont certainement lu ce livre, faites-le moi savoir dans un commentaire.

4 janvier 2009

BILAN 2008


Un bilan rapide et synthétique des lectures qui m'ont touchée en cette année 2008. Pas de comptabilité, ni de statistiques comparatives sur les livres lus d'une année sur l'autre. Je ne suis pas sur mon blog pour y faire des exercices mathématiques ou me livrer à des ratios pour études commerciales !! Juste un petit tour d'horizon pour le plaisir de rappeler quelques ouvrages marquants.

Mes coups de cœur :
  • Les Âmes grises - Philippe Claudel
  • Les Disparus - Daniel Mendelsohn
  • La formule préférée du professeur - Yoko Ogawa
J'ai adoré :
  • L'Immeuble Yacoubian - Alaa El Aswany
  • Le portrait de Madame Charbuque - Jeffrey Ford
  • Le joueur d'échecs - Stefan Zweig
J'ai aimé passionnément :
  • Une femme à Berlin - Anonyme
  • La femme gelée - Annie Ernaux
  • La pleurante des rues de Prague - Sylvie Germain
  • Inconnu à cette adresse - Kressmann Taylor
J'ai beaucoup aimé :
  • Washington square - Henry James
  • Dora Bruder - Patrick Modiano
  • Requiem pour un paysan espagnol - Ramon Sender
  • Le mur entre nous - Tecia Werbowski
J'espère que cette nouvelle année 2009 sera encore plus riche en coups de cœur et autres bonheurs littéraires que j'aurai la joie de vous faire partager.

2 janvier 2009

LES AILES BRISEES

  • Courriers de nuit - Olivier et Patrick Poivre d'Arvor (Livre de poche n°30679)


Qui n'a jamais rêvé de voler, de se sentir pousser des ailes tel un oiseau, de glisser sur le monde, de planer au-dessus des éléments ? Si la réponse est moi, alors passez votre chemin, relisez tous les livres de Saint-Exupéry, "Mermoz" ou "L'équipage" de Kessel, d'autres encore, la liste n'est pas exhaustive. Tout ce que vous voulez, mais évitez "Courriers de nuit" d'Olivier et de Patrick Poivre d'Arvor. Il vous coupera les ailes du désir ; vous les brisera net. Ce qui était une belle promesse de balades par-delà les mers et les océans, les déserts et les chaines montagneuses de France, d'Afrique et d'Amérique latine, n'aura été qu'une suite aride de biographies aux multiples détails souvent sans grand intérêt. Je pèse mes mots. C'est la déception qui dicte ces quelques phrases venimeuses.

Au départ, pourtant, l'introduction pouvait laisser croire à un beau livre d'aventures humaine et technique, celle de l'Aéropostale. Une nuance, cependant. nos deux écrivains n'y parlaient que d'eux ! De quoi mettre la puce à l'oreille à quelqu'un d'averti. Je ne me suis pas méfiée. Ils se mettaient en avant, rappelant leur enfance faite de rêves "de petits princes ou de grands pilotes". Quoi de plus naturel, surtout lorsque votre grand-père se nomme Numa Castelain. Vous ne connaissez pas ? Pas de soucis ! "Courriers de nuit" vous apprendra qu'il est à l'origine de la Patrouille de France après avoir été vrai héros de la Grande Guerre, pilote émérite ayant abattu de nombreux avions ennemis et des zeppelins, et ami de Saint-Exupéry, de Mermoz et de Guillaumet. Et leur grand-mère, Gabrielle ? C'était une proche de Consuelo, la veuve d'Antoine de Saint-Exupéry. C'est bien. C'est beau. Est-ce suffisant pour en faire un livre ? Je n'en suis pas du tout persuadée, encore moins convaincue. Mais continuons encore un peu sur la planche savonneuse qu'est "Courriers de nuit".

"Courriers de nuit" fait immédiatement penser à "Courrier sud" de Saint-Exupéry.
Je vous arrête de suite, au risque de broyer définitivement vos rêves d'envolées lyriques. Circulez, il n'y a rien à voir, rien à comparer. On n'est pas dans le même monde. Ici, c'est plutôt le règne de la glaciation. Je suis odieuse ? J'assume. Je suis frustrée ? Bien sûr. Plus encore. Déçue, désappointée. La suite, s'il vous plait. Parce que j'ai lu. Quand même. Un peu. Une centaine de pages environ sur les 250 pages de l'ouvrage. Ce que j'en ai retenu ? Que nos trois légendes de l'aviation n'auraient jamais pu se rencontrer si l'Aéropostale n'était pas sortie du cerveau génial d'un certain Pierre-Georges Latécoère, homme d'affaires, homme du monde, dandy, risque-tout, homme à femmes. Pourquoi n'auraient-ils pas pu se fréquenter ? Tout simplement parce que Antoine de Saint-Exupéry était né vicomte à Lyon, Jean Mermoz dans une auberge dans les Ardennes et Henri Guillaumet, pauvre paysan en Champagne. De la vieille aristocratie au servage ! Quoi d'autre ? Que l'exploit de Louis Blériot qui traversera le premier la Manche en trente-sept minutes, mettant l'Angleterre à portée d'ailes, déterminera leur vocation commune.

Le reste ? Quelques bons moments épars où l'on apprend deux trois éléments sur ces pionniers. Rien de plus. Je n'ai pas pu aller plus loin. Trop aride, trop sec, trop froid. On envisage la fin inexpliquée de Saint-Exupéry et on connaît la chute de ses autres compagnons d'infortune. Il manque du liant, de la vie, de la rondeur, de la chaleur. On se perd dans des riens insignifiants. On a l'impression que "Courriers de nuit" est une succession d'histoires personnelles mises bout à bout pour en faire un roman d'aventure humaine. C'est loin d'être suffisant. Un roman à quatre mains doit sans doute être difficile à écrire, chacun y mettant sa part de personnalité, sa façon de ressentir l'événement, le sujet. De là à ruiner un thème aussi riche et vivant que les débuts de l'aviation civile, il y a un grand pas que Olivier et Patrick Poivre d'Arvor n'ont pas hésité un instant à franchir. Un point positif, ils connaissent leur sujet, le maîtrise, parce que l'on sent que c'est une vraie passion pour eux.

Je refuse de croire que ces deux-là soient des écrivains surfaits, l'introduction prouverait - à elle seule - le contraire. La lecture de "Courriers de nuit" est une erreur de ma part. Je n'ai pas accroché, n'y ai pas adhéré. Tant pis. Il me reste "Disparaître" dans ma PAL, sur la fin de Lawrence d'Arabie. J'espère me réconcilier avec eux à cette occasion !