27 février 2009

L'ESPRIT JAPONAIS

  • Le corps japonais - Dominique Buisson (Hazan Éditions)


Alors que je participe au swap organisé par Goëlen sur le Japon, je me suis aperçue que je connaissais très peu de choses sur ce pays si éloigné de l'Europe sur de nombreux points. Aussi, lorsque errant dans les travées de la médiathèque à la recherche d'un ouvrage original sur l'art dans cette région, je suis tombée inopinément sur "Le corps japonais", je me suis dit que c'était là un sujet atypique et original pour mieux connaître cette énigmatique contrée. Neuf thèmes sont abordés autour du corps physique ou spirituel et son histoire culturelle, du sacré à la mort en passant par les codes sociaux ou amoureux, la gestuelle ou le maquillage.

Alors qu'en Occident le corps existe par lui-même depuis la Renaissance, au Japon il est irrémédiablement lié à son environnement. Véritable don du ciel, le corps ne peut être ni modifié, ni déguisé parce qu'il appartient à un grand tout. Vivant dans une double tradition religieuse - le Shintô et le Bouddhisme -, peuplée de croyances, d'esprits de la nature et de dieux ancestraux, le Japonais participe à des rites de purification et de respect des saisons pour s'attirer les bonnes grâces des puissances surnaturelles. Selon le Shintô, l'homme se doit de prendre soin du corps dont il dispose pour atteindre l'harmonie. Ainsi, dès l'enfance, le Japonais - placé sous la protection des divinités - est conditionné par des comportements issus de la religion, dont les plus importants restent les rituels
du bain et la pratique des arts de cérémonie, tels celui du thé. Le rite du bain est sacré, car synonyme d'équilibre et de symbiose avec la nature.

Les relations sociales ont longtemps été soumises aux règles du confucianisme, conçu pour gérer les droits et les devoirs de
chacun. Les Japonais ont longtemps été contraints par une autorité supérieure : cadet-aîné, parent-enfant, maître-élève, mari-épouse, suzerain-vassal, et même l'empereur qui devait rendre des comptes à la déesse du soleil, son ancêtre direct. C'est avec la restauration de l'ère Meiji et l'introduction de la civilisation occidentale que l'influence de l'étiquette se limitera aux cérémonies et autres rituels. Cependant, dans la vie quotidienne, certaines règles sont encore très prégnantes, comme celles de saluer, prendre un bain, se coiffer ou s'habiller, se comporter en public.

Tout au long de son existence, le Japonais contractera un ensemble d'obligations morales qu'il devra impérativement rembourser à l'empereur, à l'État, à ses parents, à ses ancêtres, à ses supérieurs, à son maître. Dans ce pays de la déférence, deux symboles survivent encore et toujours, le sourire et le salut. Dès sa naissance, l'enfant japonais apprend à saluer. C'est un élément complexe qui dépend des relations entre les personnes, de la différence de statut social et du fait d'être un homme ou une femme. De même, le sourire - si énigmatique pour les occidentaux -,
est une convenance pour communiquer. Il agit comme un rempart pour contrôler ses émotions, mais aussi pour éviter la honte de certaines situations. Dans ce pays où règne l'ambiguïté, deux principes coexistent, celui que l'on doit au monde extérieur et celui que l'on doit à soi-même, qui mènent parfois à une forme d'indifférence à l'autre dès que le Japonais se trouve dans la rue, seul endroit où les obligations disparaissent.

Si, à l'Occident la sexualité a longtemps été liée au Mal, au Japon le plaisir n'est pas condamné, mais
ne doit pas troubler l'ordre public ni entacher le nom d'une honte indélébile. Durant plusieurs siècles, la prostitution a été considérée comme un art à part entière. Et si la sexualité s'exerce de façon discrète et raffinée, le corps nu n'hésite pas à se donner en spectacle quand il est symbole de fertilité et de pureté originelle. Des sanctuaires phalliques lui sont consacrés et l'exposent tout comme dans les estampes, conçues pour l'initiation sexuelle. Le corps est aussi affiché au tout venant dans le train ou le métro bondé par la lecture des mangas érotiques qui offrent un catalogue illimité des déviances et cruautés sexuelles possibles.

De même, l'homosexualité n'a jamais été un motif de condamnation morale au
Japon. Jusqu'à la fin du 19ème Siècle, les guerriers et les moines considéraient que l'amour pour un autre homme était une passion plus élevée et plus spirituelle que celle portée à une femme. Si l'homosexualité subit juste les interdits de la société elle reste une pratique souterraine entre l'exhibitionnisme des travestis de Golden Gaï ou du quartier de Shingubu de Tokyo et la discrétion des jeunes gens en faisant l'expérience avant le mariage. Actuellement, on trouve une féminisation de l'homme chez les jeunes gens maquillés avec ostentation et richement vêtus, surnommés les garçons paons.

Concernant le maquillage, il reste - avec le tatouage et le masque - un moyen de
prouver l'immatérialité de l'âme. Au Japon, cet art est poussé à l'extrême et très sophistiqué, tissant un ensemble de codes complexes. De nos jours, une Japonaise en kimono renoue avec le passé des anciennes dames de cour au teint blanc et aux sourcils redessinés. L'acteur de Kabuki ou de spécialisé dans les rôles féminins, l'interprète par son maquillage ou son masque. Le tatouage, expression de la virilité, était un ornement au 18ème Siècle pour les intellectuels et les artistes, marque de courage ou appartenance à une corporation au 19ème Siècle, avant d'être considérée comme une subversion malsaine devant être cachée au 20ème Siècle.

Toujours dans l'art et le maquillage, le théâtre au Japon est très présent dans la société. Quatre types se côtoient : le Bugaku représentant le raffinement aristocratique associant danses et musiques élégantes ; le issu de la classe guerrière, transcrivant les tourments des âmes, il est joué avec des masques en bois ; le
Bunraku n'utilisant que des marionnettes et le renommé Kabuki, théâtre populaire traduisant la beauté cruelle ou émouvante des états d'âme. A côté de cet art scénique classique au Japon, on trouve un théâtre underground, le Butô, anti-danse exprimant la difficulté de vivre dans un pays obsédé par la honte de la défaite et refusant le matérialisme de la société moderne.

Dans "Le corps japonais", on trouve un tableau très vaste mais non exhaustif de la société japonaise actuelle. Grâce à ce très bel ouvrage, le lecteur apprend une foule d'éléments peu ou mal connus en Occident et permettant de mieux comprendre certains modes de pensées, d'actions et des comportements qui peuvent parfois nous choquer, nous heurter, nous gêner. Présenter en neufs chapitres à l'iconographie riche, belle et précieuse, on découvre un pays aux habitudes ancestrales et qui - pour la plupart - perdurent encore de nos jours, même si elles sont atténuées. "Le corps japonais" aborde le monde et la vie du Japonais en général, de la naissance à la mort, en passant par l'art, l'architecture ou la religion. C'est un livre d'art qui se lit comme un essai sur le fonctionnement de la société actuelle aux prises avec son passé, son histoire, ses codes et ses rites.

23 février 2009

SOEUR SOURIRE DE LA BD

  • Carmen Cru - Lelong - Intégrale Tome 1 (Audie/Fluide Glacial)


Qui ne connait pas Carmen Cru, la petite vieille autiste de la bande dessinée ? Pour les quelques rares qui seraient passés à côté de ce phénomène de la nature, je vais tenter de vous en brosser un rapide portrait.

Carmen Cru est une pie-grièche sans âge, acariâtre, venimeuse, méchante comme la teigne, qui ne parle pas ou - quand elle parle - c'est pour sortir des horreurs à tous ceux qui l'entourent et la supportent. Elle est née il y a très, très (trop ?!) longtemps pour s'en souvenir, sans doute avant la guerre - la Grande - peut-être même avant 1870. Elle traîne avec elle un vélo qui date de la même période avec un cageot pourri en bois. Un conseil, si vous en trouvez un comme le sien, gardez-le ! On en fait plus depuis longtemps !

Physiquement, Carmen Cru porte sur son visage les stigmates des bêtises vue, vécues et entendues tout au long de son existence. Et elle en a vu ! Deux yeux exorbités et strabiques qui vous fixent et vous glacent les sangs, un nez proéminent avec une verrue pour accentuer encore ce regard de sorcière à l'âge canonique. Un menton
crochu et velu, une mâchoire édentée depuis belle lurette, des mains aux doigts coudés et rabougris par une arthrose déformante, une paire de charentaise aux pieds et un chapeau cloche vissé sur la tête. Voilà un portrait saisissant de cette infâme rombière apparue dans "Fluide Glacial", le magazine d'Umour et Bandessinées en 1982.

Carmen Cru use et abuse de son grand âge et de sa
supposée fragilité mentale pour vivre comme bon lui semble. Refusant obstinément la société et son époque, elle est le symbole d'une certaine France, nostalgique des années 1950, cultivant un art de vivre unique en son genre, celui de la France profonde, volontiers râleuse, grincheuse et contestataire. Elle profite de son déclin physique et mental pour vivre de l'humanité de son entourage et ne rien payer partout où elle passe ! Adepte des fernet-branca qu'elle avale comme on boit du petit lait ou de vins chauds accompagnés de gâteaux secs, cette harpie n'hésite jamais à faire partager ses douceurs aux petits enfants. Et quand ce n'est pas avec du vin chaud que la mémé empoisonne les petits qu'on lui impose, Carmen Cru distribue aussi ses chiques de tabac !

Dans l'intégrale "Brut de décoffrage", c'est une Carmen Cru égale à elle-même, odieuse, peu amène, roublarde en diable, malicieuse et pas souriante du tout que l'on lit avec avidité, un sourire au coin des lèvres et le ricanement permanent. On y trouve pêle-mêle une série de sketches toujours drôles, parfois émouvants et touchants ou hilarants. Ainsi "Les escrocs" avec une Carmen Cru décidément en forme olympique, qui confond -intentionnellement - anciens et nouveaux francs (la
BD date des années 1980) et perturbant le fonctionnement des machines performantes de l'Ecureuil. Avec "Le cageot cassé", elle coupe le courant à toute sa cour d'habitation pour le seul plaisir de les polluer. On rencontre à cette occasion quelques personnages récurrents de cette BD, dont Poupi Mouvillon, le voisin atrabilaire, anti-vieux, nationaliste et xénophobe de Carmen Cru, mais aussi le concierge de cette arrière-cour surréaliste où la misère morale et intellectuelle semble s'être donnée rendez-vous pour se pourrir l'existence, M. Raoul. Ivrogne mais magnanime avec sa sympathique voisine, il passe son temps à lui porter sa bicyclette de la rue à la bicoque et retour. "Le portrait artistique" est sans aucun doute une des saynètes les plus drôles de cette intégrale, avec une Carmen Cru qui décide de se faire tirer le portrait pour l'envoyer à sa mère (?!). Un vrai portrait, digne des momies égyptiennes embaumées avec un sourire d'outre-tombe !

Dans cette intégrale, on fait aussi la connaissance d'un des personnages principaux de cette BD hors norme dans le 9ème Art, Monsieur l'abbé. Toujours généreux avec plus faible que lui, il passe presque tout son temps libre à rendre service à une Carmen Cru revêche et peu accort. A chacune de leur rencontre, M. le curé raconte avec toute sa verve, sa faconde et son langage fleuri ses souvenirs et ses déboires mécaniques avec le garage à vélo du séminaire. Dans "Le terreau", il vient encore
en aide à une Carmen Cru toujours aussi agréable qui a décidé de préparer son jardin. Et où va-t-elle trouver son terreau, mémé ? Au cimetière de son patelin perdu, parmi les tombes oubliées depuis des lustres par les familles de certains morts ! S'ensuit une série de gags truculents entre l'abbé et la petite vieille.

"Le caniveau" met en scène Carmen Cru avec un éboueur noir croisé dans la rue. Dans un geste de philanthropie comme on lui en connaît peu, elle lui proposera de venir dans son jardin pour y manger les asticots, les limaces et autres bêtes gluantes et rampantes, persuadée qu'elle est que tous les Africains sont cannibales ou mangent des vers ! "L'héritage" avec le neveu de l'infâme grabataire. Idiot congénital, ivrogne et fainéant, c'est un autre personnage récurrent de la bande à Carmen. Toujours intéressé par le devenir de sa Tanti qui le déteste et n'hésite à le lui rappeler à chacune de ses visites, leurs rapports sont toujours froids, pour ne pas
dire gelés voir glaciaux ! Pour se venger de ne pas avoir pu récupérer une photo de famille, la vieille revêche lâchera les cochons dans le jardin de la ferme.

La dernière partie de cette intégrale, outre les habitués de la BD, on rencontre une Carmen Cru allant à la bibliothèque et qui n'hésite pas à déchirer les pages
intéressantes dans les livres. Et quand le bibliothécaire la menace d'une amende pour dégradation d'ouvrage, l'aïeule détourne le problème en accusant son voisin de table de vol de livres. Dans "Trois heures du matin", elle devient malgré elle mémé à chats qu'elle voudrait bien noyer pour s'en débarrasser, mais qu'elle refile en douce à M. Raoul, son gardien ivrogne. Enfin, dans une ultime saynète, Carmen Cru met la pagaille dans le courrier de son voisinage pour retrouver la lettre envoyée par sa mère (?!) pour son anniversaire. Elle refusera de payer la taxe pour le timbre périmé d'avant-guerre et se verra menacer d'expulsion par Poupi Mouvillon.

Voici, par l'intégrale "Brut de décoffrage", un portrait sur le vif de cette vétérante de la bande dessinée qui réussit malgré sa méchanceté, sa scélératesse et son aigreur à nous émouvoir et à nous la rendre attachante, sans doute par les quelques confidences qu'elle nous distille sur sa vie. Car, à y regarder de plus près, Carmen Cru n'est pas simplement une BD d'humour. C'est aussi - et avant tout - une série d'historiettes sur la solitude, la décrépitude et l'outrage du temps. Avec la série "Carmen Cru", et la vie de la vieille recluse dans sa bicoque au fond d'une
arrière-cour insalubre, c'est toute la misère des personnes âgées, esseulées, oubliées, voire abandonnées que l'on lit entre les lignes. Même les personnages - dignes des romans naturalistes de Zola ou de Huysmans - traînent dans leur sillage toute les calamités de la société : l'alcoolisme, exclusion, bêtise, pauvreté, égoïsme, intérêt, xénophobie, et j'en passe. Au fond, à la fin de cette lecture délassante, on se dit que ce n'est pas Carmen Cru qui est détestable, c'est surtout la société et les autres qui sont haïssables. Leurs travers, leurs manies, leurs volontés de faire enfermer cette petite vieille ou de l'expulser de chez elle, la rend au lecteur de cette BD encore plus touchante et pathétique !

22 février 2009

VIENNE, BELLE AU BOIS DORMANT


"Comment ne pas être émue par ces façades anciennes bleu crème, vert pâle, grises, jaunes et ocres, ces enseignes et ces noms de rues écrits dans une typographie gothique, ces vieux tramways rouge et blanc, ces panneaux de signalisation quasiment au cœur de la ville, indiquant qu'il fallait bifurquer à gauche vers Budapest et Bratislava, à droite vers Prague ? Elle se sentait ramenée des décennies en arrière en observant ces piétons qui patientaient aux feux et n'imagineraient pas traverser au vert, bien qu'aucune voiture ne passe. Elle regardait leurs visages osseux, campagnards. Des hommes sans goût, des femmes dénuées de grâce. Elle s'étonnait de l'alternance entre des immeubles plutôt bas, dont certains d'une grisaille semblable à celle des banlieues parisiennes, puis presque aussitôt des bâtisses rococo sorties tout droit d'un décor d'opérette, et partout des rues incroyablement désertes pour une heure d'affluence dans cette grande avenue d'une vaste capitale. Décidément, elle n'avait rien vu de son précédent voyage. Maintenant qu'elle était seule, elle avait l'impression de regarder Vienne pour la première fois. Dans cette ville où l'est l'emportait sur l'ouest, où le maigre soleil d'hiver à peine levé semblait prêt à se coucher, les Viennois faisaient mine d'entrer à tout petits pas dans un XXe siècle dont la grande partie de l'Europe tournait déjà allégrement la page. Etait-ce le poids des sucreries ou celui des souvenirs qui faisait de Vienne une ville assoupie, au bois dormant ?".


Extrait - "Café viennois" - Michèle Halberstadt

19 février 2009

COMME UN CHANT TZIGANE

  • Petite, allume un feu ... - Martin Smaus (Syrtes Éditions)


Andrejko Dunka aurait eu de qui tenir. Né tzigane dans une famille dont le père et le grand-père étaient tout à la fois voleur et dresseur de chevaux et un oncle - Ferko - qui avait dû fuir le village à la suite de quelques soucis avec les habitants du coin, son avenir était tout tracé. Andrejko ne pouvait que devenir pickpocket. Ce qu'il a commencé à faire inconsciemment dès l'âge de quatre ans avec la chaîne en or et la montre de l'oncle Ferko. Admiratifs devant autant d'audace, la famille décide d'envoyer l'enfant à Prague parmi les voleurs des rues de la capitale tchèque. "Pour donner à Andrejko le bon exemple, l'oncle ne chôma pas, même cette nuit-là. Il disparut à deux ou trois reprises dans le train où régnait le silence et lorsqu'au matin, à Prague, il sortit de ses poches des papiers d'identité et qu'il compta des billets de banque tout froissés, cela sembla au petit Andrejko tout à fait naturel".

A peine arrivé à Prague, le petit - arraché à l'amour des siens et plus particulièrement à celui de sa douce maman, la belle Maria - est laissé aux bons soins de la tante Ida et de l'oncle Stefan, respecté du clan Dunka à cause de son passé de mineur et de sa pension d'invalidité. Sachant que les gadjé allaient s'apitoyer sur un enfant maigre, grelottant, décharné, morveux et pleurnichard, Andrejko commencera sa vie dans les rues de Prague pour gagner sa pitance. Dans
cette nouvelle habitation, les parents Dunka vont et viennent au gré des vols et autres chapardages. Et comme l'appartement est bien trop petit pour contenir tout ce monde en transit, les plus jeunes font de la rue leur seule et unique demeure. En voyant cette farandole d'adultes égarés et d'enfants perdus, Andrejko comprend très vite que le nerf de la guerre, c'est l'argent. Pour lui, pour ses jolies cousines Anetka et Jolanka, pour ses futurs enfants, il veut et exige le même avenir que les gadjé. "Les enfants tziganes, débraillés, flânaient rue Matejska en faisant la manche pour s'acheter de la barbe à papa et lorgnaient d'un œil envieux les enfants gadjé qui faisaient des tours de manège ou de balançoire. Les enfants tziganes s'arrêtaient près des vitrines des jouets ou devant la pâtisserie, alléchés par l'odeur de tartes qui sortaient du four et du chocolat chaud, le nez collé contre la vitrine derrière laquelle se bousculaient les petits gadjé avec leurs ours en peluche et leurs poupées, les garçons en blouse de marin et les filles en robe rose, avec des nœuds dans les cheveux ; [...] Face à une telle injustice, Andrejko n'arrivait pas à trouver le sommeil et passait des nuits entières à sangloter ; les doigts crispés sur la croix de sa mère, il écrasait ses larmes sur ses joues sales".

Petit de taille, son terrain de prédilection pour le vol à la tire sera le tramway et l'autobus bondés, le magasin surpeuplé où Andrejko passe inaperçu. Mais le petit est
doué et il apprend vite et bien. Il invente sans cesse de nouvelles combines pour gagner toujours plus d'argent. Et c'est l'oncle Stefan qui récolte et boit le fruit de ses larcins parce que, selon lui, un vrai tzigane qui se respecte ne travaille pas. Mais l'habileté et la dextérité d'Andrejko ne lui attireront pas que des sympathies, même parmi ses cousins, qui voient en lui un sérieux concurrent. Comme souvent chez les Dunka, les problèmes se règlent à coups de pieds, de poings et de couteaux bien sentis. Les jeunes, oubliant la tradition séculaire de respect, veulent jouer les caïds et les gros bras. Seulement, la justice des gadjé est la même pour tous, tzigane compris. Andrejko et ses cousins connaîtront l'enfermement et la maison de correction où la loi du plus fort prédomine.

Une fois de plus, Andrejko réussira à fuir et à trouver refuge dans le village où il a vu le jour, celui de la patrie des Dunka, Poljana. Il y sera accueilli et hébergé par des gadjé. On lui apprendra à revivre après les épreuves subies, à renaître de ses cendres. Il tentera de se socialiser, de s'intégrer dans un monde créé par et pour les gadjé et où les tziganes n'ont pas droit de citer. Mais la vie est dure. De prison en asile psychiatrique, Andrejko errera comme une âme en peine, cherchant sa voie et sa place dans une société trop rigide pour un jeune tzigane avide de liberté. Le nouveau régime politique, ce vent de liberté et de paix, venu de très loin, lui offrira cette délivrance. Il retrouvera les siens pour mieux les fuir, choisissant une
autre voie que celle toute tracée. Quitter cette fange, cette jungle des grandes villes et ses tentations maléfiques. Andrejko partira pour la campagne, pour un retour aux sources, aux origines de son clan. Lui qui rêve d'une vie plus saine, plus pure, plus propre, amènera Anetka sa cousine pour se construire un avenir plus beau, plaçant les valeurs morales au-dessus de tout.

A travers l'histoire sombre et tragique d'Andrejko, le lecteur de "Petite, allume un feu ..." perçoit celle de tout un peuple, les tziganes d'Europe centrale et orientale. Par les Dunka, c'est toute l'épopée de ces gitans haïs et honnis de tous que l'on découvre. A peine installés dans un quelconque hameau, ils sont repoussés aux marges de celui-ci par ses habitants. Considérés pire que les juifs, ils en partageront souvent le sinistre sort lors de l'invasion de la région par les nazis. Lorsque les russes chasseront les précédents, les Dunka et les autres tziganes devront partir à nouveau, considérés - une fois encore -, comme des parias, des sans-terre, des asociaux, des dangers potentiels pour le communisme. Marginalisés, mis au ban de la société, ils n'auront d'autres choix que celui de la débrouille, de l'art et de la manière de tricher, de feinter, de gruger, de mentir, de se servir du système pour continuer à vivre libre comme leurs ancêtres. La liberté d'être et d'aller où bon leur semble est leur credo, leur chant, leur litanie. Les enfermer, les
sédentariser, revient à les faire mourir, à détruire tout ce qui fait la matière originelle de leur culture. Dans une écriture belle, tout à la fois poétique et âpre, réaliste, l'auteur nous raconte l'histoire de ce peuple si peu ou si mal connu, rejeté de partout et de tous, ou presque. "Petite, allume un feu ..." est une ode à cette liberté, pleine, entière et totale. De celle qui ne mérite aucune concession, parce que la plus exigeante. Cette liberté d'aller, au gré des humeurs, du temps, de l'envie, d'être et de vivre comme les Anciens. Dans ce roman construit comme un conte oral, Martin Smaus nous parle d'une histoire unique qui s'inscrit dans notre patrimoine universel.

Un merci sincère à Babelio et aux éditions des Syrtes qui, grâce à l'opération Masse Critique, m'ont ouvert à un monde quasiment inconnu et que j'ai pris plaisir à découvrir par ce superbe roman. Ce roman est sorti aujourd'hui en librairie. J'ai donc eu la chance de lire ce livre en avant-première et j'en suis très heureuse.

13 février 2009

CAUCHEMARDESQUES NOUVELLES

  • Plongée dans la vie nocturne - Henry Miller (Folio 2€ n° 3929)


Deux nouvelles pour nous plonger dans l'univers paradoxal et scandaleux de Henry Miller. Deux nouvelles à l'écriture particulière, vision onirique, violente, érotique, désenchantée de la société moderne par un grand auteur de la littérature américaine.

"La boutique du tailleur" est une vision tout à la fois merveilleuse et dantesque de New York au début du 20ème Siècle ; nouvelle largement inspirée de son enfance à Brooklyn dans le milieu des petits boutiquiers juifs de ce quartier typique. "La journée commençait ainsi : "Demande à un tel un petit quelque chose en acompte. Mais surtout ne l'offense pas". C'est qu'ils étaient chatouilleux tous ces vieux cons de nos clients. Il y avait bien de quoi pousser le meilleur des hommes à boire. Nous étions installés juste en face de l'Olcott, tailleurs de la Cinquième Avenue, bien que nous fussions pas sur l'Avenue même. Association du père et du fils, avec la mère pour s'occuper du pognon".

Dans cette boutique se côtoie une clientèle pour le moins baroque, digne d'un inventaire à la Prévert. A commencer par les trois frères Bendix. H.W. Bendix toujours à grogner contre quelque chose ou quelqu'un ; A.F. Bendix qui collectionnait les gilets à pois et R.N. Bendix, cul-de-jatte. Ces trois frères
s'évitaient comme la peste, se détestant et s'ignorant royalement. Dans la rue, en face de la boutique paternelle, se trouvait l'Olcott, hôtel où officiait Georges Sandusky. Georges partageait son temps entre le chargement de malles des clients sur les taxis, les ouvertures de portes et les courbettes aux clients. "Il avait élevé le léchage de cul à la hauteur d'un art. Je fus stupéfait de le voir monter chez nous un jour et nous commander un complet. Pendant ses heures de congé c'était un Monsieur que Georges Sandursky ! Il avait des goûts discrets - toujours une serge bleue ou un gris Oxford. Un homme qui savait se conduire à un enterrement ou un mariage".

Parmi cette clientèle extravagante, il y avait Tom Moffat. C'était le seul ennemi du tailleur, parce que celui-ci avait l'impression que l'autre le méprisait et qu'il avait refusé de payer sa commande de costumes sur mesure. Pour se venger, le tailleur allait manger tous les jours dans le restaurant de Moffat à ses frais, pour se rembourser de son travail ! On y trouve aussi Paul Dexter, chômeur professionnel, et portrait-type du rêveur éternel. Il possédait une telle capacité de persuasion et un tel magnétisme qu'il en devenait irresistible. Mais Paul avait un défaut, l'alcool. Dès qu'une frénésie de boire le prenait, rien ni personne ne pouvait l'empêcher. Ils disparaissait des jours et des semaines entières sans que l'on sache où il était. Et lorsqu'il revenait, penaud et honteux, il discourait sans fin sur Marc Aurèle, son idôle.

Dans la deuxième partie de cette nouvelle, l'auteur élargit son champs d'observation à sa famille. Il a toujours été impressionné par la joie émanant d'eux, malgré les catastrophes vécues. "Gais, en dépit de tout ! Il y avait le cancer, l'hydropisie, la
cirrhose du foie, la folie, le brigandage, le mensonge, la pédérastie, l'inceste, la paralysie, les vers solitaires, les avortements, les trijumeaux, les idiots, les pochards, les bons-à-rien, les fanatiques, les marins, les tailleurs, les horlogers, la scarlatine, la coqueluche, la méningite, les otites suppurantes, la danse de Saint-Guy, les bredouilleurs, le gibier de prison, les rêveurs, les fabulateurs, les barmans - et enfin il y avait l'oncle Georges et Tante Mélie". Oncle Georges et tante Mélie ne sont pas tout à fait sain d'esprit, tout ça parce que leur mère - la grande Maggie - couchait avec tout le monde sauf le principal intéressé, son mari !

On aurait pu en rester là de la vision particulière et personnelle de la ville moderne selon Henry Miller. Ville au corps chaud dont l'auteur à l'impression de fouiller, de fourrager dans les entrailles tièdes et gluantes. Une ville-fleuve qui charrie aussi bien de l'amour que de la haine. Seulement voilà, il y a une 2ème nouvelle, titre éponyme de ce petit recueil. Et avec "Plongée dans la vie nocturne"
la lecture s'est avérée, très, très difficile, laborieuse, pénible, pesante, harassante. En bref, une vraie catastrophe. Et là, c'est mon cauchemar qui a commencé. Une lente et sournoise descente aux enfers pour tenter de comprendre l'idée sous-tendue dans cette nouvelle. Impossible d'aller plus loin que les trois premières pages. Trop long, trop âpre, trop avant-gardiste et peu aisé à interpréter. Vision fantasmagorique et fictionnelle d'un monde devenu moderne trop vite, engloutissant tout sur son passage, broyant les rêves et les individus, un monde peuplé de monstres, d'horreurs, d'hydres, un monde méphistophélique, glauque, sombre, ignominieux. En un mot, un monde à la Henry Miller où se coudoie sexe et violence, résumé d'une société en déliquescence. Je ne sais si c'est l'effet d'une fatigue qui me pèse ou si j'ai été vraiment hermétique à ce style d'écriture, mais je n'ai pas retrouvé l'auteur de romans sulfureux qui a fait mon bonheur en d'autres temps et d'autres lieux.

11 février 2009

LE DEBUT DE LA FIN

  • Sir Arthur Benton - Wannsee 1942 (T 2) - Tarek & Stéphane Perger (Emmanuel Proust Éditions)



Après avoir exploré le 1er tome de "Sir Arthur Benton" qui, avec "L'opération Marmara", évoque les origines de la participation de Benton dans la marche au pouvoir des nationaux-socialistes en Allemagne, le 2ème tome s'ouvre sur des images de désolation en noir et blanc des actualités Pathé Gaumont. On y voit Dunkerque et les britanniques pris au piège ; Churchill mécontent ; Hitler posant - triomphant et arrogant - devant la Tour Eiffel, puis serrant la main au maréchal Pétain ; De Gaulle saluant les premières troupes de la France Libre ; le défilé allemand sur les Champs Elysées ; la France coupée en deux pour longtemps. Tout ce qui a fait le quotidien d'une occupation française subie.

Retour à la couleur et poursuite de l'interrogatoire du traitre Benton par Marchand. Au cours de celui-ci, Benton avoue avoir été présent à Wannsee en janvier 1942, lorsque la politique de la solution finale a été prise par les principaux responsables du Reich. Saisi d'effroi en apprenant la décision d'organiser l'extermination massive des Juifs des territoires occupés, Benton comprend très vite que la guerre à l'Est contre Staline et le communisme n'est plus -
et n'a jamais réellement été - la priorité du régime. Du fait de son soutien actif à la politique nationale-socialiste, Benton ne peut compter que sur lui. Aucun retour en arrière n'est possible. Si les alliés le prennent, il ne s'en sortira pas. Pour tenter de réamorcer la guerre contre les communistes qu'il déteste, Benton se rapprochera de certains dignitaires nazis tout aussi anti-communistes que lui, dont l'amiral Canaris, chef de l'Abwehr - les services secrets allemands -, qui n'accepte pas cette politique antisémite et ne la cautionne pas.


Avec ce 2ème tome de "Sir Arthur Benton", on se trouve au cœur de la 2ème Guerre Mondiale avec la politique d'extermination massive des Untermenschen - juifs, tziganes, handicapés mentaux -, l'arrestation de tous les opposants et particulièrement la lutte contre les communistes, les complots ourdis contre Hitler, mais aussi - et c'est plus rare - les tentatives de négociations de quelques dignitaires nazis avec les anglais et les américains pour une paix séparée. Surtout, dans ce 2ème tome, on perçoit un Benton aux prises avec sa morale face aux horreurs érigées en politique d'État. Quelque part, il devient collaborateur zélé dans sa chasse inlassable aux communistes en Pologne, mais aussi un opposant au pouvoir qu'il a aidé à mettre en place en cautionnant - passivement - l'attentat de Rastenburg le 20 juillet 1944 contre Hitler.

Comme dans le précédent tome, les dessins sont superbes, jouant encore et toujours avec les ombres et les lumières. Contrairement au 1er tome, on trouve des
dessins plus opaques, en noir et blanc, lorsque sont évoqués la conférence de Wannsee, les déportations, les ghettos de Varsovie ou de Lodz. Toujours en fin d'album, un dossier concis et complet sur les événements abordés dans ce tome de "Sir Arthur Benton". Par rapport au 1er tome, on rencontre plus de personnalités ayant réellement existé et ayant participé - de près ou de loin - aux épisodes référencés, mêlant la grande Histoire à la petite. Une fois de plus, ce 2ème tome est d'une grande qualité, sobre, sans pathos ni exagération de la part des auteurs. Les personnages n'en font jamais trop, ni trop peu. Surtout, ce 2ème tome a le mérite de revenir sur un épisode très peu connu du grand public - la conférence de Wannsee - et à l'origine de la pire œuvre fabriquée par l'homme : la machine concentrationnaire et l'industrialisation de la mort.

Prix reçus par la série "Sir Arthur Benton" :

Meilleur album à Moulons en 2005,
Meilleur scénario à Décines en 2005.

9 février 2009

YERUSHALAYIM


"Chaque matin, je voyais le jour arriver du désert et réveiller les couleurs de Jérusalem, l'ocre des murailles, la blancheur des terrasses, l'or du Temple, le vert sombre des cyprès, les façades des maisons teintées par les hommes, déteintes par les étés. J'avais quelques instants, l'illusion de dominer la ville qui s'offrait à moi, telle une maquette d'architecte mais, très vite, elle devenait trop brillante, trop colorée, elle se dressait plus haut, au-dessus de tous, comme une prophétie éblouissante, ou une putain somptueuse. Alors qu'aucun bruit ne s'élevait encore des places ou des rues, déjà, sur les chemins qui serpentaient vers les remparts, arrivaient les chevaliers de Damas, les femmes portant sur leurs têtes des paniers de raisins, au bras des roses de Jéricho qu'elles allaient vendre, sous les térébinthes, aux portes de la ville. Tout convergeait déjà vers Jérusalem. Jérusalem était le centre. Jérusalem absorbait tout".

Extrait - "L'Évangile selon Pilate" - Éric-Emmanuel Schmitt

6 février 2009

COMMENT TOUT A COMMENCE

  • Sir Arthur Benton - Opération Marmara (T1) - Tarek & Stéphane Perger (Emmanuel Proust Éditions)


10 mai 1945. La guerre est terminée. L'armée allemande vient de signer l'armistice face aux quatre alliés. Elle a perdu la guerre, sa guerre. Dans l'ombre, en commence une autre, tout aussi violente, sinon plus. Celle des services secrets. L'objectif de chaque partie : récupérer d'éminents scientifiques allemands ayant collaboré avec les nazis avant les autres. Le monde est en train de se scinder en deux : à l'Est, le communisme ; à l'Ouest, la démocratie. Entre ces deux univers, deux hommes. Sir Arthur Benton, citoyen britannique, qui a délibérément choisi le camp allemand et l'idéologie nazie par haine du communisme et Armand de la Taille, comte de Foix - alias Émile Marchand - membre du 2ème Bureau français. Ils se connaissent, se respectent et vont se combattre, jusqu'au bout.

En ce jour de mai 1945, à Berlin, l'un a perdu la guerre et tente de sauver sa tête, l'autre essaie de rassembler les débris épars pour les alliés. Ils se retrouvent une
nouvelle fois face à face, pour raconter comment tout a commencé.

En 1929, alors que la krack de Wall Street a entrainé le monde moderne dans la plus grande économique du 20ème Siècle, Sir Arthur Benton est approché par un amiral britannique, proche des nazis, pour une mission secrète à Zurich. L'objectif est de récolter des fonds pour financer la campagne électorale du NSDAP et accéder ainsi au pouvoir en toute légalité, par les urnes. Les services secrets allemands, anglais et français vont débuter leur guerre larvée à Istanbul, en Turquie.

Istanbul, où Benton installera son comptoir de marchand d'œuvres d'art, façade pour faire transiter fonds et armes au profit des nazis. S'ensuit une course contre la montre pour tenter d'arrêter le cours de l'Histoire. En plus de sa contribution à la propagande nationale-socialiste, Benton soutiendra les velléités d'Ahmed Chalabi, nationaliste syrien qui se bat pour libérer son pays, sous mandat français. Benton a besoin de lui à Istanbul ; Chalabi se sert de Benton pour arriver à ses fins dans son pays. Le colonel de la Taille est chargé d'éliminer Benton, traitre à sa patrie. Pour cela, il s'adjoindra les services d'un membre du KPD - le parti communiste allemand - infiltré chez les nazis.

En 48 pages, ce premier tome de la trilogie "Sir Arthur Benton" nous brosse un tableau saisissant d'un épisode les moins connus de l'histoire de la 2ème Guerre Mondiale et un des plus sombres, celui de la guerre psychologique par les services secrets. "L'opération Marmara" débute avec la fin du 2ème conflit mondial, pour nous replonger rapidement dans ses tragiques origines.

Avec les deux personnages centraux de cette bande dessinée on entre dans les arcanes du pouvoir, lorsque le gouvernement d'André Tardieu essayait vainement de stopper l'arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes. On assiste à la lutte fratricide turque entre les partisans du Califat et ceux d'Atatürk. La montée du nationalisme en Allemagne est, bien évidemment, évoquée ainsi que le mouvement spartakiste soutenu par l'URSS dès 1918 et leur amorce de révolution au lendemain de la 1ère Guerre Mondiale pour imposer le communisme dans le pays.

A la fin du 1er tome, on trouve un dossier sur l'histoire politique de l'Allemagne, de
la république de Weimar à l'avènement du NSDAP, comprenant les dates des événements qui ont jalonné cette douloureuse période. Un trombinoscope de tous les personnages présents dans ce premier épisode est accompagné d'une biographie succincte, pour en cerner les caractéristiques essentielles. Enfin, une bibliographie et une liste de documentaires à visionner est établie par les auteurs pour ceux qui souhaiteraient poursuivre leur connaissance du sujet.

Voici un 1er tome très complet au sujet maîtrisé, mêlant les personnes ayant réellement existé à d'autres,
fictives. Les dessins sont des aquarelles aux couleurs édulcorées, dans des tons neutres du marron au beige, du bleu au gris, jouant subtilement sur les ombres et les lumières, accentuant les traits de chaque dessin, les rendant impressionnants, presque réalistes. "Sir Arthur Benton" est une trilogie de grande qualité, tant par les dessins très élaborés que par les dialogues ou l'histoire en elle-même. On prend un réel plaisir à lire cette superbe bande dessinée et à suivre les aventures des deux héros pris entre leur morale et la situation du moment. Elle se lit très bien, que l'on connaisse le sujet ou que l'on soit profane en la matière. C'est l'occasion pour tous ceux - jeunes et adultes - qui s'intéressent à l'histoire de lire un excellent ouvrage tout à la fois ludique et instruit, sans avoir la pesanteur des dates et des événements.

En attendant les tomes 2 et 3, sur le site "Bruit de Bulles", une interview de Tarek et de Stéphane Perger, les auteurs de cette trilogie.

2 février 2009

GUERNESEY, LA LITTERATURE ET L'OCCUPATION

  • Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates - Mary Ann Shaffer & Annie Barrows (France Loisirs Éditions)


Alors que Juliet Ashton se morfond de ne pouvoir trouver un nouveau sujet pour son prochain livre, Sidney Stark - son éditeur et mentor -, la rassure en lui promettant une tournée à succès dans les librairies des comtés de l'Angleterre à l'Écosse pour son précédent ouvrage, "Izzy Bickerstaff s'en va-t-en guerre". Nous sommes à Londres, en 1946, et tout le monde tente, tant bien que mal, d'oublier les restrictions dues à la guerre encore proche.

Alors que Juliet pleure sur son sort, elle reçoit une drôle de lettre de l'île de Guernesey. Un certain Dawsey Adams dit détenir un livre de Charles Lamb lui ayant appartenu. Fasciné par cet auteur, Dawsey Adams souhaiterait en poursuivre la lecture. En effet, un mystérieux cercle littéraire et de tourte aux épluchures de patates a vu le jour grâce à un passage plein d'humour concernant un cochon rôti. "Si vous avez le temps de correspondre avec moi, pourriez-vous répondre à quelques questions ? Trois en fait. Pourquoi avoir dû tenir secret un dîner de cochon rôti ? Comment un cochon a-t-il pu vous inciter à créer un cercle littéraire ? Et surtout, qu'est-ce qu'une tourte aux épluchures de patates et pourquoi est-elle mentionnée dans le nom de votre cercle ?".

Ayant ainsi capté la curiosité de Juliet, toujours en quête de sujets originaux, une correspondance assidue naîtra entre celle-ci, Dawsey Adams et des habitants de
Guernesey. Elle apprendra que ce cercle est né inconsciemment dans l'esprit résistant de quelques habitants isolés de l'île anglo-normande. La présence allemande ayant rendu le cochon rare, voire évanescent et - dans le même temps -, les patates foisonnantes dans les champs, les personnes de Saint Peter Port avaient tout de même réussi à tromper la vigilance de l'occupant et à faire un repas de fête autour d'un rôti de porc chez Mrs Maugery.

De plus en plus intriguée par ce groupe de lecteurs clandestins en pleine occupation
allemande, Juliet priera Dawsey de lui donner d'autres explications, plus précises, afin de rassasier sa soif de comprendre et saisir le lien entre un salon littéraire et une passion pour la tourte aux épluchures de pommes de terre. Pour preuve de sa bonne foi, elle n'hésitera pas à se recommander auprès de deux personnages, Lady Bella Taunton - ancienne guetteuse d'incendies sur les toits londoniens -, qui ne l'épargnera pas, et le révérend Simon Simpless.

Juliet Ashton apprendra que tout a commencé suite à un dépassement d'heure de couvre feu. Pour sauver la situation, l'esprit limpide d'Élizabeth McEnna créera un cercle de littérature pour éviter une catastrophe. Mais les bonnes idées sont,
parfois, semées d'embuches. "Et c'est ainsi que tout a commencé. Si je connaissais tous les membres de notre groupe, je ne les connaissais pas tous intimement. Dawsey était mon voisin depuis plus de trente ans, mais je ne crois pas que je lui avais jamais parlé d'autre chose que du temps et de sa femme. Isola et Eben étaient des amis proches, Will Thisbee une simple connaissance et John Booker un quasi étranger, puisqu'il était arrivé sur l'île à la même époque que les Allemands. Élizabeth était notre point commun à tous. Sans elle, je n'aurais jamais penser à les inviter à partager mon cochon, et le Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey n'aurait jamais vu le jour".

Il faut reconnaître que la principale qualité de ce drôle de cercle aura été de
permettre à de nombreux membres de remettre la main sur un livre. Chose qui ne leur était pas arrivé depuis la fin de leur scolarité. Selon certaines vieilles pies de Guernesey, ce salon n'aurait été qu'un ramassis d'ivrognes, d'idiots, de sorcières et de va-nu-pieds recrutés par Élizabeth McEnna. Elle-même sujette à caution quant à ses fréquentations douteuses. Heureusement pour tout le monde, la vérité n'a rien à voir avec les propos de quelques vipères frustrées. La réalité est tout autre, à la fois plus belle, plus riche, mais aussi plus tragique que les quelques ragots rapportés à Juliet pour décrédibiliser certaines personnes.

Après les relations épistolaires avec les principaux membres de cette étrange congrégation littéraire, Juliet décidera de partir à leur rencontre en s'installant à Guernesey. Et quel meilleur endroit que la maison d'Élizabeth pour vivre sa nouvelle vie d'insulaire, assimiler et appréhender l'histoire de cette île pendant l'occupation et pouvoir en écrire un livre. "Dans chaque recoin, je découvre des objets qui me parlent d'elle. C'est une observatrice, Sidney, tout comme moi. Ses étagères sont couvertes de coquillages, de plumes d'oiseaux, d'algues séchées, de galets, de coquilles d'œufs, et il y a même un petit squelette - de chauve-souris sans doute. Des petites choses ramassées par terre. D'autre promeneurs les auraient enjambées ou piétinées, mais Élizabeth a remarqué leur beauté et les a
emportées chez elle. Je me demande si elle les utilisait pour peindre des natures mortes ? Il y a peut-être des croquis rangés quelque part. Il faut que j'explore davantage cette maison. Je suis excitée comme une puce depuis que je suis ici". Juliet réalisera petit à petit tout le courage, l'abnégation, la volonté et la force de caractère dont a fait preuve Élizabeth durant la guerre.

Lecture drôle et fantasque que ce "Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de
patates" avec un fourmillement de personnages pour le moins atypiques et hauts en couleur. A commencer par Juliet et les relations épistolaires qu'elle entretient avec son éditeur et un certain Mark Reynolds. Au fil de ses lettres, le lecteur découvre une Angleterre qui se relève difficilement d'une guerre frustrante et pénible pour beaucoup d'entre eux. Les couvre-feux imposés, les restrictions - tant alimentaire que sociale -, tout ce qui fait le quotidien en période de conflit est évoqué par Juliet dans son courrier. Le retour à la normalité se fait lentement, par couche successive. Le ton général du roman est à l'humour anglais, mêlant subtilement les situations délicates et les comportements désinvoltes. Même les sujets insupportables sont abordés par les différents protagonistes sur un ton presque détachés. Les membres de ce cercle sont tous aussi attachants que baroques. Isola Pribby, vieille fille au physique difficile, un peu sorcière ou Clovis Fossey qui verra dans la lecture de poèmes l'occasion de récupérer des pâturages d'une veuve, John Booker qui n'aura lu qu'un seul et unique livre ou Clara Saussey qui déclenchera une envie de meurtre collectif pour avoir lu son livre de cuisine au groupe en cette période de dure disette. Autant de personnages sympathiques et exclusifs pour nous raconter dans une bonne humeur communicative et avec un humour grinçant, l'histoire et la vie de Guernesey pendant la 2ème Guerre Mondiale. Un livre pour chasser le temps maussade et retrouver immédiatement le sourire. Pour les amatrices, il y est même question d'Oscar Wilde et de Jane Austen ...

Encore merci à Manu pour ce prêt.

Pour Tamara, c'est un roman à respirer à pleins poumons, à dévorer, à serrer contre soi pour se réchauffer le cœur ; Sassenach de Biblio du dolmen a eu un coup de cœur ; Ys n'a pas résisté au charme de ce roman épistolaire et a succombé ; Emjy ne lui trouve que des qualités ; pour Keisha c'est un livre magnifique entre rires et émotion, selon Lilly c'est le livre idéal pour nos froides soirées d'hiver ; Manu a été triste de quitter les personnages de ce curieux roman ; Florinette nous parle de son coup de coeur, de l'auteur et de Guernesey ; Alfie regrette la succession de lettres mais a aimé ; pour Cathulu c'est un livre pétillant à découvrir d'urgence ; Karine a été happée par le roman ; pour Lucile c'est une valeur sûre ; pour Clarabel qui l'a lu en avant-première, c'est savoureux et on va adorer ; selon Chiffonnette c'est un livre doudou ; pour Fashion c'est tout simplement fabuleux parce que ce roman vante les vertus de la lecture, de l'humour et de l'imagination face à la barbarie ; depuis cette lecture, Stéphanie souhaite délocaliser le Club des théières à Guernesey ; Caro[line] recommande cette lecture pleine de tendresse, d'émotion et d'humour ; Cachou est sous le charme des personnages du livre et de Guernesey ; Deliregirl1 savait avant même sa lecture que ce roman serait un coup de cœur ; Karine:) a trouvé ce roman agréable à lire et deux / trois choses à redire ... Michel a eu un coup de foudre pour le livre et pour l'île de Guernesey.
Beaucoup de bloggeuses, donc, ont succombé au charme de ce livre atypique. Si je vous ai oubliés, dites-le moi ...