27 septembre 2011

LE PETIT GARCON DE VERRE DEVIENDRA UN GRAND COMPOSITEUR

  • Tchaïkovski - Nina Berberova - Actes Sud Éditions


"Les poèmes qu'il écrivait, en russe et en français, étaient médiocres. Ce ne serait décidément pas un Pouchkine ! {...} Ce n'étaient que des tentatives d'exprimer son étonnement, son émerveillement devant le monde, devant le Créateur, et, surtout ses sentiments personnels. Parfois, il débordait d'amour et, la nuit, fondait en larmes. Mais ce désir de s'extérioriser, cette adoration qu'il portait au monde, ces larmes, apportaient à l'enfant un étrange bonheur. La vie à Votkinsk, l'atmosphère paisible et douce de cette maison où tout le monde l'aimait et où il aimait tout le monde, contribuaient aussi à le rendre heureux. {...} Mais Pierre ne pensait qu'à une chose : inventer, rimer, écrire, exprimer ses sentiments au monde entier, ces sentiments qui l'étouffaient et auxquels il cherchait une issue".

Piotr Ilitch Tchaïkovski. PIT. Ce nom, ces trois syllabes résonnent comme un accord musical léger, gracile, aérien. Comme les sons d'un piano sur lequel se posent un instant des doigts souples et délicats, effleurant à peine les touches d'ivoire pour jouer un air élégant et improvisé. Et du raffinement, il y en a eu tout au long de la vie de Tchaïkovski, de même que de la douleur, des troubles, de l'émotion, de la peine, de l'angoisse, des doutes. Tchaïkovski qui, dès son plus jeune âge, sera imprégné de piano par sa gouvernante - Fanny Dürbach - Française. Fanny qui, telle une seconde mère, prendra le petit Piotr sous son aile protectrice, parce qu'elle sentait qu'en lui germait, s'épanouissait, se développait déjà un génie artistique à la sensibilité exacerbée. Elle aurait tellement aimé que son petit protégé devienne l'égal de Pouchkine. Mais un tel poète, il n'y en a qu'un seul ! "Dès le premier jour, elle remarqua Pierre, cet enfant silencieux, bizarre, peu soigneux, trop jeune pour suivre les cours, qui suppliait qu'on l'admît dans la classe et ne voulait pas en démordre. Pierre était comme tous les enfants, craignant l'obscurité, aimant les bonbons ; mais il était volontaire et opiniâtre. Mme Tchaïkovski ne savait pas si on pouvait lui accorder cette permission, mais Fanny décida, et Pierre, avec les autres enfants, apprit le français et les prières. Il était calme, trop calme, et Fanny souvent s'en inquiétait. Son intelligence était vive ; il avait beaucoup de charme quoique toujours rebelle à l'éponge et au savon. Fanny lui porta une grande affection {...}".
La vie allait ainsi, bon an mal an, entre insouciance, peurs enfantines, découvertes merveilleuses, appréhension aussi. Sa rencontre - à l'adolescence - avec Alexéi Apoukhtine, jeune poète connu de Tourgueniev et de Fet, garçon arrogant, prétentieux, sûr de lui, à l'intelligence vive, précoce et doué, moqueur, blessant, cinglant, acide sera une vraie révélation pour Piotr Tchaïkovski. Ce dernier se sentira insignifiant, insipide, banal, fade face à un esprit aussi brillant, aussi libéré, aussi cultivé. Une amitié particulière, singulière, une complicité qui ira bien au-delà de la simple relation entre deux jeunes hommes en devenir - une certaine forme d'intimité aussi -, s'installeront entre Tchaïkovski et Apoukhtine. Est-ce par lui que le futur compositeur découvrira son attirance pour les autres hommes, comprendra et acceptera ses penchants homosexuels dans une société pétrie de convenances et de bonnes manières, et vivant sous l'emprise de la morale religieuse pour longtemps encore ? Apoukhtine lui en donnera le goût et l'envie. "Il se sentait devenir plus sec, plus dur, plus taciturne sous l'influence du démon qui occupait le même banc que lui. Leurs lits étaient voisins. Tard dans la nuit, il bavardaient ; ils avaient des secrets, dont quelques-uns leurs restèrent à jamais. Ils s'aimaient, l'un avec un petit sentiment de pouvoir, de force, de supériorité ; l'autre, avec une inquiétude jalouse. Pour Apoukhtine, tout était clair ; c'était un homme qui savait ce qu'il voulait et ne doutait pas de sa vocation. Pour Tchaïkovski, l'avenir était bien trouble. Dans le présent instable et tourmenté, il tremblait, affolé par la complexité des choses {...}".

Tchaïkovski adulte développera une double personnalité, ambigüe, qui ira en s'accentuant avec le temps et la notoriété. Sombre fonctionnaire au Ministère de la Justice le jour, il se transformait - le soir venu -, en un fêtard notoire d'une troupe de jeunes gens qui comprenaient ses jolies cousines germaines, de belles amies communes et, toujours, Apoukhtine. Bien sûr, Tchaïkovski aura quelques flirts, amourettes inconsistantes, des mains à peine touchées, tout juste frôlées, un ou deux baisers volés ici où là, mais rien de réellement concret. Décidément, les femmes ne l'intéressaient pas outre mesure, sauf leur délicatesse, leur beauté physique, leur élégance, leur rire cristallin. La musique, la composition occuperont plus souvent l'esprit et la vie de Piotr Tchaïkovski que l'amour, cherchant - à travers la créativité -, à oublier, à enfouir, à ensevelir sa véritable sensibilité. "Cette force puissante qu'il chérissait en secret, c'était son pouvoir de création. En lui montait un désir de créer d'une violence telle que seule son immense puissance de travail permettait d'assouvir. Ici même, sans plus tarder, jouir de cette douceur, de cette ivresse, matérialiser son inspiration, connaître la sueur de l'effort et des larmes de béatitude ! C'était son seul vrai bonheur, doux et amer".

"Tchaïkovski" de Nina Berberova bouscule, ébranle les canons de la biographie
classique. En effet, au lieu de contourner le sujet, de l'éviter pudiquement, ou d'en parler par allusion et circonlocution, la romancière russe raconte non seulement la vie du compositeur du Lac des Cygnes et de Casse-Noisette, mais révèle aussi son rapport à la sexualité et son homosexualité. Personnalité torturée, tourmentée, peu sûr de son talent et doutant de ses qualités artistiques, manquant de confiance en lui, mélancolique, taciturne, solitaire, volontiers capricieux, Tchaïkovski ne rêvait que d'une seule chose au fond : se libérer de la contrainte sociale, s'extraire du carcan des codes bourgeois de son siècle pour vivre enfin librement et assumer sa sexualité.

Enfant psychiquement fragile, physiquement chétif, veillé, couvé par Fanny qui remplacera l'amour froid et distant de sa mère qu'il vénérait, Tchaïkovski sera tôt arraché à ces amours féminins. Dès lors, sa vie basculera vers un équilibre précaire, instable, alternant volubilité, légèreté, travail intense, productif et apathie, désespoir, dépression, pulsions suicidaires, sentiment d'inutilité absolu. A l'égal de sa personnalité cyclothymique, la composition artistique et musicale de Tchaïkovski sera soumise à des cycles. Tantôt brillant, il composera opéras, concerts, romances, symphonies, ballets reconnus par une critique internationale exigeante et un public intransigeant, mais enthousiaste ; tantôt vidé de sa substance créatrice, il peinera à agencer les bons accords pour délivrer une musique digne de son immense talent.

Ayant avec la vie un rapport complexe, la détestant et la vénérant tout à la fois, tout comme avec l'argent qu'il dépensait sans compter, Tchaïkovski était un être tourmenté, anxieux jusqu'à l'obsession. Un mariage de convenance pour masquer son homosexualité et éviter la déportation en Sibérie, sera un cuisant échec lui faisant fuir Saint-Pétersbourg et la Russie. La présence rassurante, apaisante et amicale de Madame Von Meck aux côtés de Tchaïkovski lui apportera un peu de sérénité dans son univers troublé. Mécène du compositeur, celui-ci lui dédiera sa IVème Symphonie.


"Tchaïkovski" de Nina Berberova permet au lecteur de se plonger dans la société russe de cette fin de 19ème Siècle cultivée, érudite, savante, au savoir-vivre raffiné et sophistiqué. On baigne dans une atmosphère où l'art, la magnificence, la splendeur, la grâce sont la règle. On partage des instants précieux avec le Groupe des cinq - Borodine, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Cui, Balakirev - dont Tchaïkovski sera toujours considéré comme le sixième de la bande de compositeurs romantiques qui transformeront la musique russe au tournant du siècle. Dans son style distingué, fin, aristocratique et remarquable, Nina Berberova nous fait partir à la découverte d'un autre Tchaïkovski, plus proche de la réalité, du quotidien que de l'icône inaccessible où certains ont voulu le placer.

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20 septembre 2011

LA FOLIE DES SOEURS PAPIN

  • Les Bonnes - Jean Genet - Folio n° 1060


"Vous me détestez, n'est-ce pas ? Vous m'écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. On s'encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. C'est mortel. Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais".

Voici une vraie pièce de théâtre qui bouscule les canons classiques du genre. Une pièce où se mêle le drame ambigu de la misère sociale et la violence d'une situation de soumission devenue insupportable. Avec "Les Bonnes", Jean Genet a voulu établir un réel malaise chez le spectateur. Et il y réussit très bien ! Le thème, à lui seul, suffit à susciter la gêne. Directement inspiré d'un fait divers des années 1930, "Les Bonnes" raconte les relations ambivalentes, ambisexuées de deux sœurs - Christine et Léa Papin -, dans le monde feutrée de la bourgeoisie de province de l'époque.

C'est un huis clos entre Claire et Solange. Dans la solitude de leur mansarde, elles échangent leur rôle comme on se prête un vêtement. Elles s'inventent une vie pour mieux s'extraire de leur condition de bonnes à tout faire, de domestiques, de soubrettes, de sans-grades. Claire, dans un état de psychose paranoïaque, devient Madame, la maîtresse de maison. Elle décharge alors toute la haine, l'aversion, l'antipathie, le mépris qu'elle porte en elle. Cette amertume, elle la déverse contre Madame,
contre la société, se la renvoie à elle-même, à sa sœur. Solange devient Claire dans ces moments, subordonnée à Madame, assujettie à la violence de sa sœur. Tout ce qu'elles n'osent renvoyer au visage de Madame, elles se le crachent à la figure, tel un venin mortel. "Solange - [...] Je connais la tirade. Je lis sur votre visage ce qu'il faut vous répondre et j'irai jusqu'au bout. Les deux bonnes sont là - les dévouées servantes ! Devenez plus belle pour les mépriser. Nous ne vous craignons plus. Nous sommes enveloppées, confondues dans nos exhalaisons, dans nos fastes, dans notre haine pour vous. Nous prenons forme, madame. Ne riez pas. Ah ! surtout ne riez pas de ma grandiloquence ...".

Monsieur a été arrêté pour des raisons obscures sur lettre de dénonciation. C'est Claire qui a rédigé celles-ci, parce qu'elle soupçonne Solange d'être la maîtresse de Monsieur. "Tu accompagnais Monsieur, ton amant... Tu fuyais la France. Tu partais pour l'île du Diable, pour la Guyane, avec lui : un beau rêve ! Parce que j'avais le courage d'envoyer mes lettres anonymes, tu te payais le luxe d'être une prostituée de haut vol, une hétaïre. Tu étais heureuse de ton sacrifice, de porter la croix du mauvais larron [...]". Posture intenable pour Claire, qui perd l'autre moitié d'elle-même : Solange. En devenant Madame, elle se transforme elle aussi en maîtresse virtuelle de Monsieur. Malheureusement, dans ce puzzle implacable, Madame est la pièce de trop, celle dont il faut se débarrasser. Cela sera chose faite. Symboliquement.

Les sœurs forment un couple sadomasochiste, allant de la relation conflictuelle au couple fusionnel. Elles se détestent mais ne peuvent se séparer, ni changer leur condition d'origine. Au travers de la haine pour Madame, Claire / Solange et Solange / Claire jouent le jeu de la domination, de l'emprise, de l'asservissement, de la soumission. Les personnages frisent la schizophrénie, inversent rôles et fonctions. Parfois, au cours de cette lecture oppressante, on ne sait plus qui parle à qui. Est-ce Claire qui adresse des reproches à Solange ; ou bien Claire qui se parle en se prenant pour Madame et s'invective. On sort de cette lecture avec beaucoup de questions sur la construction des personnages, sur ce duo tragique et violent, sur les interdits moraux, particulièrement l'homosexualité supposée des deux sœurs. "Car Madame est bonne ! Madame est belle ! Madame est douce ! Mais nous ne sommes pas des ingrates, et tous les soirs dans notre mansarde; comme l'a ordonné Madame, nous prions pour elle. Jamais nous n'élevons la voix et devant elle nous n'osons même pas nous tutoyer. Ainsi Madame nous tue avec sa douceur ! Avec sa bonté, Madame nous empoisonne. Car Madame est bonne ! Madame est belle ! Madame est douce !".

Écrite en 1947, "Les Bonnes" est une pièce très dure, très osée pour l'époque. Mise en scène la même année par Louis Jouvet, celle-ci a été très mal accueillie à sa création avec une critique acerbe et nombreuse qui lui a reproché sa longueur et son sujet malsain. Personnages dérangés, perturbés psychiquement, abandonnées et élevées chez les religieuses, les sœurs Papin ont développé des pulsions morbides, pour se venger des malheurs de leur existence.

Dans "Les Bonnes", Jean Genet appuie sur le comportement schizoïde de Claire et Solange, entre envie de meurtre et dévouement quasi sacrificiel pour leur maîtresse. Il les fait tout à la fois compatir à la douleur de celle-ci et haïr cette femme à la générosité trop large pour être naturelle, spontanée. Avec cette pièce de théâtre, l'auteur nous ouvre les portes de la folie mystique, de la psychose et nous laisse à voir un univers au bord du gouffre, border line. Comme sa propre existence ! "Les Bonnes" très en avance pour l'époque, laisse un arrière-goût de trouble et d'inconfort. Un sentiment d'assister à une lente descente aux enfers de deux sœurs s'enfermant dans leur folie jusqu'à l'autodestruction. Une pièce lourde et dépouillée à la fois. Étrange et fascinante comme la folie.


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16 septembre 2011

LA PETITE POULOU

  • Chez eux - Carole Zalberg - Phébus Éditions


"Allez, décide Anna, encore quelques secondes. Que durent un peu le noir et l'oubli d'ici.

Je sentirais d'abord un rayon de soleil taquiner mon front et s'il n'effraie pas trop mes paupières, j'ouvrirais mes yeux. Je verrais que le trait blond et tièdes, tout chargé de poussière, part de la fenêtre. Le temps que l'on écarte en grand les rideaux, il serait devenu une mer lumineuse. C'est d'une main ferme et rapide que ce geste serait fait, parce qu'il est l'heure de se lever maintenant ma chérie jolie. Mein kindele, mein shäpsele. Je comprendrais alors dans un éclat du cœur que la semaine se termine et que Mamma est revenue".

Anna Wajimsky a six ans lorsqu'on l'arrache subitement à son bonheur émerveillé d'enfant. Que sait-on de la vie, des peines, des inquiétudes, des tourments, des appréhensions d'adulte à six ans ? Normalement, rien, dans une période de paix. Mais on est en 1939. Et à six ans, la petite a déjà connu l'exil, l'exode, la détresse, l'angoisse, l'épouvante. Partie de Lódz en Pologne pour ce que ses parents imaginaient une terre d'accueil, hospitalière et protectrice, la France ne sera qu'un répit trop court sur le chemin de croix de cette famille. A six ans, la petite Kätsele - comme la surnomme Ethel sa mère -, a été ôtée à l'amour des siens, cachée dans une famille de paysans français bourrus, bougons, butés, renfrognés, durs à la tâche où les sentiments et la sensiblerie n'ont pas leur place. Et puis, la Mère Poulou est une femme rustique, mutique, rude, presque sauvage qui n'a pas le temps de s'apitoyer sur les petits chagrins de sa pensionnaire d'infortune. Heureusement, il y a l'école pour Anna. Et à l'école, il y a Cécile Tournon, l'institutrice qui encourage, aide, soutient, réconforte, panse les petits et les grandes peines, protège aussi, quand cela s'avère nécessaire. "Maintenant que sa mère n'est plus là pour calmer ses vertiges, affermir le sol sous ses pieds, dégager l'horizon des ombres amassées, Anna a investi Cécile Tournon de cela aussi : elle est devenue l'être vers lequel se tourner quand les questions se bousculent et s'échappent sans trouver de réponse ; quand les peurs soudain sont à la fois si profondes et si vagues qu'il faut les cerner à tout prix ; les baptiser pour mieux les combattre".

Mademoiselle Tournon, un roc solide sur lequel la petite Anna pourra s'appuyer, se
raccrocher pour affronter la violence, la cruauté des adultes, la tourmente quotidienne faite d'effroi, d'inquiétude, d'angoisse, de panique, de questions sans réponse. Une jeune femme de cœur, engagée corps et âme dans la lutte contre la bêtise humaine, contre l'inhumanité, la brutalité et le cynisme des décisions politiques faisant des juifs des parias traqués. Mademoiselle Tournon, pétrie d'idées républicaines, d'égalité, de fraternité, de liberté, de solidarité envers les plus faibles, les plus démunis, les plus fragiles, ne pouvait admettre le sort fait à Anna qu'elle prendra sous son aile bienveillante. "Pour la jeune femme, Anna avait très vite constitué une mission sacrée, l'acte de courage et d'éclat accompli pour ne pas céder aux lois de ces temps innommables. L'idée sublime d'une vie sauvée non seulement dans son souffle quotidien, mais dans son droit au lendemain, à un avenir qui ne serait pas définitivement bridé par les injustices du passé".

En écrivant "Chez eux", Carole Zalberg se penche sur la partie maternelle de son histoire familiale et marche sur les pas de sa mère, enfant. En relatant le quotidien de la petite Anna Wajimski cachée chez des paysans de la Haute-Loire - les Poulange -, la romancière revient sur le comportement de certains Français qui ont refusé l'inacceptable, l'intolérable, l'inique infligés par les lois du Gouvernement de Vichy aux Juifs, français et étrangers.

Anna, prise dans la nasse de la grande histoire, grandira plus vite que ces petites camarades de classe. Née dans un milieu aisé en Pologne, elle sera trimballée à travers l'Europe jusqu'en France où ses parents croiront trouver un semblant de repos, de sérénité. Ici, comme ailleurs, la pitié et l'empathie ne seront pas la règle fondamentale. La séparation, douloureusement vécue par chacun, s'imposera pour se donner une chance - même infinitésimale - de survivre au pire.

Anna, enfant sage, docile, intelligente et perspicace, comprendra très vite que, pour se fondre dans la masse, disparaître et se faire oublier, il lui faudra se taire, se cacher sous une autre identité, oublier qui elle a été pour prendre une autre apparence, un autre masque plus correct. Dans cet univers bouleversé, chamboulé, Anna s'ouvrira des espaces de bonheurs enchantés grâce aux visites d'Adriel - son cousin -, lien ténu et unique entre ses parents et elle. Chaque instant de joie, de gaieté, de plaisir, d'insouciance, de rire, sera comme une bataille gagnée contre la barbarie, le fanatisme.

Avec "Chez eux", Carole Zalberg nous parle de cette enfance singulière et quelque peu malmenée, maltraitée, brimée, opprimée par l'histoire des Hommes. Écrit distancié, Carole Zalberg nous raconte avec pudeur, délicatesse et retenue cette parenthèse mélancolique vécue par sa mère. Cela donne un récit sensible, éthéré, soigné, pudique qui ne cède jamais à la facilité, mais où transparait l'émotion et l'admiration d'une fille pour sa mère.


D'autre blogs en parlent : Sourifleur, SD49 (Sandrine), Sylvie (Le boudoir des livres), Sybilline (Chez qui j'avais découvert ce joli récit) ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit commentaire et je vous ajoute à la liste.


Le site de Carole Zalberg


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11 septembre 2011

DIX ANS DEJA ...



Parce que parfois les photos ont plus de poids que tous les mots employés
...

4 septembre 2011

LA MARQUE DU PERE

  • Un long silence - Mikal Gilmore - Sonatine Éditions



"Je fais un rêve terrible.
Dans ce rêve, c'est toujours la nuit. Nous sommes dans la maison de mon père - une vieille maison d'un brun charbonneux des années 1950, dotée de bardeaux, à deux niveaux, délabrée. Elle est située à l'extrémité de la périphérie d'une ville américaine moribonde, coincée entre les lumières de la nuit et les cheminées fumantes de gigantesques usines. Devant la maison, la séparant d'une forêt dans laquelle je n'ai pas le droit de pénétrer, s'étire une voie ferrée éclairée par la lune. Dans ce rêve, on entend toute la nuit durant le sifflement d'un train qui hurle au loin, annonçant l'approche d'un wagon de voyageurs venu d'un autre monde. Mais, pour une raison ou une autre, aucun train n'arrive jamais. Il n'y a que le hurlement
".

Il semblerait que chacun d'entre nous porte en lui son histoire familiale, cachée dans quelques sombres recoins de son âme - ou de ses gênes -, avec ses secrets enfouis, ses non-dits fardés, masqués. Cette histoire abritée sous des décennies de voiles obscurs, de mystères ténébreux, de secret jamais levés, déterminerait plus ou moins nos actes - conscients ou non -, et nous mènerait tout droit à notre destin. Mikal Gilmore, quant à lui, aura tout fait pour échapper à cette malédiction filiale. Il faut reconnaître pour sa défense que le garçon partait avec un sacré handicap génétique. Un de ses frères n'était autre que Gary Gilmore, le condamné à mort le plus célèbre des États-Unis au milieu des années 1970 et qui inspirera à Norman Mailer son célébrissime "Chant du bourreau". Mais avant d'en arriver à se sauver de lui-même, Mikal Gilmore a voulu savoir, comprendre les tenants et les aboutissants de son histoire personnelle, originelle, intime, comme pour ne pas être englouti - à son tour - par celle-ci. "C'est comme si le passé de ma famille avait acquis pour moi la dimension d'un mystère. Je veux savoir si, en examinant notre histoire, je peux y trouver une clé - un événement qui pourrait expliquer ce qui a causé tant de pertes et de violence. Peut-être que si je trouve quelques réponses, je parviendrai à éviter des pertes supplémentaires".

Remontant les fils emmêlés, embrouillés, intriqués de sa propre histoire, Mikal Gilmore va disséquer le passé intime de Bessie Brown, sa mère. Cette jeune femme, élevée dans l'idéologie mormone en plein cœur de l'Utah, au sein d'une fratrie de neuf enfants, poussera - sans beaucoup d'affection - comme une herbe folle. Ballottée, bousculée, elle s'affranchira petit à petit de cette éducation rigoureuse et aliénante, passant dans le camp des rebelles, jugée et condamnée par les siens. La mort tragique de sa jeune sœur Alta, signera le début de la fin de cette lignée maudite, qui ne connaîtra que les coups du sort, la violence, la marginalité, le reniement, la folie. "C'était l'endroit où, plus de soixante auparavant, la vie des Brown avait sombré dans une tragédie soudaine dont l'impact effroyable n'a jamais été ni oublié ni éradiqué. A la lueur du soleil couchant, on aurait presque dit qu'il restait une tache de sang sur le sol - du sang qui avait coûté tant d'espoir et, dans l'esprit de ma mère, annoncé une ruine si inébranlable que ni le temps ni les intempéries ne l'effaceraient jamais". Bessie refusait la violence, la haine, la loi du Talion des prédicateurs Mormons. Elle était convaincue que l'on pouvait prévoir les meurtres et, donc, les empêcher. Or, en Utah au début du 20ème Siècle, les
exécutions de meurtriers étaient publiques. Selon elle, les spectateurs de ces exécutions étaient eux-mêmes complices d'un meurtre.

Surtout, dans ce bric-à-brac de l'histoire filiale de Mikal Gilmore, il y a une large
place pour le mensonge. Peut-être pire que le non-dit, dans certains cas. Dans tous les cas, aussi dévastateur, ravageur, nuisible. Le mensonge, la mythomanie, le boniment, le baratin s'invite partout dans cette trame familiale déjà complexe. Elle s'infiltre dans chaque espace vide pour colmater les brèches du silence et créer un mur d'artifices, de faux-semblant. "Notre passé était plein de secrets et de dettes, de droits dont nous avions été lésés, de fantômes qui nous suivaient. Il y avait une obscurité au cœur de notre histoire. Une obscurité que nous ne comprenions pas pleinement, mais dont nous savions qu'elle était la partie la plus ancienne et la plus vraie de nous-mêmes".

En effet, comment - de fait - Gary Gilmore et ses frères auraient-ils pu vivre une telle existence sans en être profondément perturbés ? Trimballés, tiraillés, déstabilisés par tant de déménagements incessants, de départs précipités, promenés du nord au sud, d'est en ouest des États-Unis, pris entre des parents passant leur temps à escroquer, à berner, à tricher, à s'aveugler et à se voiler une réalité sordide, à se hurler dessus, à se battre, à s'entretuer presque, comment se construire, grandir sereinement et sans peurs ? Quelle image pouvaient avoir les deux aînés de leurs parents qui n'avaient ni travail stable, ni endroit sûr et défini pour se poser ? Chassés de partout, considérés pire que des parias, comment ces enfants auraient-ils pu échapper à leur destin, devenir des adultes équilibrés, sains, paisibles ? "Mes frères ont grandi durant des années au milieu d'inconnus désespérés - des gens qui avaient tout perdu, des gens qui étaient fous ou ivres ou violents, ou les trois à la fois. Ils ont vu des gens se faire poignarder, et d'autres mourir de faim ou de maladie".

Au fur et à mesure de ma lecture de "Un long silence", je me suis dit que Mikal Gilmore avait certainement eu beaucoup de chance dans son malheur par rapport à ces trois frères, Franck jr. Gary et Gailen. Au moins lui n'aura pas connu la vie de bâtons de chaise de ses aînés imposée par ce couple infernal qu'était Franck et Bessie Gilmore. De raclées en torgnoles, de coups de poing en coups de ceinturon, ces enfants ne connaîtront que la violence gratuite en guise d'éducation. Jamais d'explication, encore moins de discussion. Pas d'amour ni d'empathie. Gary le plus fragilisé par cet environnement, cumulera les bévues, les bêtises. D'abord enfantines et innocentes, ces sottises s’amplifieront jusqu'au point de non-retour. Ces attitudes seront autant de SOS lancés à sa famille, à son entourage, à la société pour dire l'impossible, la souffrance. Il attirait l'attention mais de manière excessive et toujours négative. Son cri d'amour, sa quête perpétuelle de reconnaissance, d'affection engendreront l'effet inverse. De maisons de redressement en prisons d’État pour des faits de plus en plus violents, cruels, la vie de Gary ne sera qu'une suite ininterrompue de catastrophes, d'actes manqués pour se prouver qu'il existait bien.

Avec "Un long silence", Mikal Gilmore analyse son passé, son enfance, sa jeunesse, revient sur son parcours avec le recul nécessaire pour être juste, objectif, impartial. Sans apitoiement et sans concession envers lui, Mikal Gilmore livre dans son roman biographique le résultat de son introspection, forme de psychanalyse par l'écriture qu'a été la rédaction de cet ouvrage. Au fur et à mesure de cette lecture dense, profonde, bouleversante - parfois éprouvante aussi - on sent son auteur se détacher de cette histoire, tourner la page pour - enfin - pouvoir écrire son histoire et vivre en paix. Hagiographie infiniment humaine, "Un long silence" ne peut laisser aucun lecteur indifférent ! "Dans un monde meilleur, mes parents ne se seraient pas rencontrés - ou du moins ils ne se seraient pas mariés et n'auraient pas fondé un foyer. Dans un monde meilleur, je ne serais pas né. Franck Gilmore et Bessie Brown étaient deux êtres pitoyables et misérables. Je les aime, mais je dois dire ceci : c'est une tragédie qu'ils aient eu des enfants".

D'autres blogs en parlent : Belle de Nuit, Des goûts et des livres, Corine, Stemilou ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit commentaire, que je vous rajoute à la liste.

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1 septembre 2011

QUE LIRA-T-ON EN SEPTEMBRE ?

La rentrée des grands et des petits est déjà là, et avec elle son cortège de contraintes, de routine. On relance la grande roue du quotidien, en croisant les doigts pour que cette nouvelle rentrée soit (un peu) différente des précédentes, tout en sachant qu'elle sera comme les autres !

Et avec les dossiers que j'ai en cours, je n'ai pas trop de temps pour me poser des questions existentielles ou métaphysiques. Ce qui, en soit, est une excellente nouvelle, vue que je passe mon temps à me torturer l'esprit pour tout. Surtout pour rien !

Mais revenons aux choses sérieuses, et au contenu - faiblard, actuellement - de ce blog. Chaque début de mois, c'est la ritournelle des sorties en poche. Toujours essayer de vous faire (re)découvrir quelques pépites oubliées depuis très (trop) longtemps au fin fond d'une LAL exponentielle et d'une PAL dégoulinante de livres excellents, bons, moyens et - osons le terme - carrément mauvais, mais que l'on ne laisserait jamais de côté.

Voyons voir ce qui sort tout au long de septembre, pour ceux et celles qui ne voudraient pas entendre parler de la rentrée littéraire ...
  • 10/18
La ferme des Neshov - Anne B. Ragde

Après l'enterrement de leur mère, les frères Neshov pensaient reprendre le cours de leur vie. Mais tout a changé : Erlend est confronté au désir d'enfant de son compagnon, Margido à sa solitude et Tor, l'aîné, vit mal son quotidien à la ferme, auprès du « père »...À leur insu, le drame couve et pour chacun d'eux, l'heure des choix a sonné. Tendresse, humour et coups de théâtre : la saga familiale norvégienne d'Anne B. Ragde est un phénomène littéraire incontournable au succès mondial.

Frères de sang - Richard Price

Dans la famille De Coco, la violence est partout, prête à exploser : brutalité, sexe, alcool. Stony, le fils parfait, rêve d'une vie plus large que celle à laquelle la tradition familiale le destine. Mais pourra t-il échapper à ses origines ? Véritable tragédie de l'ordinaire, Richard Price brosse un tableau sans concession du passage à l'âge adulte. « Richard Price est chez lui dans le Bronx : il a beaucoup regardé, noté, senti ce concentré humain en version panoramique. » Christine Ferniot, Télérama

L'écrivain et l'autre - Carlos Liscano

Bouleversant de sincérité et d'intensité, un essai sur l'impossibilité d'écrire. Entre autoportrait impitoyable et brillante mise en abyme, une œuvre magnifique de dépouillement, un éblouissant jeu de miroirs entre l'écrivain et cet autre qui ne cesse de l'inventer. Il y a plus d'un an, Carlos Liscano a commencé un roman qu'il ne parvient pas à terminer. Incapable de créer une autre histoire, il corrige, chercher, rature. Rien. Confronté à la quête éperdue de ces mots qui soudain lui échappent, soumis à une exigence d'absolu qui le paralyse. Liscano fait un constat terriblement désespéré : l'écrivain est une invention. Écrire, c'est chercher ce qu'on ne trouvera pas. Que reste-t-il ? La nuit insomniaque, le fleuve tranquille, des oranges qu'on achète, les rues de Montevideo sous la pluie... Vivre vaut presque toujours la peine.

Mr. Peanut - Adam T. Ross

David Pepin a toujours aimé sa femme, Alice. Pourtant, parfois, il rêve de sa mort. Mais peut-on être coupable des rêves que l'on fait ? Le problème, c'est qu'Alice est morte. Réellement. Pour les deux policiers en charge de l'enquête, David apparaît aussi suspect qu'il est désemparé. Mesurant sa culpabilité à l'aune de leur propre histoire conjugale, il leur devient clair que son rôle ne se limite pas à celui du mari inconsolable... Adam Ross livre un premier roman, hypnotique et intense en disséquant à travers la genèse de ces trois mariages, la réalité effroyable et tragique de la vie à deux. « C'est l'approche la plus fascinante du côté sombre du mariage depuis Qui a peur de Virginia Woolf ? Captivant. Cela m'a provoqué des cauchemars. Un exploit pas misérable. » Stephen King

L'antarctique - Claire Keegan

L'antarctique. " Chaque fois que la femme heureuse en ménage partait, elle se demandait comment ce serait de coucher avec un autre homme. " Dès la première phrase de la nouvelle titre de son recueil, Claire Keegan ferre l'attention de son lecteur. La suite ne le décevra pas. Qu'elle évoque des amours malheureuses (dans L'Amour dans l'herbe haute, l'héroïne vient attendre, neuf ans après qu'ils se sont quittés, son amant sur la lande), les ravages sur ses enfants de la folie d'une mère (Brûlures dit le traumatisme de toute une famille), les rivalités familiales (Les Sœurs) ou la passion naissante entre un homme et une femme réunis par une petite annonce (Osez le grand frisson), l'auteur fait preuve d'une impressionnante maîtrise. Ses intrigues sont denses, ses personnages, souvent des femmes de la classe moyenne, criants de vérité, son style est net et tranchant, sa perception du monde et des rapports humains terriblement juste. Le tour de force de la nouvelliste tient certainement dans la paradoxale tranquillité avec laquelle elle laisse entrevoir les situations les plus extrêmes : ses créatures peuvent se débattre dans un monde indifférent et hostile, lutter contre l'absurdité de la vie, elles garderont toujours la maîtrise de leur destin.

Un mal sans remède - Antonio Caballero

Odyssée fellinienne à l'humour ravageur, portrait au vitriol de la société colombienne, réflexion magistrale sur le rôle de l'écrivain, Un mal sans remède retrace les aventures d'Ignacio Escobar, poète frustré, dans le Bogotà des années 1960. Porté par une formidable énergie romanesque, un livre-culte salué par Gabriel Garda Marquez et Fernando Vallejo. Fils de bonne famille vivant des rentes de sa mère, résistant obstinément au désir d'enfant de sa compagne, sourd aux appels pressants de ses amis lénino-trotskistes qui l'exhortent à l'engagement, Ignacio n'a d'autre ambition que d'achever la grande œuvre qu'il porte en lui, si possible sans avoir à se lever de son lit. Un soir, une dispute le force à quitter sa chambre et le précipite dans les rues de la ville. Commence alors une errance qui va l'exposer à toutes les situations qu'il s'était si bien employé à éviter... Ignacio Escobar finira par écrire son grand poème. Mais la réalité, plus forte, le détruira. La vie est un mal sans remède.

Une âme perdue - Giovanni Arpino

Bref et magistral, un antiroman d'apprentissage, la chronique ramassée en six jours d'un été étouffant dans le Turin des années 1960. Un chef-d’œuvre de la littérature italienne, la redécouverte d'un écrivain majeur de l'après-guerre, dans la lignée d'un Mario Soldati, d'un Cesare Pavese ou d'un Italo Calvino. A la veille de ses dix-sept ans, le jeune Tino s'installe chez sa tante Galla et son oncle Serafino, surnommé l' " Ingénieur ", pour y préparer son baccalauréat. Orphelin, adolescent frêle et gauche réfugié dans les livres, Tino attend de toucher l'héritage de sa mère, précieux sésame qui doit lui ouvrir les portes de la vie étudiante et du monde adulte. Dès son arrivée, Galla et Anetta, la vieille servante, lui font une étrange confidence : au dernier étage de la maison, dans une chambre fermée à double tour, vit le " Professeur ", le frère jumeau de Serafino devenu fou à son retour d'Afrique. D'abord troublé par cette révélation et angoissé par cette cohabitation forcée, Tino adopte petit à petit le rythme de la maison, partageant même les virées nocturnes de son oncle. Jusqu'à ce petit matin où il va découvrir le secret caché derrière ces persiennes closes, un terrible drame qui fera tomber tous les masques, un à un...
  • Livre de poche
La peur du paradis - Vincent Engel

L'Italie au lendemain de la Première Guerre. Entre mer et forêt, au cœur des Pouilles, se niche le village de San Nidro où grandissent Basilio et Lucia. Née de parents inconnus, Lucia est différente et les villageois s'en méfient : enfant presque sauvage, elle est l'amie des signes envoyés par la nature. Basilio, lui, vient de perdre son père. Pour conjurer le chagrin, il oscille entre deux mondes, sa vie de pêcheur sous la voile du sage Luigi, l'univers magique et inspiré de la petite fée des bois. Liés par le destin, Lucia et Basilio s'aiment et se jurent fidélité sans même se l'avouer. Mais un acte irréparable (un bûcher dressé par les enfants pour incinérer le corps du vieux Filippo, qui avait pris Lucia sous sa protection) va faire basculer ces amours enfantines dans le cours tragique de l'Histoire. Sur ordre des fascistes, Lucia est enfermée dans un couvent de Bari. Elle parvient à s'enfuir et se retrouve à Rome. Basilio, désespéré, fera tout pour la retrouver. Une quête faite d'espoirs et de rendez-vous manqués à l'heure où l'Italie mussolinienne pactise avec le diable. Une destinée à mille lieues du « paradis » de San Nidro attend les deux jeunes gens au cours de ce roman envoûtant. Après sa période toscane, Vincent Engel nous emporte dans une géographie sauvage et romantique où affleure toute l'âpreté d'un Sud qui échappe au temps.

Le cahier d'Aram - Maria Angels Anglada

Aram a quinze ans lorsqu’il doit fuir son Arménie chérie avec sa mère, Maryk, pour échapper à la mort. Nous sommes en 1915, année où le gouvernement turc a décrété l’extermination du peuple arménien. Ils marchent des jours et des jours dans un pays dévasté par la guerre, pour échouer en Arménie russe où ils seront finalement à l’abri. Puis c’est l’exil : d’abord la Grèce, sur la petite île de Symi où Aram devient pêcheur de corail, puis Marseille, lieu de refuge pour la communauté ; il faut fuir les fantômes. Là-bas, la vie continue : Maryk finira par refaire sa vie et Aram par rencontrer l’amour. Il va alors tout consigner dans un carnet que lui avait offert son père, Vahé, un grand poète connu et respecté de tous, mort aux mains des Turcs. Pour perpétuer sa mémoire. La mémoire d’un peuple marqué à jamais. La mémoire d’une tuerie sans précédent.

Les saisons de la solitude - Joseph Boyden

Will, un ancien trappeur, est dans le coma après avoir été agressé ; c’est Annie, sa nièce, de retour d'un long voyage, qui veille sur lui, qui lui parle. Dans une communion silencieuse, ces deux êtres évoquent leurs douleurs les plus secrètes, celles de leur peuple, les Indiens Anishabe. De l'immensité sauvage des forêts canadiennes aux gratte-ciel de Manhattan, c’est le choc de deux mondes, de deux cultures, que décrit l’auteur. Ce roman saisissant, deuxième volet du triptyque inauguré par Le Chemin des âmes, a été couronné par le plus grand prix littéraire canadien, le Giller Prize.

Les Terres saintes - Amanda Sthers

« Saviez-vous qu’en Israël on se servait des porcs pour pourchasser les terroristes ? D’abord parce qu’ils ont un flair hors du commun, ensuite parce que si un musulman touche un cochon, il se voit refuser les sept vierges au paradis. On y élève donc des cochons sur pilotis comme l’exige la loi afin qu’ils ne frôlent pas la terre sainte. Que rêver de mieux comme personnage qu’Harry Rosenmerck, juif ashkénaze, cardiologue parisien qui a tout quitté pour devenir éleveur de cochons en Israël ? Et puis un rabbin est né pour le contredire : Moshe, qui ne supporte pas cette dérive et encore moins qu’Harry arrondisse ses fins de mois en vendant de la viande impure aux restaus branchés de Tel Aviv, ça les mène forcément vers des discussions politiques. Et qu’y a-t-il de plus critique qu’un juif pour parler de la politique intérieure d’Israël ? Vous connaissez ce dicton sans doute : quand il y a deux juifs dans une pièce, il y a trois avis. David, le fils d’Harry, auteur de théâtre à succès, homosexuel, lui écrit aussi mais son père ne lui répond jamais, incapable d’imaginer son fils dans les bras d’un homme. La fille d’Harry, Annabelle, quitte New York pour fuir un chagrin d’amour et va le retrouver ailleurs en chemin. Et enfin son ex-femme, mère de ses deux enfants, qui se découvre un cancer et revisite leur histoire d’amour et ses zones d’ombre comme si cela pouvait l’aider à affronter la vie et son issue. C’est un roman sur les limites de chacun, sur ce qu’on ne se dit pas, ou trop tard. Sur les élans du cœur qui restent coincés dans la gorge. Sur les instants qui passent et qu’on n’a pas su saisir. Sur la petite histoire dans la grande. C’est un roman d’amour. »

22 novembre 1963 - Adam Braver

À la manière de Short Cuts de Robert Altman, Adam Braver met ici en scène certains des acteurs, premiers rôles et figurants, durant les heures qui précèdent et qui suivent l’assassinat de J. F. Kennedy. Autour de la figure centrale de Jackie Kennedy, quelques personnages vont vivre eux aussi une journée particulière : un tailleur de Dallas, dont le nom et le film amateur vont faire le tour du monde, un médecin de l'hôpital Parkland, qui va, quelques heures plus tard, pratiquer l'autopsie du corps du Président, le personnel de la Maison-Blanche chargé des enfants du couple… Mêlant avec habileté la grande et la petite histoire, l’auteur nous fait pénétrer dans l'intimité des protagonistes du drame, posant ainsi un regard neuf sur cette tragédie qui a pourtant fait couler beaucoup d’encre. Un roman hypnotique servi par une écriture magnifique de précision et par une construction ensorcelante.

Guide de l'incendiaire des maisons d'écrivains en Nouvelle-Angleterre - Brock Clarke

Moi, Sam Pulsifer, je suis l'homme qui a accidentellement réduit en cendres la maison d'Emily Dickinson à Amherst, et qui, ce faisant, a tué deux personnes, crime pour lequel j'ai passé dix ans en prison. Il suffira sans doute de dire qu'au panthéon des grandes et sinistres tragédies qui ont frappé le Massachusetts il y a les Kennedy, les sorcières de Salem, et puis il y a moi. B. C. Brock Clarke réussit, avec un sens de l'humour déroutant, un véritable tour de force littéraire, rendant ainsi hommage aux grands écrivains américains.

L'affaire de l'esclave Furcy - Mohammed Aïssaoui

« Le 16 mars 2005, les archives concernant "L'affaire de l'esclave Furcy" étaient mises aux enchères, à l'hôtel Drouot. Elles relataient le plus long procès jamais intenté par un esclave à son maître, trente ans avant l'abolition de 1848. Cette centaine de documents, des lettres manuscrites, des comptes rendus d'audience, des plaidoiries, illustrait une période cruciale de l'Histoire. Les archives révélaient un récit extraordinaire : celui de Furcy, un esclave âgé de trente et un ans, qui, un jour d'octobre 1817, dans l'île de la Réunion que l'on appelle alors île Bourbon, décida de se rendre au tribunal d'instance de Saint-Denis pour exiger sa liberté. Après de multiples rebondissements, ce procès, qui a duré vingt-sept ans, a trouvé son dénouement le samedi 23 décembre 1843, à Paris. Malgré un dossier volumineux, et des années de procédures, on ne sait presque rien de Furcy, il n'a laissé aucune trace, ou si peu. J'ai éprouvé le désir, le désir fort, impérieux, de le retrouver et de le comprendre. De l'imaginer aussi ».

Mes prix littéraires - Thomas Bernhard

Sous prétexte de parler de tous les prix littéraires qu’il a reçus, Thomas Bernhard se livre, dans ces textes inédits, à ce qu’il fait le mieux : exercer sa détestation. Jurés, organisateurs, notables allemands ou autrichiens, personne n’est épargné par l’humour vengeur d’un auteur hypersensible à la médiocrité. Irrésistiblement méchant et drôle, il excelle aussi dans l’art de la miniature. Chaque récit est un joyau, et se lit comme une courte nouvelle. Derrière une apparente désinvolture, Bernhard interroge la nature de l’industrie littéraire et la vanité des distinctions honorifiques. Tout cela dans un style acéré et ironique à la fois – du grand art. Terminé en 1980, ce petit volume, resté pour des raisons obscures inédit du vivant de l’auteur, associe neuf récits de remises de prix et les discours de réception correspondants, poétiques et violents. On comprendrait presque pourquoi un certain ministre autrichien, à l’audition d’un de ces discours assassins, s’est retenu de justesse de frapper Bernhard...

Galadio - Didier Daeninckx

Allemagne, années trente. Ulrich est un adolescent de Duisbourg comme les autres. À un détail près : sa peau est noire... Son père, un soldat africain, est venu en Allemagne avec les troupes françaises d'occupation chargées de veiller à l'application du traité de Versailles. Il est reparti en 1921, quelques mois avant la naissance de cet enfant, fruit d'un bref amour avec une jeune Allemande. Ils sont des centaines, comme Ulrich, à incarner ce qu'Hitler et les nationalistes ne cesseront de dénoncer, dans l'entre-deux-guerres, comme la «honte noire», symbole de l'avilissement délibéré du sang aryen par les occupants. Leur sort ne sera en général guère plus enviable que celui des Juifs. Ulrich, pour sa part, va connaître un destin inattendu et mouvementé, et découvrir une autre facette de son identité : Galadio. Comme toujours, Didier Daeninckx s'appuie sur une documentation très fouillée pour éclairer un aspect méconnu de l'histoire du vingtième siècle. Il révèle ici le sort terrible des Allemands métis dans un pays emporté par le délire nazi. De Duisbourg aux studios de cinéma de Babelsberg, jusqu'aux rivages du Sénégal où se déroulent les premiers combats entre pétainistes et gaullistes, Ulrich apprend à connaître les hommes.

Les corps en silence - Valentine Goby

«Elle imagine possible un mari fidèle, pour ça elle est prête à faire sa fille des rues, sa prostituée, sa courtisane. Tout plutôt que ça : qu'il couche ailleurs. Elle dit tout, elle pense tout, elle l'aime à se tuer.» Deux femmes en résistance contre la fin du désir amoureux. À un siècle d'écart leurs chemins se croisent, se confondent, se séparent : l'une tente l'impossible pour reconquérir l'homme qu'elle aime, l'autre imagine une rupture radicale. Toutes deux refusent le silence des corps.

Sobibor - Jean Molla

Emma est une jeune femme atteinte d’anorexie. Appréhendée dans un supermarché pour vol, elle ne peut qu’expliquer : «Je l’ai fait pour qu’on m’arrête.» Pourtant, Emma veut savoir, Emma veut comprendre. «Sobibor», ce nom, prononcé par sa grand-mère polonaise peu avant sa mort, lui apportera plus que de simples réponses. Dans ce récit mettant en scène une adolescente aux prises avec des réalités qui la dépassent, Jean Molla revient sur un des épisodes les plus tragiques du siècle dernier. Ce roman, au succès critique et populaire, a été récompensé par plus de dix prix littéraires et a été traduit en six langues.

Le malentendu - Irène Némirovsky

Yves Harteloup est un rejeton déclassé de la grande bourgeoisie, meurtri par la guerre. En vacances sur la côte basque, il retrouve les matins radieux de son enfance et s'éprend de Denise, une femme mariée qui appartient à son milieu d'autrefois. Très vite, Denise l'aime et ne vit que pour lui… Dans ce premier roman publié en 1926 alors qu’elle avait à peine vingt-trois ans, Irène Némirovsky nous décrit la passion et les dangers qui guettent les amants. Et le goût que pouvait prendre le bonheur, au milieu des années folles.

Histoire du romantisme/40 portraits romantiques - Théophile Gautier

Cette Histoire du Romantisme est, en quelque sorte, la postface inachevée à l'œuvre multiforme, et à la vie, du poète, du critique, du journaliste, du romancier, du conteur, du nouvelliste qu’était Gautier. Il sentait qu’il allait mourir. D’où l’importance de ce dernier livre, conçu pour survivre à sa propre disparition et pour sauver du même coup son nom et toutes ses œuvres précédentes. Il est trop fin pour lui donner la forme d’un plaidoyer pro domo. Il va raconter une aventure collective. Gautier s’y lance sur le mode léger et badin du conteur qui ne force pas la voix, sans rien de solennel, comme une dernière conversation à bâtons rompus. L’Histoire du Romantisme est citée partout parce que ce livre contient le récit enluminé de la bataille d’Hernani, un chapitre d’anthologie, haut en couleurs, une description, écrite par un protagoniste parlant au nom de tout le chœur des hugoliens, de cette révolution d’avant la révolution de Juillet, ce combat qui aurait suffi à faire passer à la postérité la date de 1830. Ce volume ne se limite pas au récit de la bataille d’Hernani. Il ressuscite une galerie de personnages. À la suite des douze chapitres de l’Histoire, on trouvera ici quarante portraits publiés en revue puis en volumes séparés. Le mélange de peintres, de sculpteurs, d’écrivains, d’actrices caractérisait non seulement le génie de Gautier, marqué à jamais par sa formation artistique, mais l’esprit même de cette armée romantique. Pour la plupart, ce sont des hommages aux compagnons morts. Cette série de textes courts prépare en réalité le projet d’écrire une Histoire du Romantisme, ils en sont le laboratoire. Dans cette nouvelle édition en Folio classique, ils sont quarante : on a choisi ici de créer une sorte d’académie arbitraire, dont Gautier fait partie. Le choix proposé dans ce volume correspond aux figures qui sont demeurées au panthéon des arts, des lettres, de la scène. Dès l’attaque du livre, après le leitmotiv du cor qui vient l’avertir qu’il est temps, les premiers mots qui surgissent sous sa plume sont « idéal », « poésie », « liberté », « enthousiasme », « bravoure », dans la même phrase, comme s’il voulait tout dire tant qu’il en a la force. Bouleversantes aussi les explosions de joie, les rires qui scandent cette Histoire, résurrection du passé. Gautier se retrouve en rêve parmi ses compagnons, ses enfants du Paradis, à table, au théâtre, au milieu de leurs fêtes et de leurs bals. Dans ce livre, pour survivre encore un peu et trouver l’énergie de le terminer, le vieux Gautier inhale des bouffées de bonheur. « Une telle joie, écrit-il, ne devait sans doute pas durer. Être jeune, intelligent, s’aimer, comprendre et communier sous toutes les espèces de l’art, on ne pouvait concevoir une plus belle manière de vivre, et tous ceux qui l’ont pratiquée en ont gardé un éblouissement qui ne se dissipe pas ».

La main droite du diable - Ken Bruen

L'Irlande, noyée sous l'afflux des devises et livrée à la cupidité, ne se tourne plus vers l'Église, en quête de réconfort et de consolation. Mais la décapitation du père Joyce dans un confessionnal de Dublin horrifie les citoyens les plus blasés. Jack Taylor, que le traumatisme lié à la perte d'un être cher vient d'anéantir, s'est toujours considéré comme à mille lieues d'une éventuelle rédemption. Un travail insolite lui offre pourtant un nouveau départ, et une surprenante association lui permet d'entrevoir que l'unique rêve qu'il poursuit encore éperdument, celui d'une famille, peut encore se réaliser. Quand se mêlent exorcisme inquiétant, prédateur qui rôde et attirance hautement improbable, tout concourt à l'entraîner dans un sombre réseau de conspirations. Le spectre d'une enfant hante chacune des heures qui échappent au sommeil. Désespérée mais lumineuse, l'écriture de Ken Bruen capture le sombre décor de la société irlandaise en cette époque de bouleversements socio-économiques.

Dans la vallée de l'ombre de la mort - Kirk Mitchell

Au beau milieu du carnage de la Guerre de Sécession, un tueur s'attaque à des femmes Dunkers, ces Baptistes allemands qui refusent de porter les armes pour l'un ou l'autre camp. Le colonel Simon Wolf, Juif Sudiste engagé dans l'armée du Nord, va traquer le meurtrier jusqu'au bout dans ce gâchis absurde où l'on entasse bras et jambes coupés dans un chariot et où le typhus finit le travail commencé par les armes parce qu'on a installé les latrines de l'hôpital près de la seule source disponible.
  • Point Seuil
Le baiser de la pieuvre - Patrick Grainville

Le rêve de la femme du pêcheur d'Hokusai est l'estampe érotique japonaise la plus connue. La plus énigmatique aussi. Union de la femme et de la bête marine. Scène d'hypnose, de sexe, de vigilance animale et de volupté surnaturelle. Patrick Grainville n'aborde pas le sujet par le biais d'une biographie d'Hokusai et d'une reconstitution de son époque. Il va droit au cœur du motif et raconte l'histoire de ce couple impossible d'amantes : femme et pieuvre. Le récit de cet amour monstrueux déroule son fil romanesque et fluide. Au gré des péripéties très concrètes affleure le sens de cette aventure inédite. C'est d'abord l'évocation d'une île asiatique, perdue dans la mer, où vivent quelques villages de pêcheurs autour d'un volcan. Tout commence par la révélation qui frappe un bel adolescent, voyeur aveuglé par la nudité d'une femme... L'apparition et l'emprise de la pieuvre naîtront de ce dévoilement de la beauté interdite et de sa profusion intime et sensuelle.

Dans la nuit brune - Agnès Desarthe

Jérôme est un homme calme. C'est du moins ce qu'il croit. Lorsque l'amoureux de sa fille Marina meurt dans un accident, il tombe dans une profonde agitation. Que faire du chagrin de Marina ? D'autres secousses, de plus en plus fortes, viennent ébranler la vie de Jérôme. II doit alors se rendre à l'évidence : de lui-même et de ses origines, il ne sait rien, sinon qu'il fut recueilli jadis, errant dans les bois, par un couple qui l'adopta. D'où vient Jérôme, l'enfant sauvage ? Pour le savoir, il lui faudra plonger à nouveau dans la nuit brune, guidé par un étrange mentor. Dans ce livre, un homme doit se confronter à des forces qui le dépassent, et qui portent des noms si anciens qu'ils ont presque perdu leur sens, comme Eros ou Thanatos. Pour lui, l'Histoire est vraiment un cauchemar dont il essaie de s'éveiller. Usant de toutes les ressources du romanesque, sans se priver de celles du conte, Agnès Desarthe ne cesse de nous surprendre et de nous enchanter.