30 janvier 2010

COUPS DE COEUR 2009 ... ENFIN !

Il était grand temps pour moi de vous présenter mes coups de cœur de l'année 2009 ! Juste avant l'arrivée du mois de février et de ses crêpes faites maison pour fêter la Chandeleur 2010 (je rappelle aux gourmands et gourmandes, que c'est le 2 février prochain !), je vous propose un petit slide avec mes choix personnels et complètement partiaux des lectures qui m'ont donné des instants d'émotion, de joie, de bonheur, de fou rire ...

Je voulais vous faire un point sur les challenges auxquels je compte participer (j'ai d'ailleurs commencé certains sans en parler à personne, je sais, c'est mal !). Mais, il faut que je les recense et que je regroupe les logos ... Cela se fera dans quelques jours !




25 janvier 2010

ZWEIG ET SES MONDES

  • Le Monde d'hier - Stefan Zweig - Livre de Poche n°14040

"Rien n'est plus éloigné de mon dessein, ce faisant, que de me mettre en évidence, si ce n'est au même titre qu'un conférencier commentant les images projetées sur l'écran ; le temps produit les images, je me borne aux paroles, et ce n'est pas tant mon destin que je raconte que celui de toute une génération, notre génération singulière, chargée de destinée comme peu d'autres au cours de l'histoire. Chacun de nous, même le plus infime et le plus humble, a été bouleversé au plus intime de son existence par les ébranlements volcaniques presque ininterrompus de notre terre européenne ; et moi, dans la multitude, je ne saurais m'accorder d'autres privilèges que celui-ci : en ma qualité d'Autrichien, de Juif, d'écrivain, d'humaniste et de pacifiste, je me suis toujours trouvé à l'endroit exact où ces secousses sismiques exerçaient leurs effets avec le plus de violence. Par trois fois, elles ont bouleversé mon foyer et mon existence, m'ont détaché de tout futur et de tout passé et, avec leur dramatique véhémence, précipité dans le vide, dans ce "Je ne sais où aller" qui m'était déjà bien connu. Mais je ne m'en suis pas plaint : l'apatride, justement, se trouve en un sens libéré, et seul celui qui n'a plus d'attache à rien n'a plus rien à ménager".

Cher Stefan Zweig,

Me permettez-vous de vous appeler par votre prénom et votre nom, et non par ce terme usuel et impersonnel de Monsieur, parce que je vous connais un peu et vous admire tant. Je sais vos grandes qualités d'écrivain, d'homme, d'humaniste soucieux de votre prochain et de l'avenir d'un monde qui a sombré - peu à peu - dans le chaos, au point de vous engloutir avec lui. Je vous écris cette longue missive parce que j'ai lu avec attention et concentration votre magnifique "Monde d'hier", que j'ai plongé avec délice, bonheur et nostalgie dans une époque et dans une région d'Europe chère à mon cœur.

Avec toujours autant d'humilité, de simplicité et de sensibilité propres à votre écriture, vous nous racontez votre famille. Celle de votre père, viennois et originaire de Moravie dans ce qui fût - avant 1914 - l'empire austro-hongrois. Ce père qui a fait fortune dans l'industrie et le commerce des tissus, sorti des ghettos d'Europe centrale, érudit, cultivé, raffiné et réservé, a toujours refusé les charges honorifiques. "Quoi qu'il fût infiniment supérieur à la plupart de ses collègues par son maintien, ses qualités sociales et sa culture - il jouait excellemment du piano, écrivait avec élégance et clarté, parlait le français et l'anglais -, il se déroba aux distinctions et aux charges honorifiques et, de sa vie, ne sollicita ou n'accepta aucun titre ni aucune dignité, bien qu'en sa qualité de gros industriel on lui en offrît bien souvent. N'avoir jamais rien demandé, n'avait jamais dû dire "s'il vous plait" ou "merci", cette secrète fierté lui était plus chère que tout signe extérieur de distinction". En cela aussi, vous êtes son digne descendant, vous qui avez cultivé l'élégance et la discrétion jusque dans vos œuvres. Par votre mère, vous voilà avec un soupçon de sang italien. Sa famille a essaimé partout dans le monde à la manière des Rothschild ou des Camondo. Comme eux, elle descend d'une lignée de patriciens, de banquiers et ne se sentait aucun lien ni attache avec l'orthodoxie juive. Elle en tirait une sorte de fierté qui, parfois vous amusait, souvent vous exaspérait.

Vous avez été élevé à Vienne, capitale de cet immense empire s'étendant jusqu'aux confins de l'Europe et où il faisait si bon vivre. Vienne, épicentre culturel et intellectuel de votre vie, ville deux fois millénaire, cité du théâtre et de la grande musique accessible à tous, qui a rassemblé en son sein tant d'écrivains, d'artistes, de musiciens prestigieux. Vienne, à la confluence de toutes les nations de son empire,
dont le cœur était le château des Habsbourg. "Le Château était au centre de ce qui, dans la monarchie, transcendait les limites des nationalités. Autour de ce château, les palais de la haute aristocratie autrichienne, polonaise, tchèque, hongroise formaient en quelque sorte la seconde enceinte. Venait ensuite la "bonne société" que constituaient la petite noblesse, les hauts fonctionnaires, les représentants de l'industrie et les "vieilles familles" ; enfin, au-dessous, la petite bourgeoisie et le prolétariat". Vienne, ville d'art grâce à cette grande bourgeoisie juive qui allait permettre d'étendre le rayonnement de votre capitale partout en Europe par la constitution de grandes collections privées et de mécénat. Par leur intégration et leur désir d'assimilation, la communauté juive d'Autriche allait donner d'éminents artistes, universellement reconnus pour leur talent : Gustav Mahler, Schoenberg pour la musique ; Hoffmannstal, Schnitzler, Altenberg pour la littérature et la poésie, Max Reinhardt pour le théâtre, Freud pour la psychanalyse, sans vous oublier, vous, Stefan Zweig.

Quoi que votre enfance ait été belle, vous avez eu du mal à supporter l'austérité d'un enseignement strict et ennuyeux. Le jour où vous avez quitté cet endroit malodorant, sinistre et morne aura été un de vos plus beaux souvenirs. De cette période, vous avez conservé le goût, la passion de la liberté et une haine pour l'autoritarisme et le doctrinaire. Inconsciemment, vous prépariez votre personnalité à ce devenir fait de voyages et d'errance. C'est toujours au lycée que vous vous êtes épris d'art et de culture. Quoi de plus naturel, au vu de votre milieu social et de votre ville d'origine. Très tôt, donc, le théâtre, la littérature, les concerts de musique classique et la poésie empliront votre quotidien, orienteront votre avenir. Vous cachiez les poèmes du jeune Rilke dans les couvertures de vos cahiers de lycéens. Le plaisir du risque était plus fort que tout. "Nous fourrions notre nez partout avec une avide curiosité. Nous nous glissions aux répétitions de la Philharmonique, nous furetions chez les bouquinistes, nous inspections chaque jour les vitrines des libraires afin de savoir aussitôt ce qui avait paru la veille. Et avant tout, nous lisions, nous lisions tout ce qui nous tombait entre les mains. Nous empruntions des livres dans les bibliothèques publiques, nous nous prêtions mutuellement tout ce que nous dénichions. Mais le meilleur endroit pour nous instruire de toutes les nouveautés restait le café".

Vous sentiez un vent nouveau venir. Cette jeunesse pleine d'espoir et talentueuse poussait déjà les anciens vers la sortie, en douceur, en ce début de 20ème Siècle pleins d'aspirations de toutes sortes. Arthur Schnitzler formera le mouvement culturel "Jeune Vienne" avec Hermann Bahr, Richar Beer-Hofmann, Peter Altenberg. Mais celui qui vous fascinait tous était Hugo Von Hofmannsthal, bien plus précoce, bien plus brillant que Rainer Maria Rilke. Cela a donne à votre groupe de lycéens l'envie de vous lancer dans le théâtre, la musique, la littérature. Certains seront même publiés dans des revues d'avant-garde. Pour vous, ce seront deux des plus remarquables, Die Gesellschaft et Die Zukunft. Malgré votre jeune âge, vous avez préféré les joutes intellectuelles aux combats sportifs, les découvertes intellectuelles aux promenades campagnardes des environs de Vienne pourtant si promptes au repos et à l'apaisement, les discussions subtiles aux conversations oiseuses avec des jeunes filles.

Mais la naissance de ce nouveau siècle verra aussi d'autres libérations, moins spirituelles et plus sociales. Vous découvrirez le socialisme du Dr. Victor Adler militant pour une démocratie vraie et non limitée aux seules classes bourgeoise et aristocratiques, ouvertement prolétarienne et qui effrayait la bonne société viennoise. "Les socialistes ! Ce mot avait alors en Allemagne et en Autriche un arrière-goût de sang et de terreur, comme autrefois le mot jacobins et depuis le mot bolchevistes. Au premier instant, on ne pouvait croire possible que cette tourbe rouge des faubourgs défilât sans mettre le feu aux maisons, piller les magasins et commettre toutes les violences imaginables. Une sorte de panique gagna de proche en proche". Un contre-courant allait apparaître - le parti chrétien social - petit bourgeois et ouvertement antisémite du Dr. Karl Lueger. Vous ne le savez pas encore, mais il allait servir de marche-pied au national-socialisme en Autriche trente ans plus tard. Que cet antisémitisme paraîtrait bien timoré face à celui, vociférant, haineux, hargneux, violent, terrifiant, des nationaux-socialistes autrichiens dans quelques années !

Avant le désespoir d'une situation sans issue, vous voilà étudiant à l'université. Vous choisissez la philosophie en humaniste que vous êtes et serez toujours. Les corporations étudiantes se battant en duel et tirant fierté de leurs balafres sur le visage comme autant de marques de virilité vous gênent. Non, ce qui vous passionne, c'est la poésie. Quelle joie lorsque vos premiers poèmes sont publiés et que vous recevez les encouragements de Rilke. Le compositeur Max Riger - l'égal de Richard Strauss - mettra en musique six de vos poèmes. La gloire frappe à votre porte. Vous avez à peine dix-neuf ans. Ce premier recueil sera publié à la Neue Frei Press, dont le rédacteur n'est autre qu'un certain Théodore Herzl. Celui-ci vous exhortera à voyager, à découvrir d'autres horizons, à vous ouvrir à d'autres cultures afin de mieux ressentir les différents mouvements littéraires.
Votre premier séjour sera Berlin. Ce court déplacement en Allemagne sera une parenthèse d'intense liberté où vous fréquenterez la bohème berlinoise mêlant aristocrates, bourgeois, prolétaires, homosexuels, morphinomanes, repris de justice, êtres jugés amoraux par votre milieu et dont vous recherchez la présence tout au long de votre existence. Après Berlin, ce sera la Belgique et la rencontre avec celui qui deviendra un de vos intimes, le poète Emile Verhaeren." Ainsi il se tenait en chair et en os devant le jeune homme que j'étais, lui, le poète, tel que je l'avais souhaité, tel que je l'avais rêvé. Et dès cette première heure de contact personnel, ma résolution était prise : servir cet homme et son œuvre". Puis, ce sera Paris, ville qui vous a émerveillé pour son vent de liberté apparente. Vous en aviez sans doute une image édulcorée et romantique, mais qu'importe, elle vous a emballé, emporté, vous l'avez sublimée. C'est toujours à Paris que vous rencontrerez Rilke qui vous avait encouragé à persévérer dans la poésie. Homme discret, Paris ne savait encore rien de son talent. Il était - comme vous - un inconnu dans la capitale et cela vous convenez à tous deux. De votre rencontre avec Rodin, vous aurez appris "[...] la concentration, le rassemblement de toutes les forces, de tous les sens, la faculté abstraite de soi-même, de s'abstraire du monde, qui est le propre de tous les artistes".

En plus de l'art, vous vous lierez avec des hommes politiques brillants de votre époque, particulièrement Walter Rathenau, qui vous a ébloui par son envergure politique et intellectuelle, son dualisme, sa volonté de tout faire, tout tenter pour sauver l'Europe. C'est Rathenau qui vous incitera à visiter l'Inde et les États-Unis afin de mieux comprendre le vieux continent. Petit à petit, ce siècle naissant
apportait le confort matériel et spirituel, l'assurance, la quiétude, l'ouverture à d'autres horizons pour tout le monde. Chacun pouvait enfin voyager, se cultiver, aller au théâtre, au cinéma débutant. Tout se démocratisait. Les femmes se libéraient de leurs entraves corsetées et voilées ; les hommes voulaient rajeunir. La vie était belle pour tous. Les conditions de travail s'amélioraient pour les ouvriers et les employées. Vous vous sentiez profondément européen, et persuadé - avec vos amis poètes, écrivains, artistes -, que la guerre ne s'imposerait jamais, que les hommes se lèveraient pour refuser cette ignominie. Vous aviez foi en Jaurès et en son International Socialiste et pacifiste. Cette situation entre ombre et lumière, espoir et angoisse, optimisme et pessimisme vous permettra de faire une autre rencontre, tout aussi décisive pour vous, celle de Romain Rolland. Surtout, l'été 1914 était splendide, chaud, ensoleillé. Vous deviez rejoindre Verhaeren en Belgique. Les batailles diplomatiques autour de l'archiduc François-Ferdinand vous inquiétaient bien un peu. Mais sans plus. Beaucoup de bruits pour rien ! Hélas, vous alliez faire l'amère expérience de la guerre, de la haine, de la fureur. Par deux fois, vous connaîtrez cette ferveur populaire qui mène au fanatisme, à la rage de combattre l'autre sans savoir, à la hargne de piétiner la culture, l'histoire, la vie sans la moindre concession à attendre. Vous refuserez toujours de cautionner de tels comportements. Au contraire, le Berliner Tageblatt publiera votre article, " A mes amis étrangers", pour leur prouver - si besoin en était - votre amitié fidèle et inébranlable, votre foi en la paix et la construction d'une culture européenne. "La plupart de nos anciennes relations s'étaient rompues par la faute de l'aveuglement patriotiques de nos camarades d'antan. Nous avions besoin d'amis nouveaux, et comme nous étions sur le même front, dans les mêmes tranchées spirituelles, luttant contre le même ennemi, il se forma spontanément entre nous une sorte de camaraderie passionnée [...]".

Le retour dans l'Autriche de cet entre-deux guerres vous désespérera. Qu'ont-ils fait de votre bel empire, si paisible ? Ils l'ont réduits à néant. Un état minuscule, dépouillé, amoindri moralement et économiquement. Cela vous désolera. Cependant, dans tout négatif, il y a toujours une part de positif. La société autrichienne voudra oublier, rayer, enfouir ces quatre années d'horreur pour vivre, vivre intensément, se dépouiller des oripeaux du passé, de tout ce qui corsetait, enfermait, vrillait la société, bridait l'esprit. L'art allait évoluer vers de nouvelles formes. Plus de liberté, plus d'audace ! On dépoussière les traditions, l'ordre des choses est bouleversé. On bouscule les modes de penser, d'être, de vivre. "Une époque d'extase enthousiaste et de fumisterie confuse, mélange unique d'impatience et de fanatisme. Tout ce qui était extravagant et contrôlable connaissait un âge d'or : la théosophie, l'occultisme, le spiritisme, le somnambulisme, l'anthroposophie, la chiromancie, la graphologie, le yoga indou et la mysticisme paracelsien. On s'arrachait tout ce qui promettait des états d'une intensité dépassant ce qu'on avait connu jusque-là, toute espèce de stupéfiants, la morphine, la cocaïne et l'héroïne ; au théâtre, l'inceste et le parricide, dans la politique, le communisme et le fascisme étaient les seuls thèmes, extrêmes, qu'on accueillît favorablement : en revanche, on proscrivait
sans appel toute forme de normalité et de mesure".

Mais très vite, de sombres et inquiétants nuages vont plomber votre ciel serein. D'abord l'Italie mussolinienne avec ses Chemises noires vous angoisseront. Puis, ce sera au tour de l'Allemagne d'être viciée par cette atmosphère délétère et nauséabonde avec la montée du national-socialisme. Cet entre-deux guerres qui verra la firmament de votre reconnaissance partout en Europe quoi que vous publiiez, sera bientôt annihilé par les forces fascistes qui pratiqueront la censure et les autodafés d'auteurs jugés indignes, dégénérés. Par votre religion et votre pacifisme, vous ne serez pas épargné. Ils vous pousseront à l'exil. Ils vous rendront la vie impossible et désespérante au point de préférer une mort digne et consentie à une errance contrainte et humiliante. En vous suicidant le 22 février 1942, vous laisserez un vide difficile à combler dans le monde littéraire qui se sentira désemparé, orphelin, désolé, perdu. Il faudra attendre trois ans pour que le monde vous redécouvre et vous rende votre dignité perdue en faisant de vous l'un des auteurs de langue allemande les plus appréciés et les plus connus de votre génération.

"Le Monde d'hier" de Stefan Zweig est un (re)lecture commune avec Karine:) et Flo.


309 - 1 = 308 livres dans ma PAL ...

22 janvier 2010

LE PROCES EN IMPUISSANCE

  • Le Congrès - Jean Guy Soumy - Laffont Éditions

"L'idée qu'il vient pour moi est absurde. Que pourrait bien me vouloir le loup ? Pourtant, elle m'a traversé dès le premier instant. Il y a si longtemps que plus personne ne s'engage entre les deux murets de pierres sèches qui mènent à la masure où j'ai choisi de me retrancher. Personne, sauf lui. Que sait-il de ma honte, de ma colère ? Il fallait bien que quelque chose arrivât. Que quelqu'un vînt. Que ce soit un loup ne me dérange pas. Je ne suis plus regardant, j'en ai perdu le droit. Je suis un homme prêt à admettre l'inconcevable pour peu que les mots qui le disent ne sortent pas des lèvres d'un prêtre, d'un juge ou d'un médecin". 1685, l'Édit de Nantes vient d'être promulgué, chassant les Protestants de France, les poussant à l'exil pour éviter les dragonnades qui sévissent partout dans le royaume de Louis XIV. Guillaume Vallade, fils de Joseph Vallade, maître bâtisseur du roi se souvient, dans son refuge isolé au fin fond de la Marche et du Limousin.

Tout a commencé un an auparavant, lorsque son père l'avait renvoyé au pays pour guérir une vilaine blessure à l'aine qui ne se refermait pas. Cette estocade, qui avait failli l'émasculer, va lui permettre de faire la connaissance d'Esther, fille d'un maître lissier influent d'Aubusson et protestante. Esther, son père et son époux fuient le royaume avant qu'il ne soit trop tard pour eux. Ils espèrent trouver un bateau pour l'Angleterre ou la Hollande - pays protecteurs de la religion réformée -, quelque part en Saintonge. Mais la route est longue, difficile et périlleuse, entre loups, brigands et soldats du roi chargés de surveiller la région. Et puis, Guillaume est attiré, aimanté par la personnalité d'Esther et ce qu'elle dégage de sensualité. "Son départ était comme l'arrachement d'un membre. Une perte absolue. J'étais incapable de me résoudre à la savoir jetée sur les routes aussi incertaines seulement protégée par quelques illuminés. L'apitoiement n'est pas dans ma nature et quand bien même l'aurait-il été, ma vie sur les chantiers en aurait fait disparaître toute trace. Mais ce matin-là un cercle m'enserrait la poitrine comme lorsque dans les concours de lutte un homme vous broie à vous étouffer. Soudain, je me décidai".

Sur un coup de tête, Guillaume décide de guider le groupe afin de les aider à arriver sain et sauf au port de La Rochelle pour embarquer vers la liberté. A l'instant du départ, comme un remerciement, une promesse amoureuse, Esther confiera - dans un murmure - sa cadette, Jehane, aux soins de Guillaume. En la rencontrant, chacun sait que leur destin est désormais lié, pour le meilleur et - surtout - pour le pire. Jehane, qui a abjuré la foi protestante pour protéger les bien de sa famille, de ses proches et amis ; Guillaume, qui vit hors de la religion, comme un mécréant. "Jehane en vint à m'interroger sur mes convictions religieuses. Au début, je l'assurai de ma loyauté à la religion catholique. Une fidélité bien tiède à vrai dire puisque je ne fréquentais ni les messes dominicales ni les confessionnaux, au grand courroux des curés, qui, à plusieurs reprises, m'avaient menacé du tribunal. Je tentais de donner l'image inexacte d'un homme plus éloigné des rituels que rebuté par l'idée même de la foi. Puis, au fil de nos conversations, je lui avouai un jour ne croire en rien de divin".

Reste maintenant pour Guillaume à convaincre son père - Joseph - de cette union
basée sur les sentiments et non pas un mariage d'intérêt. Bien que son père avait arrangé une alliance de sa famille avec les Bergeton, autre famille influente de bâtisseurs liée au contrôleur alternatif Michel Hardouin, celui-ci semble accepter le déni de cadet et accepter cette union. Le mariage se fera. Cependant, Louise - la belle-sœur de Guillaume - verra d'un très mauvais œil le retour de celui-ci à Versailles pour prendre la suite de son frère aîné décédé et de son père vieillissant. Louise Vallade veut le pouvoir pour son fils unique, Antoine et son frère, Laurent Coquart, architecte des bâtiments royaux de Versailles. Femme affairiste, dure et sans pitié, elle fera tout pour évincer Guillaume en se servant de la situation ambiguë de la douce et tendre Jehane. "Dans les jours qui suivirent, nos rapports avec Louise, Antoine et les oncles Coquart, qui étaient rue Saint-Julien comme en terre conquise, se dégradèrent. Le lendemain de notre arrivée, Louise tenta d'imposer à Jehane un directeur de conscience. Mon épouse se rebiffa. Elle refusa d'accompagner ma belle-sœur aux matines. les deux femmes mirent tout en œuvre pour s'éviter. Jamais Louise ne fut dupe de l'abjuration de bouche de Jehane. Cette certitude fut déterminante dans l'élaboration de la machination qu'elle conçut contre nous. Sans la haine née de cette obsession de la religion, attisée par des questions d'intérêts immenses de la succession Vallade et la volonté d'installer Antoine en me dépossédant, jamais nous n'aurions dû affronter l'épreuve du Congrès". Le pire ne leur sera pas épargné. Louise Vallade, la bru cupide et avide de pouvoir fera tout ppour détourner la charge revenant de droit à Guillaume au profit de sa famille et de son fils. Un tel amour, aussi pur, aussi beau soit-il, peut-il survivre à un tel outrage ?

"Le Congrès" de Jean Guy Soumy relate une affaire peu banale dans l'histoire en général et dans la littérature en particulier, celle d'un procès en impuissance au cours duquel le mari doit honorer - publiquement - son épouse devant un parterre de religieux, de médecins de toutes sortes, de courtisans de cour et de bavardes matrones afin de prouver ses qualités de reproducteur. C'est l'outrage qui va être imposé à Guillaume Vallade, héritier d'une charge de bâtisseurs, proche du Surintendant et du roi Louis XIV, et à sa femme Jehane, protestante convertie. Comment en sont-ils arrivés devant ce tribunal si particulier, à la limite de la pornographie autorisée dans un royaume devenu si puritain ? Tout simplement pour des questions de prérogatives, de pouvoirs, d'ascendance sur des membres puissants et décisionnaires de cette famille renommée. Lorsque l'influence change de main ou échappe à certaines personnes avides de reconnaissance sociale, celles-ci sont souvent prêtes à tout pour récupérer leur dû. C'est toute l'histoire du "Congrès" de Jean Guy Soumy. Dans ce roman historique, on retrouve cette société du 17ème Siècle flamboyant, celle de la munificence de Louis XIV avec l'édification du château de Versailles, du petit Trianon, des jardins et fontaines, mais aussi siècle de
pudibonderie et de rigorisme religieux avec la révocation de l'Édit de Nantes. Dans cet univers où chacun veut briller, parader, se montrer sous son jour le meilleur pour complaire au Roi Soleil, certains osent les pires forfaitures pour étendre leur souveraineté, écraser les autres, les humilier socialement et humainement pour assouvir leur désir de prérogatives et de charges. Dans cet univers des bâtisseurs, artisans d'art issus du Moyen Âge, on trouve la cupidité et les alliances qui écrasent l'individu au profit de l'intérêt personnel. Jean Guy Soumy nous parle du Tribunal de l'Officialité chargé de vérifier que le couple est capable d'assurer une descendance et ne possède pas de tare sexuelle. En toile de fond de cette histoire, il y a l'élaboration de ce qui deviendra un des joyaux du royaume de France par les artisans bâtisseurs et les ouvriers essentiellement venus de leur Limousin natal pour que le rêve d'un roi devienne enfin une réalité resplendissante. Dans une langue simple, belle et châtiée compte tenu du sujet délicat abordé, l'auteur nous fait revivre cette société où se côtoyaient le faste des gens bien nés et l'abject de la religion partout présente, jusque dans les esprits et les privilèges à récupérer.

Un grand merci à BOB et aux éditions Robert Laffont pour cet envoi judicieux et captivant de bout en bout.

D'autres blogs en parlent : Stephie, Pimprenelle, Le blog livres de Paris Normandie avec une interview de l'auteur, Geisha Nellie .... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit commentaire.

310 - 1 = 309 livres ... Quand je vous dis que l'on peut faire baisser sa monstrueuse PAL !

17 janvier 2010

ETRANGERE A SA VIE

  • Manhattan - Anne Revah - Arléa éditions - 1er Mille

"J'ai arrêté d'écouter, je n'entendais plus rien, un silence brutal. Quatre taches claires taches claires trouaient mes masses cérébrales, envahissaient mes oreilles, mes yeux, ma respiration. J'ai recompté plusieurs fois : quatre trous de lumières vibraient sous mes yeux. J'y ai perdu la voix du neurologue. J'étais sans doute malade, c'est ce que j'avais compris. Le plan de Manhattan sur mon avant-bras était le signe d'une guerre cérébrale peut-être déjà engagée, presque muette mais réelle, quelque chose de larvé, de torve. J'ai senti que mes yeux regardais le monde à distance". Elle vient d'apprendre que son cerveau est atteint d'une maladie démélyénisante contre laquelle elle ne pourra pas lutter. Elle sait désormais que cette pathologie va anéantir lentement mais sûrement son corps, l'empêcher de penser, d'être, d'exister, lui ôter la vie. Avant que le pire n'arrive, elle décide de partir, de tout laisser en plan. Elle n'emporte que le minimum vital et son chien.

Cette jeune femme décide de fuir. Fuir son passé, son présent, son histoire personnelle, sa vie, Victor - son mari -, ses enfants, pour faire le point tant qu'il est encore temps. Cette fuite en avant et désespérée, c'est son kit de survie. Elle n'a pas peur. Elle veut juste remettre à plat toutes les choses de sa vie, se débarrassant des scories qui la plombent, se nettoyer de l'intérieur pour retrouver sa sérénité et affronter la fin en paix. Elle ne laisse rien derrière elle, pas de lettre, de justification, d'indices. Libre à chacun de croire, d'imaginer la suite. "Victor ne saurait jamais pourquoi j'avais disparu ; il penserait qu'un amour secret m'avait rendu la vie impossible, qu'un suicide impulsif m'avait arrachée à lui, il ne pourrait pas penser que je les avais quittés. Je laisse Victor avec les souvenirs d'une vie ensemble, je le laisse dans notre vie, je le perds, lui et les enfants, je les pousse loin du temps qui reste. Je sais ce qui viendra, c'est en moi que je porte la suite, les taches blanches sortiront une à une de leur réserve, elles donneront des douleurs, des entraves, je deviendrai une femme infirme avant de vieillir, je finirai par en mourir, mais je ne verrais pas la peur sur les visages, la tristesse sur leurs sourires de façade. Je veux vivre ce qui vient avec soulagement".

Elle a décidé d'écrire une longue lettre. Une seule et unique missive. Pour dire tout
ce qu'elle n'a jamais oser exprimer, révéler, crier, hurler à ses parents - à sa mère surtout -, à Victor, à ses amis, à son entourage. L'écriture va être une libération de l'emprise de son passé, de son existence antérieure, de ses obligations de surface, des masques et postures qu'elle avait dû singer, imiter pour convenir à son milieu, à son éducation. C'est un flot, un torrent grondant de mots, de phrases qui jaillit d'elle dans un débit ininterrompu. "Les mots vont me servir de guide pour me hisser hors de la grotte dans laquelle je croupis. Il faut que je répande le contenu, ce sera un écoulement de boue qui sortira enfin de moi, je vais m'en défaire, le purger jusqu'à la douleur en pressant fortement les parois qui le retiennent. Mes mots vont se frayer un chemin, je dois garder le calme dont j'ai besoin pour supporter ce qui va venir. Je vais m'efforcer de traiter tout cela avec détachement, comme un dossier administratif ou médical".

Son existence, cette jeune femme l'a toujours détestée parce qu'elle ne lui avait rien imposé, la laissant faire tout ce qu'elle voulait. Une vie cousue de fil blanc, facile et aisée, bonnes études, beau mariage, bonne situation professionnelle. Mais elle était incapable d'avoir une opinion à elle, d'exister par elle-même, d'oser être elle face aux autres. Elle a vécu sur des apparences, a laissé croire qu'elle savait tout sur tout, maîtrisé tout pour que personne ne vienne gratter la surface et découvrir la sombre réalité. La devanture était lisse, sans aspérité, propre et nette, alors que l'intérieur était un grand vide, froid, ténébreux, sans âme. "J'ai fait de ma vie une vitrine pour compagnon du devoir. Ce n'était pas une vie sans joie, c'était une vie sans vie". Elle qui a toujours refusé l'existence qui lui avait été dictée par les circonstances, ira jusqu'au bout de sa fuite.

"Manhattan" d'Anne Revah est une petite pépite littéraire dans cet univers où les mastodontes écrasent tout sur leur passage, surtout le meilleur ! En quatre-vingt dix pages, cette jeune romancière fait vivre au lecteur une tranche de vie - décisive - de son personnage principal. Cette jeune femme dont on ne saura que peu de choses, atteinte d'un mal incurable et fatal, qui décide de tout plaquer pour retrouver la quiétude et affronter la mort l'âme en paix. Qui n'a jamais pensé faire
comme elle ? Prendre le minimum pour se soustraire à une situation angoissante et insurmontable, pesante, insupportable, pour refaire sa vie ailleurs, différemment, se recréer, renaître, se défaire de son ancienne peau pour s'inventer un autre soi-même ? Il est des instants dans l'existence où cette envie de tout abandonner paraît la seule issue aux problèmes rencontrés. C'est ce que Anne Révah nous révèle dans "Manhattan". Cette femme écrit à sa mère, parce que l'on pressent qu'entre elles les non-dit, les silences lourds de conséquences et de reproches, des plaies béantes dans lesquelles se sont immiscées des mensonges, des secrets ont empêché leur cicatrisation psychique. Cette mère à qui elle impute ses sentiments feints, son attitude distante et froide, le vol de sa propre enfance et le dépeçage de sa vie d'adulte. Avec une économie de mots, sans pathos, sans fausseté, sans débordement sentimental, Anne Révah nous raconte la vie de cette personne qui n'a jamais accepté son histoire, qui a fait comme les autres, qui a suivi le cours de la vie. Elle nous relate une vie vide de sens, dont le soubresaut est la maladie létale qui lui permettra cette fugue salvatrice. "Manhattan" est un premier roman de qualité à l'écriture éthérée, sensible et élégante et où l'essentiel est dit en quelques mots toujours justes. A découvrir d'urgence !

Plusieurs blogs en ont parlé, dont le coup de cœur de Jérôme Garcin, Leiloona, Amanda, Yohan du Biblioblog, George Sand et moi, Lily, Sylire, Antigone, Kathel, Canel, Karine et ses livres, Mot à Mots, Laure, Cathulu, Pralineries ... D'autres, peut-être ?! Merci de me le faire savoir par un petit commentaire !


311 - 1 = 310 livres dans ma PAL qui n'augmente pas, mais diminue sans cesse. C'est un vrai mystère !

14 janvier 2010

TOUT LE PRIX DE L'AMITIE ET PLUS ENCORE


C'est Manu qui m'a gentiment taguée pour ce tag qui a longtemps circulé sur la blogosphère. Mais vous commencez à me connaître, je mets beaucoup de temps avant de répondre à un tag. Non pas que je me refuse à participer à ces petits à-côtés qui complètent la vie des blogs, mais je dispose de très peu de temps pour écrire mes billets. Donc, les tags viennent bien après les articles concernant les livres lus. Je souhaitais remercier chaleureusement Manu pour ce prix décerné qui fait toujours chaud au cœur, rassure sur ses qualités de critique en herbe et fait simplement plaisir, parce qu'un prix est toujours gratifiant, même si la médaille est virtuelle. J'aurais aimé qu'elle soit en chocolat ! Il faut que je vous dise les sept choses que j'aime particulièrement. Cela a été assez difficile de trouver sept éléments parmi tout ce que j'aime, mais j'ai procédé à des choix complètement subjectifs.

J'aime ...


1.
Lire, lire et lire ... encore et toujours ! Cela vous étonne ?! Moi, pas du tout. Je lis tout le temps, le jour, la nuit au cours de mes insomnies, dans les transports en
commun, dans les jardins publics, dans les pubs et salons de thé, sous le soleil d'été, à l'ombre des arbres, au bord de l'océan, d'une rivière, d'un ruisseau, à la piscine, en montagne pendant que d'autres font la queue aux remontes-pentes. Je lis partout, dès que j'ai cinq minutes à moi. Je lis tout le temps. C'est obsessionnel et cela dure depuis que j'ai appris à lire, c'est-à-dire depuis de nombreuses années ! Avant, je cassais les pieds à mon grand-père paternel pour qu'il me lise des histoires. Vous imaginez son soulagement le jour où j'ai enfin pu me débrouiller seule !

2. Flâner dans les librairies ... Regarder, toucher, ranger et remettre en ordre les livres déplacés par des personnes peu soucieuses des ouvrages. Lire les 4ème de couvertures et acheter des œuvres juste pour la beauté de ces mêmes couvertures, sans en connaître le sujet abordé ! Sentir, humer l'odeur des vraies librairies si caractéristique, empreintes de senteurs de l'imprimerie quand on prend bien le temps de respirer et de s'imprégner de l'atmosphère de ces lieux si particuliers. et presque magiques. Je regrette souvent cette absence de fauteuils pour se poser un instant et prendre le temps de feuilleter un livre découvert, lire quelques extraits avant son achat, comme c'est le cas dans certains pays.

3. Visiter les musées, les lieux historiques et culturels ... Une déformation certainement due à mes études et mon éducation ! Dès que j'arrive dans un lieu que je ne connais pas, en France ou à l'étranger, je m'empresse de m'informer sur tout ce qu'il y a à découvrir, à visiter, à voir. Juste pour le plaisir des yeux, des sens.
Écouter les guides raconter la grande et la petite histoire d'une œuvre d'art, d'un lieu, d'un personnage. Apprendre, encore et toujours pour alimenter cette source inépuisable de besoin de culture qui est en moi !

4. Boire du thé et de la bière ... J'aime les deux, mais pas en même temps ! Tout comme les vrais amateurs de bons vins dégustent, goûtent, hument les parfums, les effluves, les senteurs des tanins qui se dégagent d'une excellente bouteille de grand cru, je fais de même avec le thé et la bière. J'apprécie aussi bien le thé noir, corsé, fumant et odorant, relevé aux épices, aux écorces d'agrumes ou aux fleurs que le thé vert, plus doux, plus délicat, plus léger que l'on peut boire à toute heure du jour ou de la nuit ! Pour la bière, c'est la même chose. J'ai une préférence pour deux bières en particulier, la Pilsen Urquell, tchèque - sans doute la meilleure bière du monde, inégalée dans sa fabrication - et la Guinness, irlandaise. J'en bois de la même façon que pour mon thé, en prenant mon temps, en lisant et en regardant autour de moi, étonnée que le monde aille si vite, alors que le plaisir réside dans l'art de la nonchalance assumée.

5. Faire de la photo et marcher ... Ces deux activités sont complémentaires et indispensables à mon équilibre intérieur. J'ai toujours un appareil photo sur moi. Soit parce que je sais où je vais et que j'y vais pour prendre des photos ; soit parce que - lors d'un déplacement - je me dis que je peux découvrir quelques merveilles et instants subtils à immortaliser, lieux originaux à conserver. Marcher et photographier, pour se reposer, se détendre, se relâcher, se recentrer sur soi et sur
l'essentiel et évacuer tout ce qui peut parasiter l'atmosphère.

6. Partir à la campagne, au vert ... Que ce soit la Normandie, le Limousin, la Gascogne ou à l'étranger, dès que je le peux, dès que j'ai quelques jours devant moi, je me réfugie à la campagne, au vert, au calme, là où les oiseaux babillent et pépient, où l'on entend l'eau des ruisseaux murmurer, où les champs sont entrecoupés de bocages et de chemins herbeux et caillouteux menant d'un village à l'autre le chemineau curieux. C'est là que l'on peut me rencontrer, au détour d'un chemin de campagne, écoutant le temps qui passe, lisant ou photographiant.

7. Barnabé, mon chien ... Mon basset fauve de Bretagne, avec ses poils roux et bouclés sur ses pattes en canard, ses grandes oreilles tombantes et son regard toujours étonné de tout, sa queue longue et raide qui fouette l'air pour faire la fête aux personnes qu'il aime, son aboiement en flûte et ses jappements de meute lorsqu'il flaire un chat ou un lapin (il les confond !), sa joie lorsqu'il comprend qu'il va partir en promenade et courir dans les bois et les champs.

J'aurais pu rajouter tout un tas d'autres choses que j'aime, particulièrement vos blogs de lecture que je lis dès que j'ai un moment, même si je ne mets pas toujours de commentaire. Vous m'apportez tous et toutes tellement de joie et de bonheur que je vous inclus d'office dans ce prix de l'amitié.


Enfin, Sybilline a eu l'extrême bonté de me décerner le Prix de l'amitié sincère. Je la remercie infiniment pour avoir pensé à moi. Je dois, à mon tour, remettre ce prix à sept blogs. C'est un vrai calvaire, mais il faut faire un choix : Bouh, In Cold Blog, Le Kikimundo, Lounima, Mango, Émilie, Michel ... Beaucoup de blogueurs et blogueuses ont reçu ce prix. Si certains sont oubliés, sachez que je vous apprécie tous et toutes quand même pour votre présence - même passagère - sur ce modeste blog de lecture.

11 janvier 2010

SCHIZOPHRENIA

  • Thérapie - Sebastian Fitzek - Livre de Poche Éditions n°31584

"Lorsque la demi-heure fut écoulée, il sut qu'il ne reverrait jamais sa fille. Elle avait ouvert la porte, s'était retournée une dernière fois vers lui, puis était entrée dans la pièce où l'attendait le vieil homme. Mais Joséphine, sa fille de douze ans, ne devait plus en sortir. Il en était certain. Plus jamais il ne reverrait son sourire radieux, le soir, quand il allait se coucher. Plus jamais il n'éteindrait sa petite lampe de chevet aussitôt après qu'elle se fut endormie. Et plus jamais il ne serait réveillé au milieu de la nuit par ses cris stridents. Cette certitude s'imposa brutalement à lui, le laissant en état de choc". Viktor Larenz, célèbre psychiatre berlinois, ne comprend plus très bien ce qui lui arrive. Josy, sa fille chérie, est atteinte d'une maladie qu'aucun praticien ne parvient à diagnostiquer. La seule chose dont ils sont sûrs, c'est que Josy n'a ni le sida, ni un cancer. Voilà maintenant près de six mois que le docteur Larenz a arrêté toute activité professionnelle, vendu son cabinet de la Friedrichstrasse pour consacrer tout son temps et son énergie à sauver sa fille. De cabinets de consultation en services hospitaliers, personne n'a encore pu lui donner une réponse claire et un traitement adéquat pour ses symptômes. Un jour, alors que Josy avait rendez-vous chez un allergologue, celle-ci se volatilise mystérieusement. Quatre ans plus tard, son père ne l'a toujours pas retrouvée. Qu'a-t-il pu arriver à Josy Larenz, douze ans, atteinte d'un mal apparemment incurable et mystérieusement évanouie dans la nature ?

Quatre ans que le docteur Larenz tente vainement de répondre à cette question, la tournant et la retournant dans tous les sens, en faisant une obsession au point de ne plus penser qu'à cela. Celle-ci devenait sa raison d'être, de vivre, d'exister. Désormais, plus rien ne serait comme avant tant que la réponse à cette disparition n'apparaîtrait pas, telle une apparition dans le désert. "Il n'avait plus aucun souvenir de ce qui s'était passé juste après le choc. Il ignorait à qui il avait parlé et où il était allé, pendant que sa famille sombrait dans le chaos. Isabel avait été la plus courageuse. C'était elle qui avait fouillé le placard de Josy à la demande de la police, pour savoir ce qu'elle portait ce jour-là. C'était elle qui avait décollé une photo de l'album familial, afin que l'on pût mettre le portrait de la petite sur les avis de recherche. Et c'était elle, enfin, qui avait informé le reste de la famille, pendant que lui errait sans but à travers les rues de Berlin. [...] Trois mois plus tard, alors qu'elle avait déjà repris son activité de consultante, Viktor avait vendu son cabinet. Et il ne s'était plus occupé du moindre patient depuis".

En partant s'exiler sur l'île de Parkum, dans la mer Baltique, le docteur Larenz espère remettre de l'ordre dans ses pensées, se recentrer, retrouver le moral, y voir plus clair dans cette affaire confuse et trouble. Mal lui en prendra ! Se croyant seul avec les habitants sur cette île du bout du monde, arrive une inconnue pour le
moins énigmatique. Elle veut lui parler à tout prix, devenir sa patiente. Elle a fait le chemin depuis Berlin pour cela. Anna Spiegel, auteur de livres pour enfant est connue à l'étranger, particulièrement au Japon. Hors, depuis cinq ans, elle a cessé toute activité. En fait, depuis que son état de santé mental s'est détérioré au point d'être enfermée pendant quarante-sept mois en clinique psychiatrique. Anna est schizophrène et les personnages inventés pour les histoires qu'elle écrit prennent forme devant ses yeux. Son ultime roman, resté à l'état d'ébauche en raison de ses problèmes psychiques, concernait une fillette de neuf ans - Charlotte - atteinte d'un mal étrange, qui s'enfuit du jour au lendemain. Larenz, croyant trouver là un début de réponse à la perte de Josy, fera tout pour apprendre la suite. En vain. "Anna cligna plusieurs fois des yeux, l'air hagard. Il semblait qu'elle n'avait soudain plus envie de continuer. - Rien, rien. Excusez-moi. Continuez. Anna se racla la gorge et se leva. - Si ça ne vous ennuie pas, docteur Larenz, je voudrais faire une pause. Je sais bien que c'est moi qui ai insisté pour que nous ayons cette discussion. Mais, maintenant, je me rends compte que je ne suis peut-être pas encore prête. Ces hallucinations ont vraiment été pour moi quelque chose d'horrible. Et j'ai finalement plus de mal à en parler que je ne le pensais. - Bien sûr, dit Viktor, malgré son impatience à entendre la suite. Il se leva également. - A partir de maintenant, je ne vous embêterai plus. Peut-être que je pourrai rentrer chez moi dès demain. Non ! Viktor cherchait désespérément une solution. Alors que, quelques minutes plus tôt, il la pressait encore de partir, il ne pouvait plus à présent accepter l'idée qu'elle disparût à jamais". Dès lors, Viktor Larenz est persuadé que Anna Spiegel sait ce qui est arrivé à Josy.

Si vous aimez les livres qui font trembler de peur tout en titillant votre intérêt ; si vous avez envie de lire un thriller à vous couper le souffle, à vous maintenir les yeux ouverts toute la nuit (ou presque) telle une chouette effraie ; enfin, si vous aimez vous torturer les méninges à essayer de vous y retrouver dans les méandres de l'âme humaine torturée, alors "Thérapie" de Sebastian Fitzek est le roman qu'il vous faut ! En un peu plus de trois cents pages, vous avez là ce qu'il faut pour passer un moment tout à la fois excitant et terrifiant. Parce que "Thérapie" est un cauchemar éveillé, même pour le lecteur avide de sensations fortes. Imaginez un père recherchant illusoirement sa petite fille volatilisée, évaporée dans la nature, sans un indice, atteinte d'un mal soi-disant inconnu de la médecin moderne ; cet homme, brillant et reconnu professionnellement, qui perd pied, lutte, se bat et se débat pour rester à flot malgré le malheur qui s'est abattu sur lui, le faisant souffrir physiquement et moralement, quand débarque de nulle part cette jeune femme lui racontant sa pathologie, ses troubles schizophréniques ressemblant à s'y méprendre à l'histoire de Joséphine Larenz. Tout au long de "Thérapie", une question lancinante revient en mémoire : Qui est le fou dans cette histoire ?. Qui est atteint de troubles hallucinatoires. Le psychiatre qui refuse la disparition de sa fille, Anna Spiegel qui semble être évanescente, Isabel Larenz qui vit comme avant.
Sebastian Fiztek nous tient en haleine dès les premières lignes. Dès lors, impossible de s'arrêter de lire ce thriller qui fait penser à l'ambiance angoissante, plombée, lourde, des grands films hitchcockiens. Avec "Thérapie", le lecteur a l'impression de revivre les grands moments de tension de "La mort aux trousses", ou encore l'univers sombre des "Oiseaux". On lutte avec le docteur Larenz pour ne pas sombrer à notre tour dans la folie profonde. On cherche à savoir sans réellement comprendre ce qui arrive, tant l'auteur pousse à bout et son personnage et son lecteur. Malgré quelques petits défauts inhérents à tout premier ouvrage, "Thérapie" reste un excellent thriller dont on sort difficilement et avec beaucoup de regrets.

Un grand merci à Livraddict pour cet envoi et cette découverte d'un auteur de grand talent.

Les blogs qui en parlent : Claude Le Nocher, Ys, Bene, Virginie, Canel, Myarosa, Cacahuète, Jess, Laure, Deliregirl ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un commentaire que je vous ajoute à la liste.

312 - 1 = 311 livres à lire d'ici fin 2010 ... Est-ce possible ?!

9 janvier 2010

A UNE FEMME VENEREE ...

  • Lettres à sa mère - Antoine de Saint Exupéry - Folio n°2927

Il est des moments en littérature comme dans la vie, que l'on désire à tout prix partager. Je veux parler de ces instants de bonheur pur, vrai et éblouissant qui vous font aimer la vie et les livres. "Lettres à sa mère" d'Antoine de Saint Exupéry en fait désormais partie. L'instant de sa lecture a été un délice. Celui de sa séparation, un moment de tristesse. Il me fallait le laisser rejoindre sa place dans la bibliothèque, à l'ombre d'autres livres appréciés. Cette appréhension était apaisée par le fait d'en parler et de prolonger cette relation. Comme beaucoup, je vous un culte secret au "Petit prince", depuis mon enfance. Culte qui ne s'est jamais démenti depuis. Et qui restera en l'état jusqu'au bout. J'ai lu, à l'adolescence, la plupart des livres de Saint Exupéry. Tous m'ont fait rêver, voyager, aimer l'inconnu et ses trésors. J'ai aimé son écriture, empreinte de délicatesse et de générosité. J'ai apprécié sa tolérance envers les autres et le regard qu'il posait sur toutes choses et sur chaque être.

En lisant "Lettres à sa mère" qui est un recueil de la correspondance de Saint Exupéry avec sa mère couvrant la période 1910 - 1944, j'ai appris beaucoup, énormément sur l'homme, sur l'auteur, sur l'humaniste qu'il était. Antoine de Saint Exupéry était très lié à sa mère, Marie, par une affection et une tendresse de chaque instant. "Je suis ravi, enchanté, aux anges et si je vous avais près de moi je serai au troisième ciel. Écrivez-moi bien souvent, vos lettres sont un peu de vous". En enfant, puis en adulte prévenant, il s'inquiétera toujours de la santé de cette mère adorée. Au travers de ses écrits, on le ressent comme un jeune homme doux, quelque peu mélancolique et angoissé par les événements de l'existence. Son enfance, heureuse et douce, revient au long de ses lettres, comme un îlot protégé par les ravages qu'ils ont traversé en commun. "Et je rêve aussi beaucoup à vous et me souviens d'un tas de choses de vous quand j'étais gosse. Et cela me navre le cœur de vous avoir si souvent fait de la peine. Je vous trouve si exquise, si vous saviez, maman, et la plus subtile des "mamans" que je connaisse. Et vous méritez tant d'être heureuse [...]".

On apprend ainsi qu'Antoine de Saint Exupéry joue du violon et compose des morceaux, qu'il écrit des vers, prend des cours de dessin. Tout ce qu'il créé, invente, écrit et décide est partagé avec sa mère. Une femme intelligente, cultivée et artiste, hors du commun, qui a surmonté tant de chagrins, tant de souffrances et de difficultés. Ces drames de l'existence, vécus ensemble, leur ont donné une intimité proche de la relation fusionnelle, qui les unit au-delà de la mort même. Sa position de chef de famille a contribué à faire de Saint Exupéry un homme responsable dès son plus jeune âge. Cette surprotection qu'il prodigue à sa mère et à ses sœurs, sera la même pour ses équipes de pilotes, plus tard. "Et quand mes avions partent, c'est comme mes poussins. Et je suis inquiet jusqu'à ce que la TSF m'ait annoncé leur passage à l'escale suivante - à 1 000 kilomètres de là. Et je suis prêt à partir à la recherche des égarés".

Au final, on (re)découvre un auteur d'une grande profondeur d'âme, soucieux et presque torturé par l'avenir d'un monde qui se délitait petit à petit et le devenir des siens. Lui qui savait si bien qu'il ne pouvait rien contre la marche inexorable de l'histoire, aurait tant voulu rendre la vie belle et lumineuse à ceux qu'il aimait. "Pourquoi faut-il que tout ce que j'aime sur terre soit menacé ? Ce qui m'effraie bien plus que la guerre, c'est le monde de demain [...]. La mort, ça m'est égal, mais je n'aime pas que l'on touche à la communauté spirituelle. Je nous voudrais tous réunis autour d'une table blanche".

* Billet précédemment publié sur mon ancien blog et relu dans le cadre du défi de Marie L.

5 janvier 2010

LE LIED DE LA VIE

  • La chorale des maîtres bouchers - Louise Erdrich - Livre de Poche n°30809

"Il s'assit au bord du lit. Sur une grosse étagère fixée dans le mur, ses livres s'alignaient, ou s'empilaient, tel qu'il les avait laissés, marqués de fines languettes de papier. Un temps, bien que sa profession fût assurée, il avait aimé s'imaginer poète. Aussi ses étagères étaient-elles chargées de volumes de ses héros, Goethe, Heine, Rilke, et même Trakl, dissimulé derrière les autres. Il les considéra avec une morne curiosité. Comment avait-il pu un jour se soucier de ce que racontaient ces hommes-là ? Qu'importaient leurs mots ? L'histoire de son enfance se trouvait également dans cette pièce, ses petits soldats toujours disposés sur le rebord de la fenêtre. Et sa fierté de jeune homme : ses diplômes et ses certificats de la guilde encadrés et accrochés au mur. Ces choses-là comptaient. Ces papiers représentaient son avenir. Sa survie". C'est un Fidelis Waldvogel mutique qui revient du no man's land de la Grande Guerre. Dans ce bourbier immonde, il a laissé son ami Johannes avec une promesse à tenir, celle de ne pas abandonner la fiancée de ce dernier, Eva, enceinte jusqu'aux yeux. Fidelis, être un peu rude et taciturne a tenu parole. Il a annoncé la mauvaise nouvelle à Eva et l'a épousée de suite après. Ce jour-là, il a enfin compris qu'il était aussi fait pour aimer, être aimé et non seulement pour tuer, bêtes ou hommes. Il avait aussi compris que son destin et celui de sa famille se ferait désormais hors d'Allemagne. C'est aux États-Unis que Fidelis Waldvogel, Eva, leur enfant de trois ans et sa valise pleine de couteaux pour tailler, débiter, trancher, découper la viande, s'établiront pour y exercer sa profession de boucher et son art ancestral, le chant choral.

C'est le hasard - ou la fatalité - et le manque d'argent pour aller jusqu'à Seattle qui l'amèneront à s'établir à Argus dans le Dakota du Nord. "Le bourg d'Argus était la création du chemin de fer, et le chemin de fer n'avait aucun droit d'être là. Pourtant, une fois la rivière franchie, impossible de l'empêcher de poursuivre sa route dans le néant". Grâce à la qualité de son travail, à la saveur unique de ses saucisses et aux économies durement gagnées, Fidelis avait pu s'établir à son compte et acheter une petite ferme pour abriter son bonheur composé d'Eva et du petit Franz. Ils avaient fait de leur habitation un havre de paix, de sérénité, de douceur. Fidelis était un homme ordonné, méticuleux, rigoureux, qui ne laissait rien au hasard, ne faisait rien sans réfléchir. De tout cela, il en tirait une grande force morale sur laquelle Eva pouvait se reposer. Mais à Argus, malgré la vie qui s'écoule comme une rivière paisible, la chorale de Ludwigsruhe manquait terriblement à Fidelis. Il décidera d'en créer une de toutes pièces avec certaines bonnes volontés du village. "Leurs voix montaient, seules, puis, dès le second refrain, se mêlaient dans la nuit en un chœur fervent. Sur les mélodies plus familières, ils chantaient instinctivement en harmonie. Le shérif Hock avait une voix de tête déchirante. La baryton de Zumbrugge avait la profondeur d'un violoncelle et une âme inattendue, chez l'auteur de tant de saisies impitoyables. Tant qu'il avait un verre de schnaps à la main, Roy Watzka pouvait chanter toutes les parties avec la même conviction [...]". Même son rival professionnel et ancien employeur
dans la bourgade d'Argus, Pete Kozka, amateur de chant se réconciliera avec Fidelis Waldvogel pour joindre sa voix à celle de la chorale d'Argus. Roy Watzka, l'ivrogne notoire du bourg, se découvrira un organe vocal ignorait jusque-là !

Delphine Watzka, contorsionniste occasionnelle dans des cirques minables du comté et revenue à Argus pour renouer avec son enfance et son débauché de père se prendra immédiatement d'amitié pour Eva. Elle deviendra vendeuse à la boucherie et femme à tout faire auprès de la famille Waldvogel. Delphine qui verra défiler dans cette boucherie toute la population d'Argus, des plus nantis au plus démunis. "Car le magasin et les animaux morts nourrissaient une gamme compliquée d'êtres - du banquier, dont le steak cuit à la perfection était déposé devant lui
chaque soir, à ceux qui achetaient les saucisses, et enfin les bas morceaux ; de la famille de Sioux Dakota, plus foncés que Cyprian et vêtus de tissus imprimés démodés, qui portaient des colliers de perles roses, bleus, corail et jaunes, et troquaient du gibier ou des baies contre de la farine ou du thé, en passant par ceux qui ne payaient pas du tout comme Un-Pas-Et-Demi, Simpy Benson, les Shimek, et les pères au chômage jetés sur les routes de la Grande Dépression, jusqu'aux chiens qui rongeaient les os qu'Un-Pas-Et-Demi refusait et, plus loin encore, les plantes qui s'épanouissaient grâce aux os pulvérisés que les chiens ne parvenaient pas à croquer". Delphine qui soutiendra jusqu'au bout Eva dans la douleur de sa maladie, l'aidant à mourir dignement, dans la paix et la sérénité. Delphine, qui - en souvenir d'Eva et de sa générosité - finira l'éducation de Franz, Markus, Emil et Erich, les garçons de celle-ci. Delphine, épicentre d'un microcosme où les hommes s'aiment et se quittent, se battent et se réconcilient, partent et reviennent.

Que dire de plus sur la "Chorale des maîtres bouchers", sinon que ce roman est un pur joyau de la littérature amérindienne. Il y a tous les ingrédients dans cette œuvre magistrale pour en faire un très grand livre, un classique qui restera dans les annales, au même titre que les livres de Toni Morrison, Faulkner ou encore Steinbeck. "La Chorale des maîtres bouchers", ou l'histoire des États-Unis analysée au microscope par une romancière qui nous ciselle - tel un orfèvre - le quotidien de Fidelis Waldvogel, de sa famille, des principaux habitants d'Argus des années 1920 aux années 1950. Et ce que l'on peut dire de ces personnes-là, c'est qu'ils sont pour le moins curieux, singuliers, originaux. A commencer par le pivot de cette fresque - Delphine Watzka - originaire de la lointaine Pologne, fille d'un ivrogne qui n'a plus désaoulé depuis la disparition de sa femme adorée, qui rêvait de faire du théâtre, et avait servi de table humaine à Cyprian Lazarre, son drôle de compagnon - mi-indien, mi-français -, et équilibriste hors pair. Cyprian, qui vivait de bric et de broc, de trafic d'alcools dû à la Prohibition, et qui était plus attiré par les hommes que par les femmes, malgré ses sentiments pour Delphine. Il mettait cette attirance sur le compte de son traumatisme dans les tranchées en 1917. Ou encore Clarisse, amie d'enfance de Delphine, aussi belle qu'intelligente, et qui a décidé de reprendre la société de Pompes Funèbres de son oncle Stub. Elle allait ainsi devenir la meilleure embaumeuse de cadavres de la région. Dans ce monde étrange, à l'écart des turbulences de l'histoire et du reste de la société - telle une communauté indienne
vivant dans sa réserve, à l'abri de tout - on trouve aussi la mystérieuse Un-Pas-Et-Demi qui arpente continuellement la campagne pour récupérer tout ce qui est jeté, inutilisé et le revendre dans son magasin bric-à-brac. Ou encore Tante, sœur de Fidelis et vieille fille, qui n'a qu'un désir, celui de revenir en Allemagne triomphante avec les fils de son frère comme trophée. Il y a tout cela dans "La Chorale des maîtres bouchers" de Louise Erdrich et plus encore. Telle une mélopée indienne murmurée depuis des générations, l'histoire de Fidelis Waldvogel et de sa famille se déroule au gré des grands bouleversements du monde. Lui et les siens en subissent les grondements, les secousses, les évolutions avec le calme et la sérénité légués par les Anciens. Fidelis Waldvogel et les siens - tels le peuple amérindien, - s'adaptent aux situations, tout en essayant de préserver l'essentiel, la vie, les sentiments, les legs du passé. "La Chorale des maîtres bouchers" est une cantate, un requiem, un lied en hommage au foisonnement de la vie, à ses vicissitudes, à sa beauté, à ses difficultés, à ce qui fait son intérêt. C'est tout simplement magnifique !

Tous les avis sur BOB ... Et un grand merci à Suzanne du site "Chez les Filles" pour cet envoi merveilleux, dont la lecture était prévue de longue date et qui a précipité ma décision !


313 - 1 = 312 livres dans ma PAL ! Elle ne monte jamais, mais descend toujours !






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2 janvier 2010

LE RETOUR A LA VIE

La Trêve - Primo Levi - Le Livre de Poche Éditions n°15438


"C'est pourquoi, pour nous aussi, l'heure de la liberté eut une résonance sérieuse et grave et emplit nos âmes à la fois de joie et d'un douloureux sentiment de pudeur grâce auquel nous aurions voulu laver nos consciences de la laideur qui y régnait ; et de peine, car nous sentions que rien ne pouvait arriver d'assez bon et d'assez pur pour effacer notre passé, que les marques de l'offense resteraient en nous pour toujours, dans le souvenir de ceux qui y avaient assisté, dans les lieux où cela s'était produit et dans les récits que nous en ferions. Car, et c'est là le terrible privilège de notre génération et de mon peuple, personne n'a jamais pu, mieux que nous, saisir le caractère indélébile de l'offense qui s'étend comme une épidémie. Il est absurde de penser que la justice humaine l'efface. C'est une source de mal inépuisable : elle brise l'âme et le corps de ses victimes, les anéantit et les rends abjects [...]".

Le 27 janvier 1945, le camp de Buna-Monowitz est libéré par quatre soldats russes, arrivés là par hasard sur leurs chevaux. Pour Primo Levi et ses camarades, laissés sur place par leurs tortionnaires plus pressés de fuir l'avance de l'Armée Rouge que de suivre les ordres au pied de la lettre, ce 27 janvier est un jour comme les autres. On traîne les morts jusqu'à la fosse commune pour libérer de la place à l'infirmerie du camp, on tente de survivre avec rien, on attend. Quoi ? La fin de l'horreur ou le début cauchemardesque de la culpabilité du survivant ? En attendant, les rescapés vont être pris en charge par de robustes infirmières de l'Armée soviétique, dont le premier geste sera une bonne - et non moins réelle - douche tiède pour tous. C'est à cette occasion que Primo Levi apprendra ses premiers mots russes : "Po malu, po malu !" ("Doucement, doucement !").

Lavé, rasé pour une ultime fois, habillé de frais, il sera séparé de ses amis français en meilleure forme que lui, pour être renvoyé à l'infirmerie, dans un autre "Service des contagieux". Bien que très différente de celle du temps de ses bourreaux, Primo Levi retrouvera dans ces lieux les mêmes êtres décharnés qu'auparavant, mais aussi les autres, les anciens privilégiés, transformés, changés, métamorphosés, et continuant néanmoins leur sombre besogne pour plaire aux soldats russes, indifférents et lassés des combats, parce que vainqueurs. A peine sorti de l'infirmerie, Primo Levi sera expédié dans un autre camp sur une charrette réquisitionnée par les militaires russes. "Entraîné moi aussi dans ce tourbillon, par une nuit glaciale, après une abondante chute de neige, je me trouvai, bien avant l'aube, chargé sur une charrette militaire, en même temps qu'une dizaine de compagnons que je ne connaissais pas. Le froid était intense ; le ciel, criblé d'étoiles s'éclairait du côté du levant et promettait une de ces admirables aurore de plaine auxquelles, au temps de notre esclavage, nous assistions interminablement, sur la place d'appel du camp. Notre guide et escorte était un soldat russe. Il était assis sur le siège et chantait aux étoiles, à gorge déployée, s'adressant de temps en temps aux chevaux, à la façon russe, étrangement affectueuse, avec des inflexions gentilles et de longues phrases modulées. Nous l'avions interrogé sur notre lieu de destination, bien entendu, mais sans en tirer rien de compréhensible, sauf que, d'après son souffle rythmé et le mouvement de ses coudes, repliés comme des pistons, sa tâche devait se borner à nous amener à une voie de chemin de fer".

Au milieu de cette plèbe contenant presque toute une humanité étique et étonnée d'avoir survécu au pire, il rencontrera un grec - Mordo Nahum - qui traînait avec lui un drôle de sac aussi haut que lourd, lui donnant un aspect plutôt insolite. Arrivé à Cracovie en compagnie de son nouvel ami grec - et première étape d'une longue errance pour Primo Levi -, après avoir ripaillé avec des prisonniers italiens,
direction le marché qui avait refleuri quelques jours à peine après le passage du front, pour tenter de vendre les quelques affaires qu'ils avaient volé en chemin. Mais Cracovie ne sera qu'une halte de courte durée sur la route du retour, et Primo Levi rejoindra très vite Katowice et un camp où étaient consignés des ouvriers italiens de l'Organisation Todt, toujours sous la surveillance dilettante des soldats russes. Il s'y disait que - de cette ville polonaise - partaient des convois de rapatriement de survivants de tous les pays d'Europe et de prisonniers anglais et américains. Parce que Primo Levi sait parler un peu l'allemand, il sera chargé de la pharmacie du camp de Katowice, devra contrôler et noter le nom des pouilleux pour éviter la diffusion du typhus pétéchial. C'est ainsi qu'il rencontrera Ferrari. Ferrari, voleur raté, envoyé en Allemagne après s'être fait prendre, tentant de voler à la tire dans un tram de Milan. "Ferrari, un prodige d'inertie. Il faisait partie du petit groupe de criminels de droit commun, déjà détenus à San Vittore, auxquels, en 1944, les Allemands avaient donné le choix entre les prisons italiennes et le travail en Allemagne et qui avaient opté pour ce dernier. Il étaient une quarantaine environ, presque tous voleurs ou receleurs : ils constituaient une petit monde à part, hétéroclite et turbulent, source d'ennuis perpétuels pour le Commandement russe et le comptable Rovi". Mais Katowice n'est pas l'Italie, et - à l'heure de la liberté retrouvée, vraie et définitive - Primo Levi n'a qu'une seule et unique envie, rentrer chez lui, retrouver sa famille, laisser derrière lui cette parenthèse d'horreur et de terreur pour essayer de refaire surface.

Pour tous ceux et celles qui ont lu "Si c'est un homme" de Primo Levi et qui auraient peur de poursuivre avec "La Trêve", je tiens à vous rassurer immédiatement, ils sont antithétiques. Cela peut vous paraître étrange, mais "La Trêve" raconte le retour à la vie, à la normalité, au quotidien de cette poignée d'hommes et de femmes miraculeusement rescapés d'un enfer dont on a parfois du mal à comprendre le déferlement de haine et de violence dans lequel ils évoluaient. En relatant l'après, Primo Levi a aussi pris du recul par rapport à l'événement et à son expérience personnelle dans "Si c'est un homme" - écrit dans l'instant ou presque -, à tout le moins dans la tourmente de cette déportation et la découverte de la vie concentrationnaire. Dans "La Trêve", tous sont sortis d'un même cauchemar et les choses - d'un coup - reprennent leur place naturelle. Les anciens favorisé de Buna-Monowitz tentent de conserver leurs précédentes fonctions et avantages avec leurs nouveaux maîtres, ou essaient de se faire
oublier par les autres déportés. Les autres veulent rentrer chez le plus rapidement possible et par tous les moyens, enterrer l'horreur dans l'abîme de ses souvenirs, laisser le camp et les coups, la faim, le froid et la peur des sélections derrière soi. Bref, encore le chaos, à la différence près que cela est sur un mode plus léger, plus déluré, où chacun à sa part de chance avec le destin, parce que sur tous souffle un vent de liberté tant attendue, tant méritée. Au cours de cette "Trêve" pittoresque et picaresque, Primo Levi croisera deux vendeurs, hâbleurs, voleurs hors du commun qui l'aideront à se débrouiller avec les moyens du bord, Mordo Nahum - juif grec de Salonique, taciturne et mutique - et Cesare, juif romain parlant un italien incompréhensible, mâtiné d'hébreu et d'argot du quartier populaire de San Lorenzo, que tout le monde comprenait grâce à ses gestes et ses mimiques. Dans cette humanité hébétée et ébahie d'être encore en vie, Primo Levi découvrira des soldats russe aussi jeunes que désinvoltes, une armée de vainqueurs indifférente à tout et vivant du trafic avec la population locale ou les rescapés pour améliorer son ordinaire, où tout un chacun surnage dans une joyeuse pagaille. Il côtoiera des voleurs ratés et des vrais arnaqueurs qui reprendront leurs anciennes activités en quête de bonnes affaires à réaliser, de vrais héros et des paysans mâdrés. Dans "La Trêve", Primo Levi nous parle de ces hommes et de ces femmes, de leurs rêves, de leurs espoirs en une vie meilleure, nouvelle, autre après tant de souffrances, de malheurs, de douleurs. Ces hommes qui, d'un coup, ont réappris à aimer, à respirer et à penser sans crainte, se sont surpris à regarder autour d'eux et à s'émerveiller de la beauté d'un paysage, de la délicatesse d'un visage féminin, ont répondu à des sourires sans peur. Ces personnes ont compris qu'elles revenaient d'un univers où l'on avait essayé - vainement - de les réduire en sous-hommes, en esclaves, en barbares. Tous en ressortiront grandis, avec le sentiment d'avoir traversé le pire pour connaître - enfin - le meilleur.

"La Trêve" de Primo Levi a été lu dans le cadre du Blogoclub du 1er janvier 2010


Les avis concernant "
Si c'est un homme" (déjà lu, dans le cadre du Blog o Trésor), se trouvent chez Sylire et Lisa.


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