29 janvier 2011

JUIF, POLONAIS ET FRANCAIS

  • Itsik – Pascale Roze – Folio n°4994


"Deux fois dans sa vie, Yitzhok Gersztenfeld connut le sentiment de dire la vérité. La première fois, elle jaillit de lui, comme une exclamation de son cœur, avec toute son évidence. Et elle eut son efficacité. La seconde fois, il la balbutia. Il fut à part cela un homme silencieux. Parler, pour lui, c'était exagérer ».

L'existence d'Itsik a commencé à l'orée du précédent siècle, il y a si longtemps déjà, dans une Varsovie qui dépendait encore pour quelque temps de la grande Russie. Dans ses rues, on entendait babiller le russe, le polonais et le yiddish. Dernier rejeton d'une famille qui comptait neuf enfants, Yitzhok était un enfant mutique et discret. Ce qu'il sera tout au long de sa vie. Son premier travail aura été de récupérer les vieux journaux dans les quartiers bourgeois de la ville. Les journaux, à cette époque, servaient à tout : allumer un poêle, emballer les chaussures que son père – cordonnier – réparait, se protéger du froid en les mettant sous leurs vêtements pour se tenir chaud. Yitzhok était d'un naturel anxieux, craintif. Le sommeil l'angoissait parce qu'il lui trouvait une similitude avec la mort. Il s'inquiétait des animaux qu'il trouvait, se demandant s'ils étaient heureux de leurs conditions. Surtout, sa grande frayeur était de devoir partir, quitter ses parents, Varsovie, la rue Gnyona, comme ses frères et sœurs, oncles et tantes avant lui. « Enfant il n'aurait pas voulu que ce soit lui. Il n'était pas audacieux, il aimait Varsovie. Les toits de Varsovie, la Vistule à Varsovie, la neige à Varsovie, les lilas à Varsovie, les ruelles avec leurs arches entre les maisons, et son père et sa mère. Et ce russe et ce polonais qui caquetaient dans les rues où ils n'habitaient pas. Et même l'horrible boue du printemps, il l'aimait. Oui, il aimait la vie, sa vie ».

A quatorze ans, la vie lui ouvrait quand même de belles perspectives, malgré les difficultés et la pauvreté ambiante. En plus, Yitzhok était amoureux. Il pensait construire un avenir commun à Varsovie avec Maryem, la fille du chantre de la synagogue. Seulement Maryem n'avait qu'une envie, partir. Fuir, quitter Varsovie et la rue Gnyona, l'immeuble piteux, crasseux, misérable où tous sont entassés depuis toujours, génération après génération. Oublier sa famille trop nombreuse qui survivait grâce aux dons et autres oboles. Elle était un vrai feu follet, la vie qui pétille et frétille. Elle aimait lire, chanter, s'habiller comme à Paris, se parfumer aussi. Pour qu'elle accepte de l'épouser, Yitzhok partira. A Berlin d'abord, rejoindre Yossel son frère aîné, qui avait bien réussi en Allemagne et s'était parfaitement intégré dans sa nouvelle patrie. Puis à Paris. « Il est parti, comme un oiseau qu'on pousse en avant, chassé par son père, chassé par Maryem, emportant sa prière sous son aile : vite, fais vite. Son premier voyage en train. Il avait dix-neuf ans. Il est mort dix-neuf ans plus tard et a pris huit fois le train. Ce jour-là, des lignes de paysans rayaient les champs. On moissonnait l'orge. Il est mort dix-neuf ans plus tard, et c'était la même saison, la saison de l'orge. Il s'appelle Yitzhok Gerszenfeld ».

La France, patrie de la liberté, de son affranchissement. Moment magique où Itzik s'est émancipé de sa famille, de son passé, de son histoire personnelle et où il est enfin devenu lui. D'un coup, il prendra goût à la douceur de l'existence, aura envie de vivre pleinement chaque instant comme s'il était l'ultime. Il apprendra le français, synonyme d'assimilation, comme Yossel l'avait fait pour l'allemand, reniant le yiddish et le polonais. Lui qui craignait la religion et ses préceptes moraux, s'en détournera. Il ne voudra plus avoir affaire aux juifs, ni parler yiddish. « Il quittait la famille, la tribu. Il était un homme parmi les hommes, dans un monde nouveau, inconnu où il était lui-même nouveau et inconnu. Et souvent il s'est demandé : si j'étais resté à Bruay … si j'étais devenu citoyen du monde, selon l'expression de l'instituteur qui donnait des cours de français, qui était socialiste et leur parlait Léon Blum ».

Yitzhok avait de la volonté à revendre. Il voulait y arriver, s'en sortir par lui-même, comme Yossel à Berlin. Faire venir Maryem, sa fiancée, à Paris. L'épouser. Créer un foyer. Être Français. Oublier la misère d'avoir été Juif en Pologne. Espérer des jours meilleurs, un avenir pour lui, ses enfants. Croire que le bonheur est à portée de main, que l'on peut l'atteindre. Tout faire pour ne pas le voir partir. S'en souvenir. Toujours. « Le bonheur passe dans la vie, comme une ombre portée. On doit se souvenir longtemps de son passage ».

« Itzik » de Pascale Roze où l'itinéraire d'une jeune polonais, de sa naissance à Varsovie à son arrivée en France dans les années 1920, jusqu'à sa fin, dramatique. Petite histoire aux apparences triviales et claires qui s'enchevêtre, s'emmêle et s'entrelace à l'histoire majuscule. Histoire d'une vie de dénuement et de chagrin, dans ce qui était encore l'empire Russe, à Varsovie, où la communauté juive était considérée comme la lie de la société et des citoyens de seconde zone. Une existence sous le signe du malheur, de la pauvreté, de la résignation. Une vie placée sous le signe de la loi religieuse, de ses interdits, de ses obligations. Vivre, c'était s'obliger à partir, à immigrer, à changer d'époque, de société, aller vers la liberté d'être.

« Itzik » où la chronique de ces immigrants d'Europe centrale qui – poussés par la faim, l'absence de choix de vie décente – s'exileront vers une France que tous imaginaient ouvertes, bienveillante, généreuse. On était bien dans la patrie des Droits de l'Homme, dans le pays de la Révolution de 1789, de Jaurès et de Zola. Ils se sentaient protégés, étaient rassurés par ces mouvements qui avaient bouleversé le monde, les idées et les hommes. Choisir la France pour sa laïcité, sa tolérance morale. Tous avaient foi en l'avenir. Malgré les jours sombres, beaucoup espéraient en la France, gardienne des libertés fondamentales. Comment ne pas y croire, quand tout, autour de vous, bascule vers le pire ?

Il y avait bien eu le Front Populaire, symbole d'espoir pour les ouvriers, de changement vers un mieux. La guerre d'Espagne et l'engagement international du côté des Républicains. Et puis, avec Munich, la guerre s'était éloignée. Pour un temps. Elle avait repris, avec la terrifiante Nuit de Cristal. Le pire serait encore à venir.

« Itzik » où le passé commun de ces immigrants qui - ayant choisi la France comme nouvelle patrie – s'engageront à ses côtés, l'aimeront, la vénèreront et perdront leur nouvelle identité, parfois jusqu'à leur vie, pour elle. « Itzik », c'est le récit de ces étrangers qui entreront en résistance pour lutter contre l'occupant. C'est aussi la mémoire de ces Juifs français et étrangers, insérés, venus chercher protection et reconnaissance en France, et qui seront trahis, donnés à l'ennemi comme gage de bonnes relations et de collaboration.

« Itzik », c'est notre passé, notre part d'ombre à assumer. Notre honte, aussi. « L'histoire de Yitzhok ne peut pas se refermer. Elle se tient parmi les autres, serrée et lumineuse, celles qui n'ont pas connu leur propre mort, leur propre fin, et qui chaque jour encore viennent grossir le champ de l'au-delà. Elle se tient parmi les autres au-dessus de nos têtes à nous les hommes qui marchons, les hommes qui nous levons, nous couchons, nous levons, ouverte, comme les lèvres d'une blessure qui ne peut se refermer ».


257 - 1 = 256 livres qui se battent dans ma PAL ...

27 janvier 2011

CITATION DU JEUDI SE POURSUIT !


« Pendant les années passées à préparer ce livre, je me suis souvent interrogé sur les difficultés que présente la compréhension de New York, et je suis parvenu à la conclusion que la raison principale tient au pouvoir symbolique que la ville a lentement acquis au cours des quatre siècles de son histoire et à la fascination qu'elle en est venue à exercer à travers le monde.

Car New York fascine : son énergie, ses hiéroglyphes que tracent ses tours et ses canyons à la surface de Manhattan, les cris et les bruits qui résonnent de la Batterie aux hauteurs de Harlem, son mouvement incessant qui anime la métropole tout entière en violentes contractions. Kaléidoscope infini d'images et de sensations, New York laisse songeur. C'est aussi une ville d'extrêmes – le tourbillon que décrit l'un le délire que diagnostique l'autre, la proclamation à la face du monde d'une modernité affirmée comme triomphante. New York n'est pas l'Amérique : elle en est une potentialité, la plus intense peut-être ».


« L'avenue du milieu, la Fifth Avenue, sert d'épine dorsale à cette sole gigantesque. D'un côté, c'est « west », de l'autre, c'est « east ». La première rue commence au sud, côté océan, la dernière est au nord, côté continent. Tout est réglé désormais » (Le Corbusier – 1930)


« Je n'ai jamais vu la baie de Naples, et par conséquent je ne puis faire de comparaison ; mais mon imagination ne saurait concevoir rien de plus beau en ce genre que le havre de New York. Les objets qui s'offrent à la vue de tous côtés sont aussi beaux que variés ; mais en les désignant on ne ferait qu'écrire une nomenclature de mots, sans donner la plus légère idée de cette scène. Je doute même que le pinceau de Turner pût y rendre justice, et la peindre avec la gloire et l'éclat qu'elle présentait à nos yeux. Nous semblions entrer dans le havre de New York sur des flots d'or liquide, et comme nous passions rapidement devant les îles couvertes de verdure qui s'élèvent de leur sein, comme des sentinelles gardant cette belle cité, le soleil couchant lançait à chaque instant ses rayons horizontaux de plus loin en plus loin, comme pour nous montrer quelque nouveau point du brillant paysage. Dans le fait, New York nous parut, même quand nous la vîmes sous un jour moins brillant, une belle et noble ville. […] Nul autre lieu ne jouit peut-être des mêmes avantages de situation. Placée sur une île qu'elle couvrira, je crois, un jour tout entière, elle s'élève, comme Venise, du sein de la mer, et comme cette reine des cités, dans les temps de sa gloire, elle reçoit le tribut de toutes les richesses de la terre ».

«C'est une torche, un phare, dont la flamme éclaire

Des hautes cités jumelles le port jeté dans l'air.

Dans ces yeux brille la promesse d'un destin.

Ses lèvres silencieuses hurlent dans le vent :

« Gardez, vieux pays, vos pompes, vos trésors !

A moi vos masses blotties ! L'air libre les attend !

Jetés par l'ouragan, elle arrive à bon port,

L'ordure misérable de vos rivages grouillants.

J'ai hissé mon fanal devant la porte d'or ».


« Dans l'immédiat, la haute torche de la Liberté ne proclame pas seulement au monde la générosité de l'hospitalité américaine, elle éclaire le spectacle de la puissance économique de New York, la vision de son entreprise commerciale, financière et industrielle sur le continent nord-américain et sur un avant-pays toujours plus vaste. La statue tourne le dos à la ville, pour mieux regarder vers le large ».


« Confondant leurs idiomes et leurs caractères originaux, se coudoient toutes les races du monde ; des Italiens et des Irlandais, des Espagnols et des Suédois, de maigres Égyptiens près de lourds Allemands, des enfants de moujiks se roulant dans la boue avec de petits nègres, des femmes venue des pays du soleil, enveloppées de loques de couleurs éclatantes, bleues, rouges, jaunes, vertes, causent sur les portes de boutiques que tiennent de noirs juifs hollandais ».


« Havre mythique de la liberté, porte de l'Amérique, banquière du continent, mosaïque de cultures, symbole des succès d'une superpuissance et des tensions qui la déchirent, New York est d'abord fille du capitalisme. Tôt devenue un paradis du commerce, elle vit au rythme de ses docks, de ses ateliers, de ses bureaux, et son dynamisme en fait la rivale de Londres dans la domination de l'économie mondiale. La métropole des rives de l'Hudson ne cesse de changer d'échelle. Les premiers gratte-ciel s'élèvent près de Wall Street à la fin du XIXe siècle, et la population double entre 1900 et 1940. Little Italy, le quartier juif du Lower East Side, Harlem : New York est en même temps une seconde Babel et Métropolis. Sa modernité ne tient pas seulement à ses paysages urbains, féeriques selon les uns, dantesques selon d'autres ; elle repose sur sa capacité à surmonter ses contradictions et à innover. Capitale de l'information, c'est elle qui invente l'industrie des loisirs, les théâtres de Broadway et les parcs d'attraction de Coney Island. Au cœur de l'avant-garde, haut lieu du jazz et des débats d'idées, elle accueille artistes et intellectuels du monde entier qui renforcent son magnétisme. Aujourd'hui centre de la culture planétaire et paradigme du rêve américain, elle continue à attirer de nouveaux immigrants. " New York n'est pas une ville finie, écrivait Le Corbusier, c'est une ville en devenir ».


Histoire de New York – François Weil – Fayard Editions

24 janvier 2011

AU CAFE DU TEMPS PERDU

  • Le Café de l'Excelsior - Philippe Claudel - Livre de Poche n° 30847


« L'Excelsior n'avait pas d'âge. Il émergeait de la nuit des temps des buveurs à la façon de ces temples que l'on dirait édifiés en des ères géologiques. Qui l'avait construit ? A quelle époque de dramatiques assassinats, de révolutions sanguinaires, un esprit en proie au repli et flatté par la noirceur des pièces avait ébauché l'idée de cet antre étroit, manière de boyau tortueux où trois hommes de front tenaient à peine, et dedans lequel le comptoir en fin de course, grâce à sa carapace de zinc, revêtait des allures de lutteur casqué ? ».

L'auteur se souvient avec une certaine nostalgie de son enfance passée dans un estaminet de campagne, loin des fureurs de la vie et de la ville, à l'abri d'une société qui commençait à se moderniser et à briser tout vestige du passé sur son chemin. Bizarrement, L'Excelsior résistait, îlot préservé par quelques irréductibles qui persistaient tant bien que mal à fréquenter ce lieu hors du temps et singulier, reste d'une époque si lointaine que l'on avait peine à croire qu'elle avait – un jour – existé.

La clientèle de la buvette lui était fidèle comme un bon vieux chien, sorte de bigots qui venaient à L'Excelsior comme on va à confesse. Tous avaient l'âge de faire des disparus convenables. Cependant, ils persistaient à venir au quotidien pour s'abreuver à la fontaine de leur jeunesse passée et avaler cul-sec des blancs limés, des anis, des absinthes, des verjus d'Anjou, des rosés picons depuis longtemps déjà oubliés des comptoirs modernes de leurs descendants. « Rien n'aurait dévié la route de ces astres mélancoliques qui avaient passé soixante-dix ans et plus : après avoir couché contre la vitrine leurs chars pétaradants, ces veufs improbables et ces maris égarés qui avaient de leur vie épuisé les surprises, se retrouvaient au vieux bistro et rompaient dans les blancs gommés et les rosés picons l'éternité des jours moroses ».

L'alcool aidant et la mélancolie s'invitant, le grand-père se faisait chanteur, poète, orateur pour un public attitré de privilégiés. Parfois, l'ivresse un peu trop vive faisait émerger des souvenirs fugaces d'amours jamais oubliés, tus et dissimulés dans un sombre recoin de mémoire. Dans ces instants-là, Léocardie – doux prénom de la grand-mère inconnue – pointait de ce brouillard alcoolisé. Le grand-père ne conservait de cette tendre jeunesse de vingt-deux ans qu'une antique photo jaunie, une natte de cheveux et quelques pétales de roses, fragments d'une vie à peine consommée.

Chaque jour suffisait à sa peine et le grand-père – telle Pénélope à sa toile -, reprenait son ouvrage journalier. Dès l'aube, il lavait à grande eau javellisée le vieux parquet de bois, nettoyait les tables bancales, vidait les cendriers de ses mégots, ramassait les canons, cadavres alcoolisés d'une précédente soirée. Dehors, la vie s'éveillait lentement, comme chaque jour. « Dans la rue, le laitier aux allures d'innocent de village passait de porte en porte pour déposer en sautillant de petits bidons sur les paliers ; il avait des oreilles très rouges semblables à de complexes crêtes de coq, et chantonnait toujours des airs à la mode en balançant la tête de gauche à droite dans un mouvement de métronome. Puis venaient le boulanger et sa deux-chevaux fourgonnette, le porteur de journaux, les ouvriers en bande qui partaient à l'usine en se lançant des plaisanteries, la casquette rejetée en arrière, le mégot canaille glissé au bord des lèvres et, sur l'épaule, une musette oblongue qui contenait la cantine en fer blanc et le litron de piquette. Un peu plus tard passaient les contremaîtres ; un peu raides et souriant à peine ; puis, plus tard encore, les ingénieurs, que Grand-père surnommait les constipés de l'âme, rigoureusement raides ceux-là, sans sourire aucun et qui se distinguaient des précédents par leurs chemises blanches, leurs cravates légères […] ».

Au fil des ans, L'Excelsior était devenu le lieu de rendez-vous incontournable d'une certaine population besogneuse, avide de s'extraire des soucis qui rendent terne et grise l'existence. Tous savaient qu'en poussant la porte de ce café atypique, ils allaient retrouver ce havre de chaleur humaine, cette bonhommie, cette fraternité depuis longtemps oubliée par ailleurs. Ils s'y rendaient non seulement la semaine, mais aussi les dimanches matins, préférant – de loin – la messe et ses prêches sur une vie de rigueur et d'austérité. Surtout, ils y oubliaient, pour quelques heures, leurs vieilles épouses revêches et aigries par le temps. « Mais le dimanche, on s'habillait tout de même : les costumes remplaçaient les bleus. La plupart de ces hommes n'en possédaient d'ailleurs qu'un, le plus souvent celui de leur mariage, qui avait traversé les modes, quelques enterrements, ainsi qu'un demi-siècle dans l'entêtante compagnie de la naphtaline. Si certains corps avaient grossi, le costume s'était adapté, et saucissonnait désormais l'individu que jadis il servait galamment. Les gestes dominicaux en subissaient une majesté guindée, une sorte de lenteur et de gêne protocolaire qui finissaient par déteindre sur les conversations, un semblant plus sérieuses ».

Ce grand-père protecteur d'un enfant de huit ans, seule parcelle de son histoire familiale, lui apprendra la vie à sa manière, tout à la fois poétique et romanesque. Il lui fera oublier l'âpreté de l'existence, la noirceur, la dureté des situations pour protéger une innocence déjà bien malmenée.

Avec « Le Café de l'Excelsior », c'est une plongée dans les souvenir, la nostalgie d'une époque disparue, révolue à laquelle nous convie Philippe Claudel. Ce café prend des allures d'une « Recherche du temps perdu » par la description minutieuse qu'en fait son auteur. Comme toujours, dans une langue infiniment belle, poétique, où chaque mot est pesé, minutieusement choisi, il nous décrit ce comptoir d'un autre temps, celui d'avant.

Ici, pas de clientèle à la mode, pas de cocktails étranges ou d'alcools venus d'ailleurs. Plutôt un monde hors du temps, avec des personnages tout droit sortis des photos sépia d'un Doineau ou d'un Willy Ronis. Ici, les gens sont simples, naturels, chaleureux, humains. Ils se contentent de peu : un ballon de gros rouge, un picon de blanc, un vermouth. Ils roulent leurs mégots de Gitane maïs, jouent à la belote, à la manille, au tarot, bruyamment. Ils existent, ils vivent et sont l'âme même de L'Excelsior.

A L'Excelsior, l'alcool distillé et la bonne humeur sont toujours de rigueur. Il y règne une ambiance de village avec ses discussions enflammées, ses disputes homériques, ses obsèques jamais tristes, ses négociations de marchands du Temple. Et surtout pas de femmes. Seuls les hommes sont admis dans cet antre du machisme à l'ancienne !

Mais « Le Café de l'Excelsior » de Philippe Claudel nous rappelle aussi la relation étroite qui peut exister entre un grand-père et son petit-fils, ultime rappel de son histoire personnelle et filiale, de son passé d'homme heureux, survie de son présent chancelant. On est en empathie avec ce patriarche bougon, bourru mais au cœur tendre comme un caramel mou. On a tout simplement envie de pousser la porte branlante de L'Excelsior pour partir à la découverte de ces deux-là et les écouter se raconter, nous conter la suite.

"Je ne fus pas malheureux, je ne fus pas heureux. Toujours dans mes rêves, revenaient les rues, la rivière, les odeurs de terre et d'herbes mâchées des champs de la petite ville, la pénombre du bistrot, son épaisseur confortable".

D'autres blogs en parlent : Zazymut, Lounima, BoB, LN, Amandine, Philo, Tamara, MyaRosa, Clara, Marguerite, Enna, Sylire ... D'autres, peut-être ? Faites-vous connaître par un petit mot que je vous ajoute à la liste !


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15 janvier 2011

L’AFFAIRE SIMON CROWLEY

  • Manhattan nocturne – Colin Harrison – 10/18 n°4143


« Je vends le meurtre, la mutilation, le désastre. Et ce n'est pas tout : je vends la tragédie, la vengeance, le chaos, le destin. Je vends les souffrances des pauvres et les vanités des riches. Les enfants qui tombent des fenêtres, les rames de métro qui flambent, les violeurs qui s'éclipsent dans la nuit. Je vends la colère et la rédemption. Je vends l'héroïsme musclé des pompiers et la poussive cupidité des chefs de la mafia. La puanteur des ordures, les espèces sonnantes et trébuchantes. Je vends le Noir au Blanc et le Blanc au Noir. Aux démocrates, aux républicains, aux anarchistes, aux musulmans, aux travestis, aux squatters du Lower East Side. J'ai vendu John Gotti et O.J. Simpson et les poseurs de bombes du World Trade Center, et je vendrai tous ceux qui suivront. Je vends le mensonge et qui passe pour vérité, et tout le spectre des nuances qui les séparent. Je vends le nouveau-né et le mort. Je revends la misérable et splendide ville de New York à ses habitants. Je vends des journaux ». Chroniqueur de faits divers pour un célèbre tabloïd new yorkais, Porter Wren est un homme blasé, cynique et un brin arrogant. Lui se trouve ordinaire, banal, voire même presque quelconque. Marié, père de deux enfants, son travail lui est toutefois agréable. Tout le monde le connaît – la police, les victimes, les anonymes -, attend sa chronique qui sort trois fois pas semaine et relate les histoires les plus glauques, les plus sordides, les plus obscures des bas-fonds de Big Apple.

En réalité, cette platitude n'est qu'une façade, une apparence visiblement sans aspérités. Il n'en n'est rien. Bien au contraire. Porter Wren met le nez dans tout ce qui sent mauvais, dans des affaires qui remontent du fond des abîmes, remue les détritus nauséabonds de l'existence et s'en délecte, en a fait son fonds de commerce, son identité professionnelle dans le milieu de la presse à sensation. Néanmoins, il arrive à prendre beaucoup de distance par rapport à ces faits macabres, malsains, qu'il raconte au fil de ses articles. « […] je reçois des appels la nuit qui m'obligent à m'habiller dans le noir et à laisser ma femme et mes enfants endormis pour me rendre où la chose a eu lieu : voiture, bar, rue, club, boutique, appartement, couloir, parc, tunnel, pont, épicerie, coin de rue, quai de chargement, peep-show, toit, allée, bureau, sous-sol, salon de coiffure, officine de paris, salon de massage, labo clandestin, école, église. Là, je contemple les visages défaits d'hommes, de femmes et d'enfants qui auraient pu ou non y réfléchir à deux fois ». Bien sûr, quand on écrit pour un quotidien qui tire à plus de un million d'exemplaires, on n'a pas que des amis. Loin s'en faut. Mais Porter Wren est un homme prudent. Pas d'adresse connue, plusieurs lignes téléphoniques enregistrant toutes les conversations, le courrier qui arrive dans les locaux de son journal. Risque zéro, surtout avec tous ces malades qui traînent dans les rues de New York.

On a beau se rendre transparent au plus grand nombre, Porter Wren sera quand même abordé au cours d'une soirée mondaine par une superbe jeune femme, Caroline Crowley, veuve improbable d'un certain Simon Crowley, réalisateur en vogue. « Un autre paragraphe du rapport indiquait que la race de l'homme et ce qu'on pouvait encore deviner de sa taille et de son poids correspondaient à une demande de recherche de personne disparue, demande déposée par l'épouse du défunt sept jours auparavant, le 8 août, deux jours après avoir vu son mari pour la dernière fois. Le dossier avait été établi au 9e District, dans l'Upper East Side de Manhattan. L'épouse identifia les vêtements et l'anneau de mariage que l'on avait récupéré, non sans difficulté, sur la main gauche du cadavre. On lui montra une photo du tatouage découvert sur l'aine du défunt. Elle l'identifia également. On lui montra un fragment de jade. Elle ne put l'identifier. Puis on lui montra le corps. Son identité ne laissait aucun doute : il s'agissait de Simon Crowley, vingt-huit ans, résidant au numéro 4 de la 66e Rue Est. Je connaissais ce nom. – Vous êtes la veuve de Simon Crowley ? – Oui. – Le type qui faisait des films. Elle acquiesça ». Jeune et talentueux cinéaste, promis à une carrière brillante à Hollywood si le temps lui avait été laissé, Simon Crowley n'en n'était pas moins un être complexe, inquiétant. Issu d'un milieu modeste, spécialiste du cinéma d'art et essai, côtoyant le milieu underground, ses personnages – clichés édulcorés de lui-même – vivaient en marge de cette société qu'il décriait, dénigrait, attaquait et méprisait, mais qui voyait déjà en lui le génie qu'il était.

Bien que très amoureux de sa femme et passionné par un métier qui aborde sans cesse la part sombre que chaque individu porte en lui, Porter Wren se laissera entraîner dans une aventure dont il aura du mal à percevoir les répercussions catastrophique qu'elles auront sur le cours de son existence. Dans son sillage, le lecteur le suivra dans sa dérive, jusqu'au bout de la nuit. « Contemplez l'homme infidèle. Dans la surface cuivrée et miroitante de l'ascenseur je m'examinai – rougeaud, les cheveux humides, les lèvres légèrement enflées. Je ressentis moins de honte que je ne l'aurais dû, éprouvai un léger frisson obscur, perçus une jouissance diffuse dans mes couilles. Je resserrai mon nœud de cravate et boutonnai mon manteau de laine. J'allais devoir, bien sûr, me considérer comme un homme qui avait, pour la première fois, trompé sa femme. Presque spontanément. Cependant je comprends aujourd'hui à quel point il aurait été préférable que je me voie sous une tout autre angle, également – à savoir que je venais de pénétrer dans un labyrinthe bien plus étrange et dangereux que ce que j'aurais pu concevoir, une aventure autrement plus minable qu'un banal adultère ».

Le lecteur qui ouvre « Manhattan nocturne » de Colin Harrison doit savoir où il va mettre son nez. Outre le fait que le décor de ce roman noir se situe à New York, on ne saurait le conseiller au tout venant qui cherche une lecture en forme de guide touristique. Où alors, ce lecteur possède des goûts pour le moins excentriques en matière de lieux sinistres, chargés de souffrances humaines, à l'ambiance glacée. Oublions donc un instant l'aspect chronique littéraire et déambulations culturelles à New York, pour nous recentrer sur l'essentiel.

« Manhattan nocturne est un roman qui porte plutôt bien son titre. Toute son action se déroule dans Manhattan et dans le milieu underground, artistique et quelque peu nihiliste d'une frange de la population new yorkaise : celle de ces intellectuels cherchant à montrer le vrai visage d'une société apparemment lisse et propre sur elle. Cette société pas toujours bien pensante, argentée, ambitieuse, qui est la part émergée d'un iceberg de l'upper middle class américaine, et des opportunistes – de l'homme d'affaires à la call girl de luxe - qui naviguent en eaux troubles.

Porter Wren, héros malgré lui de « Manhattan nocturne », va enquêter sur la mort – tragique et mystérieuse – de Simon Crowley sur demande insistante de sa jeune et jolie veuve. Pour se faire, il reprendra, une à une, les rushes enregistrés par ce jeune marginal fasciné par le côté noir, poisseux, malsain de l'existence. Par ses prises instantanées de scènes du quotidien, Simon Crowley analysait et catalysait les angoisses et les peurs de notre société. Et là, on partage la plongée abyssale dans un univers où règne la violence pour obtenir, détenir et retenir le pouvoir sur les autres. Dès lors, chaque personne – jeune ou vieux, riche ou pauvre, beau ou laid -, devient un requin aux dents longues et acérées, un monstre d'égocentrisme et d'individualisme pour s'assurer la prédominance sur l'autre.

Dans « Manhattan nocturne », l'espoir n'est pas de mise. Ici, chacun trompe l'autre, se ment à lui-même. C'est la part d'ombre de chaque individu qui sommeille en nous que Colin Harrison dissèque, observe, analyse – presque obséquieusement – à travers ses personnages. C'est abject, c'est sordide, c'est tragique, c'est noir et machiavélique. C'est tout simplement excellent ! « D'autres soucis nous attendaient, d'autres crises, d'autres espérances. Un jour où l'autre, la vie nous apporte notre lot de souffrances. Comme il serait bon que nous fussions tous égaux à cet égard. Mais peut-être une telle pensée n'est-elle qu'un naïf mensonge. Peut-être sommes-nous plus désormais qu'une société d'assassins – d'assassins et de leurs complices ».

D'autres blogs en parlent : Gwenaëlle, Lounima, Manu, Ys, Pedrozoreyo, Kathel, Restling ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître, que je vous ajoute à la liste.

Un grand merci à Manu pour ce (très long) prêt de "Manhattan nocturne" et pour m'avoir fait découvrir un auteur fascinant ainsi qu'une ville insoupçonnable !


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8 janvier 2011

L’OMBRE DE LA MAFIA

  • Une histoire simple – Leonardo Sciascia – 10/18 n°3703

« Le coup de fil arriva à 9 heures 37, le soir du 18 mars, un samedi, veille de la fête rutilante et sonore que la ville consacrait à Saint-Joseph charpentier ; et c'est au charpentier, précisément, qu'étaient offerts les bûchers de vieux meubles que, ce soir-là, on allumait dans les quartiers populaires : comme une promesse faite aux charpentiers encore en exercice, et ils n'étaient pas nombreux désormais, d'un travail à venir qui ne manquerait pas ». Alors que tout le monde se prépare à fêter la Saint-Joseph en ville, le commissariat reçoit un appel pour le moins incongru. A vrai dire, ce n'est pas tant l'appel en soi qui était étrange, puisque celui-ci voulait parler au préfet – rarement présent – ou au commissaire. Non. C'était plutôt le nom donné au standardiste de garde : Giorgio Roccella. Ce nom-là avait aussitôt interpelé le commissaire encore présent dans les locaux. Diplomate, issu d'une grande et vieille famille de Sicile, Giorgio Roccella possédait bien une maison en ville et à la campagne. Seulement, il n'était plus revenu par ici depuis des années. Et c'est ce même Giorgio Roccella qui demandait à la police de venir chez lui. Il avait trouvé une chose chez lui et souhaitait la leur montrer.

Au lieu d'une chose, c'est le cadavre de Giorgio Roccella di Monterosso lui-même que le brigadier Antonio Lagandara découvrira le lendemain. Un meurtre, grossièrement maquillé en suicide. Après tout, on est en Sicile ! « L'homme avait commencé à écrire « J'ai trouvé » comme, à la préfecture, il avait dit avoir trouvé quelque chose qu'il ne s'attendait pas à trouver : et il était sur le point de se mettre à écrire ce qu'il avait trouvé, doutant désormais que la police arriverait et commençant peut-être, dans la solitude, dans le silence, à avoir peur. Mais on avait frappé à la porte. « La police », pensa-t-il ; et, au contraire, c'était l'assassin. Peut-être qu'il se présenta comme un policier ; et l'homme le fit entrer, retourna s'asseoir à son bureau, commença à raconter ce qu'il avait trouvé ».

Pour le préfet de police, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Malgré le ballet incessant d'officiels débarqués sur le domaine du diplomate – procureur de la République, police scientifique, photographe, journalistes -, le fait est acquis. L'affaire est simple et logique. C'est bel et bien un suicide. « Voilà un cas bien simple, il faut éviter de le faire gonfler, et nous en débarrasser au plus vite … […] ». Ne pas faire de vague. Ne pas déranger ; ne pas faire bouger les choses ; rester sur son quant à soi. Bien sûr, ce diplomate à la retraite s'était séparé de sa femme il y a dix ans et vivait seul à Édimbourg, après une carrière bien remplie. L'âge, la solitude, la peur de vieillir l'avait certainement poussé à ce geste désespéré. Le préfet souhaitait – de loin – cette version, à celle plus cruelle, mais plus réaliste, du brigadier qui avait compris toute la complexité de cette enquête. Sans vraiment mesurer jusqu'où celle-ci pouvait le mener.

Il arrive souvent que des romans de soixante-dix pages possèdent plus de force que certains pavés littéraires. « Une histoire simple », roman posthume de Leonardo Sciascia, fait partie de ces petits livres que l'on prend le temps de déguster pour en apprécier toute la qualité et la profondeur du sujet abordé. Au cours de ces soixante-dix pages, le lecteur est pris dans les filets d'une enquête policière que toute le monde s'obstine à croire facile, simple, logique à résoudre, presque jusqu'à l'absurde. Et pourtant.

Pourtant, plus on s'enfonce dans cette lecture opaque, oppressante, angoissante, plus on se dit que l'on part visiter les abîmes, l'enfer ou l'Hadès. On se doute, en tournant chaque page, de ce vers quoi Leonardo Sciascia veut amener son lecteur. Car, sans jamais la nommer, ni même donner son nom, on sait que l'auteur nous parle de la mafia et de la place qu'elle occupe dans la société sicilienne, de l'empreinte indélébile qu'elle laisse partout où elle passe. Elle rôde, elle sue et transpire au travers de tous ces personnages ambigus, ambivalents, à l'âme aussi sombre et torturée que l'enquête elle-même. Ici, pas de redresseur de torts, pas de justiciers, pas de bons. Ou si peu, qu'on ne les remarque qu'à grand peine, noyés qu'ils sont dans la masse. Chacun est gris, mi-ombre, mi-lumière, à la frontière entre la légalité et le crime. Ici, chacun a maille à partie avec la mafia ; chacun appartient – de près ou de loin – à la Pieuvre.

En observateur avisé, au regard aiguisé, de la société italienne et de ses méandres, Leonardo Sciascia nous laisse à voir les guerres fratricides, les luttes intestines que se font les policiers et les carabiniers. Dans « Une histoire simple », la population est peu présente, sauf sous les traits d'un vieux professeur – Franzó – qui connaît bien son monde. Regard affûté, acéré sur une communauté et des personnalités à l'esprit retors, le vieux professeur préfère vivre en retrait, dans sa bulle, oublier les manigances quotidiennes, les accords de circonstance, les omissions.

« Une histoire simple » de Leonardo Sciascia est un condensé, un concentré de la vie en Sicile, prise entre compromission, résignation et autisme social. En soixante-dix pages, le lecteur en apprend plus sur l'atmosphère délétère et pesant que fait régner la mafia sur une ville et une région que certains ouvrages théoriques.

D'autres blogs en parlent : Rose, Le cabinet littéraire ...


260 - 1 = 259 livres qui s'impatientent dans ma PAL ...

3 janvier 2011

QUE LIRA-T-ON EN JANVIER ?

Les agapes de la nouvelle année sont passées, 2011 est belle et bien là, les sorties en poche aussi. Après une petite trêve hivernale et un mois de décembre plutôt calme, janvier s'annonce un peu plus prometteur, avec quelques bons ouvrages à se mettre sous les yeux. Et puis, il faut bien que les étrennes servent à autre chose qu'aux sempiternelles soldes d'hiver !

Surtout, ne m'en veuillez pas trop si j'ai un peu de retard. Je récupère un peu …

  • 10/18

L'ingratitude des fils – Pierre D'Ovidio

Hiver 1945. Paris est libéré mais les conditions matérielles d'existence ne se sont guère améliorées : privations et rationnement, marché noir et trafics en tous genres. C'est dans ce climat de tensions que des enfants, jouant dans les ruines d'un immeuble de Malakoff bombardé, découvrent un cadavre dont une main est peinte en noir. Le jeune inspecteur Maurice Clavault est dépêché pour mener l'enquête. Son unique indice : un message laissé dans la bouche du mort : « A PARM ». Grâce à l'aide de Ginette, sa petite amie actrice, ses pas le mènent jusqu'à un immigré lituanien, sauvé de la rafle du Vel' d'Hiv', un certain Samuel Litvach… Si la victime ne peut plus parler, les fantômes qu'elle a laissés derrière elle parleront à sa place.

Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates – Mary Shaffer

Janvier 1946. Londres se relève douloureusement des drames de la Seconde Guerre mondiale et Juliet, jeune écrivaine anglaise, est à la recherche du sujet de son prochain roman. Comment pourrait-elle imaginer que la lettre d'un inconnu, un natif de l'île de Guernesey, va le lui fournir ? Au fil de ses échanges avec son nouveau correspondant, Juliet pénètre son monde et celui de ses amis ? Un monde insoupçonné, délicieusement excentrique. Celui d'un club de lecture créé pendant la guerre pour échapper aux foudres d'une patrouille allemande un soir où, bravant le couvre-feu, ses membres venaient de déguster un cochon grillé (et une tourte aux épluchures de patates...). Juliet est conquise. Peu à peu, elle élargit sa correspondance avec plusieurs membres du Cercle. Jusqu'au jour où elle comprend qu'elle tient avec le Cercle le sujet de son prochain roman et se rend à Guernesey. Ce qu'elle va trouver là-bas changera sa vie à jamais.

Le nid du serpent – Pedro Juan Gutiérrez

Dans le Cuba délabré des années soixante, coincé entre désir de liberté et volontarisme castriste, un jeune garçon fait l'apprentissage de la vie. Le sexe, la violence, mais aussi la soif de culture et le désir d'écrire vont constituer le matériau d'une œuvre à venir, unique et fulgurante. Celle de Pedro Juan Gutiérrez, un des plus grands écrivains cubains contemporains. Sans compromis, avec le brutal
égoïsme de tout écrivain, mais aussi une grande lucidité quant aux avantages d'avoir eu un papa glacier et petit-bourgeois, l'auteur trace ainsi, l'air de rien, la saga de l'entrée de Cuba dans la modernité.

Les disparus de Dublin – Benjamin Black

Dans le Dublin des années 1950, Quirke, médecin légiste consciencieux, noie son passé et ses démons dans le whisky. Un soir d'ivresse, repassant à la morgue, il trouve à son bureau son beau-frère Mal et le cadavre d'une jeune femme tout récemment déposé. Quirke a de quoi s'interroger : Mal qui ne s'aventure jamais dans les profondeurs du lieu semble surpris et tente à la hâte de dissimuler un dossier... Des circonstances suffisamment troublantes pour décider Quirke à sortir de l'ombre et se lancer dans une enquête qui menace de dynamiter la haute société catholique, de Dublin à Boston. Et de gangrener l'âme de sa propre famille, en réveillant ses blessures les plus enfouies.

Le cœur est un noyau candide – Lydia Millet

16 juillet 1945 : la première bombe atomique est testée à Los Alamos, au Nouveau Mexique. Au moment précis de l'explosion Robert Oppenheimer, Leo Szilard, et Enrico Fermi, trois des principaux scientifiques responsables du projet, sont mystérieusement transportés en 2006, à Santa Fe. Recueillis par Ann, une bibliothécaire, et son mari Ben, les trois savants déboussolés vont devoir s'adapter tant bien que mal à leur nouvelle vie, à ce monde que leurs actes ont radicalement changé. Après avoir appris l'horreur engendrée par leur création (Hiroshima.. .), et les funestes conséquences de celle-ci, ils ne tarderont pas à entreprendre, des États-Unis au Japon, une croisade pacifiste visant au désarmement total. Entre l'armée et les scientifiques qui voient leur apparition d'un mauvais œil, les groupes religieux qui assimilent leur présence à une prophétie biblique, et une société médiatique qu'il faut apprendre à manipuler, nos trois larrons vont avoir fort à faire.

Bons baisers de Cora Sledge – Leslie Larson

Cora n'est pas prête. Pas prête pour la maison de retraite. Pas prête pour s'endormir mollement en attendant le lendemain. Alors, quand ces enfants décident de la mettre à l'hospice, la vieille dame de 82 ans au tempérament de feu, ne va pas s'en laisser compter. Obèse, elle fume comme un pompier et se bourre d'antidépresseurs de toutes sortes. Les premiers jours sont pour le moins difficiles. Mais peu à peu, Cora commence à émerger et se lie aux autres pensionnaires, qu'elle ne porte pas vraiment dans son cœur... Excepté Vitus, un homme élégant, d'origine polonaise, au charme dévastateur. Tout en décrivant sa vie présente dans un carnet, Cora raconte son douloureux passé : la vie à la ferme, la disparition d'une sœur et sa liaison avec Édouard puis sa fuite, la mort prématurée de sa fille. Car la vie de Cora est aussi pleine de souvenirs douloureux que de joies à venir… Elle tombe amoureuse de Vitus, et annonce son mariage à ses enfants atterrées et sous le choc. Car l'homme n'est pas celui qu'il prétend être…

Long week-end – Joyce Maynard

Cette année 1987, une chaleur caniculaire s'abat sur la côte Est pendant le long week-end de Labor Day. Henry a treize ans, vit avec sa mère, ne supporte pas la nouvelle épouse de son père, aimerait s'améliorer au base-ball et commence à être obsédé par les filles. Jusque-là, rien que de très ordinaire, sauf que sa mère, elle, ne l'est pas. Encore jeune et jolie, Adele vit pratiquement retirée du monde et ne sort qu'en de rares circonstances. La rentrée des classes qui approche la contraint à conduire son fils acheter vêtements et fournitures au centre commercial. Et là, planté devant le présentoir des magazines où il essaye de feuilleter Playboy, Henry se heurte à Frank, ou plutôt Frank s'impose à Henry : Frank, un taulard évadé, condamné pour meurtre…

  • Livre de Poche

L'énigme du retour – Dany Laferrière

La nouvelle coupe la nuit en deux. L'appel téléphonique fatal que tout homme d'âge mûr reçoit un jour. Mon père vient de mourir. D. L. A la suite de cette annonce tragique, le narrateur décide de retourner dans son pays natal. Il en avait été exilé, comme son père des années avant lui, par le dictateur du moment. Et le voilà qui revient sur les traces de son passé, de ses origines, accompagné d'un neveu qui porte le même nom que lui. Un périple doux et grave, rêveur et plein de charme, qui lui fera voir la misère, la faim, la violence, mais aussi les artistes, les jeunes filles, l'espoir, peut-être. Le grand roman du retour d'exil.

La boucherie des amants – Gaetano Bolan

Dans une petite ville du Chili qui vit les dernières heures du régime de Pinochet, une boucherie de quartier est le théâtre de curieuses rencontres : des réunions secrètes s'y tiennent, des passions s'y nouent... Un enfant aux yeux de nuit, une institutrice révolutionnaire et un boucher fort en gueule composent ainsi le trio majeur de cette fable moderne, teintée d'humour et de poésie. Mais, sous la naïveté apparente du récit, l'auteur condamne sans appel les régimes totalitaires...

La peine du menuisier – Marie Le Gall

La narratrice grandit dans une atmosphère lourde de non-dits, dans une maison écrasée par le silence, dont les murs de pierre suintent le mystère… Son père n'est qu'une ombre solitaire. Pourquoi celui qu'elle appelle le Menuisier est-il si lointain ? Pourquoi sa famille semble-t-elle perpétuellement en deuil ? Elle aimerait poser des questions, mais on est taiseux dans le Finistère. Des années lui seront nécessaires pour percer le secret de son ascendance, mesurer l'invisible fardeau dont elle a hérité. D'une plume à la fois vibrante et pudique, Marie Le Gall décrypte l'échec d'une relation père-fille.

Manhattan Freud – Luc Bossi

En 1909, la notoriété de Freud est déjà immense. Il ne lui reste qu'à conquérir l'Amérique. Mais à New York l'attend le plus grand défi de sa carrière : déchiffrer l'âme d'un mystérieux tueur en série et réussir là où la police a échoué…

Par un matin d'automne – Robert Goddard

Fin des années 1990. Leonora Galloway part en France avec sa fille afin de se rendre à Thiepval, près d'Amiens, au mémorial qui honore les soldats - dont de nombreux Britanniques, comme son père - tombés durant la bataille de la Somme, lors de la Grande Guerre. Le 30 avril 1916 est la date officielle de son décès. Or Leonora est née près d'un an plus tard. Ce qui pourrait n'être qu'un banal adultère cache en fait une étrange histoire, des secrets de famille, sur lesquels plane l'ombre d'un meurtre jamais résolu et où chaque mystère en dissimule un autre… Dans ce livre envoûtant, Robert Goddard allie l'atmosphère des plus grands romans anglais à un sens du suspense et de la reconstitution historique remarquables.

Un soupçon légitime – Stefan Zweig

Un soupçon légitime raconte l'histoire d'un homme dont les passions vont causer le malheur de son entourage. John Limpley s'installe à la campagne avec son épouse et adopte un chien, Ponto. Adulé par son maître, l'animal se transforme en tyran... jusqu'au jour où il est délaissé, lorsque la jeune femme tombe enceinte. Le drame qui va suivre est d'autant plus tragique qu'il reste inexpliqué. Dans cette nouvelle angoissante, inédite en français, on retrouve le style inimitable de Zweig et sa finesse dans l'analyse psychologique. Comme dans Lettre d'une inconnue ou Le joueur d'échecs, il dépeint avec virtuosité les conséquences funestes de l'obsession et de la démesure des sentiments.

La fortune de Richard Wallace – Lydie Perreau

Qui était véritablement Richard Wallace ? D'où vient la fabuleuse collection londonienne qui porte son nom ? Pour répondre à ces questions, Lydie Perreau s'est livrée à une enquête minutieuse. Enfant abandonné, recueilli par Lady Hertford, Richard Wallace va être étroitement mêlé aux destinées de cette grande famille de l'aristocratie britannique, installée à Paris depuis 1802. A tel point qu'en août 1870, lorsque Lord Hertford meurt dans son château de Bagatelle, un étrange testament fait de Wallace son légataire universel. Wallace serait-il un descendant illégitime des Hertford, ou un usurpateur ayant détourné leur héritage à son profit ? A partir d'archives inédites, l'auteur raconte l'histoire d'une dynastie fascinante.

Le juif Süss – Lion Feuchtwanger

Dans l'Allemagne du XVIIIe siècle, Süss Oppenheimer, financier de génie, doté d'une intelligence et d'une habileté politique hors du commun, cherche un prince à la mesure de son ambition. Sa rencontre avec le futur duc de Würtemberg marque le point de départ d'une fulgurante ascension. À son service, il devient le plus fameux des « Juifs de cour », ces conseillers aussi indispensables aux puissants que détestés du peuple. Il finira pendu, victime expiatoire d'une société en mal de bouc émissaire. Chef-d'œuvre de la littérature allemande, qui connut une renommée internationale dès sa parution en 1925, l'œuvre de Lion Feuchtwanger a été l'objet d'un véritable détournement, lorsque la propagande nazie, sous la houlette de Goebbels, en fit un film ignoble qui devint le symbole même de l'antisémitisme.

  • Folio

Le testament caché – Sebastian Barry

Roseanne McNulty a cent ans ou, du moins, c'est ce qu'elle croit. Elle a passé plus de la moitié de sa vie dans l'institution psychiatrique de Roscommon, où elle écrit en cachette l'histoire de sa jeunesse, lorsqu'elle était encore belle et aimée. L'hôpital est sur le point d'être détruit, et le docteur Grene, son psychiatre, doit évaluer si Roseanne est apte ou non à réintégrer la société. Pour cela, il devra apprendre à la connaître, et revenir sur les raisons obscures de son internement. Au fil de leurs entretiens, et à travers la lecture de leurs journaux respectifs, le lecteur est plongé au cœur de l'histoire secrète de Roseanne, dont il découvrira les terribles intrications avec celle de l'Irlande. A travers le sort tragique de Roseanne et la figure odieuse d'un prêtre zélé, le père Gaunt, Sebastian Barry livre ici dans un style lumineux un roman mystérieux et entêtant.

Le grand Quoi – Dave Eggers

«Valentino n'a pas huit ans lorsqu'il est contraint de fuir Marial Bai, son village natal, traqué par les cavaliers arabes, ces miliciens armés par Khartoum. Comme des dizaines de milliers d'autres gosses, le jeune Soudanais va parcourir à pied des centaines de kilomètres pour échapper au sort des enfants soldats et des esclaves. Valentino passera ensuite plus de dix ans dans des camps de réfugiés en Éthiopie et au Kenya, avant d'obtenir un visa pour l'Amérique. Ironie du sort, son départ était prévu le 11 septembre 2001. Quelques jours plus tard, il s'envolera enfin pour Atlanta. Dans une nouvelle jungle, urbaine cette fois, Valentino l'Africain découvre une face inattendue du racisme. Cette nouvelle existence pourrait bien se révéler aussi périlleuse que la survie dans des contrées ravagées par la guerre. A mi-chemin entre le roman picaresque et le récit d'apprentissage, ce livre est avant tout le fruit d'un échange. Eggers l'Américain a passé des centaines d'heures à écouter Valentino l'Africain se raconter. Au service d'une tradition orale, la plume impertinente de Dave Eggers fait mouche et insuffle à ce récit une dimension épique, qui rappelle celle de Mark Twain». Samuel Todd.

Les taiseux – Jean-Louis Ezine

" Je ne me suis pas toujours appelé du nom que je porte, et c'est comme si j'avais vécu une autre fois. C'est comme si j'avais été un autre. Mais de cet autre, je n'ai aucun souvenir. Rien qui puisse se dire tel, plutôt les ombres floues des réminiscences où s'évanouissent, aux limites de la mémoire, les ultimes rayons d'un monde éteint. J'étais trop jeune pour les souvenirs, quand j'ai cessé d'être lui. Et cependant il a toujours occupé ma pensée, toute ma pensée. Il ne m'arrive rien d'important, ou de misérable, ou de triste ou d'heureux que je n'aie le sentiment étrange de recevoir par délégation. Nous sommes pourtant très différents, lui et moi. Pour commencer, lui avait un père, tandis que moi, je n'ai eu que le manque. Tout, depuis toujours, a gravité autour de ce trou noir. Je me heurte tous les jours au fantôme de celui que je fus quand je portais un autre nom. " Les taiseux raconte, en trois temps, ou plutôt en trois silences, une vie passée à chercher un père qui se dérobera à toute tentative de le saisir. Nourri par un style très sûr et une réflexion profonde et poignante sur le secret et les origines, Les taiseux est sûrement le texte le plus personnel jamais écrit par Jean-Louis Ezine.

Jan Karski – Yannick Haenel

Varsovie, 1942. La Pologne est dévastée par les nazis et les Soviétiques. Jan Karski est un messager de la Résistance polonaise auprès du gouvernement en exil à Londres. Il rencontre deux hommes qui le font entrer clandestinement dans le ghetto, afin qu'il dise aux Alliés ce qu'il a vu, et qu'il les prévienne que les Juifs d'Europe sont en train d'être exterminés. Jan Karski traverse l'Europe en guerre, alerte les Anglais, et rencontre le président Roosevelt en Amérique. Trente-cinq ans plus tard, il raconte sa mission de l'époque dans Shoah, le grand film de Claude Lanzmann. Mais pourquoi les Alliés ont-ils laissé faire l'extermination des Juifs d'Europe ? Ce livre, avec les moyens du documentaire, puis de la fiction, raconte la vie de cet aventurier qui fut aussi un Juste.
Prix Interallié 2009. Prix du Roman Fnac 2009

La rafale des tambours – Carol Ann Lee

Le 11 novembre 1920, le corps du Soldat inconnu est mis en terre à l'abbaye de Westminster à Londres. Parmi ceux qui assistent à la cérémonie, qualifiée par le Times de « plus grande effusion de larmes que l'Angleterre ait jamais connue » figure Alex Dyer. S'il a tout fait pour appartenir à la commission chargée de sélectionner celui qui va incarner les millions d'hommes morts sur le front pour leur patrie, c'est qu'il a une dette à payer. La Rafale des tambours retrace l'histoire de trois personnes emprisonnées dans le cauchemar de la Grande Guerre : le journaliste Alex Dyer, son ami d'enfance Ted Eden et Clare, l'infirmière que Ted a épousée lors d'une permission. Alex aime Ted comme son frère, mais Clare lui inspire une passion à laquelle ni lui ni elle ne sauront résister. Ce premier roman est une puissante évocation des ravages que causent la guerre, l'amour et le
remords.

Le gendarme scalpé – Thierry Bourcy

Picardie, juillet 1918. Célestin enquête sur un crime étrange : un gendarme a été assassiné puis scalpé. Ses recherches mènent le jeune policier auprès des soldats américains venus soutenir les positions françaises. Il y rencontre un Indien, premier suspect mais dont la culpabilité est incertaine. Célestin découvre que la victime était obsédée par un cambriolage commis en 1910 dans lequel son frère, employé de banque, avait trouvé la mort, et dont le butin en lingots d'or n'a jamais été retrouvé. Mais que faisait le gendarme dans la petite église de Domart où l'on a retrouvé son corps ? L'enquête se révèle délicate, les meurtres se multiplient et la situation se corse d'autant que toutes les unités sont engagées dans la contre-attaque lancée par Foch pour réduire la poche de Montdidier.