27 février 2011

DASH, LE FAUCON

  • Hammett – Joe Gores – Folio Policier n°550


« Toutes les activités possibles et imaginables sont pratiquées à l'heure actuelle à San Francisco : les jeux clandestins, les paris illicites, la prostitution, le racket. Et ce, sans aucun contrôle de la pègre. Pourquoi ? […] Parce que les autorités locales sont arrivées les premières. Pendant que monsieur notre maire trimballe sa cuite droite et à gauche, les yeux fermés, les pontifes de la mairie, les flics et le bureau du district attorney tiennent la ville. Et ils sont, à leur tour, sous la coupe d'autres individus. Tout, absolument tout, est à vendre ici. Tout et tout le monde ».

Bienvenu dans le San Francisco de 1928, celui de Samuel Dashiell Hammett, ancien enquêteur de la Pinkerton Detective Agency qu'il vient de quitter pour endosser le pardessus d'écrivain de romans noirs et dénoncer les collusions entre les politiques et le milieu. En attendant la gloire, il traîne son mètre quatre-vingt-dix dans les rues de cette ville, écumant les boîtes peu recommandables, les speakeasies et autres gargotes fréquentées par une certaine population désireuse de s'encanailler en toute discrétion depuis la loi sur la Prohibition. Il boit – beaucoup trop -, il joue énormément et parie souvent sur les matches de boxe qui lui servent d'inspiration pour certaines scènes de ses romans, particulièrement « Moisson rouge » que Dash Hammett prépare en ce moment. Une chose au moins est claire dans son esprit - malgré la dèche financière dans laquelle il survivait -, jamais il ne redeviendrait détective privé, même pour le compte de Vic Atkinson, ancien collègue et ami de longue date. Certains politiciens locaux avaient décidé de nettoyer la police de San Francisco des verrues qui la corrompaient et la pourrissaient par les racines et depuis bien trop longtemps. Il était temps que l'ordre reprenne sa place dans cette ville des États-Unis. Hors de question qu'elle devienne un second Chicago avec la prééminence de la mafia dans tous les secteurs de l'économie. Et il y avait fort à faire, surtout que la situation tombait de Charybde en Scylla avec les mauvaises habitudes plus vite apprises que les règles de bonnes conduites. « Ce serait comme au bon vieux temps, mais pas question. Même si j'étais intéressé, ton comité de réforme aura besoin d'être soutenu par le maire, le district attorney et le chef de la police, et alors quelle sera leur liberté d'action ? McKenna sait bien que les gens de ce patelin l'ont élu maire pour avoir les coudées franches, et c'est bien ce qu'il leur donne ».

Dans tous les cas, l'enquête de Vic Atkinson s'annonçait difficile, personne ne voulant témoigner – même les tenancières de maisons de passe - aux risques de finir six pieds sous terre. Pauvre Vic Atkinson, trop curieux, fureteur, observateur et détective intègre dans un milieu où les coups bas, les bakchich et le silence faisaient office de loi sacrée. Il finira au fond d'une ruelle sordide de San Francisco, la tête défoncée par une batte de base ball, arme favorite de la pègre de l'est des États-Unis. « Baltimore. Son premier boulot, à treize ans, en sortant de la Polytechnic Grammar School. Son père était tombé malade et Hammett, pour faire bouillir la marmite, avait trouvé une place de garçon de courses à la compagnie de chemin de fer B&O, dans les bureaux de Charles et Baltimore Streets. Il était en retard pour venir travailler, comme d'habitude, et avait pris un raccourci en coupant par les voies. Il avait alors trébuché sur le cadavre d'un garde-frein écrasé par une locomotive de manœuvre. Sa tête avait le même aspect que celle de Vic : entière, mais curieusement déformée, presque molle, aussi flasque qu'un sac de pommes de terre. […] Une triste façon de mourir ».

Entre deux séances de soûlographie, Dash Hammett se demandera s'il est réellement responsable de la disparition de son ami après son refus catégorique de l'assister dans ses investigations, où si sa mort n'était qu'un concours de circonstance, comme la fin programmée qui nous attendait tous un jour où l'autre, et contre laquelle on ne pouvait rien. Pris de remords et rempli d'alcools de contrebande, Hammett se décidera à tirer toute cette affaire au clair et de faire le ménage dans le milieu de la police. Une façon aussi de venger la disparition de Vic Atkinson et de prévenir ceux qui avaient commandité son meurtre qu'ils seraient pourchassés sans répit. « Hammett traversait le carrefour désert en titubant, la bouteille à la main. Pop referma la fenêtre. Il frissonna comme s'il était en train de prendre froid. Que Dieu protège celui qui avait tué Vic Atkinson ».

En écrivant « Hammett », Joe Gores a voulu faire revivre un personnage de légende du roman noir américain – Samuel Dashiell Hammett -, auteur du « Faucon de Malte » et de « Sang maudit », entre autres. C'est lui qui a érigé les histoires de détectives privés populaires au rang de genre littéraire à part entière. Dans « Hammett », c'est un Dash Hammett devenu romancier qui reprend – un temps – son pardessus d'enquêteur pour mettre à jour et dénoncer la corruption qui régnait dans les rangs de la police et de la justice de San Francisco dans les années 1920.

Dans ce roman, Joe Gores fait œuvre d'hagiographe concernant le personnage principal, reprenant le parcours d'un homme singulier dans son décor d'origine, San Francisco. San Francisco, ville de l'ouest des États-Unis où tout s'achète et où tout se vend – les filles, l'alcool, la drogue, l'intégrité, les mandats -, où les politiciens côtoient d'un peu trop près la pègre locale, où les bootleggers tiennent le haut du pavé. San Francisco où la prostitution et les maisons closes ont pignon sur rue et sont protégées – moyennant finance – par la police locale. Et Hammett se saoule pour oublier la perte tragique de son ami. Il traîne sa carcasse de Chinatown aux quartiers les plus huppés des hauteurs de la ville. Il tente, tant bien que mal, de concilier l'écriture de ses romans en s'inspirant de son passé et des personnes rencontrées tout en poursuivant ses investigations.

Grâce à « Hammett » de Joe Gores le lecteur retrouve l'ambiance offensive de la prohibition, l'atmosphère de ces fameux speakeasies qui ont fleuri à cette même période avec un soupçon de jazz en toile de fond, le blues, le charleston, la contrebande, les garçonnes émancipées, la guerre des gangs qui se déplace de Chicago à San Francisco. C'est aussi l'occasion de découvrir un autre Dash Hammett, plus tout à fait détective privé, pas encore le célèbre écrivain du « Faucon de Malte » incarné au cinéma par Humphrey Bogart. Quant à l'histoire, le lecteur pourrait être (presque !) surpris de se trouver nez à nez avec un certain Big Al, bien connu à Chicago !

En lien, un traduction de l'article de Wikipedia sur Samuel Dashiell Hammet.


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24 février 2011

JEUDI C’EST CITATION !

« Elle entend juste que c'est le plus beau jour de sa vie. C'est aujourd'hui que ça va arriver. Dix-sept ans le plus bel âge. L'âge pour ça. Viens, je connais un coin, l'entraînant par la main. Elle ne parlait pas sa langue, ni lui la sienne. Bien sûr il avait compris, tous les hommes du monde comprennent quand on leur dit ça. Il s'est laissé faire, tous les hommes du monde se laissent faire quand on leur dit ça. Aux lèvres, il avait le même sourire que celui qu'elle avait vu la première fois à la fontaine ».

« Elle savait plus comment elle avait fait pour qu'il la remarque. Elle avait fait ce qu'il fallait et ça avait marché. C'était arrivé. Exactement comme elle le voulait. Les rendez-vous, les baisers. Maladroits, fougueux au début. Sa langue allait vite, lentement, de nouveau vite. Elle aimait ça. Terriblement. La fougue puis la lenteur. C'est ça qu'elle aimait le plus, le changement de rythme. Ils s'étaient à peine cachés ».


« Dix-sept ans. Quand je viendrai vers toi il fera nuit car la nuit est le plus beau moment pour les amants. Car la nuit bruisse de mille microscopiques frissons, de mugissements infimes, de brins d'herbe luisant de petites vies, la nuit est animale plus animale que le jour ce sera la nuit mon amour que je viendrai vers toi. Et le noir sera l'écrin de ton souffle tiède sur moi sur ma nuque, la connaissance sera désormais au bout de mes doigts je perdrai toute autre forme de savoir. Je viendrai vers toi et déposerai à tes pieds mes doutes et mes certitudes il n'y aura plus ni passé ni avenir le temps s'arrêtera je ne saurai plus rien que cette seconde qui brûlera comme l'allumette frottée à la nuit. Tu ouvriras un à un les boutons de ma robe et je m'allongerai près de toi dans l'herbe et le vent de la nuit ».


« Ma science est au bout de mes doigts. Je peux, par exemple, mesurer le taux d'humidité des corps. Quand je touche les femmes je sens affleurer les rivières souterraines. Certaines en comptent plus que d'autres, leurs corps sont de lourdes fleurs tropicales ouvertes et humides ».


Chaque jour, Monika arrive la première à l'Institut de beauté. Elle est étrangère, d'origine polonaise, et n'aime pas cette ville impersonnelle et grise où elle travaille. Chaque jour, avant l'arrivée des clientes, elle pense avec nostalgie à son enfance, dans une ferme, dans un vrai pays, avant, avec de vraies saisons. Elle se souvient qu'avec sa sœur elles ne pensaient qu'à une seule chose : comment vient-on au monde ? Monika observe, écoute, juge parfois les femmes qu'elle voit défiler dans sa cabine. Toutes lui racontent des histoires, des plus anodines aux plus intimes. Alix qui ne veut pas d'un homme qui l'aime, Adèle une vieille femme qui a été tondue à la Libération, la femme du boucher, blanche, frileuse, si solitaire… Corps est un roman poétique. Loin des chairs lisses et insipides que la presse féminine jette en pâture à notre imaginaire, Fabienne Jacob fouille le corps des femmes. Voici un portrait sensible de la femme contemporaine ; entre enfance, âge de tous les possibles, et maturité, âge de quelques lucidités.


« Corps » - Fabienne Jacob – Buchet Chastel Éditions


20 février 2011

LES MONSTRES SONT PARMI NOUS !

  • La fille dans le verre – Jeffrey Ford – Denoël Éditions – Lune d'Encre


1932. Alors que l'Amérique s'enfonce dans la Dépression économique et la Prohibition, les aigrefins de tous poils prolifèrent pour capter le gogo en mal de sensations fortes. Une vague de spiritisme parcourt le pays, en partie grâce aux exploits du mage Houdini et de sa polémique avec le père de Sherlock Holmes, Sir Arthur Conan Doyle. D'un coup, tout le monde veut entrer en contact avec un défunt qui lui est cher, comme pour maintenir un lien ténu avec un passé qui rassure en ces temps d'incertitudes. Thomas Schell et son équipe composée d'Anthony Cleopatra, ancien hercule de foire rompu aux combines douteuses pour duper le spectateur naïf, et de Diego - jeune immigré mexicain - faisant office de fakir dans leur numéro de conversation spirite, développent leur fonds de commerce sur la misère affective régnant dans la société, après une première Guerre mondiale meurtrière et un Krach financier qui a failli engloutir le reste des États-Unis. « Le lendemain, Schell et moi sommes partis dans la Cord travailler sur un nouveau pigeon. Le compte bancaire d'un monsieur vivant à Oyster Bay avait besoin d'allègement. Nous avions pour habitude de rencontrer nos clients potentiels avant tout séance de spiritisme afin d'examiner la pièce où celle-ci aurait lieu et de juger des effets désirables. Cela nous donnait aussi l'occasion de glaner des indices à transformer en révélations prescientes. Le patron se concentrait sur les œuvres d'art, le style du mobilier, les bijoux, les récurrences de mots et phrases du pigeon, ses gestes et animaux domestiques. Pas un seul poil de narine de travers ne lui échappait et, habile comme le détective de Conan Doyle, il extrayait de ces bribes d'informations quelques-uns des secrets des affligés ».

Thomas Schell est particulièrement célèbre dans ce milieu très fermé constitué de thaumaturges, de devins, d'ensorceleurs, d'individus surprenants, curieux, insolites, presque fabuleux, comme sortis d'un chaudron de sorcière ou du cerveau d'un savant fou. C'est une sorte d'artiste de la méditation, de la lévitation, qui sait repérer et interpréter les failles, les faiblesses chez ses clients et les exploiter au mieux pour leur extirper des sommes astronomiques. Lui et ses acolytes évoluent dans un monde inhabituel, saugrenu, grotesque à la limite du burlesque et proche de la Galerie des monstres du cirque Barnum. « Je connaissais une partie de l'assemblée – Sal Coots, un magicien opérant sous le pseudonyme de Saldonica l'Enchanteur, l'homme-chien Hal Izzle, velu des pieds à la tête à cause d'une rare maladie de naissance, Marge Templeton, la femme obèse, Peewee Dunnit, un arnaqueur de pacotille se livrant à des escroqueries aux cartes et au bonneteau dans tous les quartiers de New York, Miss Belinda, qui pratiquait un tour de magie avec vingt pigeons, et Jack Bunting, le garçon-araignée sans jambes, qui marchait sur les mains et pouvait couper une pièce en deux avec les dents. Il y avait aussi le branlant capitaine Pierce, lanceur de couteaux à la retraite, ainsi que Hap Jackland, moitié monstre humain, moitié représentant de commerce en chaussures ».

Les trois complices dégoteront un certain Parks, riche bourgeois prêt à mettre tout l'argent qu'il faut pour entrer en contact avec sa mère, disparue. C'est au cours de cette entourloupe habilement ficelée où la défunte apparaîtra à son cher fils qu'un phénomène inquiétant viendra parasiter l'arnaque. En effet, victime de sa propre escroquerie, Thomas Schell se persuadera de l'apparition d'une petite fille dans une porte vitrée. « Après que Diego et moi avons fait léviter l'ours, et que Mme Parks est passée gentiment sonner les cloches à son rejeton, nous nous sommes levés pour approcher des portes en verre afin d'assister à ton numéro au milieu des haies. Diego était devant et à gauche de Parks, moi derrière et sur sa droite. En arrivant aux portes, j'ai distinctement vu, sur le panneau vitré de droite, l'image d'une enfant. Comme si elle était à l'intérieur du verre. Six ou sept ans, quelque chose comme ça, frisée, cheveux châtains, grands yeux, vêtue d'une simple robe à fleurs ».

Charlotte Barnes avait disparu de chez ses parents alors qu'elle jouait dans le jardin de la propriété familiale. Le père, prospère entrepreneur dans les transports, proposait une somme colossale à qui aiderait à retrouver sa trace. Schell est d'un coup certain de pouvoir aider Harold Barnes et sa femme dans la recherche de leur enfant. Mais pour cela, une condition : accepter la présence - à ses côtés – d'une jeune femme à la beauté pour le moins étrange, sorte de médium albinos qui pressent l'avenir et perçoit le passé. « […] une arnaque commence quand tu veux une chose que certains obstacles t'empêchent d'obtenir. Le bon arnaqueur s'attache l'assistance de ceux qui ont l'intention de se mettre en travers de son chemin en sollicitant leur vanité, leur fierté, leur jalousie, leur ignorance ou leur peur. Avant de commencer, on doit se débarrasser des règles habituelles dans le domaine de l'engagement, de la moralité, de la société et de la pensée, jeter tout cela en un tas auquel on met le feu. Vois grand, aie confiance ». Schell, convaincu d'avoir affaire à une arnaqueuse, ne sait pas encore dans quelle affaire sordide il vient d'entrainer son équipe.

Après « Le portrait de Madame Charbuque » qui m'avait plus qu'enthousiasmée, je souhaitais continuer à explorer l'univers littéraire de Jeffrey Ford. Et avec « La fille de verre », je dois reconnaître que mon engouement pour cet auteur américain ne se dément pas. Si, dans le précédent ouvrage, le lecteur est plongé dans le New York du début du 19ème Siècle et dans le monde fermé et feutré de la peinture, avec « La fille dans le verre », il est catapulté dans l'Amérique post-1929, celle de la Grande Dépression et de la Prohibition.

New York sert, encore et toujours, de toile de fond au sujet. Seulement, au lieu de se trouver en présence de personnages sensibles, cultivés, à la fibre artistique, on côtoie un triptyque de loufiats sympathiques, dont la seule ambition est de vivre de la crédulité de leurs congénères. Et ces trois-là sont passés experts dans l'attrape-pigeon, en multipliant les apparitions rocambolesques et les conversations avec un au-delà bien improbable.

Grâce à « La fille dans le verre », Jeffrey Ford fait revivre cette Amérique secouée par la secousse sismique financière qu'elle vient de vivre avec – en fond – la prohibition, les Bootleggers et leurs cargaisons d'alcool frelaté en provenance du Canada. On découvre les connivences entre les industriels de la grande bourgeoisie qui s'accoquinent avec les membres de la mafia autour d'un trafic juteux d'alcools de contrebande. Par-delà ce phénomène économique qui va bouleverser la société et l'ordre des choses, Jeffrey Ford relate les accointances de certains Américains fortunés soutenant financièrement des recherches douteuses autour de l'eugénisme et de la pureté de la race.

En effet, Jeffrey Ford revient sur le mouvement du Ku Klux Klan et son influence jusque sur Long Island dans les années 1930 – ce que peu de personnes savent réellement. Avec « La fille dans le verre », on découvre – presque médusé – l'existence d'une institution historique aux États-Unis, l'ERO – Eugenics Record Office – et le développement de ses théories racistes. L'ERO, financé par Rockefeller et quelques autres milliardaires américains soucieux de préserver la prédominance de la race blanche aux États-Unis.

Au final, Jeffrey Ford dresse un portrait cinglant d'une certaine Amérique bien-pensante aux relents sectaires, sur fond de crise économique, de perte des repères et des valeurs morales, qui se cherche et tente de se retrouver dans les méandres de théories fumeuses, qu'elles soient paranormales ou fascisantes. Une Amérique qui n'hésite pas à renvoyer ses immigrants mexicains – légaux et illégaux – accueillis à bras ouverts au début du 20ème Siècle alors que le pays manquait de bras pour les corvées les plus pénibles et les plus ingrates et qui – après le krach de 1929 – seront pourchassés et vilipendés. Avec un fond d'humour noir, mâtiné de cynisme et d'ironie, « La fille dans le verre » retrace un pan quasi-méconnu de l'histoire des États-Unis. Comme une sorte de part sombre mise à jour !

« Je savais, contrairement à beaucoup, que les sinistres protocoles d'Adolf Hitler, son terrifiant programme de génocide, avaient germé aux États-Unis sous la férule de « grands hommes » comme Henry Ford et grâce aux honteuses et démentielles découvertes de l'Eugenics Record Office. Et au fur et à mesure que le temps passait, je voyais que même l'étendue de cette atrocité ne suffirait pas à satisfaire le Monstre, qu'il reviendrait de temps à autre hanter l'humanité ».

D'autres blogs en parlent : Hélène, Calypso, Dup, Madmoizelle, Jellybells, El JC, Jenny, Adalana ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit mot.


254 - 1 = 253 livres dans ma PAL ...

15 février 2011

KRISS ROMANI*

Liberté – Tony Gatlif/Éric Kannay – Perrin Éditions


« Parce qu'un homme libre va et vient … librement. Un homme libre ne s'encombre pas de futilités. Un homme libre sait tailler une flûte dans un roseau, tresser un panier ou rempailler une chaise, accomplir mille petits gestes de la vie quotidienne qu'ont oublié la plupart des autres. Un homme libre est comme le vent. On ne sait ni d'où il vient ni où il va, et pourtant il va quelque part. Un homme libre a le sens de la fantaisie. Un homme libre sait surtout ce qu'il y a dans le cœur de ses semblables ».

La tribu de Puri Dai, formée de quatorze Roms – hommes, femmes et enfants entassés dans trois modestes roulottes – cherche à rejoindre le petit village de Saint-Amont avant la morte saison et l'arrivée des frimas de l'hiver. Tous ont conscience qu'ils ne sont pas les bienvenus par où ils passent. On leur fait bien sentir, par des attitudes, des gestes, des mots, du mépris ou de la condescendance qu'ils ne sont que tolérés, jamais acceptés bien longtemps dans un même lieu. Considérés comme des voleurs de poules, des chapardeurs, des sorcières ou jeteurs de sort par la population souvent ignorante, le clan de Puri Dai doit – en plus – éviter les routes principales surveillées par la police française et les patrouilles allemandes en maraude et à la recherche de suspects en tous genres. Car, en cette année 1943 où l'occupation se fait de plus en plus pesante sur chacun, tout le monde est un suspect potentiel.

Les Tziganes encore plus que les autres, eux qui refusent de se socialiser, de se sédentariser, préférant de loin la liberté d'aller et de venir avec ses aléas et ses contraintes, à une stabilité assimilée à une mort lente et certaine, à une sclérose de leurs traditions ancestrales, à l'asphyxie de leur culture d'origine et de leur langue singulière, mélange savant de leur passé antédiluvien. « Chez les Tziganes on trouvait des musiciens et des danseurs, des forgerons, des maquignons, des rétameurs, des rempailleurs, des vanniers, des guérisseurs, mais jamais de peintres ni de sculpteurs, rien qui fût à leurs yeux hors de la vie. Leur danse et leur musique n'étaient jamais les mêmes. Éphémères, elles suivaient l'inspiration du moment. On ne jouait pas du violon, comme dans les salons, en lisant une partition, on jouait selon l'heure du jour, l'émotion de l'instant, à l'oreille, à l'instinct. On apprenait des anciens et, sur cette seule base, le musicien donnait libre cours à sa fantaisie. Les écrits relevaient eux aussi des choses figées et contraires à la vie. Ils ne valaient rien à côté de la parole donnée quand on avait le sens de l'honneur, et pour les Roms une part de la vraie générosité consistait à tenir ses promesses ».

Bien sûr, l'arrivée dans une ville ou un village et l'installation d'un campement n'est jamais un moment de jubilation pour les habitants du coin, sauf les enfants qui rêvent de cirque avec des étoiles pleins les yeux. Il y a toute la procédure administrative, lourde, imposée à tout gitan adulte depuis la loi de 1912, et à suivre à la lettre sous peine de sanctions. Et le clan de Puri Dai n'est pas épargné par cette obligation. A Saint-Amont comme ailleurs, c'est le maire du village – Théodore Rozier – qui est chargé de cette sale besogne, celle de remplir le carnet anthropométrique – tout à la fois carnet de route et carte d'identité pour les suivre à chaque déplacement. Pire qu'un fil à la patte, qu'une entrave, pour un gitan ivre de liberté ! « Établi par les brigades mobiles, le carnet permettait en outre de connaître le parcours détaillé des Tziganes âgés de plus de treize ans : visé par le commissariat, la gendarmerie ou, à défaut, par la mairie, à l'arrivée comme au départ d'un lieu de séjour, il en était comme une trace indélébile. Pour les bohémiens, cette exigence de l'administration avait été une humiliation supplémentaire et une entrave réelle à leur liberté. Un jour ici, le lendemain ailleurs, vivant dans l'instant, sans abri de pierre, n'épargnant rien, ne s'en remettant qu'à Dieu et à la nature … Quelle utilité pouvaient avoir tous ces papiers sinon celle de les fixer, d'en faire des hommes tous semblables ». Mais, même à Saint-Amont – village paisible d'un coin de France en zone occupée – la guerre et son cortège de haine, de violence, de bêtise poussée à son paroxysme rattraperont Puri Dai, la mère, et toute sa tribu. Pour le pire.

« Liberté » de Tony Gatlif et Éric Kannay, comme un hommage appuyé, sincère à la tragédie du peuple Rom. En écrivant « Liberté », les auteurs ont voulu rendre visible et lisible l'histoire poignante de ce peuple irrémédiablement condamné – à toutes les époques – par la société à disparaître où à se ranger. Histoire dramatique de ces personnes pourchassées, traquées, honnies parce que considérées comme indignes de vivre au nom de critères de race abjects, sans fondements scientifiques, moraux ou sociaux. A travers le clan de Puri Dai, de Zanko, de Chavo et de Kako, de Tatane et de Taloche, de Marina et de Tina, de Mandra, de Calo et de Cali, c'est le parcours – tel une montée au Calvaire – que nous relate Tony Gatlif et Éric Kannay. Chassés par certains villageois qui s'obstinent à les percevoir comme un ramassis de bons à rien, poursuivis par les forces de l'ordre françaises un peu trop zélées et tatillonnes sur les procédures administratives, harcelés par les forces d'occupation et leurs sbires, Puri Dai tenteront vainement d'échapper à un sort que tous pressentent fatal. Même les personnes qu'ils pensaient être leurs amis, les trahiront par intérêt.

« Liberté » de Tony Gatlif et Éric Kannay revient sur un épisode peu connu de la 2ème Guerre Mondiale, celui du sort de la communauté Rom et Tzigane. Perçus encore plus mal que les Juifs, sous-hommes parmi les sous-hommes, les Roms et les Tziganes ne seront pas épargnés par les mesures de coercitions des pays occupés. Soumis à la sédentarisation forcée pour mieux les contenir et préparer leur élimination physique, les Gitans – peuple sans frontière et paisible – se savaient inexorablement broyés par la machine administrative. Abandonnés par tous, ces hommes et ces femmes – qui ont souvent aidé et caché des personnes en fuite – seront déportés et exterminés dans la plus grande indifférence. Peuple à la tradition orale, peu d'éléments subsistent sur cette période. Il n'est encore fait que peu d'allusions à leur disparition et à leur souffrance physique et psychique. On ne connait pas – à ce jour – le nombre exact de Roms et de Tziganes disparus en déportation. Les rares rescapés ont toujours conservé un silence pudique. « Et sur ses cordes, le vent moqueur, pour qui savait l'écouter, jouait un dernier air de … liberté ».

D'autres blogs en parlent : Yohan, Mirontaine (que je remercie pour ce prêt antédiluvien !) ... D'autres, peut-être ?! Je ne vous ai pas trouvés. Merci de me faire signe par un commentaire que je vous rajoute à la liste !

* Loi bohémienne


255 - 1 = 254 livres dans ma PAL ...

13 février 2011

BERTOLT BRECHT, L’ETRANGER AU PARADIS

  • Poète, anarchiste et contestataire


Dernièrement, j'ai eu l'occasion de revoir et d'entendre "L'opéra de quat'sous", de Brecht et Kurt Weill. Cela faisait bien longtemps que je ne l'avais écouté et j'y ai pris un grand plaisir. Ma conscience ne me laissant jamais en paix, en a profité pour me remettre en mémoire la petite chanson si étrangement belle de la "complainte de Mackie" que tout le monde connaît - au moins l'air - pour avoir été reprise par de nombreux chanteurs. J'ai commencé à fouiller sans relâche dans ma bibliothèque à la recherche des pièces de Bertolt Brecht. J'aime son théâtre que je trouve à la fois réaliste et poétique et anti-conformiste.

S'il est une figure emblématique du théâtre moderne qui a marqué son époque comme auteur dramatique, metteur en scène, poète et militant politique, c'est bien Bertolt Brecht. Et pourtant, rien ne le prédestinait à une telle carrière, comme cela est souvent le cas.

Fils d'un fabricant de papier, issu de la bourgeoisie bavaroise, Brecht entame des études de philosophie et de médecine à l'université de Munich en 1917. Mobilisé en 1918 comme infirmier, la guerre est vécue comme un traumatisme chez lui et lui inspire sa célèbre "Légende du soldat mort". Après la première Guerre Mondiale, il écrit "Baal", sa première pièce, dont le héros est un jeune poète anarchiste et asocial qui piétine les valeurs bourgeoises. Le personnage n'est pas sans rappeler Bertolt Brecht lui-même et son expérience mortifiante. Au moment de la révolution Spartakiste en Allemagne, il devient membre d'un conseil d'ouvriers et de soldats et assiste à l'écrasement de la République des Conseils de Bavière. Révolté par l'attitude de la bourgeoisie, il délaisse un temps la politique et fréquente la bohème munichoise. En 1919, tout en reprenant ses études, il commence à écrire des chansons et ballades, inspirées par Rimbaud.

Dès 1924, il rejoint Berlin et travaille pour le Deutsches Theater de Max Reinhardt. Si l'ensemble de ses œuvres soulève de nombreuses polémiques, il n'atteint la célébrité qu'en 1928 avec la création de "L'opéra de quat'sous", un des plus grands succès théâtraux de la République de Weimar. Cette réussite repose autant sur un malentendu que sur la beauté de la musique de Kurt Weill, empruntée au jazz et aux mélodies d'avant-garde. En quelques mois, la chanson de Mackie fait le tour du monde, apportant reconnaissance matérielle et intellectuelle à son auteur. Mais la République de Weimar s'enfonce de plus en plus dans la crise sociale. Bertolt Brecht radicalise ses idées esthétiques et politiques en s'initiant au marxisme. A cette époque, il conçoit le théâtre non seulement comme un moyen de représenter le monde, mais de le transformer.

Refusant de séparer l'art et la politique, ce qui permet à Brecht de se faire le chantre des pratiques politiques délictueuses de l'époque, ses pièces vont rencontrer de plus en plus d'obstacles pour être montées. Ainsi, "Sainte Jeanne des abattoirs", pamphlet sur les injustices sociales, ne connaîtra qu'une version radiophonique partielle en 1932. La même année, inquiet de la montée du nazisme, il lance un appel à la création d'un front d'action antifasciste. Dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir, Brecht - haï par les nazis - doit s'exiler. Son œuvre sera interdite et brûlée. Comme beaucoup d'intellectuels dans son cas, Brecht parcourt l'Europe en quête d'un abri provisoire. Passant par Prague, Vienne, Zurich, Paris, il s'installe au Danemark qu'il quitte pour la Suède et la Finlande, cherchant à fuir devant la poussée des armées hitlériennes. En 1941, Brecht rejoint les États-Unis où il se sentira étranger à la société et complètement perdu dans un univers qui n'est pas le sien.

Toutefois, ces années d'exil sont fertiles, même si ses œuvres ne sont ni publiées ni jouées. C'est en Finlande que Brecht produit les pièces les plus importantes de sa carrière :"La vie de Galilée", "la résistible ascension d'Arturo Ui", "Maître Puntila et son valet Matti", ... Sa comparution devant la commission des activités anti-américaines en 1947 pour ses idées marxistes, le force à rentrer en Europe. En 1949, il s'installe à Berlin-Est parce qu'il veut contribuer à la création d'une culture socialiste et participer à la naissance d'une nouvelle Allemagne. Avec la création de sa troupe Berliner Ensemble, Brecht exprimera ses prises de position politiques. Il soutiendra la dictature communiste qui écrase violemment le soulèvement ouvrier de Berlin-Est le 17 janvier 1953. Brecht manifestera sa solidarité avec le régime en déclarant que "si le peuple pense mal, changeons le peuple". En 1955, il reçoit le Prix Staline pour la paix. Il meurt en 1956 d'un infarctus.

Bertolt Brecht voulait rompre avec l'illusion théâtrale et pousser le spectateur à la réflexion. Il met en œuvre l'effet de distanciation, qui rapproche le public du sujet représenté en transposant des scènes historiques dans le quotidien. Il use de tous les artifices permettant de saisir une représentation comme une scène de rue. Brecht force le public à avoir un regard critique en utilisant des panneaux avec maximes, des apartés en direction des spectateurs pour commenter les pièces, des intermèdes chantés. Au fur et à mesure des événements politiques, Brecht accentuera la fonction didactique du théâtre. Ses pièces antifascistes, écrites en exil, s'efforcent d'agir sur la conscience politique du public en inscrivant dans une perspective historique chaque geste de barbarie.

Au final, Brecht est un véritable poète, fasciné dès le début par la saveur des mots. Au travers de ses écrits, transparaît son immense besoin de solidarité avec les hommes et le monde.

Je vous laisse avec trois interprétations de "Mack the Knife", célèbre chanson de "L'Opéra de quat'sous", deux en anglais, une en allemand. A vous de juger la version qui vous convient le mieux !









7 février 2011

NEW YORK, VILLE CUBISTE

  • Histoire de New York – François Weil – Fayard Éditions


« Au commencement, une grande baie parsemée d'îles, un véritable archipel où abondent huîtres et brochés, anguilles et esturgeons, outardes et dindons, canards et oies sauvages … A la fin du XVIème Siècle, plusieurs milliers d'Amérindiens sédentaires y sont installés – Munsees, Lenapes, Rockaways, Hackensacks, Nayacks, Raritans, Navasinks, et autres Canarsees issus de la branche Delaware de la famille des Algonquins. Les uns pêchent dans ces eaux poissonneuses ou cultivent le blé d'Inde et le haricot, d'autres chassent le chevreuil et l'ours dans les forêts environnantes. Leurs campements, où habitent parfois plusieurs dizaines de familles, sont dispersés sur les deux rives de l'Hudson et de la Raritan, ainsi que sur les îles appelées aujourd'hui Manhattan, Long Island ou Staten Island ».

New York, mégapole multiculturelle façonnée par les communautés locales qui s'y côtoient, ville hégémonique et libérale à la fois a – de tous temps – aimanté. Objet de convoitises, les Hollandais décideront de créer un comptoir – la Compagnie de Nouvelle-Hollande – au 17ème Siècle pour commercer avec le Nouveau Monde, les Petites Antilles et Curaçao. En 1626, ces derniers achètent la future île de Manhattan aux Amérindiens pour soixante florins. Ils baptiseront l'ensemble Nouvelle Amsterdam et sa population croîtra rapidement, passant de quatre cents à mille cinq cents habitants entre 1640 et 1664. Cependant, son expansion rapide va susciter des envies de la part des Anglais, qui s'en emparent en 1664, la Compagnie de Nouvelle-Hollande commençant à concurrencer dangereusement les intérêts des comptoirs de la Nouvelle-Angleterre dans la région. A l'issue de la guerre anglo-hollandaise, Nouvelle Amsterdam est rebaptisée New York en hommage à Jacques d'Angleterre – frère de Charles II – duc d'York. « C'est la fin de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Amsterdam, abandonnées par les Provinces-Unies au traité de Breda (1667). Devenue possession ducale, la ville est aussitôt rebaptisée New York en l'honneur de son nouveau maître ».

Très vite, New York – ouverte sur l'Europe et le reste du monde – va devenir une ville commerciale florissante et enrichir une partie de sa population. Sans le savoir, elle participe, dès son origine, à l'émancipation de ce qui n'est pas encore les États-Unis, tout en faisant du commerce légal et illégal. Les pirates des 17ème et 18ème Siècles trouveront dans le port de New York un lieu sûr où se ravitailler, se poser et vendre leurs marchandises pillées. D'un coup, boutiques, bordels, tavernes fleuriront partout dans New York qui s'étend d'autant plus sur les deux rives de l'Hudson. Toutes sortes de produits transiteront par le port de New York, y compris des esclaves ! « Cette ville, prophétise l'éloquent DeWitt Clinton, deviendra avec le temps le grenier du monde, le centre du commerce, le siège des manufactures, le foyer de grandes opérations financières, et le lieu de concentration de vastes capitaux, qui s'accumuleront et seront disponibles pour stimuler, vivifier, élargir et récompenser les efforts du labeur et de l'intelligence de l'homme, dans toutes leurs opérations et manifestations ». Toutefois, l'État de New York sera le premier à libérer ses esclaves issus du continent africain engagés dans la Guerre d'Indépendance des États-Unis. Mais la route sera encore longue jusqu'à leur totale émancipation, à la reconnaissance et à l'acceptation de ces minorités ethniques par la majorité blanche.

Tout au long des 18ème et 19ème Siècles, New York se forgera une image de ville républicaine. Elle sera la plus grande, la plus riche et la plus impressionnante des mégapoles américaines. Toutes les nations du monde transiteront par Ellis Island avant de continuer leur route vers l'ouest ou de poser leurs bagages dans le quartier de leurs origines – Little Italy, Harlem, Chinatown, Spanish Harlem, Lower Manhattan, Lower East Side, Greenwich Village. De même, New York est une cité où toutes les religions sont présentes et vivent en symbiose. Véritable melting pot social, culturel, cultuel et intellectuel, New York va modeler son portrait de mégalopole au fil de son histoire et de la croissance exponentielle de son urbanisme. « L'hyperbole est de règle, un sentiment exalté de perpétuel changement et de croissance illimitée prédomine. New York est la « reine du littoral », la « Londres de l'Amérique », la « Liverpool du Nouveau Monde », la « ville empire » ». A la fin du 19ème Siècle, Broadway s'orne d'opulents magasins où l'on trouve tous les articles à la mode en provenance du monde entier, particulièrement de Paris. Ces boutiques de luxe sont surtout réservées aux femmes de la haute bourgeoisie new yorkaise. Le Ladies Mile est né sur Broadway, proche de la célébrissime 5ème Avenue.

Au cours de cette même période, la finance se développe à New York, dans le quartier de Wall Street. Tout en ayant conscience de sa suprématie, New York va devenir – lentement mais sûrement – la plaque tournante de l'économie mondiale. C'est de là que partiront toutes les tourmentes économiques et financières, dont le Krach de 1929 ou celui de 2008. Enfin, le 28 octobre 1886, a lieu l'inauguration de la Statue de la Liberté de Bartholdi par le président des États-Unis Grover Cleveland, confirmant la prééminence et l'influence de New York sur le reste du monde, parfois perçue comme une capitale mondiale. « Dans l'immédiat, la haute torche de la Liberté ne proclame pas seulement au monde la générosité de l'hospitalité américaine, elle éclaire le spectacle de la puissance économique de New York, la vision de son entreprise commerciale, financière et industrielle sur le continent nord-américain et sur un avant-pays toujours plus vaste. La statue tourne le dos à la ville, pour mieux regarder vers le large ».

« Pour les Européens, New York est l'Amérique ; pour les Américains, c'est le commencement de l'Europe » (Paul de Roussiers – 1892). Si l'on pouvait résumer « L'histoire de New York » de François Weil, se serait sans doute par cette phrase. New York a la confluence de tous les métissages, de toutes les cultures, de toutes les religions est certainement la métropole américaine la plus proche du vieux continent par son esprit et son passé. L'immigration européenne a constitué l'essentiel de ce brassage multiethnique, qui va de ses profondes origines amérindiennes iroquoises aux migrants de l'empire Russe ou Austro-hongrois, des Noirs libérés de l'esclavage après la Guerre de Sécession aux Irlandais, Allemands, Anglais, Écossais ou Français, premiers exilés à construire cette ville unique en son genre.

New York, enfant précoce du négoce international et de la finance, sera choyée dès sa création. Son port, débouchant sur le Nouveau Monde sera objet de concupiscence pour les armateurs et les grandes maisons de commerce international. Dès le 17ème Siècle, elle n'aura de cesse de se développer, de croître, de se transformer, d'évoluer pour absorber les nouvelles vagues d'arrivants remplis d'espoir foulant ses quais. Les premières constructions en bois seront remplacées au cours du 19ème Siècle par des structures d'acier, lui donnant cette image de ville verticale, qui impressionneront toujours ses visiteurs émerveillés.

Mais résumer New York à son urbanisme et à son économie serait très (trop ?) réducteur. Cette cité hors norme n'est seulement un formidable laboratoire architectural où l'argent coule à flot. C'est aussi tout un art de vivre et d'être, presque insolite. A tout le moins, est-elle annonciatrice d'un autre mode de vie dans une Amérique largement protestante et presbytérienne. New York brasse une population composite, hétéroclite, bigarrée, métisse qui fait son anticonformisme et son identité sociale. On y trouve aussi bien de vieilles familles issues de la très haute bourgeoisie – souvent associée à l'aristocratie européenne -, au milieu populaire et ouvrier provenant de la paupérisation des premiers artisans arrivés du continent. Dans cette mégalopole plusieurs univers s'effleurent, sans jamais se rencontrer. Ils vivent dans une même ville sans jamais se connaître ou s'apprécier. New York est à l'aune de sa population : complexe, mosaïque, patchwork, puzzle. A elle seule, elle est représentative d'une humanité plurielle et mixte.

Par la grâce de « L'histoire de New York », le lecteur partira à la rencontre du passé, du présent et de l'avenir d'une cité fascinante, ensorcelante, prenante, emblématique du multiculturalisme, du multi-ethnisme, inattendu et surprenante à la fois. New York, épicentre culturel, artistique et avant-gardiste des États-Unis et du monde depuis sa création, ne cesse de nous émerveiller, de nous émouvoir, de nous happer et de nous hanter. Elle demeure – par-delà les époques et les événements tragiques qu'elle a vécus – un repère, un sémaphore pour l'humanité.

« New York était un espace inépuisable, un labyrinthe de pas infinis » (Paul Auster – 1985).


256 - 1 = 255 livres dans ma PAL

1 février 2011

QUE LIRA-T-ON EN FEVRIER ?

Ça y est, l'année 2011 est entamée. Les agapes sont passées et les sorties en poche sortent par paquet. Il y a, encore cette fois, du bon, du très bon et même de l'excellent. Un conseil : préparez-vous à des tentations ignobles et à faire grimper en flèche vos PAL respectives …
  • 10 / 18

Le gang des mégères inapprivoisées – Tom Sharpe

Dans le Northumberland, depuis des générations, les dames Grope font régner la terreur autour d'elles. Signes distinctifs : un physique ingrat, une nature antipathique et des pulsions castratrices inversement proportionnelles à leur volonté de se reproduire. Qu'à cela ne tienne ! Chez les Grope, on kidnappe les hommes de mère en fille. Une coutume familiale dont le jeune Esmond Burnes va faire les frais... Fils unique d'une toquée de romans à l'eau de rose et d'un petit banquier terne et disgracieux, Esmond est forcé de se réfugier chez son oncle suite à une agression alcoolisée de son père. C'est là que l'innocent garçon va tomber entre les griffes de sa tante Belinda, née Grope, épouse frustrée et ménagère forcenée... Disparitions suspectes, soûleries aggravées, accès de folie, torrides parties de jambes en l'air... Même la police va perdre le fil. Mais y aura-t-il quelqu'un pour sauver Esmond Burnes ?

Beatles – Lars Saabaye Christensen

Quatre amis, Kim, Gunnar, Ola et Seb, sont réunis par leur passion pour les Beatles. Ballottés entre histoires d'amour balbutiantes, rêves de grandeur et petites déceptions du quotidien, ils ont quinze ans et sont inséparables. Leurs aventures jusqu'à l'âge adulte sont racontées par Kim, le plus ambitieux mais aussi le plus fragile. Chaque chapitre a pour titre et pour thème une chanson des Beatles. La guerre du Vietnam a beau indigner les foules, Paris vivre sous les barricades et la Norvège hésiter à rejoindre la Communauté européenne, les quatre copains iront toujours trinquer sur quelques accords à la santé du groupe mythique de leur jeunesse.

Les enfants de Staline – Owen Matthews

Au cœur du Moscou post-communiste des années 1990, un jeune reporter, Owen Matthews, retrouve la trace des siens et de ces existences qui le hantent... L'ascension et la chute de son grand-père, Boris Bibikov, victime des purges. En 1937, Boris Bibikov est pourtant l'Homo sovieticus exemplaire, héros de l'industrialisation à outrance, communiste convaincu de sa tâche quand il dirige la construction d'une usine, encourage à la production tout en fermant les yeux sur la famine des paysans. L'odyssée de sa mère, Ludmila, livrée à trois ans à peine au chaos de la Seconde Guerre mondiale, séparée de sa sœur au cours de leur fuite à travers les steppes russes, d'orphelinats surpeuplés en hôpitaux insalubres. Le drame de ces amants pris dans la tourmente de la guerre froide : Mervyn, son père, un Anglais russophile qui avait osé refuser les avances du KGB, et Ludmila, devenue une brillante intellectuelle dissidente. A travers les six années de correspondance passionnée de ses parents, le dossier du NKVD de son grand-père et sa propre errance dans une capitale décadente, c'est sa dualité qu'Owen Matthews va découvrir, avec cette part de Russie qui l'habite, l'obsède et le force à écrire...

Lark et Termite – Jayne-Anne Philipps

Juillet 1950, Corée du Sud ; 1959, Virginie occidentale : quelques dizaines de milliers de kilomètres et neuf ans séparent les deux temps. Au centre du récit, Lark, une adolescente rayonnante, s'est donné pour mission de protéger son demi-frère handicapé, Termite, à la sensibilité hors du commun. En écho, la voix du caporal Leavitt, le père de Termite, pris dans le chaos de la guerre de Corée. Au fil de leurs pensées surgissent et s'évaporent les mystères familiaux, marqués par l'amour de Lola, la mère défunte des deux enfants. Une polyphonie envoûtante sur les liens invisibles qui nous unissent
et nous renforcent.

Sous les bruyères – Belinda Bauer

Steven n'a que douze ans et pourtant, il entretient une relation épistolaire avec un tueur en série… C'est le seul moyen qu'il a trouvé pour en finir avec cette histoire familiale qui lui empoisonne l'existence. Car Steven en a assez de creuser la lande à la recherche du corps de son oncle Billy, disparu à peu près au même âge que lui. Persuadé que sa mère et sa grand-mère ne parviendront jamais à faire leur deuil, il entre en contact avec Arnold Avery, incarcéré pour le meurtre de plusieurs enfants dans la région à la même période. Pour Steven, Billy est forcément tombé entre ses griffes. C'est bien pour cela qu'il lui écrit une lettre énigmatique destinée à piquer sa curiosité. Et le stratagème fonctionne ! Le détenu lui répond, et tous deux instaurent une correspondance codée, afin de tromper la vigilance des gardiens. Mais Steven n'imagine pas dans quel engrenage il a mis le doigt. Car Arnold Avery n'est pas seulement un meurtrier rusé et sans scrupules, il est aussi joueur et s'ennuie depuis beaucoup trop longtemps dans sa cellule…

Autoportrait de l'auteur en coureur de fond – Haruki Murakami

Le 1er avril 1978, Murakami décide de vendre son club de jazz pour écrire un roman. Assis à sa table, il fume soixante cigarettes par jour et commence à prendre du poids. S'impose alors la nécessité d'une discipline et de la pratique intensive de la course à pied. Ténacité, capacité de concentration et talent : telles sont les qualités requises d'un romancier. La course à pied lui permet de cultiver sa patience, sa persévérance. Courir devient une métaphore de son travail d'écrivain. Courir est aussi un moyen de mieux se connaître, de découvrir sa véritable nature. On se met à l'épreuve de la douleur, on surmonte la souffrance. Corps et esprit sont intrinsèquement liés.

La librairie des ombres – Mikkel Birkegaard

À Copenhague, Luca, propriétaire d'une librairie, décède brusquement. Son fils, Jon, avec qui il a rompu tout contact depuis vingt ans, en hérite. Il découvre alors que son père était à la tête d'une société secrète de lettore, des personnes dotées de pouvoirs exceptionnels permettant d'influencer la lecture des autres... mais aussi de les manipuler jusqu'au meurtre. Très vite, l'évidence s'impose : la mort de Luca n'a rien de naturel. Y a-t-il un traître parmi les membres de cette mystérieuse communauté ? Déterminé à venger son père, Jon se lance dans une quête à haut risque, dans un monde où les livres ont le pouvoir de vie... et de mort.

  • Livre de Poche

La mort, entre autres – Philipp Kerr

On se souvient de Bernie Gunther, l'ex-commissaire de police devenu détective privé, qui, à la fin de La Trilogie berlinoise, assistait à la chute du IIIe Reich, conscient de la corruption qui, à Berlin comme à Vienne, minait le régime. 1949. Bernie vit une passe difficile. Sa femme se meurt, et il craint que le matricule SS dont il garde la trace sous le bras ne lui joue de sales tours. Une cliente affriolante lui demande de retrouver la trace de son époux nazi, et le voici embarqué dans une aventure qui le dépasse. Tel Philip Marlowe, son alter ego californien, et en dépit de son cynisme, Gunther est une proie facile pour les femmes fatales… Atmosphère suffocante, manipulations, et toujours l'Histoire qui sous-tend habilement la fiction : du Philip Kerr en très grande forme.

Loving Frank – Nancy Horan

Chicago 1903. Un jeune couple, les Cheney, fait appel à Frank Lloyd Wright, l'architecte d'avant-garde, génial et rebelle, pour qu'il construise leur nouvelle maison. Et c'est le coup de foudre : Frank tombe follement amoureux de Mamah Borthwick Cheney. Au point que, quelques années plus tard, les amants partent pour l'Europe, abandonnant conjoints et enfants, au grand scandale de la bonne société américaine, puritaine et dévote. Où qu'ils aillent, Frank et Mamah, enchaînés par leur passion mais hantés par une culpabilité intolérable, font la une de la presse américaine. Ils rentrent aux États-Unis en 1914, et leur histoire d'amour va connaître un dénouement dramatique…

Pour une juste cause – Vassili Grossman

En février 1943, le nom de « Stalingrad » est sur toutes les lèvres et va devenir le symbole de la défaite allemande. Correspondant de L'Étoile rouge, Vassili Grossman assiste aux combats, dont il rend compte dans ses chroniques. C'est à ce moment-là qu'il entreprend sa fresque monumentale, Pour une cause juste, dont la seconde partie sera connue dans le monde entier sous le titre de Vie et destin. Grossman est alors un homme ébranlé par la guerre. Son fils aîné a été tué au front, sa mère a péri dans un ghetto… Terminé après la guerre, Pour une cause juste est publié, entre juillet et octobre 1952, dans la revue Novy Mir. Épopée d'une bataille emblématique, c'est un vivant portrait du peuple russe saisi dans sa souffrance et dans sa grandeur. Mais, derrière cette mosaïque de destins, ces affrontements sans merci, ces sacrifices héroïques, nous voyons déjà se profiler les questions vertigineuses de Vie et destin sur les totalitarismes de notre temps.

Dimanche – Irène Némirovski

La rue Las Cases était tranquille comme au cœur de l'été, chaque fenêtre ouverte abritée d'un store jaune. Les beaux jours étaient de retour ; c'était le premier dimanche de printemps. Tiède, impatient, inquiet, il poussait les hommes hors des maisons, hors des villes. Le ciel brillait d'un tendre éclat. On entendait le chant des oiseaux dans le square Sainte-Clotilde, un doux pépiement étonné et paresseux, et, dans les rues calmes et sonores, les rauques croassements des autos qui partaient vers la campagne. Nul autre nuage au ciel qu'une petite coquille blanche, délicatement roulée, qui flotta un instant et fondit dans l'azur. I. N.

La partita – Alberto Ongaro

Italie, XVIIIe siècle. Lorsqu'il arrive à Venise, de retour d'exil, Francesco Sacredo, un jeune patricien, découvre que son père a perdu au jeu la totalité de leur immense fortune. La comtesse Mathilde von Wallenstein, une Allemande borgne et sans pitié, lui a ravi jusqu'à son dernier sequin. Ulcéré par l'inconséquence paternelle, Francesco accepte de miser aux dés sa propre personne pour tenter de récupérer son bien. Il perd… Plutôt que de livrer son corps à la comtesse, il s'enfuit, aussitôt pris en chasse par d'impitoyables spadassins. Et, bien que réduit à la dernière extrémité, il tente de rendre coup pour coup à ceux qui s'acharnent contre lui. Un palpitant roman d'aventures, qui n'est pas sans évoquer Dumas…

Le koala tueur – Kenneth Cook

Avec ses redoutables crocodiles, ses koalas féroces et ses cochons sauvages assoiffés de sang, l'impitoyable bush australien reste un territoire indompté. Et ce n'est pas Kenneth Cook qui aurait pu l'apprivoiser ! Cook a réuni, peu avant sa disparition, ces histoires courtes toutes plus hilarantes les unes que les autres, inspirées par ses tribulations à travers l'Australie. D'après lui, chacune de ces quinze rencontres avec la faune sauvage s'est déroulée comme il le raconte ici, même si elles paraissent incroyables. Dépaysement garanti, dans un grand éclat de rire.

  • Folio

L'Arabe – Antoine Audouard

Un inconnu vient se réfugier en un lieu où il croit trouver la tranquillité : une cave donnant sur une petite place, dans un village du Sud. Un inconnu : un Arabe. Le jour, il charrie des tonnes de cailloux sur un chantier de terrassement. Le soir il rentre dans son trou. Pourquoi se cache-t-il ? Le village s'agite, une hostilité sourde monte de la terre. Ici, il n'est pas chez lui et ne le sera jamais. L'Arabe n'entend rien, se berce de l'illusion qu'à force de vivre invisible, il finira par disparaître. Lorsqu'un meurtre est commis sur la place, cette illusion se dissipe. Aux yeux de tous, c'est lui le coupable. Mais les forces qui se dressent contre lui sont anciennes, comme le feu, la rage, la peur. Pour leur échapper, se rendre invisible ne suffira plus. L'Arabe est un grand roman « sudiste », où des personnages de Faulkner ou de Flannery O'Connor traverseraient des paysages à la Giono. Le Sud d'Antoine Audouard est lui aussi un vieux pays vaincu, peuplé de figures tour à tour tragiques et grotesques. Écrit dans une langue où le parler populaire se mêle à un lyrisme altier, ce roman qui multiplie les dissonances et les ruptures de ton est l'œuvre d'un écrivain accompli.

Là-haut, tout est calme – Gerbrand Bakker

Helmer van Wonderen vit et travaille sur la ferme familiale depuis trente-cinq ans, quand, un jour, sans raison apparente, il décide d'installer son vieux père au premier étage. Ce dernier est grabataire et aura de toute façon besoin de ses soins, mais ce changement lui permet de rompre la monotonie des jours toujours semblables, de s'installer au rez-de-chaussée de la maison et d'en refaire la décoration. Tout en s'occupant de la ferme et du père, il est plein de colère retenue à l'égard de ce dernier. Puis tout s'accélère le jour où il reçoit une lettre signée d'un nom oublié depuis longtemps : Riet était non seulement la fiancée de son frère jumeau Henk, mais aussi à l'origine de son accident mortel, à l'âge de vingt ans. C'est après la disparition de ce frère admiré, alors qu'il était parti étudier à la faculté de lettres d'Amsterdam, que Helmer a dû reprendre le rôle destiné à Henk et renoncer à une vie loin de la ferme. Il a dû accepter une vie consacrée aux vaches, malgré lui, et la tête vide, accomplir les mêmes gestes, jour après jour, machinalement. Riet lui demande de l'aide, car elle a des difficultés avec son fils, appelé Henk, justement. L'arrivée de cet adolescent changera totalement la donne : il noue des liens privilégiés avec le vieil homme mourant, mais il oblige aussi Helmer à se confronter enfin à l'image de l'autre Henk, ce frère jumeau disparu, et à reprendre sa vie en main. Lors d'un accident dramatique, les choses semblent enfin se dénouer… Gerbrand Bakker évoque avec beaucoup de poésie la vie d'un paysan du nord de la Hollande. Les paysages d'eau et de tourbe constituent un écrin très singulier pour une narration qui pourtant touche une question absolument universelle : comment maîtriser ses désirs, comment accéder à une forme de vérité intérieure quand tout dans votre existence vous contraint à renoncer à cet ailleurs tant refoulé ? A 55 ans, est-il trop tard pour changer de vie ? L'écriture de Là-haut, tout est un calme entraîne le lecteur dans une quête du bonheur inoubliable.

Ici et maintenant – Robert Cohen

La vie de Samuel Karnish, la quarantaine, est une sorte de gâchis aussi bien professionnel qu'affectif. Il fait la connaissance d'un jeune couple hassidique de Brooklyn, Aaron Brenner et sa jeune épouse Magda, dans l'avion qui le conduit au troisième mariage de son meilleur ami. Cette rencontre due au hasard va se muer en une véritable attirance et l'entraîner dans une aventure palpitante et complexe dont la finalité est d'en savoir plus sur lui-même. Robert Cohen révèle, avec un brio extraordinaire, une précision et un humour tranchants, les dangereuses profondeurs que cache la vie ordinaire, les désirs subits qui sèment la panique. C'est une comédie sur la vie, un roman exubérant, sur le thème de la croyance et de l'inconstance.

Les Onze – Pierre Michon

Les voilà, encore une fois : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Nous connaissons tous le célèbre tableau des Onze où est représenté le Comité de salut public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l'an II et la politique dite de Terreur. Mais qui fut le commanditaire de cette œuvre ? A quelles conditions et à quelles fins fut-elle peinte par François-Elie Corentin, le Tiepolo de la Terreur ? Mêlant histoire et fiction, Michon fait apparaître, avec la puissance d'évocation qu'on lui connaît, les personnages de cette « cène révolutionnaire », selon l'expression de Michelet qui, à son tour, devient l'un des protagonistes du drame.

Trois femmes puissantes – Marie NDiaye

Trois récits, trois femmes qui disent non. Elles s'appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Chacune se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible. L'art de Marie NDiaye apparaît ici dans toute sa singularité et son mystère. La force de son écriture tient à son apparente douceur, aux lentes circonvolutions qui entraînent le lecteur sous le glacis d'une prose impeccable et raffinée, dans les méandres d'une conscience livrée à la pure violence des sentiments.

Le chœur des femmes – Martin Winckler

«Je m'appelle Jean Atwood. Je suis interne des hôpitaux et major de ma promo. Je me destine à la chirurgie gynécologique. Je vise un poste de chef de clinique dans le meilleur service de France. Mais on m'oblige, au préalable, à passer six mois dans une minuscule unité de «Médecine de La Femme», dirigée par un barbu mal dégrossi qui n'est même pas gynécologue, mais généraliste! S'il s'imagine que je vais passer six mois à son service, il se trompe lourdement. Qu'est-ce qu'il croit? Qu'il va m'enseigner mon métier? J'ai reçu une formation hors pair, je sais tout ce que doit savoir un gynécologue chirurgien pour opérer, réparer et reconstruire le corps féminin. Alors, je ne peux pas, et je ne veux pas, perdre mon temps à écouter des bonnes femmes épancher leur cœur et raconter leur vie. Je ne vois vraiment pas ce qu'elles pourraient m'apprendre».

Chasseurs de tête – Jo Nesbo

Le narrateur, Roger Brown, se considère comme le meilleur chasseur de tête de Norvège. Utilisant les questionnaires du FBI, il fait subir aux candidats de véritables interrogatoires et ne laisse aucune place au hasard. Mais Roger a une faiblesse : sa femme Diana qui lui coûte très cher... Voiture de luxe, vêtements de marque, loft de 300 m2, galerie d'art et vernissages au champagne, tout cela a un prix élevé. Pour financer sa vie privée, il dérobe avec l'aide d'un complice des toiles de maître chez ses clients. Mais le jour où il décide de voler un Rubens à Clas Greve, qui semblait pourtant avoir le profil du parfait pigeon, les choses se gâtent. De chasseur, Brown devient la proie et le pigeon se révèle être un terrible prédateur. Nesbo reprend le thème du chasseur chassé et en démonte le mécanisme avec jubilation ; à tel point que Roger Brown, pourtant très antipathique, finit par inspirer la compassion.

  • Point

Sylvia – Leonard Micheals

Au début des années 1960, Leonard Michaels quitte Berkeley pour son New York natal. A Manhattan, dans ces « swinging sixties », il n'est pas rare de croiser Miles Davis, Jack Kerouac et Lenny Bruce. Mais aussi Sylvia Bloch, dont Leonard fait la connaissance par hasard. De cette rencontre fugace naît un amour fou. Il se terminera tragiquement. Vingt ans plus tard, Leonard Michaels décide de faire le récit quasi clinique de cette histoire.

Les chaussures italiennes – Hennig Mankell

A soixante six ans, Fredrik Welin vit reclus avec sa chienne et sa chatte depuis une décennie sur une île balte. Hanté par le souvenir d'une erreur tragique qui brisa sa carrière de chirurgien, il s'inflige chaque matin une immersion au fond d'un trou creusé dans la glace. Mais cette routine est interrompue par l'intrusion d'Harriet, qu'il a aimée et abandonnée trente-sept ans plus tôt. Durant deux hivers et un été, Frederik va renouer avec le monde des émotions humaines.

Gangsters – Klas Östergren

Le récit reprend là où il s'était arrêté à la fin de Gentlemen : dans l'appartement sale où l'écrivain Klas vit reclus depuis que les frères Morgan, amis fascinants mêlés à des affaires louches, ont disparu. A ses côtés, Maud, beauté fatale, ancienne maîtresse de Morgan et de l'énigmatique Sterner. Quand le passé refait surface, vingt-cinq ans plus tard, la fiction n'a plus lieu d'être. Et si les Gentlemen se révélaient Gangsters ? Il est temps pour Klas de dévoiler la vérité, toute la vérité.

  • Pocket Éditions

Angelica – Arthur Phillips

La naissance d'Angelica aurait dû apporter le bonheur aux Barton. L'accouchement marque au contraire le début du cauchemar : Constance doit désormais éviter tout rapport intime. Lorsque, au bout de quatre ans, Joseph décide que leur fille dormira dans sa propre chambre et non plus au pied du lit conjugal, Constance comprend que son mari ne peut plus réfréner ses désirs. S'installe alors dans la maison un climat de tension, exacerbé par l'atmosphère oppressante du Londres victorien, et bientôt Constance perçoit des odeurs et des sons étranges, entrevoit un fantôme... Surnaturel ou égarements ? Qui de Constance, Joseph, Angelica ou de l'exorciste Anne Montague détient la vérité ?

La dame de Jérusalem – Dan Franck/Jean Vautrin

1946. Après l'effroi de la guerre, les horreurs du nazisme et la découverte des camps, l'Europe a enfin retrouvé la paix. C'est du moins ce que Boro aimerait croire. Jusqu'à ce qu'une mystérieuse jeune fille le convoque à Jérusalem le jour de l'explosion de l'hôtel King David : il comprend alors qu'une autre guerre est en train de voir le jour. Emprisonné par les Anglais, miraculeusement libéré, il gagne l'Europe puis l'Amérique où les Nations unies s'apprêtent à voter le partage de la Palestine. Au fil de ses voyages, il retrouve ses ports d'attache les plus fidèles. Et il ne délaisse jamais son Leica. Témoin de son époque, Boro va se laisser entraîner dans le bruit et la fureur d'une lutte fratricide...

Le livre des morts – Glenn Cooper

Mai 2009. Une série de morts inexplicables secoue la ville de New York. Accidentelles ou criminelles, elles n'ont, en soi, rien d'inexplicable : ce que la police ne comprend pas, c'est cette carte postale, reçue par les victimes, la veille de leur décès. Postées à Vegas, toutes indiquent la date exacte de la mort de leur destinataire. Un véritable casse-tête. Le profileur Will Piper, en congé pour raisons personnelles, reprend du service pour l'occasion. Il se dirigera bientôt vers la plus invraisemblable des vérités, quelque part entre l'île de Wight et le désert du Nevada… Entre un mystérieux monastère, au large de l'Angleterre, et la zone 51, la fameuse base secrète américaine… Ce qu'il y découvrira fera chavirer les plus solides certitudes de la pensée occidentale. Tout est-il écrit d'avance ? Le libre-arbitre est-il une illusion ? Quand recevrez-vous, vous aussi, l'irréversible carte postale ?

  • J'ai Lu Éditions

Les derniers jours de Stefan Zweig – Laurent Seksik

Le 22 février 1942, exilé à Pétropolis, Stefan Zweig met fin à ses jours avec sa femme, Lotte. Le geste désespéré du grand humaniste n'a cessé, depuis, de fasciner et d'émouvoir. Mêlant le réel et la fiction, ce roman restitue les six derniers mois d'une vie, de la nostalgie des fastes de Vienne à l'appel des ténèbres. Après la fuite d'Autriche, après l'Angleterre et les États-Unis, le couple croit fouler au Brésil une terre d'avenir. Mais l'épouvante de la guerre emportera les deux êtres dans la tourmente - Lotte, éprise jusqu'au sacrifice ultime, et Zweig, inconsolable témoin, vagabond de l'absolu.

La grand-mère de Jade – Frédérique Deghelt

J'ai beaucoup lu, depuis très longtemps. Je suis une lectrice assidue, une amoureuse des livres. On pourrait le dire ainsi. Les livres furent mes amants et avec eux j'ai trompé ton grand-père qui n'en n'a jamais rien su pendant toute notre vie commune. Jade eut l'impression que Mamoune lui assénait cette révélation comme si elle avait fait le trottoir, transformant la lecture en une activité inavouable.

Neverwhere – Neil Gaiman

Une rue de Londres, un soir comme un autre. La jeune fille gît devant lui sur le trottoir, face contre terre, l'épaule ensanglantée. Richard la prend dans ses bras, elle est d'une légèreté surprenante. Et quand elle le supplie de ne pas l'emmener à l'hôpital, il a le sentiment de ne plus être maître de sa volonté. Dès le lendemain, elle disparaît et, pour Richard, tout dérape : sa fiancée le quitte, on ne le connaît plus au bureau, certains, même, ne la voient plus... Le monde à l'envers, en quelques sortes. Car il semblerait que Londres ait un envers, la " ville d'En Bas ", cité souterraine où vit un peuple d'une autre époque, invisible aux yeux du commun des mortels. Un peuple organisé, hiérarchisé, et à la tête duquel les rats jouent un rôle prépondérant. Plus rien ne le retenant " là-haut ", Richard rejoint les profondeurs. Fable fantastique ou roman de fantasy contemporain, Neverwhere est inclassable, surprenant, original. Plein d'idées, de rebondissements, de clins d'œil référentiels et de personnages iconoclastes.