31 décembre 2010

2011 DANS QUELQUES HEURES !

Une fois n'est pas coutume, après les fêtes de la Noël, suivent les vœux pour la nouvelle année ! Cette fois encore, j'ai voulu faire dans l'humour et la légèreté pour saluer l'année 2011 et dire adieu à une année 2010 pour le moins chargée et particulièrement difficile à plus d'un titre.

Je ne m'étalerai pas sur tout ce que j'ai vécu, que ce soit en positif ou en négatif. J'ai décidé de tout oublier, de faire table rase du passé et de me consacrer - enfin - à l'avenir. Belle résolution à quelques heures de 2011, mais que je suis bien décidée à tenir vaille que vaille, et coûte que coûte ! Ce sera d'ailleurs mon unique résolution, parce qu'elle risque de me prendre beaucoup de temps.

Pour faire simple, et sans entrer dans des détails qui seraient sans objet sur ce blog, l'année 2010 m'a - au moins - permis de faire le point sur mon évolution personnelle et professionnelle. Étant à un âge où les décisions doivent se prendre pour pouvoir se réaliser et être enfin soi-même, j'ai pris l'immense décision de me mettre à mon compte dans mon métier. Je ne vous parlerai pas des réactions diverses et variées de mon entourage, médusé, surpris, étonné, ébahi, voire décontenancé par un tel choix. Mais j'assume toutes mes décisions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises.

Donc, après moult réflexions, méditations, hésitations, je me suis lancée dans le grand bain de l'indépendance. Et comme j'aime la simplicité dans tout ce que je fais, j'ai pris la décision de m'intéresser de près aux risques psychosociaux dans les entreprises et aux problématiques RH. Je sais, les problèmes sont nombreux, complexes, variés autant que les hommes qui font l'entreprise, mais la difficulté me stimule.

Voilà pourquoi ce blog est un peu en mode ralenti. Je ferai toujours le nécessaire pour l'alimenter, venir vous lire et laisser des commentaires pas toujours pertinents. Mais qu'importe, l'essentiel est bien de participer !

En un mot comme en cents, je voulais vous souhaiter à tous et à toutes une excellente année 2011 et vous remercier de me suivre depuis plus de quatre ans. Que celle-ci voit la réalisations de vos espoirs, de vos désirs les plus chers. Que 2011 vous apporte tout ce que l'on peut souhaiter de positif, de bon, de réussi dans une année. Surtout, que cette nouvelle année soit synonyme de réalisation personnelle.

29 décembre 2010

LE PRÊTRE ROUX

  • Antonio Vivaldi – Sophie Roughol – Acte Sud Classica Éditions


« Est-il personnage plus connu et plus mystérieux qu'Antonio Vivaldi ? Sa musique a traversé les siècles et les continents, a séduit tous les publics et tous les âges, son nom, à l'égal de celui de Mozart, est synonyme de musique classique pour les plus réfractaires au genre. Et pourtant, c'est le même compositeur qui disparaît dans l'anonymat le plus total, entraînant dans le néant la majeure partie de son œuvre, avant la résurrection musicologique du début du XXe Siècle. Et qui, bien que connu de son vivant dans l'Europe entière, cache à ses biographes des pans entiers de son existence, comme si, par hases régulières, l'homme devenu invisible échappait au regard et à la plume de ses contemporains ».

C'est à Vienne en Autriche et non à Venise – sa ville natale à laquelle il sera toujours intimement lié – que sera enterré Antonio Vivaldi, le 28 juillet 1741. Virtuose du violon, il faudra patienter jusqu'en 1920 – soit près de 179 ans – pour découvrir toute la valeur artistique et l'acuité de son talent. Pourtant, les commentaires relatifs à ses compositions musicales seront peu amènes, voire même cyniques et acerbes. Igor Stravinsky a été pour le moins acide en assénant que Vivaldi aurait écrit six cents fois le même concerto ! C'est dire si les préjugés et autres idées préconçues ont la vie dure et ont persisté dans le temps.

Il s'en est fallu de peu que le monde de la musique ne connaisse jamais le génie foisonnant d'Antonio Vivaldi. A peine né, il est en danger de mort et recevra même les sacrements de sa nourrice, Margarita Veronese. Toute sa vie, Antonio Vivaldi sera de santé précaire. Sans doute, est-ce pour cela qu'il sublimera son art du violon ? Qu'importe. Le petit Antonio va baigner dans une ambiance où la musique est au cœur même de la vie familiale, grâce à son père – Giovanni Batista Vivaldi – violoniste réputé à Venise. C'est au cours de la messe de minuit de San Marco que le jeune et talentueux Antonio Vivaldi donnera sa première représentation publique. « Venise, au tournant de deux siècles, vit dans la maturité d'une sensualité radieuse et pleinement assumée, dans une licence et une avidité de plaisirs soulignées par tous les chroniqueurs. Le jeune Antonio glisse des ombres des tabarri et des inquisiteurs aux lumières de la piazza et aux éclats des courtisanes, des étals bigarrés de commerçants de toutes nationalités aux mosaïques de la basilique, des promesses des charlatans à celles des prêtres, du regard d'une danseuse triste aux dérobades d'une bauta, dans le chant continuel des gondoliers, femmes, commerçants, maîtres et domestiques ».

Mais avant de devenir le violoniste, le librettiste, le concertiste prolifique et exubérant qu'il deviendra, l'hyperactif touche à tout Vivaldi deviendra prêtre. Ainsi son père l'aura décidé. Ainsi en sera-t-il. En 1703, il entre comme maître de violon à l'Ospedale della Pietà, une des quatre institutions vénitiennes recueillant des orphelines ou les fillettes des familles les plus pauvres afin de leur donner une éducation à la fois religieuse et musicale, leur assurant un autre avenir que celui de la rue et de la débauche. Vivaldi, ayant un sens aigu des affaires et aimant l'argent, verra dans cette opportunité de quoi vivre aisément de son talent sans se préoccuper de son avenir financier, tout en restant libre de composer à sa guise.

A partir de 1711, Antonio prend la place de Gasparini, directeur de l'Ospedale della Pietà et du théâtre Sant'Angelo. Désormais, la voie royale s'ouvre à lui après des années de manigances, de complots, d'intrigues, de machinations de batailles sourdes, de départs fracassants et de retours non moins tapageurs pour s'assurer le poste. « A trente-cinq ans, Antonio Vivaldi peut désormais régner : violoniste virtuose, compositeur de musique religieuse, instrumentale et d'opéras, entrepreneur de spectacles enfin établi sur sa propre scène. Le peu de témoignages laissés par le compositeur sont consacrés pour une bonne part aux affres du métier d'imprésario, que Vivaldi n'exerce – parfois sous des noms d'emprunt – que pour pouvoir monter comme il le souhaite ses propres compositions : « Je m'engage franchement dans de telles entreprises, risquant mes propres deniers et sans avoir recours à des emprunts ».

A l'issue de la lecture de cet « Antonio Vivaldi » de Sophie Roughol, le lecteur est tenté de se demander qui était réellement ce drôle de personnage, multiforme, changeant, excentrique, capricieux, ambigu. Religieux, génie du violon, compositeur de musique profane et sacré pour magnifier son amour de Dieu, lui qui ne dira jamais une seule messe de sa vie ? Un opportuniste, musicien avisé, auteur de pièces de théâtre, d'opéras, profitant de sa situation de prêtre et de directeur de l'Ospedale della Pietà pour être l'impresario avide et corrompu de ses œuvres les moins spirituelles ? Quoi qu'il en soit, Antonio Vivaldi nous a légué une œuvre dense, abondante, hétéroclite que le 20ème Siècle a permis de redécouvrir, après une trop longue période de disgrâce.

On serait aussi tenté de se dire que ce diable de Vivaldi a tout fait pour se faire oublier de ses contemporains. Ludion facétieux de la musique, artiste subtil de son temps, il a pris un certain plaisir à mélanger les styles musicaux, alternant la musique liturgique et la musique laïque, passant de l'opéra au théâtre populaire, brouillant volontairement les pistes de sa vie privée. Des pans entiers de son existence nous sont – encore aujourd'hui – presque totalement inconnus. Comme si Antonio Vivaldi avait pris un malin plaisir à s'extraire du monde, à disparaître le temps nécessaire pour mieux revenir sur le devant de la scène.

Ce prêtre sans paroisse, ni paroissiens, vivra exclusivement pour l'amour de son art. Il refusera que ses opéras soient chantés par les grands castrats du 18ème Siècle, tels Farinelli, Carestini ou Caffarelli, comme cela était la norme à son époque, et imposera sa cantatrice – ancienne élève de l'Ospedale della Pietà -, Anna Giraud (Giró). Beaucoup s'interrogeront sur la réalité de cette relation. Amour réel et consommé entre le maître et son élève ? Amour platonique et néanmoins puissant, puisé dans la foi et l'amour de la musique ? Nul ne le saura vraiment jamais.

Dans « Antonio Vivaldi », le lecteur discerne un personnage mystérieux, compositeur prolixe, impresario cupide, un caractère singulier, individualiste et indépendant, n'en faisant qu'à sa tête, amis des princes européens, des grandes familles patriciennes de Venise, s'opposant au diktat de Rome et de l'Inquisition encore prégnante dans la société de son Siècle. Personnalité virevoltante, tourbillonnante, instable, ne tenant jamais en place, pétulante et brillante, ingénieuse, Antonio Vivaldi nous a légué une œuvre protéiforme, d'une richesse non encore totalement exploitée.

« Ville et vie kaléidoscopiques, imbriquées au point d'en mourir chacun à son tour quand la séparation devient définitive. Car Vivaldi disparu, une certaine Venise s'efface simultanément. Retrouver Vivaldi, c'est retrouver Venise. Écouter Vivaldi, c'est écouter Vivaldi ».


260 - 1 = 259 livres à lire ... Le problème, c'est que le père Noël est passé par là ces derniers jours !

24 décembre 2010

NOEL, ENFIN !

Bientôt la fin de l'année 2010, que j'attends avec une impatience certaine, parce qu'il est des années qu'il vaut mieux laisser derrière et oublier. Celle-ci en fera partie, au moins partiellement.

En attendant les vœux de la nouvelle - et grande - année 2011, je voudrais vous souhaiter à tous et toutes qui passaient par ici, ponctuellement ou plus régulièrement, un excellent réveillon de Noël.

Que le vieux bonhomme en rouge avec sa hotte surchargée et ses rênes pas toujours obéissants vous apporte tout ce que l'on peut espérer de beau, de bon et de réjouissant en ce bas monde. A tout le moins quelques bons livres. Mais pas que ...

Et comme j'ai l'humeur badine en cette soirée que j'espère familiale pour le plus grand nombre d'entre vous, je vous laisse avec cette carte qui m'amuse énormément !



23 décembre 2010

CE SOMBRE OBJET DU DESIR

  • Corps – Fabienne Jacob – Buchet Chastel Éditions


« L'enfance est la grande matrice. Les corps des femmes sortent de là, des jeux de l'enfance, plaisir et crainte mêlés, des impatiences criardes, des séances d'ennui muettes, longues, à croire que l'ennui est la salle de projection de l'éternité. Ce qui manque aux petites filles se transforme plus tard en désir, il leur faut manquer pour désirer. Celles qui n'ont manqué de rien ne désireront rien. Ce que les petites filles ont cherché durant leur enfance heure après heure, porte après porte, elles le trouveront à l'âge adulte ».

Monika, avec un K comme dans les pays d'Europe du nord ou de l'est, comme pour donner une note exotique et venue d'ailleurs à un prénom insignifiant, est esthéticienne dans une ville de province. Le corps féminin, c'est son métier, son fonds de commerce. Elle en voit tous les jours, de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les âges. Des corps qui disent et qui racontent - sans même le savoir – l'existence de leurs propriétaires. Monika les observe, les scrute, leur parle, apprend à les connaître, finit par découvrir leurs failles, leurs secrets les plus intimes, leurs souvenirs refoulés, tout ce que l'on n'ose même pas s'avouer à soi-même. « D'autres prennent toute la place qu'elles peuvent, rient fort, parlent fort, montrent tout ce qu'il y a à montrer, gorge, jambes, ce sont des femmes immédiates, elles donnent tout à la première minute, après parfois il reste plus rien. On veut pas les connaître pour la bonne raison qu'on les connaît déjà. On sait ce qu'elles vont dire avec quels mots elles vont le dire. Celles qui sont pleines de marques de vêtements et de sacs à main on ne comprend pas leur message. Peut-être veulent-elles se cacher sous les marques mais le problème est qu'on n'a pas envie de la débusquer. On sait d'avance, elles ont rien à cacher ».

Le corps, c'est son domaine. Des beaux, des parfaits, des disgracieux, des impersonnels, des insignifiants, ceux que l'on oublie avant même de les avoir vus. Et des laids. Vraiment repoussants. Ceux qui vous marquent, vous laissent des stigmates, des traces dans l'esprit, comme les sillons profonds tracés dans la terre. Ceux-là sont rares. Fréquemment, les femmes n'aiment pas leur corps. Elles rêvent d'une esthétique de papier glacé qui n'existe que dans le fantasme du publicitaire qui les a conçus, fruit de son imagination sensuelle. Ce corps chimérique et fabuleux, parfait, sublime et sublimé est un leurre. Le leur vit, sans qu'elles le désirent. Elles font tout pour l'étouffer, le masquer, le calfeutrer. « Souvent leurs questions concernent la cellulite, elles n'aiment pas ça elles ne comprennent pas. Elles font pourtant attention, boivent beaucoup, s'oxygènent, font tout ce qu'ils disent. Est-ce normal comment font les autres est-ce que tout le monde en a ? Puis elles vont plus loin, elles disent plus. Elles sont en confiance. Je ne suis pas leur amie et pourtant. Je rentre chez moi le soir avec leurs histoires. Je ne pense rien, je n'oublie rien non plus. Elles le savent, ça leur plaît comme je suis avec elles. Ca leur plaît que je ne dise rien. Elles croient que je sais des choses sur elles qu'elles-mêmes ignorent ».

Le corps de la bouchère, femme-tronc derrière son comptoir, ne s'animant que pour les bonjours, au revoir, de façades, de politesses dues à la clientèle sans nom et sans âme, déclamant la somme à payer sur un ton monocorde est un organisme froid, sec, tari. Frileuse au magasin, gelée à l'institut. Son corps est transi, blême, lactescent, transparent, livide, à l'aune de sa propriétaire. « Je suis la seule à connaître son corps en dessous. A l'institut comme à la boucherie elle est gelée en profondeur. Derrière la caisse elle est comme un tableau, avec son torse qui ne bouge pas, ses cheveux blonds permanentés et son sourire las qui flotte par-dessus le bouquet de tulipes. On ne l'a jamais vue debout, on ne l'a jamais vue marcher ».

Et puis, il y a Adèle parmi cette clientèle anonyme. Adèle, quatre-vingt printemps à elle seule et un corps qui se rappelle encore de son premier amour comme si cela était hier. Adèle, heureuse, fraîche, radieuse dans le corps souple et ferme de ses dix-sept ans. Adèle, amoureuse d'un amour interdit, honni, contraire à la morale et à l'époque de son adolescence. Horst. Le prénom de ce premier amour, celui qui a révélé à Adèle le plaisir et le bonheur charnels, la jouissance, la réalité de son corps de jeune fille en fleur. Adèle a payé pour son erreur de jeunesse. La vie ne fait jamais de cadeau gracieux, même et surtout pour la satisfaction du corps et de l'esprit. « Une femme est belle quand elle est dans la vérité de son corps, cette personne lui dirait. La vérité du corps est une coïncidence entre les années et la matière de la chair, entre l'extérieur et l'intérieur ».

« Corps » de Fabienne Jacob où l'intimité de femme explorée, observée, analysée, étudiée, sans jamais être jugée sur son aspect physique, mais plutôt approchée comme une facette de chacune qui en dirait plus long qu'un discours précis et minutieux. Corps dans tous ses états ; corps reflet de l'âme, de la vie, du passé de sa propriétaire, Fabienne Jacob nous parle avec pudeur et sensibilité d'une intimité toujours voilée, dissimulée, tue, contenue, miscellanées de fantasmes et de tangibles.

A travers son personnage, la romancière nous dessine le corps féminin tel qu'en lui-même, ferme ou déformé par le temps qui passe, doux ou épais, délicat ou rêche, frêle ou robuste, en aucun cas jamais uniforme, lisse, apuré de tous défauts et imperfections. Ces corps avant tout vivants, dotés de sentiments – de la crainte à la honte, de la joie à la sérénité -, faits pour le bonheur, l'amour physique, charnel, atout de charme et de sensualité exacerbée. De l'adolescence en pleine mutation physique et psychique, au corps d'adulte en devenir, à la maturité où le corps se racorni, s'use, se flétri, se fripe, se froisse, Fabienne Jacob brosse le portrait de la femme actuelle.

Dans une langue infiniment belle, poétique, juste et sobre, la romancière décrit une femme moderne aux prises avec son désir de séduire, d'attirer les regards par la grâce d'un corps épanoui. Alternant les souvenirs sensuels et les jeux interdits de l'enfance de Monika, la mémoire des corps passés entre ses mains d'experte, le lecteur prend conscience de l'importance que tout un chacun porte à cet objet de désir. Au final, la lecture de ce roman pourrait presque nous réconcilier avec l'image que nous nous faisons de nous-mêmes et du rapport que l'on entretient avec notre apparence physique.

D'autres blogs en parlent : Lapinoursinette, Sophie, Clara, Nathalie Six, Tamara, Pichenette, Mathilde, Alice, Theoma, Cathulu, Isa, Brize, Keisha, Noukette ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit mot que je vous ajoute à la liste.

Merci à Brize pour ce prêt, cette lecture et la découverte d'une romancière que je relirai avec plaisir ...


261 - 1 = 260 livres dans ma PAL ... Qui a dit qu'elle ne baissait pas ?!

17 décembre 2010

LA PETITE VENDEUSE DE SOURIRES

  • D'où je suis, je vois la lune – Maud Lethielleux – Stock Éditions


« De l'autre côté de la place, les gyrophares et tous les bénévoles du Samu d'hiver se préparent. Si ça commence comme ça, on est mal barrés … Je prends quand même le gobelet histoire de me chauffer les mitaines, Comète commence à s'exciter sur l'odeur, elle remue du pif et ça me gonfle qu'elle se fasse avoir pour un bout de viande. Avant de partir, le type demande : T'as des copains qui sont dans le besoin ? Et là, je me marre toute seule, parce que si y'a des mecs qu'ont l'air d'être dans le besoin, c'est plutôt eux avec leur tronche d'humanitaire qui revient bredouille ».

Bienvenue dans la monde de la rue, quotidien de Moon et de Comète, son chien. Moon est SDF. Comme ses amis - Michou et Suzie – qui promènent leur chez-eux dans un caddie, Boule – crâne rasé et perfecto – qui fait son petit business place Saint Mich', et Fidji. Fidji qui veut se ranger, partir, refaire sa vie à Paname, se donner une seconde chance pour repartir du bon pied, sans commettre les erreurs du passé. Surtout, Fidji veut revoir sa fille, la récupérer, pouvoir vivre auprès d'elle, la voir grandir, être un père comme les autres. C'est pour Fidji que Moon a volé un petit carnet à couverture orange. Il lui manque bien le stylo quatre couleurs, suprême résurgence d'une enfance qui n'est pas si loin. Mais cela viendra. Moon veut faire une belle surprise à son amoureux. Elle veut participer à ses rêves, partager son bonheur, espérer avec lui en un devenir meilleur. « Fidji et moi, on n'est pas des saisonniers de la mouise, ni des intérimaires de la dèche. Nous, on est les préposés de la galère perpétuelle, les bénévoles du bitume, la misère en bandoulière ».

En attendant, pour vivre – ou plutôt survivre – au jour le jour, Moon est vendeuse. Cela peut surprendre ! Mais elle ne donne rien, parce que tout se mérite, tout se vend et tout s'achète. Moon est vendeuse … de sourires. Elle en possède une quantité incroyable dans son fonds de commerce. Des beaux, des lumineux, des radieux, des ensoleillés, des pleins, des déliés, des grands, des petits, des larges ou des étriqués. C'est selon le client, la saison, son envie, aussi. « Moi, j'ai ma place à l'angle de Saint-Fran, juste en face de la banque et devant le McDo, je vends ma marchandise, petite came du quotidien. Je m'installe là, debout, un petit pas en avant, un petit pas en arrière, la valse de la rue pour une pièce de monnaie. Je ne brade pas, je ne force pas le client, pas de promotions dans mon magasin de plein air, j'en vends des tout petits, des grands jusqu'aux oreilles, des en coin ou des moqueurs, mais des jaunes plus rarement ».

Dès que Fidji disparaît pour quelques jours ou pour plus longtemps faire ses affaires à Paname, Moon se dépêche de se remémorer les bribes de son existence décousue, mal ficelée, à trous, tordue, construite de bric et de broc. L'air de rien, elle lui pose des questions sur son passé. Puis elle y met des mots dessus. Des mots qu'elle aime, jolis comme des cœurs, de vrais petits amours, charnus, potelés, des mots bien à elle, qui lui ressemblent. « Les mots ont l'air d'inconnus sur un trottoir blanc quadrillé, comme s'ils appartenaient à une langue que j'ai oubliée, je les regarde et je ne les reconnais pas ». C'est décidé, Moon va écrire un livre, celui de son imagination. Et tant pis si celui-ci ne ressemble plus à l'idée d'origine. Tant pis si Fidji n'est plus tout à fait lui mais un autre. Tant pis s'il se métamorphose en Fred. Tant pis si sa vie n'est plus tout à fait la sienne. Moon s'en moque. Moon veut écrire, tricoter une vie, mettre des mots les uns à la suite des autres, remplis de couleurs, d'humeurs, de sentiments, et créer un patchwork d'existence. Ce livre – suite de mots nouveaux, entendus, lus, vus, connus ou inconnus, simples ou complexes, heureux ou malheureux – sera comme un sésame, passeport ouvrant sur un champ de possibles et donnant à Moon l'espoir d'une perspective autre que celle de la rue. « Je raccroche avec une drôle d'impression, celle d'être devenue un objet de convoitise, un truc planqué en arrière-boutique que personne ne remarquait tant qu'il était caché sous sa couche de poussière, mais quelqu'un vient de passer un coup de chiffon dessus, il commence à briller et deux brocanteurs s'intéressent à lui. Il est tout ébréché, tout abîmé par le temps et les aléas. Mais, pour la première fois, on ne le lui reproche pas ».

« D'où je suis, je vois la lune » est le deuxième opus de Maud Lethielleux. Dans le précédent, c'était une petite fille – Ninon – qui racontait son histoire, celle de ses parents séparés. Elle nous parlait de son père, Fred, avec des étoiles dans les yeux. Un monde (presque) merveilleux, celui de l'innocence, de la spontanéité, de la fraîcheur. Dans ce livre, c'est au tour de Moon de nous livrer son quotidien, sa vie de galère, de misère. On est bien loin de l'univers enchanteur et enchanté de Ninon, fait de nature, de brebis, de fromages de chèvres, de bonheurs simples et de rires enfantins et joyeux. Ici, la rue sert de décor, de cadre, d'arrière-plan. La rue avec son cortège de souffrances, de malheurs, d'afflictions, de peines, qui se déroule sous notre regard sans que l'on en soit conscient. A dix-neuf ans, Moon a déjà trois ans de rue derrière elle. Un monde, un gouffre entre l'existence du dehors et celle du dedans. Son néant, son dénuement, elle les partage avec d'autres, parce que la solitude c'est la mort, dans ce milieu. Moon partage sa courte vie entre Fidji – son amoureux -, Comète, son chien et compagnon d'infortune, Slam aussi muet qu'une tombe et quelques autres qui vont et viennent au gré du temps, des contraintes, des opportunités. Moon est consciente de la difficulté de la vie, mais conserve un fond d'innocence et de candeur qui lui permet de se dégager de la violence insondable dans laquelle elle évolue. Bien sûr, Moon est courageuse, volontaire et déterminée, comme tous ces jeunes adultes qui ont connu les centres d'éducation, qui se sont égarés en cours de route. Et presque comme un conte de fée pour enfant, elle trouvera sur son chemin de bonnes âmes, bien intentionnées pour l'aider à sortir de l'ornière. Bien sûr, elle passera par des instants d'extase et des moments de découragement. Bien sûr, elle s'effondrera, mais pour mieux rebondir, repartir, se donner une vraie chance de passer de l'autre côté.

« D'où je suis, je vois la lune » est un roman optimiste, positif, malgré le thème de fond. Le lecteur est en empathie pour cette toute jeune fille qui refuse la société, la rejette, mais finit par l'accepter, parce que l'on est toujours mieux dedans qu'à la marge. Cependant, ce qui peut déranger, c'est le ton même du livre. Ce qui passait bien dans « Dis oui, Ninon », parce que Maud Lethielleux faisait parler une fillette, gêne un peu dans celui-ci. Malheureusement, Moon n'a pas six ans, mais dix-neuf. Le stade de l'innocence n'est pas le même. La maturité non plus. Surtout quand on vit dans la rue. C'est dommage. J'espère que le prochain personnage aura atteint l'âge adulte et nous parlera comme une personne plus sûre d'elle, mieux armée face à la vie, même si elle reste la tête dans les étoiles … ce qui n'est pas si mal ! « Un bouquin tout neuf que le type lit fièrement en croisant ses jambes et en mouillant son index pour tourner la page. Il fronce les sourcils, il sourit, puis il pose son bouquin à plat sur ses genoux et regarde dans le vague avec un air absent. Je suis en plein dans sa ligne de mire mais il ne me voit pas, il regarde au large. Ça me donnerait presque envie de lire, je savais pas que des mots pouvaient ouvrir l'horizon. Sa sévérité s'est transformée en sérénité. D'un coup, je me sens fière, je me dis que peut-être, moi aussi, je suis une adoucisseuse de visages, une sorte d'esthéticienne de l'âme ».

D'autres blogs en parlent : SD49 (Sandrine), Pascale, Schlabaya, Lounima, Keisha, Géraldine, Stephie, Nina, Mango, Aifelle, Gambadou, Lili, Mirontaine, Antigone, Sylire, Clara ... D'autres, sans doute ?! Merci de vous faire connaître par un petit mot que je vous ajoute à la (longue) liste.

Merci à Sylire pour ce prêt. Ce livre-voyageur poursuit sa route vers sa nouvelle lectrice ... Loin de chez nous.

262 - 1 = 261 livres dans ma PAL ...

11 décembre 2010

VERT, VERT, VERT ... COMME L'ESPOIR !

En attendant un prochain billet qui arrive lentement mais sûrement, je vous laisse avec ma couleur préférée, celle qui me fait vibrer, qui m'apaise, me rassure, me calme, me rend la vie plus douce et plus lumineuse, celle qui est synonyme des beaux jours retrouvés, de la chaleur et de la paix, le vert !

Le vert de la douce et tendre Normandie, de l'eau des rivières qui chantonnent, des champs, des bocages. Le vert de la romantique Irlande, de la charmante Angleterre, de tous ces endroits où je me ressource quand le besoin de prendre du recul est là, bien présent.


Juste une petite envie de vous faire partager tous ces instants de petits bonheurs qui - mis bout à bout - nous aident à passer des périodes plus difficiles.






6 décembre 2010

UN DEJEUNER MEURTRIER

Obscura – Régis Descot – JC Lattès Éditions


« Chaque année à la même époque il fallait remettre la maison en état, la préparer pour les propriétaires : ouvrir les volets et les fenêtres en grand pour faire circuler l'air et chasser l'odeur de renfermé, battre les tapis dehors, libérer chaque fauteuil de son drap protecteur, laver les carreaux, faire les lits, passer la serpillère, traquer les toiles d'araignée. Mais tous ces efforts, et même l'installation des maîtres, ne parvenaient pas à supprimer cette impression d'abandon. Comme si la maison livrée à elle-même pendant sept mois de l'année ne pouvait se départir de cette atmosphère de sépulcre. A moins que ce ne fût aussi dû à ces gens trop sérieux qu'elle n'avait jamais entendus rire. A peine un fredonnement timide un jour, tandis qu'elle épluchait des légumes dans la cuisine ; mais si fugace qu'elle avait cru avoir rêvé ». Lucie et sa mère s'apprêtent à ouvrir la riche demeure des Autran afin de l'aérer avant leur prochaine arrivée de Marseille. Les Autran passent leurs étés sous le soleil de la Provence. Lucie n'a jamais aimé cette maison, qui lui donne une étrange sensation d'oppression, d'angoisse. Une tombe. Voilà l'image que s'en fait la jeune femme.

En pénétrant dans la demeure bourgeoise une odeur méphitique, insupportable, pestilentielle les prend à la gorge. Quel animal a bien pu venir mourir dans un endroit pareil, fermé sept mois dans l'année au point de dégager de tels remugles à faire rendre tripes et boyaux ? C'est une scène des plus morbides que découvriront ce jour-là la mère et la fille. Quelqu'un a recréé à l'identique le fameux et déshonorant tableau d'Édouard Manet, « Déjeuner sur l'herbe », avec le cadavre d'une jeune parturiente décédée en couches quelques semaines plus tôt, et déterrée pour l'occasion. « Dans la pièce qui m'avait été indiquée, un grand salon à trois fenêtres, j'ai découvert la chose la plus macabre qu'il m'a jamais été donné de voir. Il s'agissait du cadavre d'une femme qu'on avait positionne assis par terre, une jambe repliée, un coude fixé au genou par une cordelette et le menton reposant sur la main. Ce cadavre était entièrement nu, et à côté de lui étaient disposés deux mannequins de bois revêtus d'habits d'homme : redingote noire, cravate ; béret pour l'un d'eux, et tout le reste. A l'arrière-plan, on avait tendu une toile sur laquelle était peint un paysage champêtre avec une mare et une femme en chemise s'y baignant. As-tu deviné ? Il s'agissait d'une reconstitution du tableau de ce peintre dont j'ai oublié le nom que tu m'avais fait voir un jour. Même moi qui en ai pourtant vu, des cadavres, et pas toujours des plus propres, je n'en ai pas dormi pendant deux nuits ».

Paris. Au même moment, Jean Corbel, médecin soignant les laissés-pour-compte de la société – miséreux, prostituées, ouvriers, tâcherons – se bat contre la syphilis et la tuberculose, pathologies mortelles et vraies plaies sociales. Au cours d'une consultation, il reçoit une étrange patiente, Marceline Ferrault – surnommée « Obscura » -, ancienne prostituée échappée d'une maison de tolérance et au charme troublant. Celle-ci lui raconte avoir reçu une demande particulière de la part d'un drôle de client. Ce dernier souhaitait qu'elle incarne Olympia de Manet, dans la reconstitution vivante de l'œuvre de l'artiste. Ce tableau avait scandalisé la société et heurté les bonnes mœurs lors de sa première exposition. « Jean se rappela les commentaires haineux qui avaient accueilli le tableau lors de sa première exposition au Salon : « odalisque au ventre jaune », « guenon grimaçant la pose et le mouvement du bras de la Vénus de Titien », « Vénus hottentote exposée nue comme un cadavre sur les dalles de la Morgue ». Et cette main soi-disant impudiquement crispée, qui avait choqué. Mais que lui reprochait-on, à cette main ? Comme si Olympia était en train de se titiller le clitoris placé très haut, rit-il intérieurement. Cette toile qui les premiers jours avait nécessité la présence de deux gardiens pour éviter qu'elle ne soit vandalisée, et qui moins de vingt-cinq ans plus tard, à en croire les démarches de Monet qui s'employait à lever une souscription pour qu'elle soit rachetée à sa veuve, était pressentie pour entrer au Louvre ».

Deux cas de création de tableaux vivants à quelques semaines d'intervalle dans la vie de Jean Corbel. Cela commençait à l'interpeler. Surtout, il voulait en savoir plus sur ce client, amateur d'art, qui avait fait poser sa patiente en tant qu'Olympia. Flanelle, tel était le surnom que Marceline lui avait donné. Pourquoi ? Mais quand un collègue – médecin légiste - lui apprend qu'un assassinat par asphyxie d'une jeune prostituée la mettant en scène tel Victorine Meurent dans le « Déjeuner sur l'herbe » d'Édouard Manet, Jean Corbel ne peut s'empêcher de faire le lien avec les précédentes affaires. Qui est donc cette personne qui prend un plaisir sadique à reconstituer cette œuvre d'art semblant le fasciner ? Et pour quelles raisons ? « Quelle sorte d'esprit dérangé pouvait avoir été amené à tuer pour reproduire un tableau ? Sans que son nom ne soit même jamais connu ? Quel genre de folie pouvait présider à un tel crime ? Avec une telle méthode, une telle préparation, jusque dans les moindres détails, jusqu'aux cerises du tableau, jusqu'au fond peint ? Et pourquoi une telle cruauté consistant à installer la victime face au poêle, son instrument de torture et de mort ? Et puis, il était curieux de s'intéresser de cette façon à l'œuvre d'un peintre disparu, à un tableau en particulier. Deux reconstitution du Déjeuner sur l'herbe, à quelques semaines d'intervalle, ça ne pouvait pas être un hasard ni une coïncidence. Cela ne pouvait être que l'œuvre d'un même individu, même si l'une et l'autre étaient distantes de plusieurs centaines de kilomètres. Comment une œuvre d'art pouvait-elle provoquer une telle passion et inspirer un tel crime ? Être à l'origine d'un homicide ? ».

Pour ceux que les conditions de vie et d'hygiène de la fin du 19ème Siècle intéressent, « Obscura » de Régis Descott pourra satisfaire leur curiosité. En effet, au travers de son personnage principal, Jean Corbel – jeune médecin généraliste exerçant dans le Paris populaire à l'aube du 20ème Siècle – l'auteur relate le quotidien d'un praticien idéaliste et rompu aux innovations médicales de son époque.

Grâce à Jean Corbel, le lecteur pénètre dans le milieu ouvrier où règne la promiscuité des lieux de vie, où s'entassent des familles très nombreuses dans une seule pièce, malsaine, sans aération et à la propreté douteuse. Les conditions de vie et de salubrité y sont d'autant plus précaires que les personnes sont souvent atteintes de maladies contagieuses ou phtisiques. On y rencontre aussi les prostituées, vecteur infini de pathologies vénériennes aussi dangereuses que morbides, dont la syphilis, qui mènera - encore pour longtemps - au cimetière à l'issue d'une dégradation lente mais sûre.

Toutefois, par-delà la description sociologique et physiologique de cette société à l'industrialisation balbutiante, Régis Descott décortique l'univers hésitant de la psychiatrie et des pathologies mentales. Partant de l'enquête sur une série de meurtres autour d'une œuvre d'art jugée infamante – « Déjeuner sur l'herbe » de Manet -, le romancier en profite pour nous raconter les débuts encore tâtonnants d'une science qui allait métamorphoser un pan entier de la médecine traditionnelle et donner une autre description des patients atteints de psychopathologies. Ces hommes et ces femmes n'étaient plus des fous au sens populaire du terme. Par les travaux de Charcot, d'Esquirol et de quelques autres, ces personnes devenaient des malades, des patients nécessitant des soins, comme les autres.

Surtout, Régis Descott traite du lien ténu préexistant entre folie et création artistique. Il revient sur cette question récurrente en psychiatrie : les artistes de génie doivent-ils être atteints de troubles psychiques ou d'addictions – alcool, drogue -, pour composer, concevoir et sublimer leur art ? Un artiste est-il raté sans cette folie qui n'engendre pas cette création ?

D'autres blogs en parlent : Hannibal le lecteur, De livres et d'eau fraîche, Al Capone, Ys, Keltia, Jess, Belle de Nuit, d'autres avis sur Blog o Book ...

Merci à Belle de Nuit pour son (long et patient) prêt de ce roman de Régis Descott que je ne connaissais que de réputation. Maintenant, j'ai envie de lire d'autres ouvrages de cet auteur ...


263 - 1 = 262 livres dans ma PAL

2 décembre 2010

CITATION DU JEUDI !

« Nous sommes les confidents non seulement des avariés et des éclopés de toute espèce mais aussi des inquiets, des agités, des désespérés. Le pauvre, l'abandonné sentent qu'ils peuvent se confier à nous puisque nous sommes souvent seuls à les consoler ».

« Manet et le tueur, deux facettes d'une même médaille, le génie lumineux d'un côté, son reflet obscur de l'autre, le soleil noir. Manet invisible (puisque mort) mais omniprésent, après lequel court le tueur, lui aussi pour l'instant, en tout cas, encore invisible. Dans une course-poursuite forcément perdue d'avance, il jalonne son parcours de victimes innocentes chacune utilisée comme un objet pour servir ses desseins … ».

« Victorine, l'entendit-il prononcer d'une voix faible après un silence de mort. Un jour elle est venue chercher des couleurs. Je l'ai reconnue parce qu'elle ressemblait à celle du « Chemin de fer » … Curieux comme à chaque fois Manet l'a représentée avec une tête différente. Et pourtant on la reconnaissait. Quel tempérament … Cette longue collaboration entre le peintre et son modèle ressemblait à s'y méprendre à une histoire d'amour ».


10 AVRIL 1885. Dans une bastide d'Aix-en-Provence, la gendarmerie découvre une reconstitution macabre du Déjeuner sur l'herbe, le célèbre tableau de Manet, réalisée avec des cadavres. A Paris, le jeune Dr Corbel lutte chaque jour contre la syphilis et les maladies pulmonaires au chevet des laissés-pour-compte. Mais son destin va basculer avec l'apparition dans son cabinet de l'envoûtante Obscura, échappée de l'enfer des maisons closes, qu'un client avait fait poser quelques mois plus tôt telle Olympia, autre sulfureuse œuvre de Manet... Une fresque policière, autour d'un des tableaux les plus scandaleux de l'histoire. Mais surtout un formidable roman à climat qui nous plonge au cœur du XIXe siècle, des sommets de la société à ses bas-fonds, de l'exubérance de la nuit à la sérénité d'un atelier de peinture, des balbutiements de la médecine légale aux vertiges de la clinique du Dr Blanche, génial aliéniste et grand amateur de peinture. Car ne faut-il pas avoir perdu la raison pour considérer la mort comme une œuvre d'art ?


Obscura – Régis Descott – JC Lattès Éditions


1 décembre 2010

QUE LIRA-T-ON EN DECEMBRE ?

Décembre est le mois du Père Noël et – accessoirement – celui de mon anniversaire ! Je sais, je prends une année de plus. Mais je vous rassure, je ne cherche pas à vous culpabiliser si vous oubliez de me le souhaiter. Pourquoi ? Tout simplement parce que j'ai eu la fumeuse idée de naître un 26 décembre et d'ennuyer toute ma famille en leur faisant rater le réveillon du 24 décembre ! J'aime bien déranger, de temps en temps …

Plus prosaïquement, voici quelques petites sorties qui pourraient servir – à l'occasion – d'idée de cadeau de Noël pour ceux qui, comme moi, ne savent jamais ce qu'ils vont offrir le soir même du 24 décembre !

  • 10 / 18

Cœurs blessés – Victoria Lancelotta

Sensible, tranquille, fidèle, généreuse : les qualités que l'on prête généralement à Gina ne sont qu'apparence... Le cœur de la jeune femme est sec et son esprit tourmenté. Elle croit offrir et ne donne - l'homme parfait, en somme. Abandonnée, Gina renoue avec la solitude qui a tout à la fois cimenté et miné son enfance, marquée par l'absence de sa mère, partie sans se retourner, et le mutisme de son père. Interrogeant ses errements présents à la lumière du passé, elle entreprend de se dépouiller de ses illusions et de ses mensonges. Au cours de cette mise à nu sans concession, elle découvrira qu'elle a aimé et qu'elle aime encore Daniel... Avec une vertigineuse subtilité, Victoria Lancelotta ausculte le moindre battement de cœur, le moindre regard, le moindre silence. Face à ce roman troublant, on comprend que la critique, des deux côtés de l'Atlantique, n'ait pas hésité à la comparer à Raymond Carver.

L'épaisseur des âmes – Colm Tóibín

En exhumant de vieux 33-tours, un fils oblige sa mère à se remémorer un passé qu'elle préfère oublier ; dans un pub irlandais, un fils revoit sa mère qui l a abandonné dix-neuf ans auparavant ; une mère attend la visite de son fils, prêtre accusé de pédophilie... Les neuf histoires qui composent « L'Épaisseur des âmes » s'attachent à décrire cette relation élémentaire et si singulière entre les mères et leurs fils. Dans ces neuf face-à-face d une subtilité rare, chacun se livre une bataille cernée de silences et de non-dits, qui modifie fondamentalement leur perception de la vérité. Ces mères et ces fils se sont caché leur vérité intime. Alcoolisme, remords, homosexualité les ont enfermés dans des silences qu'ils ne savent plus rompre... et, alors qu'éclatent la douleur ou la colère, ils passent à côté l'un de l'autre. Un thème commun pour des nouvelles à la portée universelle. Comme dans "Le Maître", le thème central est l'obsession de la dissimulation et l'incommunicabilité entre les êtres. Dans un style délicat au rythme envoûtant, Tóibín explore comme personne l'épaisseur des âmes.

Un Noël en famille – Jennifer Johnston

Porté par l'écriture exquise de Jennifer Johnston, un roman aussi poignant que délicat sur les liens familiaux, l'amour et le temps qui passe. Une histoire bouleversante, parsemée de subtiles références shakespeariennes, par une des plus brillantes romancières irlandaises. Lorsque, après un terrible accident de voiture, Henry, la cinquantaine, se réveille sur son lit d'hôpital, il ne peut se rappeler ce qui l'a conduit là. Très mal en point, il a du mal à situer ceux qui défilent à son chevet : est-il encore marié à cette femme très autoritaire ? N'était-il pas fâché avec sa fille ? Son fils lui cacherait-il quelque chose ? Son frère serait-il revenu du Canada ? Que devient sa mère, artiste excentrique et déboussolée ? Et qui est Sébastien, ce très bel homme qui le veille nuit et jour ? Au fur et à mesure que son corps se répare, ses souvenirs reviennent, et avec eux ces sentiments d'inadéquation, d'insécurité, d'urgence, qui ont fait tant de tort aux siens. Il faudra encore un peu de temps, un événement dramatique et la magie d'un soir de Noël pour que Henry parvienne enfin à renouer les liens distendus avec sa famille...

  • Livre de Poche

Charlie – Alain Gerber

Évocation romanesque de l'enfance et de la jeunesse du saxophoniste de jazz Charlie Parker, depuis sa naissance à Kansas City jusqu'à son départ à dix-huit ans pour la gloire. Sous le regard de sa mère Addie et de sa fiancée Rebbeca, et dans l'ombre de Coleman Hawkins, Lester Young et Count Basie, il est alors à la fois tyrannique et crâneur mais aussi capable des pires couacs et objet des huées.

Le rêve de Machiavel – Christophe Bataille

Quelques semaines avant sa mort, à Florence, Machiavel est surpris par la peste. La ville est comme son tombeau. Derrière les palissades, on vit dans la peur, on abandonne ses enfants, on vole du pain gris, on se lave au vinaigre. En quelques heures, l'humanité s'effondre. Sur les bords du fleuve, un prophète réclame des bûchers. Une sorcière tombe en transe. Étrange enfer que cette ville somptueuse, encerclée par les soldats, où se multiplient les meurtres et les viols… Tel est le piège dans lequel se trouve pris le grand penseur politique, l'homme parfaitement civilisé, le voyageur, l'intriguant, l'écrivain. Mis à nu par la maladie, seul, Machiavel garde les yeux ouverts. Sans trop savoir pourquoi, il sauve du bûcher une jeune femme malade…. « Et voici ce que je raconte, après dix années de doute et d'esquisses : le dernier amour de Machiavel. Comment le penseur tombe amoureux au milieu des corps et des mauvais rêves. Le prince qu'il n'est pas décide de soigner cette femme, il la lave, la dévêt, lui parle, l'embrasse, s'allonge contre elle, contre elle et contre tout, jusqu'au dernier instant…. Je prends Machiavel à son histoire. J'en fais un homme. Pour Machiavel, il a fallu ce long chemin. Il a fallu les voyages, l'exil, il a fallu les livres, les traités, les grandes découvertes, les femmes, la bizarre course du temps pour qu'il ne reste rien : rien du grand esprit, rien de la gloire. Car la peste renverse tout. » Christophe Bataille nous donne un magnifique roman sur la maladie et le néant, qui sonne comme un avertissement : le mal ne se dit pas, et ses formes sont légion. Mais c'est aussi un roman d'amour, car c'est un geste d'amour qui renverse Machiavel et le monde.

  • Folio

Furie – Salman Rushdie

La furie s'est emparée du monde, de New York, du professeur Malik Solanka. Ce dernier a fui l'Angleterre, laissant derrière lui une femme et un enfant, et s'est établi à Manhattan pour «se déprendre et se refaire». Mais recommencer de zéro est tout un art quand on est poursuivi par des spectres, des furies, des souvenirs. Délaissant l'histoire des idées qu'il enseignait dans le Vieux Monde pour la fabrication d'étranges poupées pensantes aussitôt médiatisées, Solanka découvre que d'autres poupées, de sang et de chair celles-ci, subissent la colère d'un mystérieux assassin, le Tueur au panama. Gravitant autour du Professeur, des femmes aussi ingénieuses que belles vont tenter de sauver Solanka de cette furie qui le dévore de l'intérieur : la mystérieuse Mila et ses jeux érotiques à la limite du pervers, et la somptueuse Neela, la plus belle femme du monde, qui se sacrifiera au bout de la planète pour que Solanka puisse retourner chez lui, dans l'espoir de revoir son fils... Ce roman s'inscrit avec jubilation dans la lignée de Voltaire et de Swift : Salman Rushdie fonce dans le jeu de quilles de la société moderne, tord le cou à la science sans ménager la fiction. Tour à tour fustigeant et badinant, virtuose et «vitriolique», sagace et cruel, Furie est une fable furieuse, une satire féroce de notre monde actuel, et de la civilisation américaine en particulier.

La nuit du souvenir – Joseph Bialot

20 ans, ce n'est pas un âge pour découvrir la déportation. 65 ans, ce n'est pas un âge pour y replonger. Et pourtant, Lucien Perrain va y retourner, à " Bonne Espérance ". C'est ainsi que les SS avaient baptisé son camp. Bon voyage, Monsieur Perrain...

  • Point Seuil

Les sœurs – Robert Littell

Frances et Carroll, deux agents de la CIA sur la touche, ont décidé de monter le coup de leur carrière : tuer un politicien américain gênant et faire porter le chapeau à l'URSS. Pour cela, ils ont piégé le Potier, un ancien et redoutable espion du KGB. Bien décidé à se venger et à rattraper son erreur, le Potier débarque aux États-Unis et tente d'empêcher une guerre froide de devenir… brûlante.

Petits crimes italiens – Collectif

Et si le renouveau de la littérature policière venait non pas de Hollywood mais de Cinecittà ?... 10 auteurs, 9 nouvelles - et l'occasion unique de découvrir, grâce à ce florilège, la formidable vitalité d'un genre trop souvent confiné dans ses codes établis. " Noires ", ces histoires le sont, sans l'ombre d'un doute, et leur suspense n'a rien à envier aux plus terrifiants des " thrillers ". Ici, pourtant, pas de psychopathes cannibales ni de sectes obscures complotant à la destruction du monde, mais des salauds ordinaires, les paumés d'une Italie désemparée, des ordures réalistes - et d'autant plus frappantes ! Ces " petits crimes ", pleins d'humour mais aussi de révolte, marquent ainsi l'avènement d'un genre nouveau : selon Giancarlo De Cataldo, auteur de Romanzo Criminale et maître d'œuvre de cette anthologie, les écrivains ici réunis " ont en quelques années imposé une manière résolument originale de raconter les mythes, les rites, les splendeurs (rares) et les misères (nombreuses) de la réalité contemporaine..."

Venise, sur les traces de Brunetti – Toni Sepeda

Le commissaire Guido Brunetti, héros des romans policiers de Donna Leon, est le compagnon de promenade idéal dans les labyrinthes de la Sérénissime. Car si les intrigues qu'il résout sont pure fiction, elles sont d'une précision rigoureuse en matière de décor. Conçu autant pour les fans de Donna Leon que pour les simples touristes, le présent ouvrage propose douze itinéraires - d'une durée de une à deux heures - au fil desquels le lecteur s'attachera aux pas d'un natif de Venise, hors des sentiers battus. On explorera ainsi divers sestieri, comme celui des artistes du Dorsoduro ou celui du Canareggio avec ses calli figés dans le temps, l'on suivra Brunetti de La Fenice - point de départ des premières aventures du commissaire - au célèbre pont du Rialto, ou encore de sa maison à San Polo à la questure de Castello ... Une carte ouvre chaque chapitre pour indiquer l'itinéraire ainsi que ses étapes numérotées - les adresses gourmandes de Brunetti, les lieux cités dans ses enquêtes, ses passages secrets. Avec le Vénitien Brunetti, tout devient compréhensible, plaisant... même l'idée de s'égarer dans cette ville qui, à ses yeux, est la plus belle du monde.

23 novembre 2010

L’KHAYIM *

  • J'étais un enfant de Survivants de l'Holocauste – Bernice Eisenstein – Albin Michel Éditions

« Je suis perdue dans la mémoire. C'est un lieu dont il n'existe aucune carte, dont on n'a pas établi la longitude ni la latitude pour m'aider à revenir sur mes pas jusqu'à mon point de départ. Chaque fois semble la première ». A la mort de son père, Bernice Eisenstein a voulu revenir sur le passé de ses parents, faire un zoom arrière sur une histoire écrasante et pénible dont on pressent toute la charge émotionnelle faite d'épouvante, de colère contenue, d'accablement, de non-dits et de culpabilité pour les survivants.

Aussi loin qu'elle se souvienne, Bernice a toujours su que ses parents étaient des rescapés, même s'il lui était impossible d'en déterminer la date réelle. Sans doute même dès avant sa naissance. Elle avait absorbé l'Holocauste comme d'autres sombrent dans la drogue, ce besoin intangible de se rassasier de ces récits déchirants, de s'abreuver de corps qui n'avaient plus rien d'humain. L'Holocauste était son LSD, sa cocaïne, son héroïne. Il lui fallait sa dose quotidienne d'images, d'ouvrages – romans ou témoignages d'anciens concentrationnaires – pour ressentir cette transe, cette décharge intérieure et être en empathie avec le passé familial. « L'Holocauste est une drogue, je me retrouve dans une fumerie d'opium, et chacun ici m'a donné ma première bouffée pour rien, en toute innocence. Je viens seulement d'entrevoir son pouvoir, en scrutant les traînées d'aiguilles sur l'avant-bras gauche de toutes les personnes présentes dans la pièce. C'est à cet instant précis que ma dépendance s'installe. Je vais découvrir qu'il est infini, le nombre des dealers auxquels je peux m'adresser pour une dose, une de plus et c'est tout, un tour de plus dans un monde hallucinatoire peuplé de fantômes. Mes parents ne se rendent même pas compte qu'ils sont des dealers. Ils leur seraient impossible d'imaginer le genre d'euphorie que peut provoquer l'H. L'envie qu'ils me donnent de plonger dans les profondeurs insondables, de sortir seule de chez moi pour aller au cinéma, à la bibliothèque, où je pourrai aller voir tous les films, lire tous les livres qui dealent de l'Holocauste. Les bobines de films, ainsi que les pages des livres, pourraient être hachées en poudre fine, déposées, ligne après ligne, et reniflées ».

Enfant, adolescente, puis adulte, Bernice a cherché le regard de ses parents derrière les barbelés, comme d'autres partent en quête d'eux-mêmes ou de leurs origines profondes. Ces yeux vides, encavés, c'étaient un peu sa quête du Graal, sa croisade personnelle, sa thérapie pour se sortir de cette obsession qui la menait presque à la névrose. Cette existence - qui s'est forgée sur des mutismes, des absences -, Bernice n'a jamais pu en discuter avec son père, Barek, non parce qu'il ne voulait pas. Juste parce qu'il ne pouvait pas. C'était au-delà de ses propres capacités. Il lui aurait fallu vaincre trop de fantômes, déranger trop de disparus, trépassés sans sépulture. « […] j'ai perdu quelque chose que je n'ai jamais eu. D'ailleurs, mes parents seraient abasourdis de me voir à ce guichet, petite fille, adolescente, adulte. Mais j'y retourne sans cesse avec la même question depuis toujours, la question que je me posais tandis que je regardais le procès d'Eichmann à la télévision : Où est le regard de mes parents ? ».

Celui-ci entretenait des relations particulières avec ses enfants, surtout cette fille qui aurait tant voulu savoir, comprendre, apprendre le passé de ses aïeux, de la Pologne, le quotidien d'autrefois. Tout ce qu'elle a appris sur lui, sur ses grands-parents paternels – Mordechai et Sarah -, sur ses deux tantes, Bina et Hannah, sur son oncle Jacob, Bernice a dû les rechercher patiemment, fouiller la mémoire engloutie, mettre les mains dans les archives parcellaires qui ne délivraient que des bribes d'information. De ces fragments, éléments sans consistance, elle a pu retracer le chemin tortueux de ce père qui culpabilisera sa vie entière de ne pas avoir pu sauver les siens. « Il n'est plus là pour me permettre de découvrir son passé, de l'interroger sur la guerre, sur Auschwitz, ou sur la vie en Pologne, où il avait grandi. Sur sa famille, ses parents, mes grands-parents. Même si, très tôt, j'ai su qu'il valait mieux ne pas s'aventurer dans le passé. Je l'ai appris grâce aux rares fois où j'ai posé des questions. De bonne volonté, mon père commençait à répondre, mais après quelques mots il s'arrêtait. Il pleurait. Assise en silence à côté de lui, je ne voulais pas le forcer à continuer. Il ne me restait plus qu'à trouver moi-même les différentes pièces de son passé, poussée par le désir d'en savoir plus. J'entends encore ses exclamations staccato où se mêlaient anglais et yiddish, mais je ne peux pas lui demander : Qui désormais m'assurera que, pour moi, il n'hésiterait pas à barrer le passage d'un camion ? Il ne me reste plus que les mots et la forme des traits repassés à l'encre pour retracer son mouvement, sa colère, son amour ».

Celui-ci a toujours tout fait pour protéger ses enfants, sa femme, jusqu'à l'oppression, l'asphyxie. Pour oublier ses faiblesses, ses failles, sa survie, il se noiera dans le poker. Dès qu'il avait un instant de libre, le poker occupait l'espace. C'était son remède contre la culpabilité. Le poker et les westerns. Parce que dans les films de cow-boys, les bons finissaient toujours par gagner, ils luttaient contre le mal, défendaient la veuve démunie et l'orphelin, ils protégeaient le faible. « Revenant sans cesse sur cette frontière poussiéreuse, tenant tête aux voleurs de bétail, au shérif corrompu, aux habitants de la ville effrayés, il n'était pas à Tombstone, non, il était retourné en arrière, dans un autre passé. C'était seulement là, étendu sur le lit devant la télévision, qu'il pouvait prendre place aux côtés de ses héros. Là, il ne faisait jamais de doute que le mal serait vaincu. Le bien triomphait. C'était le paradis, les règles étaient simples. Tiens tête à l'ennemi, abats-le, sauve la ville, et tu n'auras jamais à regarder en arrière ».

A la maison, pas de livres pour lire, découvrir, s'émerveiller. C'est à l'extérieur que Bernice apprendra le monde, s'ouvrira à d'autres possibles. La lecture, le cinéma, la peinture lui permettront de dépasser le cadre restrictif et étouffant d'une famille vivant sur les décombres d'un passé à jamais annihilé par l'Histoire. De ce passé martyrisé, Bernice Eisenstein en fera une force et déterminera les grandes étapes de son existence.

Beaucoup de livres ont pour thème central l'Holocauste, témoignages de survivants, ultimes et fragiles remembrances entre les morts et les générations de l'immédiat après-guerre. Beaucoup moins traitent des enfants de rescapés et de leur perception de l'histoire familiale, de la place de celle-ci dans leur vie d'adulte en devenir. « J'étais un enfant de survivants de l'Holocauste » de Bernice Eisenstein aborde ce sujet délicat.

Dans un style original, singulier, voire atypique, mêlant subtilement texte, dessins et bande dessinée, l'auteur revient sur son enfance et son rapport au passé parental. Cette cellule familiale qui s'est créée sur le néant et les cendres d'un camp de concentration où ils se sont rencontrés et mariés à la libération, comme pour conjurer le mauvais sort et faire un ultime pied de nez à leurs bourreaux. Cette famille qui partira pour le Canada – nouvel eldorado –, se fondra dans la masse pour oublier et se faire oublier, ne reniant jamais le temps d'avant. Bien sûr, on pratiquera l'anglais pour le travail, le voisinage, les enfants, mais toujours mâtiné de yiddish. Ce Yiddish, dernière survivance de la communauté juive d'Europe centrale, de cette part de Pologne physiquement anéantie, mais jamais spirituellement, moralement et intellectuellement.

Surtout, ne croyez pas que « J'étais un enfant de survivants de l'Holocauste » soit un roman graphique et autobiographique triste, sombre, empreint de mélancolie. Vous feriez une grave erreur en pensant cela. Bien sûr, il y a le poids inexorable du passé, la présence prégnante de tous ceux qui ne sont plus, mais il y a aussi la jeune génération, cette relève de la garde, ces passeurs de la Mémoire qui rend la vie plus dense, plus intense, plus riche. Ils sont l'avenir par leurs jeux, leur insouciance, leur soif de vivre. Par leur présence, ils atténuent la douleur infinie, ils pansent les plaies parfois vivaces.

Dans un langage tout à la fois poétique, émouvant, drôle, au ton passionné, presque engagé, Bernice Eisenstein explore notre mémoire intime et collective. Elle nous parle de la difficulté de faire le deuil d'une histoire encore et toujours pesante pour les générations suivantes, et de l'impact du passé dans notre quotidien. Elle nous enseigne qu'il est des histoires, des passés qui se transmettent dans les gênes, souvenir imprimé comme un numéro de tatouage indélébile, dont il est impossible de se départir.

C'est beau, c'est excellent, c'est drôle et tendre à la fois, c'est sensible et touchant. C'est un livre hommage jamais triste, toujours optimiste qui plaira aux adultes comme aux adolescents souhaitant aborder ce thème difficile sans la rigueur historique. « J'ai reçu en héritage l'insoutenable légèreté d'être la fille de survivants de l'Holocauste. Un être maudit et béni. Noir et blanc, et dans l'ombre ».

* A la vie

264 - 1 = 263 livres dans ma PAL

19 novembre 2010

LE SPLEEN DE LA LUNE ...

Le mois de novembre est bel et bien là, avec son cortège d'angoisses, de doutes, de peurs. Ne m'en veuillez pas si je publie encore moins que d'habitude. Je manque de temps et j'ai le moral en berne. Heureusement pour moi, je continue de lire, mais mon esprit est accaparé par des problèmes personnels.

Je ne vous abandonne surtout pas. Je prends juste un peu de hauteur et de distance, le temps de me refaire une santé morale et de reprendre toutes mes activités.

A très vite ...






Souvenir
- Alfred de Musset

J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
O la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !

Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu’une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?

Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m’enlaçait.

Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l’antique murmure
A bercé mes beaux jours.

Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m’attendiez-vous pas ?

Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !

{...}

15 novembre 2010

15 MINUTES POUR 15 AUTEURS !


Très gentiment taguée par L'or des chambres, j'ai accepté de me soumettre à ce petit jeu intellectuel facile à faire. Le principe en est simple. Il suffit de réfléchir quinze minutes et d'écrire les quinze auteurs qui viennent spontanément à l'esprit.

Rien de plus aisé, vous vous dites. Peut-être pour vous ! En ce qui me concerne, et vu l'état de fatigue dans lequel je me trouve, je me suis faite aider … par ma bibliothèque ! Je savais bien que les ouvrages contenus dans mes étagères, entre livres lus et PAL, me serviraient un jour où l'autre.

  1. Louis Ferdinand Céline – Parce que c'est lui. Pour son œuvre, sa personnalité complexe, singulière et excessive.
  2. Stefan Zweig – Pour l'ensemble de son œuvre. Pour ses romans, ses essais, ses biographies, sa perception accrue d'une situation qui allait l'engloutir et un certain passé avec lui.
  3. La famille Mann – Je triche un peu et j'assume. J'aurais pu classer trois auteurs d'un coup, mais j'aime la difficulté. Dans cette famille, je prends tout le monde : Einrich, l'oncle, Thomas, le père et Klaus le fils prodige. Parce que rien n'est à jeter chez ces trois-là.
  4. Francis Scott Fiztgerald – Un auteur à fleur de peau, fragile et cultivé, intelligent, brillant et éphémère.
  5. Isaac Bashevis Singer – Pour ses romans dans lesquels on retrouve un autre monde définitivement englouti. Parce que ses écrits font revivre une langue, le Yiddish, une communauté, Juive, ainsi qu'une seule et même rue, Krochmalna.
  6. Aharon Appelfeld – Pour les mêmes raisons que le précédent. Et parce que cet auteur a pu – et su – renaître sur des cendres et nous transmettre tant de bonheur littéraire.
  7. John Steinbeck – Parce que je suis tombée sous le charme de Henry Fonda dans « Les raisins de la colère », enfant. Et que celui-ci n'a jamais cessé depuis. Chacune des lectures de ses ouvrages est une belle rencontre avec une autre Amérique, plus proche de nous par certains aspects.
  8. Fedor Dostoïevski – S'il devait y avoir un autre Tsar de toutes les Russies, ce serait probablement lui ! J'exagère à peine en écrivant cela. Cet auteur m'a permis de découvrir un autre visage de la Russie, celle des petits, des miséreux, des sans-noms, sans-grades, sans-titres. Qu'il a décrit cette population avec verve, passion et amour.
  9. Léon Tolstoï – Pour les mêmes raisons que le précédent. Sauf que Tolstoï parle de sa Russie à lui ; celle de la noblesse, de la grande bourgeoisie. Et parce que je n'ai jamais pu terminer « Guerre et Paix » et que cela me gêne énormément.
  10. Emile Zola – Pour ses engagements moraux et sociaux. A mon sens, le premier intellectuel de la fin du 19ème Siècle politiquement engagé dans un combat moral qui aurait dû lui être fatal. Et parce qu'il a su garder sa fierté et ses idées malgré les insultes et les bassesses de l'époque.
  11. George Orwell – Parce que lorsque l'on découvre « Hommage à la Catalogne », on se dit qu'il y a des engagements qui modifient le sens de votre existence.
  12. Henry James – Sa description d'une certaine société américaine et anglaise reste un véritable instant de pur bonheur littéraire. Et quand on y a goûté, on en redemande encore et encore.
  13. Yoko Ogawa – Pour ce monde à la limite entre rêve et cauchemar, dont on se demande toujours si c'est la réalité vraie ou un univers onirique.
  14. Yasmina Khadra – Il est un des rares auteurs algériens à avoir eu le courage de dénoncer un régime politique, économique et social basé sur le clientélisme. Et parce qu'il n'a jamais renoncé à dire la vérité.
  15. Marc Dugain – Parce que j'aime cet auteur discret et secret. Parce que ses livres sont riches de notre histoire et pour ne pas oublier que je viens d'acheter « L'insomnie des étoiles » que je voudrais lire avant sa prochaine sortie en poche !
Je ne tague personne, pour deux bonnes raisons : j'arrive en général longtemps après le début du tag et tout le monde - ou presque - l'a fait ; ici, tout est proposé, rien n'est imposé ...

11 novembre 2010

ECRIVAINS ET TEMOINS DU QUOTIDIEN DES TRANCHEES


En ce jour de commémoration de l'Armistice du 11 novembre 1918, j'ai eu envie de parler de deux écrivains, lus il y a longtemps, engagés dans la 1
ère Guerre Mondiale. Un est de langue française : Henri Barbusse. L'autre est de langue allemande : Erich Maria Remarque.

Chacun de leur livre a été couronné par la critique, encensé par le public. "Le feu" d'Henri Barbusse recevra le prix Goncourt en 1916. "A l'Ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque se vendra à plus d'un million d'exemplaires à sa sortie, en 1929.

Ils ont en commun d'avoir connu les horreurs des tranchées et la camaraderie qui est son corollaire. Après la guerre, ils seront deux porte-parole de la Paix et de cette génération sacrifiée sur l'autel des intérêts politiques et financiers.

Erich Maria Remarque - Pacifiste et engagé

C'est avec "A l'Ouest rien de nouveau" qu'Erich Maria Remarque se fait connaître du grand public. Avec son roman il devient le porte-parole d'une génération meurtrie par la guerre et qui s'identifie dans le personnage de Paul Bäumer, jeune recrue de 19 ans. L'histoire, racontée à la 1ère personne et sur un ton flegmatique, contraste avec les récits officiels alors en cours.

Erich Maria Remarque est né en Basse-Saxe en 1898, de vieille souche française. A 18 ans, il s'engage dans l'armée allemande et se bat sur le front ouest. Blessé plusieurs fois et handicapé d'une main, il ne peut espérer la carrière de musicien à laquelle il se destinait. Après la guerre, il fera divers métiers, dont celui d'instituteur, de pilote d'essais automobile. Le journalisme sportif le mènera à sa carrière d'écrivain.

A sa sortie, "A l'Ouest rien de nouveau" se vendra à 1,2 millions d'exemplaires. Il sera qualifié de "meilleur roman jamais écrit sur la guerre". En 1933, les livres de Remarque sont brûlés par les nazis. Il est jugé trop pacifiste par le nouveau gouvernement en place. Déchu de la nationalité allemande en 1938 après avoir rejoint la Suisse en 1932 puis les Etats-Unis en 1939, il acquiert la nationalité américaine en 1947. Il décède en 1970, en Suisse.

Bien qu'ayant écrit d'autres ouvrages de qualité et reconnus par la critique, "A l'Ouest rien de nouveau" restera le roman de référence de cet écrivain allemand.

Quelques romans :

A l'Ouest rien de nouveau - 1929

Les camarades - 1937

Arc de Triomphe - 1946

Un temps pour vivre, un temps pour mourir - 1954

L'obélisque noire - 1956

Henri Barbusse - Le "Zola" des tranchées

C'est par le tambour du garde-champêtre qu'Henri Barbusse apprend la mobilisation générale d'août 1914. Il a alors 41 ans et, bien que réformé, il se porte volontaire. Il s'engage comme simple soldat et demande à être muté au front, malgré son âge. Atteint de dysenterie, il est évacué et commence à écrire "Le feu" à l'hôpital en 1916. Ce journal d'une escouade recevra le prix Goncourt en 1916, et fera beaucoup de bruit.

Il est parti à la guerre en croyant qu'elle était juste. Il en reviendra profondément pacifiste. Gloire littéraire du parti communiste dès son adhésion en 1923, Henri Barbusse consacrera les années d'après-guerre au militantisme et la défense de la Paix. Il accumule les créations de mouvements, de revues, de congrès contre le fascisme et les grandes causes de l'entre-deux-guerres. Dès 1917, il fonde l'ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants) avec Paul Vaillant-Couturier. En 1921, il participe à la campagne en faveur de Sacco et Venzetti. Il fonde, en 1928, la revue hebdomadaire "Monde". En 1933, il participe au "Congrès Européen contre le fascisme", dit "Congrès Amsterdam - Pleyel".

Condamné en 1930 par les Soviétiques qui ne le jugent pas assez communiste, Henri Barbusse n'en continue pas moins son chemin. Il meurt en 1935 à Moscou.

Quelques romans :

L'enfer - 1908

Le feu - prix Goncourt 1916

Clarté - 1919

Manifeste aux intellectuels - 1927

Zola - 1932

Lettre d'Henri Barbusse à sa femme 1914 - 1917 - 1937



La Chanson de Craonne

Quand au bout d'huit jours, le r'pos terminé,
On va r'prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c'est bien fini, on en a assez,
Personn' ne veut plus marcher,
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s'en va là haut en baissant la tête.

Refrain

Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes.
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau,
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C'est nous les sacrifiés !

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu'un qui s'avance,
C'est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l'ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

{au Refrain}

C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c'est pas la mêm' chose.
Au lieu de s'cacher, tous ces embusqués,
F'raient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendr' leurs biens, car nous n'avons rien,
Nous autr's, les pauvr's purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr' les biens de ces messieurs-là.

{au Refrain}

Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l'plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !