30 juillet 2010

LA LANGUEUR DES VIES BANALES

  • Ida - Irène Némirovsky - Folio 2€

Deux nouvelles pour raconter les artifices de l'existence. Deux nouvelles pour deux destins douloureux de femmes à la vie diamétralement opposées.

"Elle apparaît au faîte d'un escalier de trente marches d'or, comme cinq ou six autres femmes, tous les soirs, dans les music-halls de Paris, elle descend entre les girls nues, coiffées d'un chaperon de roses, qui tiennent à la main, chacune, un parasol d'or. Des pendeloques de verre, des pierres taillées, des miettes de miroir entourent son visage ; un long manteau tissé d'or, des perles et des plumes la couvrent. C'est une femme, qui, depuis longtemps, n'est plus jeune ; ses jambes sont belles encore, mais elle porte sur les seins un corselet de pierreries, car il faut bien que tout s'use …". Ida Sconin, célèbre meneuse de revue parisienne continue malgré son âge à éblouir ses admirateurs et à étouffer ses rivales. Pourquoi une femme de cet âge continue-t-elle à se pavaner avec plumes et strass tous les soirs, alors que les plus jeunes pourraient tenir son rôle dans la revue ? Qu'a-t-elle donc de plus que les autres ? Pourquoi est-elle toujours aussi souple et élancée ? Les femmes qui assistent au spectacle l'envient, lui en veulent d'avoir des jambes aussi fines et un ventre aussi plat. Ida Sconin fait fantasmer les hommes, alors qu'ils ne remarquent plus leurs épouses depuis de nombreuses années. Paris et les parisiens l'admirent, même s'ils ne lui ont jamais donné leur cœur. Parce qu'Ida Sconin est une étrangère. Elle a fait rêver immédiatement après la guerre, quand les hommes ont voulu en finir avec les temps incertains et douloureux. Elle n'est pas aimée, elle le sait et s'en moque. « Elle éblouit, elle obsède Paris et la province. Dans de tranquilles sous-préfectures, devant l'hôtel de ville, endormi, on entend sa voix fixée sur les disques chanter Mon bel amour. Sur les murs de Paris, son image apparaît à chaque tournant de rue ; debout, demi-nue, sur un escalier d'or, la tête dressée sous l'amas de plumes d'autruche ; son nom étincelle, spasmodiquement éteint et rallumé à travers le doux brouillard lumineux des soirs de Paris ».

Ida s'est imposée dans le milieu de la nuit et compte bien y rester le plus longtemps possible, n'en déplaise aux nymphettes qui lui servent de faire-valoir chaque soir en la mettant en valeur par leurs gestes amples et délicats. Ida barre la route aux plus jeunes danseuses, pressées d'arriver en haut de l'affiche. Chacune guette sa place. Chacune attend l'instant où elle trébuchera, où l'âge ne fera plus illusion. Elles ont bien remarqué qu'Ida se fatiguait, vieillissait, que le sourire était voilé, de plus en plus contraint, crispé, que les rides paraissaient sous le fard, que les cheveux blanchissaient malgré les colorations. Qu'importe. La meneuse de revue c'est encore et toujours elle, parce qu'Ida Sconin fait recette. « - Ida Sconin fait recette. Parole magique : elle le sait. La seule qui barre la route à ces jeunes femmes brutales, pressées, aux dents longues, qui, toutes, guettent, depuis des années, sa place, n'attendent qu'un faux-pas, un fléchissement, un jour de maladie ou de fatigue, le moment où l'âge si longtemps vaincu, la terrassera à son tour ».

Seulement, Ida se leurre. Mais elle sait par où elle a dû passer pour en arriver là. Elle a connu les humiliations, les bassesses, le mépris, la prostitution même. Elle se dupe en faisant des efforts quasi surhumains, en s'imposant de vraies tortures physiques pour arriver à un piètre résultat. "Elle se sent triste. Car elle a beau farder son visage, taillader ses seins et ses joues, masser son front, effacer tous les jours les rides, qui, toutes les nuits, inlassablement, se reforment, elle ne peut s'empêcher que son âme, par moment, s'essouffle et se fatigue plus vite que son corps". Pour faire tenir ce corps, ce cœur qui vieillit plus qu'elle ne le souhaitait, elle double, triple la dose de véronal. Au moins, avec le sommeil, les problèmes disparaissent un instant. Mais voilà que le directeur de L'Impérial veut lui imposer cette Cynthia, ce corps dénudé de vingt ans, beau, frais, naturel, sculptural, dans son nouveau spectacle. Ida comprendra bientôt que l'heure de vérité a sonné, que la fin est arrivée. Elle prend conscience qu'elle est une femme vieillie qui s'est reniée, qui a renoncé à tout, même à l'amour, juste par égocentrisme.

« Au bout de la rue, une usine s'élève, petite et modeste comme la ville elle-même ; l'unique cheminée souffle tranquillement un peu de fumée grise et légère que le vent disperse ». Madeleine, jeune fille de bonne famille vit dans une petite ville du Nord de la France. Issue de cette bourgeoisie provinciale et bigote, son univers se limite aux frontières familiales. Au cours d'un dîner chez sa tante, Madeleine rencontre un jeune homme poli, bien éduqué, du même milieu social, Henri Bertrand, jeune ingénieur plein d'avenir. Madeleine est un peu indécise. Elle ne sait pas s'il lui plait vraiment. Il la trouve charmante et il aime ses cheveux. Et puis, ce mariage arrangerait tout le monde. M. Henri deviendrait l'associé de son beau-père, la moitié de la dot resterait dans l'affaire et Madeleine continuerait d'habiter la maison familiale. « La mère dit : - Nous ne voulons pas t'influencer, ma petite fille …. Mais c'est un bon parti. Un honnête garçon, bien élevé, qui te rendra heureuse. Nous ne voulons que ton bonheur. – Nous ne voulons que ton bonheur, répète le père avec force ».

D'un coup, tout est fixé. Les fiançailles, le mariage et le voyage de noces en suivant afin que tous profitent des festivités, même la grand-tante Moulins à la santé vacillante. Tout est beau, merveilleux, propre, lisse, sans aspérités, sans failles. La façade est splendide, à l'aune de cette bourgeoisie bien-pensante et pieuse, persuadée d'entretenir les traditions et les bonnes manières. Un simple grain de sable et les rouages de cette machine trop parfaite se grippe, dérape et déraille. Le jour de son mariage, Madeleine apprend qu'Henri n'est pas tout à fait un jeune homme fréquentable. Parce qu'Henri avait une vie parallèle, ailleurs, avec une jeune femme sans le sou à qui il avait promis le mariage. M. Henri aura d'autres vies parallèles avec de jeunes ouvrières de l'usine. Toujours, Madeleine fermera les yeux sur ses incartades, acceptera toutes les compromissions pour sauver les apparences.

« Ida », suivi de « La comédie bourgeoise » d'Irène Némirovsky où le destin poignant de deux femmes que la vie – dans son immense cruauté – n'épargnera pas. « Ida », où la revanche d'une petite russe immigrée. « Ida », celle qui refuse de vieillir, de céder sa place parce qu'elle a trop attendu cet instant de gloire éphémère de voir les hommes à ses pieds. « Ida », déboulonnée par la jeunesse et la fraîcheur et qui comprendra trop tard le ridicule et la crédulité de son comportement. Madeleine de « La comédie bourgeoise » qui tolérera tout avec l'abnégation d'une sainte promise au martyr. Ces deux femmes ont une communauté de destin qu'elles n'ont pas choisie. Il leur a été imposé par leur entourage, leur histoire personnelle ou intime. Ida comme Madeleine n'ont jamais pu ou voulu influer sur le cours de leur existence, les broyant inexorablement, ne leur laissant que des chimères pour raison d'être. C'est une peinture amère de la vie, telle qu'on la trouve aux hasards des destins de chacun.

D'autres blogs en parlent : Cécile QD9, Tamara, Lou, Bossanova52 ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit commentaire que je vous ajoute à la liste.

"Ida" a été lu dans le cadre du challenge 2€ de Cynthia



275 - 1 = 274 livres dans ma PAL officielle ...

28 juillet 2010

UNE AUTRE PERCEPTION DE HOLLYWOOD


« En haut, je me suis assis sur un banc constitué d'un tronc coupé en deux pour ensuite balayer la métropole d'un regard panoramique. Sur ma gauche, les majestueuses montagnes de San Gabriel qui, d'ici à un mois ou deux, se couvriraient de neige. Sur ma droit, l'interminable chaîne des montagnes de Santa Monica, qui s'abaissent doucement jusqu'aux collines de Hollywood, en forment le dernier maillon. Derrière moi, la vallée de San Fernando, océan de verdure plat parsemé de pavillons. Et devant moi, s'étirant du pied des collines jusqu'à l'océan, Los Angeles proprement dite. Les quelques rares gratte-ciel de downtown se dressaient en un groupe compact sur la gauche, cependant que, sur la droite, l'océan dessinait une belle bordure bleue miroitante. Et entre les deux, un immense tableau vivant d'humanité. Il est aisé de repérer Wilshire Boulevard, qui se distingue par un alignement régulier de buildings venant fendre le paysage en son centre. Hancock Park est également reconnaissable – pas par ses luxueuses et exquises demeures, qui sont trop loin pour qu'on puisse les apercevoir, mais par sa végétation luxuriante, entretenue à coup d'eau acheminée depuis l'intérieur des terres et de jardiniers à l'année, la marque de tous les quartiers riches de Los Angeles. On aperçoit l'arrière des arches du Grauman's Chinese Theater et, au-dessus de celles-ci, perché dans les collines, le lac de Hollywood.

De nombreux matins, installé sur ce même banc, j'ai regardé le soleil se lever par-dessus les montagnes de San Gabriel, et de nombreux soirs je l'ai regardé s'abîmer dans l'océan. Je me suis trouvé là quand les enseignes de néon qui couronnent le DuBarry et l'Argyle s'éclairaient dès le premier soupçon d'obscurité. Je me suis encore trouvé là les soirées de premières, quand la lumières des projecteurs jaillissait de Hollywood Boulevard pour lancer dans le ciel des faisceaux semblables à des épées qui se croisent. Les premiers temps où j'avais entrepris cette balade, dans les années vingt, le paysage présentait une mosaïque de champs d'orge, d'orangeraies et d'arbres, uniquement interrompue par quelques immeubles de bureaux et de petits groupes de maisons éparpillés de-ci, de-là, sans oublier, bien sûr, les studios, dont l'enceinte abritait un univers autonome et quasi auto-suffisant. Les collines verdoyantes offraient une nature vierge, presque totalement dépourvue de structures, et des kilomètres de sentiers équestres sinueux cheminaient dans le maquis. Ce nouveau lieu, ouvert et bucolique, a depuis longtemps disparu, maintenant. J'ai vu cette ville grandir et, de terre agricole, se muer en une métropole grouillante d'activité ».


Extrait – "Si loin de vous" – Nina Revoyr

18 juillet 2010

VACANCES QUAND TU NOUS TIENS ...


Ça y est, les vacances sont enfin là, présentes. Quelques jours au vert, à la campagne, coupée du monde et de ses informations pas toujours gaies. J'en avais envie. Je l'ai fait malgré mon projet professionnel à élaborer encore et toujours, à finaliser, à préciser. Je m'y remets sérieusement après ma semaine de repos et de calme. J'espère pouvoir vous lire, parce que je me suis fait le plaisir d'une clé 3G+. Dans tous les cas, je vais lire, lire et lire, nager, marcher, laisser aller mon regard autour de moi, photographier, observer, apprécier chaque instant comme autant de moment de bonheur à savourer. Je ne vous oublie pas, mais je libère du temps pour d'autres choses, toutes aussi essentielles pour moi. Je vous dis à dans une longue semaine avec pleins de choses à vous dire, à vous faire partager.

Excellente semaine estivale à tous et toutes et bonnes vacances aux veinard(e)s !

14 juillet 2010

EX ORIENTE LUX*

  • Le Paradis perdu : 1922, la destruction de Smyrne la tolérante – Giles Milton – Noir sur Blanc Éditions


« Smyrne se tournait depuis longtemps vers la Grèce et les eaux clémentes de la mer Égée. La cavalerie découvrait une ville bien différente de l'Anatolie intérieure aride et désolée d'où elle venait. La population hellénique était deux fois plus nombreuse que celle d'Athènes, et des traces de son grand héritage byzantin survivaient un peu partout. A la lueur des cierges dans l'obscurité des églises cuspidées, les prêtres orthodoxes chantaient pour le salut de l'âme de Saint Polycarpe, martyrisé en ces lieux au IIe Siècle. Depuis des temps très anciens, Smyrne avait ses lettres de noblesse chrétiennes. Saint Jean le Divin ne l'avait-il pas désignée comme l'une des sept Églises d'Asie Mineure ? ».

9 septembre 1922, Smyrne la cosmopolite est inquiète. La cavalerie turque est entrée dans la ville sous les cris de « Longue vie à Kemal ! ». Cette arrivée triomphale dans Smyrne l'accueillante – Le Paradis comme l'avaient surnommée les Américains de la colonie – vient clôturer l'une des guerres les plus barbares entre la Grèce, soutenue par les puissances occidentales, et la Turquie. D'un coup, chaque communauté religieuse ou étrangère prend peur des conséquences de ce retour d'une armée turque et musulmane dans une ville où tout le monde cohabite pacifiquement, libre de préjugés raciaux, culturels et cultuels. Smyrne a toujours vécu de ce brassage humain composé de britanniques, d'Américains, de Français, de Grecs, de Turcs, d'Arméniens, de Juifs et d'autres, qui y vivaient tous ensemble dans un esprit de fraternité. Et puis, il y avait la puissante communauté Levantine commerçante qui avait développé cette cité portuaire d'Anatolie durant près de deux siècles. Smyrne était un lieu où la tradition côtoyait sans cesse l'avenir et la modernité pour le bien de tous. « […] le tout nouvel engouement pour le cinématographe y était apparu dès 1908. Il n'y avait pas moins de dix-sept sociétés de commerce exclusivement spécialisées dans l'importation d'objets de luxe parisiens. Et pour s'informer, le père de Petros avait le choix entre onze quotidiens en grec, sept en turc, cinq en arménien, quatre en français, et cinq en hébreu, sans parler de ceux qui arrivaient par bateau de toutes les capitales européennes ». Smyrne était une ville envoûtante, ensorcelante, emplie d'odeurs délicates et de parfums les plus subtils les uns que les autres, provenant des cafés, des restaurants, des épiceries fines. On entendait, de-ci, de-là, aussi bien des opérettes italiennes, les sons des cithares ou des mandolines qui se répondaient. Preuve, s'il en était encore, que Smyrne était bien à la confluence des cultures orientales et occidentales.

Si les Grecs avaient essaimés dans tous les quartiers de la ville, la plupart avaient leur secteur désigné. Les Américains, derniers arrivés, étaient particulièrement appréciés pour leurs œuvres caritatives. Quant aux Turcs, leur zone était de loin la plus peuplée et la plus délabrée de Smyrne. C'était un district accroché au Mont Pagos que les touristes venaient visiter à la recherche d'un exotisme local, parce que c'était ici que l'on apercevait les seuls Turcs encore en costume traditionnel ! Et pourtant, ce bel ordre social et moral, ce melting pot humain allait bientôt tourner court. C'est un agent des services secrets britanniques – William Childs – qui va se faire l'écho de la revendication grecque dans sa volonté de faire renaître l'ancien Empire Byzantin en Turquie, à l'issue de la 1ère Guerre Mondiale. « Les Grecs de Samsun « soutiennent la Grèce et donnent de l'argent pour l'aider, surtout sa marine, avec grande génération, espérant vaguement la reconstitution d'un Empire grec ayant Constantinople pour capitale ». Childs apprit que plus de 12 000 livres avaient été réunies l'année précédent – une somme très importante. Sans en avoir pleinement conscience sur le moment, il venait d'être témoin d'un événement extrêmement révélateur. Plus de quatre siècles et demi après l'écrasement de l'Empire byzantin par l'armée de Mehmet le Conquérant, les grecs restés en Turquie ottomane se tournaient vers leur pays d'origine ».

Et comme toujours, au Paradis, plus encore qu'ailleurs, personne ne l'écoutera, ne l'entendra, ne tiendra compte de ses sombres pressentiments. De leur côté, la communauté turque smyrniote, soutenue et encouragée par leur alliance avec l'Allemagne en 1914, incitera à la haine et à la vindicte populaire, accusant les Grecs des pires forfaitures, les déportant – de même que les Arméniens en 1915 -, dans le centre de l'Anatolie. Ainsi commencera le premier génocide de ce 20ème Siècle naissant. Cet épisode de sinistre mémoire ne sera que le long prélude à la destruction de Smyrne en 1922, la Perle de l'Orient.

S'il demeure bien un ouvrage sur les relations ambigües et tragiques entre la Grèce et la Turquie, c'est bien « Le Paradis perdu » de Giles Milton. Le sous-titre de ce livre : « 1922, la destruction de Smyrne la tolérante » ne laisse persister aucun doute sur le thème. Il revient sur un événement historique peu – voire pas – connu, l'anéantissement et la ruine de Smyrne qui avait été pendant les deux siècles précédents une ville prospère. Cette cité cosmopolite de l'Empire Ottoman où vivaient des communautés aussi diverses qu'éloignées – turques, grecques, arméniennes, chrétiennes, juives -, était un cas unique dans le monde musulman. Cette richesse économique, culturelle et spirituelle était le fait des grandes familles Levantines – les Whittall, les Giraud, les Van Der Zee -, qui avaient érigé leurs fortunes sur le commerce des épices, des fruits exotiques ou des tapis de Perse et en avaient fait profiter Smyrne et ses habitants. Ils faisaient vivre des milliers de personnes qui - directement ou indirectement - travaillaient pour eux. Ils avaient fait entrer Smyrne dans le 20ème Siècle, y apportant toutes les nouveautés, du cinéma à l'automobile. Malheureusement, la 1ère Guerre Mondiale et ses alliances préjudiciables vont passer par là et assombrir le paysage idyllique de cette ville portuaire ouverte sur le monde et qui ne demandait qu'à continuer sa paisible existence. En se choisissant l'Allemagne comme alliée, la Turquie verra son empire démantelé au lendemain d'un conflit meurtrier. Dès lors, la Grèce, dans le camp des vainqueurs, se sentira pousser des ailes et revendiquera l'ancien Empire Chrétien d'Asie Mineure, la Megali Idea, la Grande Idée. Elle envahira sa voisine turque avec l'assentiment des alliés occidentaux qui pousseront même la Grèce dans ses velléités territoriales. Cette occupation grecque arrangeait bien les anglais qui se vengeaient ainsi de la bataille de Gallipoli et du sort désastreux des prisonniers britanniques. Cette attitude désinvolte et imprudente de la part des occidentaux allait amener la Turquie à se tourner vers le nationalisme de Mustafa Kemal, malgré le comportement impartial des politiques grecs dans la gestion des conflits inter-ethniques. Multipliant les escarmouches grecques et turques, laissant se développer une armée turque irrégulière et secrètement réarmée par l'Allemagne et la France, constatant les provocations des deux protagonistes sur une population civile démunie et terrorisée, les occidentaux ne pourront que constater l'échec de leur politique de soutien à l'État grec. Cela conduira inexorablement à la destruction de Smyrne l'infidèle par les troupes turques kémalistes pour se dédommager des cruautés perpétrées par les Grecs lors de leur catastrophique retraite. « Le Paradis perdu » de Giles Milton est une vraie mine d'informations pour qui cherche à comprendre et à analyser les relations entre la Grèce et la Turquie, entre l'Orient et l'Occident. A travers cette lecture dense, fouillée, à la documentation riche et variée, aux témoignages divers retrouvés dans les archives de tous les pays, Giles Milton nous fait revivre, presque jour après jour, l'un des cataclysmes humains du 20ème Siècle et à peu près ignoré de la plupart d'entre nous. En trois grands chapitres, Giles Milton brosse l'histoire de Smyrne, les causes et les conséquences tragiques de sa fin. C'est sur ses ruines fumantes que Mustafa Kemal construira ce qui est aujourd'hui la Turquie moderne, prise entre principes religieux et réalité économique, entre Orient et Occident.

"Le Paradis perdu : 1922, la destruction de Smyrne la tolérante" de Giles Milton a été lu dans le cadre de l'opération Masse Critique avec Babélio. Je remercie particulièrement les éditions Noir sur Blanc pour la découverte de cet ouvrage aussi captivant que dense.

D'autres blogs en parlent : Raphaël Rouillé, Jean-Christophe Courte, Agnès (monbiblioblog), Pikkenddorff ...

* La lumière vient de l'Orient

276 - 1 = 275 livres dans ma PAL ...

10 juillet 2010

L’INSTITUTEUR BERBERE

  • Le fils du pauvre – Mouloud Feraoun – Point Éditions

« En somme, à Tizi, on se connaît, on s'aime ou on se jalouse. On mène sa barque comme on peut, mais il n'y a pas de castes. Et puis, combien de pauvres se sont mis à amasser et sont devenus riches ? Combien de riches se sont appauvris promptement avant d'être ruinés par Saïd l'usurier, que tout le monde respecte, craint et déteste. Il aura son tour, bien sûr, il mourra dans la mendicité. La loi est sans exception. C'est une loi divine. Chacun de nous, ici-bas, doit connaître la pauvreté et la richesse. On ne finit jamais comme on débute, assurent les vieux. Ils en savent quelque chose ».

Tizi, ville de deux mille âmes plantée au cœur de la Kabylie sauvage, rude et hostile pour qui ne sait l'exploiter. Ici, pas d'artère principale, pas de route goudronnée, simplement un chemin de terre qui servait autrefois aux tribus allant d'un village à l'autre. Ce chemin de traverse, caillouteux et défoncé, menait à une route carrossable qui conduisait vers les grandes villes du pays. Tizi possédait trois quartiers, et – par conséquent – trois places aux musiciens ou djemas, deux mosquées discrètes de moindre importance que les djemas pour ses habitants qui vivaient ensemble depuis toujours, étaient tous plus ou moins cousins éloignés, à la parentèle incertaine se perdant dans la nuit des temps. Tizi et son café maure, situé à l'extérieur du village. C'était avant tout le lieu de rencontre des plus jeunes.

C'est à Tizi qu'a vécu le narrateur, Fouroulou Menrad, qui revient sur son enfance et son adolescence dans cette Kabylie belle et séditieuse. « Comme j'étais le premier garçon né viable dans ma famille, ma grand'mère décida péremptoirement de m'appeler Fouroulou (de effer : cacher). Ce qui signifie que personne au monde ne pourra me voir, de son œil bon ou mauvais, jusqu'au jour où je franchirai moi-même, sur mes deux pieds, le seuil de notre maison. On serait peut-être étonné si j'ajoutais que ce prénom, tout à fait nouveau chez nous, ne me ridiculisa jamais parmi les bambins de mon âge, tant j'étais doux et aimable. Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, je retrouve toujours auprès de moi une chaude et naïve amitié ». Comme tout garçon né dans une société où l'homme est révéré et respecté, Fouroulou pouvait se comporter comme un roitelet sur ses terres, épouvantant, agaçant et régentant ses sœurs et ses cousines. Malheureusement pour son père et son oncle, Fouroulou qui aurait dû être un futur lion de quartier, puis de village, était d'un naturel plutôt docile à l'extérieur, voire même craintif dans certain cas, à la limite de la lâcheté. « Il ne m'est jamais arrivé de solliciter la protection de mes parents lorsque mon adversaire était de mon âge : ou bien j'acceptais la bataille, ou, si j'avais peur, je me sauvais. Je dissimulais avec soin mes retraites et défaites. Je ne parlais que de mes victoires. Il est certain que, ma mère mise à part, ni mon père, ni mon oncle, ni aucun de ma famille n'aurait consenti à me porter secours ».

Ce qu'aimait le petit Fouroulou par-dessus tout, c'était de se retrouver avec ses deux tantes maternelles, Khalti et Nana. Si Khalti était d'une nature impulsive et passionnée dans tout ce qu'elle entreprenait, Nana était à la fois douce, affable, spontanée et imposante. Celles-ci n'étaient cependant pas avares d'affection, câlinant, étreignant, cajolant leur neveu. Surtout, Khalti et Nana racontaient des histoires au petit Fouroulou, lui faisant vivre un tas d'aventures imaginaires pour rire ou pour pleurer, pour s'émouvoir ou se révolter. « C'est ainsi que j'ai fait la connaissance avec la morale et le rêve. J'ai vu le juste et le méchant, le puissant et le faible, le rusé et le simple. Ma tante pouvait me faire rire ou pleurer. Certes je n'aurais jamais compati d'aussi bon cœur à un vrai malheur familial. Le destin de mes héros me préoccupait davantage que les soucis de mes parents. Tout cela parce que ma tante s'y laissait prendre elle-même. A l'entendre raconter, on sentait qu'elle croyait à ce qu'elle disait. Elle riait ou pleurer tout comme son neveu ».

Mais bientôt l'insouciance de la petite enfance laissera place au sérieux de l'apprentissage de la vie et de l'école. Parmi la cinquantaine de petits camarades, Fouroulou ne pouvait appartenir à la catégorie des bagarreurs, rois incontestés des cours de récréation en raison de son caractère pacifique. Ni à celle des joueurs, mauvais élèves, mauvaises têtes, bruyants, insouciants et populaires eux aussi. Fouroulou sera donc condamné à devenir un bon élève par résignation. Petit à petit, Fouroulou appréhendera le fonctionnement de la société dans laquelle sa famille pauvre et rurale évolue, et que la seule chance d'échapper à son destin de berger sera de partir faire ses études à Alger pour devenir instituteur. Il voyait bien que Ramdane – son père – avait du mal à faire vivre, même modestement, sa famille, sur un maigre lopin de terre aussi sec qu'un arbre rabougri. « Pour en revenir aux Menrad, le père Ramdane réussissait avec beaucoup de vigilance à assurer à sa maisonnée le maigre couscous quotidien. Lorsque les travaux des champs étaient momentanément arrêtés, durant la période qui s'écoule par exemple entre la fenaison et la moisson, ou bien entre la moisson et le battage, il se faisait manœuvre et aidait comme journalier deux maçons qui construisaient pour les riches ».

« Le fils du pauvre » de Moulou Feraoun est un classique de la littérature algérienne. Écrit en 1934, ce récit sur l'enfance d'un jeune garçon originaire de Kabylie est – à peine transposée – celle de son auteur. Dans ce premier ouvrage, tout à la fois roman initiatique et autobiographie, Mouloud Feraoun retrace l'existence parfois misérable de ces fellahs – agriculteurs, bergers, métayers – pauvres et durs à la tâche, cultivant quotidiennement une terre aride, maigre, presque stérile pour en tirer à peine de quoi survivre. Il raconte par le menu cette Grande Kabylie accrochée au contrefort montagneux de la Djudjura, tas de pierre, en Berbère. C'est toute l'organisation de la vie familiale qui est décrit par le regard d'un enfant. Cellule matriarcale tenue de main de maître par la grand'mère paternelle, puis par Fatma, sa mère, et Helima, sa tante. Il dit les joies et les tristesses, les peines et les bonheurs que vit sa famille élargie. Des rivalités entre femmes pour obtenir la suprématie et l'ascendant sur la maisonnée afin d'avoir la mainmise sur tous les biens cultivés, vendus ou achetés, aux mesquineries masculines pour s'éviter les plus durs labeurs, rien n'est laissé au hasard. Les enfants mimant dans leurs jeux innocents, dans leurs relations avec leurs camarades et leur fratrie les attitudes des adultes. Les garçons doivent avoir une supériorité incontestée et incontestable sur les filles ou sur les plus faibles s'ils veulent s'imposer dans une société qui laisse peu de place au sentimentalisme et à la rêverie. Cette société rurale encore largement imprégnée d'une culture basée sur la crainte des esprits, qui fait appel aux marabouts et autres sorciers pour essayer d'enrayer les maladies, la folie, pour faire fuir la mort qui rôde. Les études, seulement suivies par les garçons au-delà du certificat, parce que les filles n'ont pas besoin d'instruction pour se marier et élever des enfants. Écrit dans une langue simple, belle et claire, usant du style narratif direct et indirect, Mouloud Feraoun se dévoile comme un conteur hors pair, faisant émerger une émotion à fleur de peau, non dénuée d'un certain sens de l'humour.

"Le fils du pauvre" de Mouloud Feraoun a été lu dans le cadre du challenge de Marie L.

277 - 1 = 276 livres qui restent à dépoussiérer de ma PAL ...

6 juillet 2010

NEW YORK, NEW YORK ...


Je pouvais difficilement résister à une telle tentation qu'un swap autour de New York organisé par Manu et Amanda, deux amoureuses de Big Apple parmi tant d'autres, dont moi la première, qui rêvent de découvrir cette mégapole cosmopolite.

Et j'ai bien fait de m'y inscrire, parce que j'ai été - une fois de plus - gâtée, dorlotée, choyée par ma swappeuse. Avant de vous révéler son nom, je vais vous faire découvrir ce que j'ai reçu, en photos, parce que cela vaut mieux qu'un long discours ...

Vue d'ensemble du colis




Vision de New York à travers un daguerréotype artistique



Côté littérature, marque-page et carte évocatrice de la Liberté



Un monde d'aventure, de rire, de douceur et de bonheur épicé



Prêt pour un séjour de rêve à New York ? Personnellement, j'en suis ...


Maintenant, vous voudriez peut-être savoir qui est cette swappeuse qui a su si bien choisir toutes ces petites délicatesses à lire, à boire, à manger ... C'est tout simplement Solène, qui n'a pas de blog, mais que certaines d'entre nous connaissent bien ! Un seul et unique mot me vient à l'esprit :


MERCI POUR TANT DE BONHEUR !!

3 juillet 2010

L’ECRIVAIN JAPONAIS N’EN N’ETAIT PAS UN !

  • Je suis un écrivain Japonais - Dany Laferrière - Grasset Éditions

"Quoi ? Je suis un écrivain japonais. Bref silence. Large sourire. Vendu ! On signe le contrat : 10 000 euros pour cinq petits mots. Dans l'euphorie, je raconte à l'éditeur l'anecdote de Vonnegut Jr. On parle déjà d'un bandeau : « Le plus rapide titreur d'Amérique.» Mais on a vite laissé tomber, par pudeur. Voilà le problème de l'Europe : une trop grande conscience du ridicule. Ce n'est pas le ridicule qui nous tuera, mais sa peur. Si on a laissé tomber ce bandeau, c'est aussi à cause de l'ambiguïté du mot « titreur ». La grande majorité des lecteurs auraient lu sûrement « tireur », ou pire, « tueur ». En fait, on a été lâches. Revenons au titre. Il l'a pris dans ses mains comme un briquet dans un espace interdit aux fumeurs. Il l'a retourné dans tous les sens. Mon titre a gardé sa force à chaque fois. Subitement, il se met à l'écrire sur la nappe. C'est assez banal, tout compte fait – sauf le mot japonais. Dans mon cas, ce n'est pas une plaisanterie, car je me considère vraiment comme un écrivain japonais ».

Un écrivain poussé d'écrire son prochain roman par son éditeur se voit dans l'obligation de lui donner au moins le titre pour preuve de son travail, à défaut du thème. Il décide donc de titrer son futur ouvrage « Je suis un écrivain japonais », sans même avoir approfondi un seul instant le contenu de son livre. Dès lors, son entourage va lui demander pourquoi ce titre pour le moins excentrique. Surtout que l'auteur ne connaît rien du Japon, et qu'il n'a rien d'un asiatique, puisque c'est Dany Laferrière, d'origine haïtienne ! Le fait d'avoir décidé de sa nouvelle identité intellectuelle développe tout un tas de tracas, dont la première qui lui vient immédiatement à l'esprit, la réaction de sa mère vieillissante. Elle qui aurait tant aimé que son fils fasse un métier plus rassurant que celui d'écrivain ! « Ah oui, je n'y avais pas pensé, comment vont-ils prendre là-bas le fait que je sois devenu un écrivain japonais ? Je regarde le saumon se durcir tranquillement. Je finis toujours par lui refiler mon angoisse. Et je devrais encore manger du saumon angoissé. Je ne sais même plus si l'angoisse vient du fait que j'envisage d'écrire un nouveau livre ou de devenir un écrivain japonais. D'où l'interrogation fondamentale : C'est quoi un écrivain japonais ? Est-ce quelqu'un qui vit et écrit au Japon ? Ou quelqu'un né au Japon qui écrit malgré tout (il y a des peuples qui sont heureux sans connaître l'écriture) ? Ou quelqu'un qui n'est pas né au Japon, ni ne connaît la langue, mais décide de but en blanc de devenir un écrivain japonais ? C'est mon cas. Je dois me le rentrer dans la tête : je suis un écrivain japonais. Du moment que je ne sois pas cet écrivain nu qui pénètre dans la forêt des phrases avec un simple couteau de cuisine ».

Mais écrire que l'on est un écrivain japonais est une chose, le devenir est une tout autre affaire. Bien plus complexe. Comment vit un Japonais, chez lui ou à l'étranger ? Comment se comporte-t-il ? Que pense-t-il ? Que lit-il ? Qui est-il concrètement ? Changer de peau, d'éducation, de mode de pensée, d'être, se métamorphoser moralement en Japonais, voilà ce que souhaite l'auteur. Adolescent, il avait bien lu Mishima, mais sans forcément comprendre tout ce qu'il y avait de coutumes, de puissance évocatrice autour de la tradition dans l'ensemble de ses œuvres. Il ne s'était pas senti de communauté d'esprit particulière avec un des plus grands auteurs classiques japonais. A cinquante ans, sur un coup de bluff pour épater son éditeur, il en décide autrement. Et de s'intéresser de près au poète de haïkus Basho. « Je suis en train de suivre les péripéties de Basho à la recherche de la barrière de Shirakawa dans un métro en mouvement à Montréal. Tout bouge. Sauf le temps qui reste immobile. Trop absorbé par tous ces télescopages de temps et ces croisements d'espaces pour m'intéresser à cet entourage immédiat. Sauf cette fille en face de moi qui me regarde sans sourire. Longue et mince. Des yeux noirs – un trait de pinceau. Elle doit s'appeler Isa. Dès que quelqu'un traverse mon champ de vision, il devient un personnage de fiction. Aucune frontière entre la littérature et la vie. Je replonge dans mon livre ».

Et pour se plonger dans l'ambiance underground de la société japonaise au Canada, l'auteur va observer Midori et sa petite cour. Midori, star du « Café Sarajevo », nymphette manipulatrice prenant un plaisir pervers à semer le trouble parmi sa bande d'amazones. Se sachant désirée et désirable, Midori tire les fils des sentiments de Eiko, Noriko, Fumi, Hideko, Haruki, pour mieux se les assurer. Toutes les jeunes filles japonaises ressemblent peu ou prou à Midori, archétype de cette jeunesse nippone prise entre conservatisme et avant-gardisme. Et voilà que tout à coup le consul du Japon à Montréal – M. Mishima – s'intéresse de près à l'écriture de cet étonnant roman. Il est même prêt à organiser un séjour à Tokyo pour aider l'auteur à s'imprégner de la vie et de l'atmosphère japonaises, si singulières pour un occidental. L'auteur s'insurge, crie à l'indépendance littéraire, dit qu'il n'y aura de japonais dans son futur roman que le titre. Rien d'autre. Cette nationalité spirituelle ne lui apportera pas que des avantages.

Avec « Je suis un écrivain japonais », Dany Laferrière renoue avec le style romanesque pour le plaisir du lecteur qui se délecte de sa verve et de son humour. Auteur haïtien, émigré au Canada en raison de la politique dictatoriale de Duvalier et de ses Tontons-macoutes, il exprime dans cet ouvrage la notion de transnationalité, de transculturalité des écrivains en général. En lançant un jour où son éditeur le pressait de lui donner l'idée de son prochain livre ce titre pour le moins inattendu, Dany Laferrière décrète - de fait - son changement de nationalité littéraire. Il ne sera plus l'écrivain caribéen écrivant en français et exilé au Canada, comme l'exige le diktat du monde littéraire. Il prouve que par le seul pouvoir d'un titre lancé à l'emporte-pièce – comme une boutade ou une provocation – il peut aussi questionner le lecteur sur l'identité réelle ou supposée d'un intellectuel. Faut-il être du pays dont on est issu pour bien écrire sur lui, connaître ses mœurs et ses coutumes, apprécier sa culture ? Un auteur doit-il se laisser cataloguer d'anglophone, de francophone, de caribéen, sous le seul prétexte qu'il est né dans un pays anglo-saxon, en France, aux Caraïbes ou ailleurs ? Au-delà de ce titre incongru, Dany Laferrière pousse la réflexion sur la notion même de nationalité. En descendant plusieurs fois par jours acheter un souvlaki pour apercevoir Helena, serveuse au « Zorba », il se sent Grec et en communion intellectuelle avec Platon et Socrate. Au « Dog Cafe », il commande un hamburger, seul plat lui assurant l'anonymat dans ce lieu de la culture culinaire nord-américaine. A cet instant, il est Canadien d'adoption. Et ainsi de suite. « Je suis un écrivain japonais » est un roman débordant d'humour, de dérision et désopilant. Sous ses aspects superficiels, Dany Laferrière revient sur l'internationalité de l'écrivain dont la fonction est de raconter, de dire, de dénoncer parfois, d'instruire, de grandir ceux qui le lisent. C'est un roman réjouissant dans un contexte de mondialisation où le concept de citoyenneté est plus que jamais débattu.

Ce drôle de roman a été lu dans le cadre du Blogoclub de juillet

277 - 1 = 276 livres ...

1 juillet 2010

QUE LIRA-T-ON EN JUILLET ET EN AOUT ?

Préparons l'été et ses plaisirs légers et ensoleillés, ses vacances au bord de l'eau, à la campagne ou en montagne, en France, à l'étranger ou chez soi, en sélectionnant quelques livres à emporter partout avec soi. Ce n'est pas parce que soleil rime avec farniente qu'il faut se laisser aller et lire n'importe quoi. Encore que ! Quelques sélections pour les deux mois d'été avant une rentrée qui promet de belles surprises ... Au cas où je serai passer à côté de certaines sorties incontournables, je vous ferai un petit additif, début août.
  • Éditions 10/18
L'affaire Seymour - Tim Lott

Un roman dangereusement troublant, un Sexe mensonges et vidéo version british, une fable noire et grinçante sur l'obsession voyeuriste de notre époque. Tim Lott ne s'attendait pas à une requête aussi étrange : Samantha Seymour, trente-neuf ans, lui demande d'enquêter sur les circonstances de la mort de son mari, le Dr Alex Seymour. Intrigué, le romancier plonge dans le passé d'une famille londonienne sans histoires. Ou presque. Au fur et à mesure de ses recherches, il va découvrir qu'Alex Seymour était en proie à une sérieuse crise de la quarantaine doublée d'une tendance inquiétante à la paranoïa, allant jusqu'à placer des caméras de surveillance au domicile conjugal pour espionner les faits et gestes de sa femme et de ses enfants. Mais, à ce jeu glaçant de miroirs et de dupes, tel sera pris qui croyait prendre... A moins que Tim Lott n'ait décidé de brouiller les pistes entre roman et fait divers, pour mieux nous manipuler...

Le proscrit - Sadie Jones

Dans cette petite ville du Surrey, au sud de Londres, pendant les années cinquante, tout le monde va à l'église, joue au tennis et fête Noël dans l'insouciance et l'alcool ; les jobs s'obtiennent au cours de conversations de quelques minutes au coin du feu, et les jardiniers sont aux petits soins pour les massifs de fleurs des riches demeures victoriennes. Mais cette façade hypocrite et fragile se fissure à partir du jour où le petit Lewis Aldridge, âgé d'une dizaine d'années, assiste, impuissant et terrifié, à la noyade de sa maman adorée, libre d'esprit et anticonformiste. Privé du réconfort d'un père à peine revenu de la guerre, homme froid, autoritaire et accablé par le veuvage, Lewis se rétracte dans la douleur et sombre peu à peu dans le doute, la solitude, l'automutilation, puis la délinquance... En 1957, quand il sort de prison où il vient de passer deux ans pour avoir incendié l'église de Waterford, il n'a que dix-neuf ans... Son retour chez son père, remarié et peu pressé de revoir son fils, fera non seulement exploser sa famille, mais une communauté tout entière...

Hôtel de Lausanne - Thierry Dancourt

Daniel, le narrateur, rencontre une jeune femme " à l'allure de princesse fatiguée ", Christine Stretter, qui vit un peu hors du temps, entre un père passionné de mappemondes et un fiancé se rêvant cinéaste. Dès lors, se noue une relation à part, clandestine, faite " d'attachement, de compréhension, de douceur ". Au fil de ce roman nimbé de mystère, une géographie subtile se dessine. Dans un Paris enneigé, de rues en pente en chambres d'hôtel, des perspectives nouvelles ne cessent de s'ouvrir. Des décors très finement tracés révèlent tour à tour une énigmatique patronne de café, un ancien professeur de danse en proie à la solitude puis, à Casablanca où Daniel part en quête de meubles pour le compte d'un collectionneur, un volubile gardien d'immeuble ou encore l'étrange propriétaire de deux fauteuils signés du décorateur Jean Royère. Mais une figure domine, entre ombre et lumière : celle, singulière, de Christine Stretter.

Fils d'Héliopolis - James Scudamore (grand format)

Ludo est né à Héliopolis, l'une des nombreuses favelas de Sao Paolo, où misère et violence sont omniprésentes. Il aurait fatalement continué à pousser parmi les mauvaises herbes, s'il n'avait été adopté par Zé Carnicelli, un magnat brésilien, directeur général de la chaîne de supermarchés MaxiMarket. Le voilà installé dans sa fazenda, où il grandit auprès de sa mère promue cuisinière. Entre les souvenirs d'enfance à Héliopolis et le présent de sa nouvelle vie privilégiée dans la métropole brésilienne, Ludo vit son existence en mode grand écart. Ni tout à fait d'en haut, ni tout à fait d'en bas, écartelé entre deux univers inconciliables, son vertige résonne sur fond de croissance économique débridée. Roman multicolore, tout de bruit et de fureur Héliopolis retrace l'itinéraire d'un homme en colère poursuivi par son passé.
  • Folio
Passe un ange noir - Anne Bragance

Tous les jours, Andres Soriano, perclus d'arthrose, se poste sur le banc de l'abribus de la ligne numéro 15. C'est là qu'il rencontre Milush, l'adolescente au drôle de prénom. La jeune fille et le vieux monsieur entament la conversation. Elle vit seule avec sa mère ; lui nourrit l'espoir quasi obsessionnel de retrouver l'ange noir qui l'a un jour émerveillé par son chant magnifique... Malgré la disparité de leurs âges, les lourds secrets de famille, les peurs et les peines, une affinité élective hors du commun va se révéler entre la gamine impertinente et le vieil homme, qui fondera peu à peu une belle complicité et illuminera leurs existences.

Le fond de la jarre - Abdellatif Laâbi

Qu'y a-t-il dans le fond de la jarre ? C'est le mystère des vieux pots, ou plutôt du flacon magique : on ne sait ce qu'il contient mais on l'ouvre avec un frisson délicieux. Et qu'en sort-il ? Une vraie cour des miracles, avec ses personnages
extravagants, doux marginaux ou folles de Dieu au verbe acéré. Une curieuse nuit de noces, où l'on ne brandit pas le seroual taché de sang. Un oncle fugueur amateur de kif, se transformant la nuit en un auguste Homère. Un pique-nique initiatique où un enfant fait d'un radis une madeleine. Et l'âme d'une ville, ou ses tripes. Fès, en l'occurrence, mais le Fès d'un Maroc disparu, sur fond de protectorat français et de lutte pour l'indépendance. Au centre de ce théâtre à ciel ouvert, l'enfant, pris dans une tourmente de découvertes ébouriffantes et de déconvenues cuisantes. En ombre tutélaire, Ghita, la mère, jamais à court d'imprécations et de reparties truculentes, une tendre furie, féministe avant l'heure. Fiction ou autobiographie ? Ce récit brosse un tableau surprenant d'une ville et d'une époque.

Mort d'un jardinier - Lucien Suel

Le narrateur de ce roman s'adresse à un homme au travail dans l'espace clos de son jardin. Un accident cardiaque frappe le jardinier. Dès lors, un flot traverse sa conscience. Images, sons, odeurs, souvenirs, réminiscences littéraires et musicales, sensations, visions se succèdent et s'entremêlent tandis qu'il s'éloigne, au fil du temps et des mots, des êtres qu'il a aimés.

Le démon dans ma peau - Jim Thompson

Adjoint du shérif de Central City, Lou apprend que le fils Conway, cet idiot d'Elmer, s'est amouraché de Joyce, une prostituée installée à l'orée du canton. La bourgade texane est sous la coupe du père Conway, patron d'une grosse entreprise du
bâtiment. Lou garde une dent contre lui : il le soupçonne d'avoir ordonné la mort de son frère Mike et maquillé le meurtre en accident. Aussi lorsque le vieux Conway le charge de faire déguerpir Joyce moyennant 10 000 dollars, Lou a en tête un tout autre plan : il confie à Elmer cette besogne pour les éliminer ensuite tous les deux sur place, en faisant croire qu'ils se sont entretués. Ambiance glauque d'un village perdu, personnages retors et pervers, rapports à double tranchant où personne n'est dupe et où chacun essaie d'abuser son prochain, toutes les obsessions de Jim Thompson se retrouvent dans ce livre à l'âme plus noire que le pétrole texan. Un Thompson au sommet de son art : implacable, machiavélique, brutal.