31 décembre 2009

TRES BELLE ANNEE 2010 !


L'année 2009 est désormais derrière nous. Après une année bien remplie en lectures diverses et variées, quelques swaps et autres échanges, j'espère que l'année 2010 vous apportera joie, bonheur, chance (Pour ceux et celles qui jouent au loto ou au tiercé !), amour, mais surtout toujours autant de belles découvertes, de magnifiques rencontres et des échanges - virtuels et réels - autour de la lecture.

Best wishes
Happy New Year 2010 !



Meilleurs vœux
Très bonne année 2010 !



Best Wishes
Frohes Neues Jahr 2010 !


Mis Mejores Deseos
Feliz ano nuevo 2010 !

29 décembre 2009

ET MA VIE EST UN ROMAN !

  • La promesse de l'aube - Romain Gary - Folio n°373


"C'est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure couché sur le sable, à l'endroit même où je suis tombé. La brume marine adoucit les choses ; à l'horizon, pas un mât ; sur un rocher, devant moi, des milliers d'oiseaux ; sur un autre, une famille de phoques : le père émerge inlassablement des flots, un poisson dans la gueule, luisant et dévoué. Les hirondelles de mer atterrissent parfois si près, que je retiens mon souffle et que mon vieux besoin s'éveille et remue en moi : encore un peu, et elles vont se poser sur mon visage, se blottir dans mon cou et dans mes bras, me recouvrir tout entier ... A quarante-quatre ans, j'en suis encore à rêver de quelque tendresse essentielle". Sur son rocher de Big Sur, aux États-Unis, Romain Gary revient sur ses souvenirs de jeunesse, particulièrement sur le personnage qui a le plus agi sur sa vie, qui a inconsciemment orienté son existence et ses choix, sa mère. Depuis sa prime enfance, Romain Gary s'est juré de soutenir cette femme pas tout à fait comme les autres, singulière, théâtrale, idéaliste, emphatique, fantaisiste, hors du commun.

C'est à l'adolescence qu'il prendra conscience que, pour lui offrir le luxe réclamé par un enfant de treize ans, cette mère se faisait passer pour végétarienne, lui assurant ainsi le quotidien nécessaire à son développement. Cette restriction, et tant d'autres encore, le détermineront dans sa volonté d'être connu, reconnu, célèbre pour effacer ces humiliations. Cette mère exubérante avait de toute façon décidé que son fils unique serait un grand personnage. Elle avait d'abord envisagé une carrière de violoniste à la manière d'un Yehudi Menuhin. Après quelques cours catastrophiques avec un maestro de Wilno, celui-ci le renverra, déclarant à sa mère qu'il lui faudrait choisir une autre voie. L'autre voie qui s'offrait à lui, était de devenir écrivain. "Le "titan de la littérature française" approuva cette fois entièrement. Depuis six mois, je passais des heures entières chaque jour à "essayer" des pseudonymes. Je les calligraphiais à l'encre rouge dans un cahier spécial. Ce matin même, j'avais fixé mon choix sur "Hubert de la Vallée", mais une demi-heure plus tard je cédais au charme nostalgique de "Romain de Roncevaux". Mon vrai prénom, Romain, me paraissait assez satisfaisant. Malheureusement, il y avait déjà Romain Rolland, et je n'étais disposé à partager ma gloire avec personne. Tout cela était bien difficile. L'ennui, avec un pseudonyme, c'est qu'il ne peut jamais exprimer tout ce que vous sentez en vous. J'en arrivais presque à conclure qu'un pseudonyme ne suffisait pas, comme moyen d'expression littéraire, et qu'il fallait encore écrire des livres". Mais avant cela, cette femme exaltée avait pensé faire de son petit un futur danseur étoile, façon Nijinsky, ou encore un grand ténor tel un Chaliapine. Malheureusement pour lui, Romain Gary n'a jamais possédé d'oreille musicale, encore moins de cordes vocales dignes d'une carrière internationale ! Elle avait réfléchi à toutes les possibilités de
devenir illustre, sauf à devenir peintre, jugé maudit, ivrogne, bohème et pauvre. Non, il lui fallait un destin à la hauteur du talent de son fis : munificent. Avec les plus belles femmes du monde à ses pieds. A treize ans, on n'en demande sans doute pas autant ! Cette mère qu'il soutiendra contre tous ceux qui chercheront à la rabaisser, à l'insulter et donnera à Romain Gary une réputation de distributeur de paire de claques dans son quartier de Nice.

De toutes les façons, même si Romain Gary avait voulu échapper à son destin tracé au cordeau par une mère résolue à en faire un personnage éminent, c'était une bataille perdue d'avance. Son intuition féminine, sa volonté farouche et déterminée, son assurance d'avoir engendré un génie, conduiront Romain Gary sur les chemins obscurs, broussailleux et - parfois - exotiques de la réussite professionnelle et de la reconnaissance de son talent, non sans quelques rebuffades et humiliations concernant sa naturalisation, sa condition de français de substitution.

En écrivant "La promesse de l'aube", Romain Gary rend un hommage appuyé, sensible, affectueux et poétique à cette mère qui l'a construit et amené au sommet de la gloire. Cette femme, qui se disait artiste, actrice, comédienne, originaire des environs de Koursk, amoureuse de la France, de sa culture et de ses mythes, a transmis à son fils sa passion pour la vie et le côté romanesque de l'existence. Partis de Moscou après la Révolution Bolchevique pour atterrir à Wilno en Pologne, avant de s'intaller en France, pays de ses rêves les plus chers, celle-ci sera toujours une habile femme d'affaires, sachant tricher, gruger, mentir, argumenter, négocier, transiger, uniquement pour bâtir le bonheur de son fils. En lui parlant de la France comme d'un pays magique, féerique, remarquable, Romain Gary conservera toujours en mémoire cette vision idéaliste et vaine de ce qui allait devenir sa patrie. Cette mère très à cheval sur les principes et l'éducation de son rejeton n'a jamais rien laissé au hasard, au point que - même adulte - celui-ci aura du mal à se départir de certaines marques de politesse ancrées telles le baise-main aux dames. Toute sa vie sera influencée par la présence immuable de cette femme excentrique et hautes en couleurs, qui lui donnera le goût du risque, des belles choses, de la vie et de la jeunesse éternelle, lui qui a toujours eu la crainte de la vieillesse. Dans "La promesse de l'aube", on suit les pérégrinations de l'auteur et de sa génitrice, persuadée du destin exceptionnel et prestigieux de son fils. De Wilno à Varsovie, puis à Nice, se déroulent les tribulations d'un enfant à l'imagination débordante soutenue par les récits et prédictions d'une mère sûre du devenir de son enfant. Cet avenir qui ne pouvait se révéler qu'en France, entre une carrière diplomatique et un
succès d'écrivain. A travers "La promesse de l'aube", Romain Gary fait revivre tous les rêves de grandeur de sa propre mère, mais aussi de personnages qui ont marqué - à un moment donné - sa destiné. Tous ces hommes et ces femmes qui, de la Pologne à la France profonde, ont façonné, modelé, fabriqué la personnalité originale, fantasque, cynique de cet auteur aussi passionné que passionnant. Tout à la fois roman d'amour pour une femme d'exception, d'humour pour la manière bien particulière d'aborder tous les événements, surtout les plus tragiques, "La promesse de l'aube" de Romain Gary est celui où il a mis le plus de lui-même, où il s'est le plus dévoilé, dénudé, pour nous donner à lire une autobiographie où se côtoie toute la gamme des sentiments humains. Pour un peu, on se croirait chez Molière ou à la Comedia Del'Arte !

Tous les blogs qui en parlent : Zarline, Miss Orchidée, Maggie 76, Mot à Mots, Pierre Assouline, Delphine ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit commentaire.

"La promesse de l'aube" est le dernier roman lu dans le cadre du challenge


315 - 1 = 314 livres ... L'année 2010 sera celle de la cure d'amaigrissement de la PAL !

26 décembre 2009

LES LETTRES EN DANGER

  • Le silence des livres - George Steiner - Arléa Éditions n°108


"Nous avons tendance à oublier que les livres, éminemment vulnérables, peuvent être supprimés ou détruits. Ils ont leur histoire, comme toutes les autres productions humaines, une histoire dont les débuts mêmes contiennent en germe la possibilité, l'éventualité d'une fin". Pour retrouver traces des premiers écrits, sans doute faut-il remonter au 2ème millénaire avant notre ère, dans la Chine ancienne. En occident, par contre, la tradition orale a précédé toutes formes d'écrit parvenus jusqu'à nous. Bien avant d'écrire, on parlait, on chantait, on usait de la voix.

Ainsi, Socrate n'écrit pas. Il parle. Il transmet. Point d'usage du livre. Ou si peu. A cela, rien d'étonnant. Socrate était un orateur né, de grand talent. Tout passait par son comportement, sa gestuelle, son oralité, cette capacité à fasciner disciples et amants, par son charisme et cette théâtralité du langage. Platon, son élève - écrivain prolifique et hors pair - critiquera la notion même d'écrit dans "Phèdre". En effet, un texte, un livre, a une autorité naturelle, possède une certaine forme de revendication. Il affirme, il assène. Au contraire, l'oral, le verbal, permet la contradiction, le retour en arrière, l'échange. "En un contraste radical, la métaphore platonicienne soutient que l'échange oral permet, mieux, autorise la remise en cause immédiate, la contre-déclaration et la correction. Il permet à celui qui fait la proposition de changer d'avis, de faire marche arrière si besoin est, et d'exposer ses thèses à la lumière d'une enquête commune et d'une exploration faite à plusieurs. L'oralité revendique la vérité, l'honnêteté de se corriger soi-même, la démocratie, comme un partage commun ("la poursuite commune" de F.R. Leavis). Le texte écrit, le livre, rendrait tout cela caduc". La différence entre oral et écrit reste la notion de mémoire. Avec le verbal, la mémoire fonctionne, elle permet la transmission de données et d'informations ; ainsi les longs poèmes épiques en sont la preuve la plus tangible.

La religion chrétienne, elle-même, dans son comportement et sa volonté d'emprise sur une population volontairement tenue dans l'ignorance la plus totale, était plus que réticente vis-à-vis des livres, à commencer par la Bible ! "Durant de nombreux siècles, toute lecture libre de la Bible fut non seulement sévèrement découragée, mais encore jugée hérétique à de nombreuses occurrences. L'accès à l'Ancien et au
Nouveau Testaments, avec leurs opacités sans nombre, leurs contradictions intrinsèques et leurs mystères récalcitrants, n'était autorisé qu'à ceux que qualifiaient leurs compétences en herméneutique et en théologie orthodoxe". La merveilleuse invention de Gutenberg a été vue par l'Église comme une menace de leur pouvoir sur les âmes et leurs pensées.Pour éviter la diffusion d'idéologie interdite, elle a inventé l'Imprimatur et l'Index des ouvrages prohibés.

Cependant, le développement d'une classe moyenne, bourgeoise, aisée et éduquée va donner ses lettres de noblesse aux livres. La lecture allait être alors à son acmé. Les grandes bibliothèques privées deviendront de véritables lieux de savoir, d'apprentissage avec - toujours - une exigence de silence, comme un recueillement, une prière, une introspection, un besoin de ne faire qu'un avec le texte, de se fondre le lui. Dans notre société moderne, ce privilège de pouvoir feuilleter un ouvrage rare et précieux dans un silence de cathédrale est devenu l'apanage de quelques érudits ou de chercheurs universitaires. Mais ne nous leurrons surtout pas, le livre a toujours été montré du doigt, honni, relégué aux rangs subalternes par certains auteurs, eux-mêmes éminents. "On peut le voir à l'œuvre dans l'utopie pédagogique de Rousseau dans l'Emile, dans le diktat goethien selon lequel l'arbre de la pensée et de l'étude reste éternellement gris, tandis que celui de la vie en actes, de la vie-force et de l'élan vital est vert. Le pastoralisme radical anime la pensée de Wordsworth lorsqu'il affirme qu'une "impulsion printanière sur l'arbre" vaut bien plus que toute l'érudition livresque. Quelque éloquent ou instructif qu'il puisse être, le savoir que donnent les livres, et la lecture, vient en second. Ils parasitent la conscience immédiate".

Pour beaucoup, l'érudition est satanique et perverse. Tolstoï, par exemple, jugeait que la culture et la grande littérature anéantissaient la spontanéité, renforçant la notion d'élitisme. Partout en Europe, à toutes les époques, des hommes s'en sont pris aux livres, les vouant aux gémonies. En 1821, Heine - après une autodafé - remarquait que "là où, aujourd'hui on brûle des livres, demain on brûlera des hommes". L'avenir et l'histoire lui donneront malheureusement raison ! Ces agissements violents de destruction volontaire et totale des livres ont émaillé notre histoire culturelle. Combien d'auteurs ont préféré détruire leur chef d'oeuvre, plutôt que de prendre le risque d'un enfermement ? Qui pourrait, oserait les en blâmer, les juger ? La conséquence de ces gestes, de ces dictatures de la pensée, de ces censures et auto-censures, c'est une production littéraire sans téssiture, médiocre et sans grand intérêt pour le lecteur passionné. "Quand l'appareil de répression le cède aux valeurs véhiculées par les mass media et au battage publicitaire, comme c'est le cas aujourd'hui en Europe occidentale, on assiste au triomphe de la médiocrité".

Avec "Le silence des livres", George Steiner tente de démontrer au lecteur les risques qui entourent le livre en général. Partout, des origines à nos jours, le livre a toujours été source d'appréhension, de crainte, d'effroi, parce qu'il véhiculait
certaines idées, fondamentales à la construction intellectuelle du lecteur : la liberté d'être, de penser, d'agir, de comprendre, d'analyser l'ensemble des événements différemment. Le livre, produit de l'érudition, du savoir, de la culture, de l'ouverture d'esprit est aussi une arme redoutable contre tous ceux qui cherchent à dominer la pensée, à l'enfermer, à l'annihiler, à la diriger dans un intérêt personnel et politique. Les nouvelles technologies, Internet, l'absence de transmission de cette passion de lire pour apprendre, découvrir, réfléchir, s'ouvrir aux autres et à d'autres horizons inconnus, à défricher, a disparu au profit de certains mass media, d'une certaine télé et radio, qui diffusent plus facilement de la platitude, de l'insignifiance évitant la réflexion. La qualité est mise au ban de la société, parce qu'elle nécessite plus de travail et de profondeur d'esprit, mais permet aussi d'accéder à une information plus juste et plus fiable.

Un grand merci à Kali qui m'a permis de découvrir ce petit concentré d'érudition autour du livre et ce grand auteur qu'est George Steiner, lors du Swap Book Inside.

316 - 1 = 315 ouvrages en attente ... Sans parler de ceux reçus pour Noël !

24 décembre 2009

JOYEUX NOEL A TOUS ET A TOUTES ...


Je voulais vous la faire légère et festive, après une période difficile en cette fin d'année. J'ai pensé qu'un peu d'humour dans un monde qui en manque parfois cruellement serait une bonne occasion de vous souhaiter à tous et à toutes

un très joyeux Noël 2009 !

Et encore merci pour votre aide, votre soutien moral dans ces instants délicats ...

23 décembre 2009

FAISONS UN REVE !


C'est Mango qui m'a gentiment tagguée pour ce questionnaire qui circule depuis quelques semaines déjà sur la blogosphère. Si c'était possible, ou plutôt Faisons un rêve, et imaginons quelles seraient nos réactions, nos comportements si quelques vœux se réalisaient d'un coup de baguette magique. C'est bientôt Noël, il est grand temps de croire au Père Noël ! C'est le moment où jamais, après il nous faudra patienter 365 jours ! Et c'est parfois long ...

1 - On vous propose d'écrire votre biographie. Qui serait votre nègre ?

Avec la vie trépidante que je mène, hautement culturelle et extrêmement passionnante, j'ai pensé à deux écrivains que j'apprécie particulièrement pour leurs œuvres, mais surtout pour leurs biographies. Dans mon immense simplicité, j'ai pensé à Pierre Assouline ou - mieux encore - à Stefan Zweig. Je sais, je fais dans la pudeur et la discrétion, dans la qualité et le bon goût. Que voulez-vous, on me demande mon avis, je le donne spontanément !

2 - Vous êtes plongée dans un livre qui vous fait oublier tout ce qui se passe autour de vous (chose fréquente chez moi). Survient un homme, torse nu ! Il dit s'appeler Daniel Craig, a l'air chagrin et souffre de l'épaule (moi aussi). Il vous demande un petit massage pour faire passer la douleur. Quelle est votre réaction ?

Déjà, si je suis plongée dans un livre qui me fait oublier que même la Terre tourne, il y a peu de chances pour que je sorte la tête de l'ouvrage. Ensuite, s'il dit s'appeler Daniel Craig, se balade torse nu et souffre de l'épaule en demandant de l'aide, je lui dirai que je ne suis ni kiné, ni ostéopathe ou médecin et que les surveillantes de baignade seront plus qualifiées que moi pour lui faire passer sa douleur. Par contre, si - par le plus grand des hasards - il se prénommait Ralph Fiennes, je pense que je ferais un petit effort et fermerais mon livre pour quelques heures, jours, mois ... Je sais, je rêve !

3 - C'est la fin du monde. Quel livre mettriez-vous dans la capsule qui conservera une trace de l'humanité (peut-être "Orgueil et Préjugés") ?

Il nous reste encore un peu de temps, puisque ce serait en 2012 ! Mais, admettons qu'il ne reste que quelques instants pour se décider, je mettrais sans aucun doute un ouvrage de Woody Allen, "Dieu, Shakespeare et moi", un concentré vitaminé d'humour noir et cynique comme j'aime, associé à un exemplaire du Littré, le meilleur dictionnaire de la langue française !

4 - Votre pause lecture idéale ?

Au calme, loin du bruit, de la ville et de sa pollution atmosphérique, sonore et humaine ! Dans un coin de campagne verdoyante, perdue - peut-être en Normandie, dans le Limousin, dans le Gers ou dans la campagne anglaise - (Je sais, ce ne sont pas des endroits où je risque de tomber sur un homme se faisant appeler Ralph Fiennes ! Encore que ...), au bord d'une petite rivière, à l'ombre de saules
pleureurs, au frais malgré la chaleur estivale. Les seuls sons entendus sont ceux des cigales, des moutons ou des vaches dans les prés, le bourdonnement des abeilles, le chant des oiseaux. Ou l'hiver, auprès d'un bon feu de cheminée, enroulée dans une couverture avec une théière fumante et odorante de thé noir aux écorces d'agrumes. Bref, le bonheur !

5 - Si vous aviez la possibilité de faire disparaître un personnage de roman, ce serait qui ?

Il y en a une palanquée que j'aimerais faire disparaître, dont les Thénardier des Misérables de Victor Hugo avec leur insondable bêtise et leur méchanceté qui sont leur seule raison d'être. Folcoche, mère indigne de "Vipère au poing" dont la seule jouissance réside dans la haine de ses propres enfants.

6 - Sauveriez-vous Voldemort, juste pour avoir un 8ème Tome ?

J'avoue qu'il m'a fallu chercher qui était Voldemort et comprendre cette histoire de 8ème tome (parce que je n'ai lu aucun Harry Potter !). Avant mes recherches, je vous aurais dit non, parce que sept tomes, c'est largement suffisant ! Mais depuis que j'ai appris que Voldemort était joué par un certain Ralph Fiennes (encore et toujours ! Chacune ses obsessions ...), je dis : "On ne touche pas à Voldemort ! Sinon, je mors !".

7 - Jusqu'où êtes-vous allé pour un livre ?

Jusqu'en Belgique (j'habite Bordeaux). Pour un ouvrage de Louis-Ferdinand Céline !

8 - Si vous pouviez retourner dans le passé pour rencontrer un auteur, ce serait
qui ? Quelles seraient vos toutes premières paroles (hormis "Bonjour") ?

Sans l'ombre d'un doute, ni la moindre hésitation, Stefan Zweig. Je le rencontrerais avant le 22 février 1942, date de son suicide, pour lui dire tout simplement que le plus difficile est - presque - passé, et que des jours meilleurs pointent déjà à l'horizon. 1942 est l'année qui marque le tournant important dans la sombre histoire de la 2ème Guerre Mondiale, puisque les victoires changent de camp. Cependant, il faudra encore attendre trois ans avant de voir enfin la Paix ! M'aurait-il seulement entendu du fond de son désespoir ?

9 - Décrivez la bibliothèque de vos rêves (personnelle ou non).

J'avais pensé à la bibliothèque du couvent de Strahov à Prague, mais elle est déjà prise. Il y a aussi celle de Trinity College à Dublin, qui est un vrai bijou tout en bois précieux. Mais, j'aime l'Europe centrale. Je n'y peux rien, c'est dans mes gènes ! Ma bibliothèque idéale, celle où je resterais et m'y ferais enfermer pour ne plus jamais en sortir est la ONB (Österreichische NationalBibliothek) de Vienne, en Autriche. Une pure merveille de l'art baroque, comme seule Vienne en conserve !


10 - Retour dans le passé (miracle des blogs !) en pleine 2ème Guerre Mondiale (pas de chance !). Quels livres donneriez-vous à Hitler pour qu'il arrête de brûler ou interdisent des livres jugés subversifs ?

J'aurais déjà beaucoup de chance d'arriver entière jusqu'à cet individu quand on sait toute la paperasserie qu'il fallait pour entrer dans les lieux où il se trouvait. Mais, admettons que j'y arrive et que je puisse lui adresser la parole juste le temps de lui parler littérature. Je ferais très (très) vite et je lui offrirais (vous avez bien lu !) une anthologie de la littérature mondiale, "Les 1 001 livres qu'il faut avoir lus dans sa vie". L'espoir fait vivre et cela le changerait de ses 20 000 ouvrages que contenait sa bibliothèque personnelle. A cela, je rajouterais "J'irai craché sur vos tombes". Juste pour le plaisir du titre ! Et je me sauverais en courant très (très) vite ...

Voilà un tag mené de main de maître, même si j'y ai mis le temps ! Mais je tenais absolument à le faire ...

20 décembre 2009

QUAND LIVRE ET PEINTURE VOUS COMBLENT !



Lorsque Isil et Lamousmé se sont alliées pour nous proposer leur swap "Un livre, un peintre", je n'ai pas su résister à cette nouvelle tentation, d'autant que je sortais à peine du swap de YS, "Swap Book Inside". Mais, c'est bien connu, dès que l'on met le doigt dans l'engrenage du swap, c'en est fini de vous. Vous devenez une swap addict et tout ce qui passe à votre portée et vous parle, vous vous y inscrivez pour le plaisir de partager, d'échanger, d'offrir, de faire les paquets cadeaux, de se torturer l'esprit pour savoir ce que l'on va préparer à sa swappée, qui est votre swappeuse, que va-t-on recevoir comme livres, friandises, petits cadeaux qui - tels les jouets Bonux de notre enfance - nous ravissent toujours autant !

Pour ce swap qui me tenait particulièrement à cœur, ma swappeuse a été Alice. Et le moins que je puisse dire, c'est que j'ai été - une nouvelle fois - gâtée par la qualité du colis. Plutôt qu'un long discours, je préfère largement laisser la place à des photos, toujours plus parlantes !


L'œuvre offerte qui est la reproduction d'une photo prise par Alice !
Une petite merveille que je vais me dépêcher de faire encadrer.


La carte reçue faite par Alice avec des timbres représentant des œuvres d'art de toutes les périodes, que je conserverai précieusement comme toutes celles que j'ai reçu de la part de mes swappeuses !





Les surprises soigneusement emballées dans des papiers représentant des œuvres d'art de toutes les époques picturales.





Les deux magnets et les marque-pages, dont celui du dessus extrait de l'œuvre exécutée par Alice. Un vrai bonheur !





Les livres et les gourmandises qui vont avec. Le thé russe aux agrumes se mariera avec la douceur du chocolat noir à la pistache ! Quant aux ouvrages, ils parlent d'eux-mêmes. Alice a réussi à me trouver un livre de Tilla Durieux, considérée comme la femme la plus élégante de Berlin au début du 20ème Siècle. Elle raconte ses séances de pauses pour le grand Renoir. Je connaissais ce texte, mais sans jamais avoir pu mettre la main dessus. C'est désormais chose faite grâce à Alice que je remercie chaleureusement pour cet envoi magnifique.

Enfin, un petit aparté pour remercier ma swappée du Swap Book Inside, Lounima. Elle a eu la grande générosité de me faire une surprise de taille, à laquelle je ne m'attendais pas et qui est arrivée en même temps que mon colis pour le swap Un livre, Un peintre. Comme pour la présentation de ce superbe colis, je vous laisse avec une photo des livres et douceurs offertes.


Un grand merci à Isil et à Lamousmé pour ce swap qui est encore et toujours une belle réussite. Je n'oublie pas Alice pour sa générosité. Encore moins Lounima pour ses bonheurs !

15 décembre 2009

UNE MONTRE NON-CONFORMISTE

  • Filibuth ou la montre en or - Max Jacob - Gallimard Éditions (Collection Imaginaire)


Voilà une montre trépidante, qui a du mal à tenir en place. Elle glisse de main en main, passe d'un propriétaire à un autre, part d'un continent l'autre, sans jamais s'arrêter pour souffler un peu, remontée qu'elle est comme un coucou suisse. "Filibuth ou la montre en or" où les péripéties d'une superbe montre en or achetée chez Breguet en 1804 par Bastien Lafleur. On la retrouve dans les années 1920 chez une concierge - Rose Lafleur - au 105 rue Gabrielle à Montmartre. "La rue Gabrielle n'est pas un quartier moderne. Ses villas à terrasses lézardées semblent construites pour le repos : des travailleurs bien pauvres les habitent". Cette Rose Lafleur n'est pas réellement un personnage fréquentable. "Mme Lafleur ne vaut pas cher, d'abord elle boit, c'est une ivrognesse, ensuite c'est une personne relativement sale et désordonnée, on peut le dire sans exagération, en 3ème lieu, elle ne connaît pas la valeur des objets ni la mesure, il en résulte qu'elle en perd un grand nombre. Elle n'a pas honte de sortir le soir pour courir les rues". Il faut dire que celle-ci a hérité de cette montre agitée à la mort de "Père", petit-fils de Bastien et - accessoirement - employé du gaz.

Ce que l'on peut dire, c'est que cette montre est pour le moins convoitée. Par la famille Lafleur d'abord, dont le fils aîné de Rose - Alfred Lafleur -, qui la lui subtilisera pour la mettre au Mont de Piété afin de survivre. Par l'oncle Georges, ensuite. Frère du défunt propriétaire de la-dite montre et tuteur des enfants Lafleur. Il se considère comme l'héritier légitime de cette montre extravagante. "Il était poli, prudent, réservé. Son esprit était correct, grave, petit, mince, propre, clair, habile comme sa personne". Enfin, par une bande de pendards. A la suite de multiples péripéties, la montre cavaleuse est lorgnée par une bande de malandrins parisiens en mal de bonne fortune. Elle atterri chez Léonce Sancoin, cafetier de son état."Les bras agiles de Léonce qui frottaient le comptoir étaient plus expressifs que son regard qui accueillait le client". Elle finira par échouer sur le bureau d'un juge d'instruction où elle servira d'appât à un soi-disant réseau d'espionnage franco-autrichien.

De Montmartre à la Chine, de Marseille au Japon, la montre vivra mille vies aux rythmes remuants de ses propriétaires éphémères. Elle servira même de séances d'hypnose à Venise, jouera sur les planches du théâtre San Théodoro "Madame Sans Gêne", sera avalée par un cochon et remarquée par Aristide Briand. Elle reviendra à Montmartre chez Rose Lafleur pour être offerte en cadeau de mariage à son fils aîné. Après autant de rebondissements, on pourrait penser que la montre en or souhaite se calmer un peu. Pas du tout. A force d'être désirée par tous ceux qui l'approchent, la montre écartelée entre tant de convoitises de la part des uns et des autres, finira tristement.

Max Jacob prend prétexte de la course à la montre pour décrire des personnages cocasses et truculents vivant des situations insolites. On y retrouve toute la gouaille, la chaleur, le pittoresque d'un Paris populaire de l'entre deux guerre. C'est un roman sans dessus, ni dessous, où tout se mélange agréablement ; un roman hors du commun qui allie conte moral et poésie fantasque pour le bonheur du lecteur. Un lecteur qui retrouve avec "Filibuth ou la montre en or" toute la verve, la sagacité des œuvres de Max Jacob.

317 - 1 = 316 livres ... Patience !

11 décembre 2009

L'INGENUE DE BELLEVILLE

  • Les bonnes intentions - Agnès Desarthes - Points Éditions P917

"L'accès à la propriété n'a pas que des avantages. Les emprunts, les charges, l'électricité vétuste, la plomberie approximative, la peinture à refaire, les plafonds et les murs mal isolés phoniquement. L'insouciance reste à la porte. En m'installant, je me suis demandée si elle reviendrait jamais. Il m'a fallu attendre la réunion de la copropriété pour mesurer l'ampleur de la malédiction. Ces réunions ne sont pas obligatoires, et il paraît exagéré de comparer un supplice facultatif comme celui-ci à l'inévitable souci des traites à payer et de l'emménagement. Dans mon cas, cependant, cette logique ne s'applique pas". Sonia est heureuse. Son rêve d'accession à la propriété a enfin vu le jour. Son petit appartement est niché dans un immeuble au coeur du quartier de Belleville. C'est ici que ses enfants - Moïse et Nestor - sont nés ; c'est ici qu'ils grandiront entourés de l'amour de leurs parents. Cet appartement, Sonia la rêveuse, a tout fait pour le rendre beau et coloré, comme sa vie. Elle en a fait une bulle d'amour, de douceur, de bien-être. Cet appartement, c'est son reflet, tout à la fois généreux, chaleureux, lumineux.

Tout irait prodigieusement bien dans le meilleur des mondes s'il n'y avait pas certains voisins de la copropriété, toujours à râler, à se plaindre, à refuser de participer à certains travaux d'amélioration de l'immeuble pour le bien de la communauté. Mais il y a surtout Simone Chiendent - dont le nom lui va comme un gant -, la concierge. Simone qui tutoie Sonia et tout le monde comme si elle les connaissait depuis toujours. Simone qui s'immisce dans la vie de Sonia, qui s'occupe surtout de ce qui ne la concerne pas, curieuse comme un pot de chambre et veut tout savoir de la vie privée de chaque propriétaire, celle de Sonia en particulier. Une vraie sangsue ! "Simone était assez grosse ; quoique ce terme ne rende pas justice à sa physionomie générale. Sur des pattes sèches et musculeuses, elle portait un tronc lourd. Ses seins opulents reposaient sur son abdomen admirablement rond. Elle avait la taille courte et la tête rentrée dans les épaules. Mais son visage, ainsi que ses bras, étaient joliment dessinés. Ses cheveux étaient sa véritable fierté. Soigneusement péroxydés, ils s'étageaient en boucles jusqu'à ses épaules. Lorsqu'elle souriait, on avait peine à croire qu'il lui manquait une dent sur deux. Ses lèvres déformées par les chicots auraient dû se couvrir de rouge, mais, au lieu de ça, elles étaient gercées et pâles, plus en accord avec son teint blafard - marbré sur les pommettes, vert au creux des joues - et sa peau râpeuse qu'avec sa coiffure de star américaine des années cinquante. Le plus souvent elle portait une blouse dont le décolleté soulignait sa fascinante poitrine et une paire de savates éculées". D'ailleurs, Simone, possédait les doubles des clés de chaque appartement. Un véritable geôlier ! Elle avait même réussi à imposer Josette, sa
cousine, comme femme de ménage chez Sonia. C'est dire la verrue !

Mais Sonia n'en a cure, elle est nonchalante et crédule. Elle vit comme en marge d'une société qu'elle ne comprend pas toujours très bien et se
pose beaucoup de questions qui restent le plus souvent sans réponse. Bref, Sonia vivait un peu sur un petit nuage rose jusqu'au jour où apparaît dans son existence Monsieur Dupotier, son voisin de palier. Pauvre M. Dupotier qui, non content d'avoir perdu son chien puis sa femme dans la foulée, a vu disparaître son unique fils. Dans son immense mansuétude, Sonia se sent solidaire de cette souffrance psychique. Elle décide donc de venir en aide à ce vieil homme démuni moralement et abandonné à sa solitude. Et là, Sonia ne le sait pas encore, mais elle vient de mettre le doigt dans un engrenage infernal. "C'est la cinquième fois aujourd'hui que M. Dupotier vient sonner à ma porte. J'ouvre en réprimant une franche envie de meurtre. Pourquoi s'accroche-t-il ? Il ne lui reste rien. Sa seule occupation consiste à guetter mes heures d'entrée et de sortie, à calquer les gargouillis de son estomac sur mon emploi du temps. M. Dupotier a faim. Du matin au soir. - Vous auriez pas un petit quelque chose ? Je vais chercher un paquet de biscuits entamé et lui tend en souriant hypocritement. - Merci, ma petite dame, fait-il de sa pauvre voix. Je ne sais pas ce que je ferais sans vous. Vous crèveriez, pensé-je en secouant la tête, l'air de dire "c'est bien normal, voyons, entre voisins". Il faudrait que je lui donne autre chose que des gâteaux et du chocolat, autre chose que des quignons de pain et les croissants entamés des enfants. C'est de potage qu'il a besoin, de blanc de poulet, de compte et de laitages frais. Mais si je commence à me laisser aller sur cette pente, je glisserai jusqu'en bas. C'est inévitable".

C'est sa belle-fille qui a chargé Simone, la virago de l'immeuble, de s'occuper des besoins de M. Dupotier. Contre rémunération, elle est sensée lui préparer ses repas. Ce dont elle s'acquitte à minima et quand elle en a envie, généralement deux fois par jour. Le reste du temps, qu'il se débrouille comme il le souhaite. Sonia, n'écoutant que sont courage, prendra fait et cause pour le pauvre vieil homme maltraité par Simone et Simono - son frère -, véritables Thénardier des temps modernes. Il y a des jours comme ça où on devrait juste s'intéresser à nos problèmes !

On dit souvent que l'enfer est pavé de bonnes intentions. C'est un peu le fond du sujet abordé dans ce drôle de roman d'Agnès Desarthe. "Les bonnes intentions" nous parle du quotidien d'une jeune femme altruiste, disponible, amène, sociable et un brin naïve et donnant l'impression de vivre un peu à part de la réalité. Par son regard, la romancière nous décrit la vie en collectivité du quartier de Belleville et de cet immeuble. A la limite entre cynisme désabusé et mélancolie douce amère, Agnès Desarthe raconte le sordide et la petitesse du quotidien. Le racisme ordinaire qui s'insinue inconsciemment ou non dans les comportements, les pensées, les
allusions, les attitudes. Quand le moindre souci intervient, venant gripper la machine à bonheur que chacun s'est patiemment fabriquée, c'est forcément la faute de l'autre, du Juif, de l'Arabe, du Noir, de la concierge, de la femme de ménage, du commerçant, du voisin de palier, des copropriétaires. Il y a aussi la malveillance, la bassesse et la bêtise humaines que l'on retrouve chez tout un chacun à un moment ou à un autre. Dans "Les bonnes intentions" Agnès Desarthe dénonce la dictature des médiocres qui fait régner la terreur sur une majorité silencieuse ou indifférente aux problèmes d'autrui, le pouvoir exercé sur les plus fragiles et les plus démunis, donnant l'impression d'une toute puissance invaincue. Dans un style tout à la fois sobre et limpide, avec un soupçon d'humour noir, Agnès Desarthe nous fait partager le quotidien de cette invraisemblable ménagerie humaine. C'est cocasse et incisif, parfois amère ou cynique, mais c'est un agréable moment de lecture.

Les blogs qui en parlent : Florinette, Antigone, Gambadou, Majanissa, Choupynette, Malice, ... D'autres peut-être ?! Merci de me faire signe par un petit commentaire que je vous rajoute.

317 - 1 = plus que 316 livres à lire et à présenter !

8 décembre 2009

KLAUS MANN, LE DANDY ENGAGE

  • Dans la famille Mann, je demande le fils

Pour ceux et celles qui ne s'en seraient pas encore rendus compte, j'avoue une attirance particulière pour la littérature allemande. Je la trouve tout à la fois romantique et exaltée, envoûtante et intense, avec une troublante acuité. Je concède que celle-ci ne capte pas toujours l'intérêt des lecteurs. Et c'est bien dommage. Ils y trouveraient de réels petits bijoux à apprécier et s'en délecteraient. Au cours de mes explorations chez les écrivains allemands, j'ai trouvé Klaus Mann. Je connaissais le père - Thomas Mann - et l'oncle - Heinrich Mann - je suis partie à la rencontre du 3ème du nom. Celle-ci s'est transformée en un réel coup de foudre.

Klaus Heinrich Thomas Mann est né à Munich, en novembre 1906. Il arrive un an, jour pour jour, après sa sœur Erika. Les "enfants terribles" de Thomas Mann, surnommé "Le magicien" par Klaus, seront élevés comme des jumeaux et seront très proches l'un de l'autre tout au long de leur vie. A tel point que de sombres rumeurs d'inceste ne se dissiperont jamais concernant l'ambiguïté de leurs relations. Toute sa vie durant, Klaus Mann se débattra pour exister par lui-même et se faire un prénom, à défaut d'un nom déjà connu et auréolé du prestigieux Prix Nobel de Littérature en 1929, obtenu par son père, surdoué de la littérature allemande.

Son enfance munichoise est rythmée par les visites des amitiés intellectuelles, artistiques et politiques de son père. Difficile, dès lors, de ne pas être influencé par cet environnement propice aux découvertes littéraires et aux engagements politiques futurs. En 1915, il est hospitalisé plusieurs mois suite à une appendicite aiguë. "En me frôlant, l'ombre de la mort m'a laissé son empreinte", écrira-t'il plus tard. Désormais, l'idée de la mort le hantera en permanence. Son adolescence est perturbée. Il s'éveille à l'homosexualité, ce qui lui vaudra les foudres des bien-pensants et des bigots de l'époque. Mais pas seulement. Les relations avec son père sont difficiles, voire conflictuelles, lui qui jette un œil intransigeant et exigeant sur le travail de son fils. Klaus Mann cherchera jusqu'au bout la reconnaissance de ce père qu'il admire. De même, sa dépendance aux drogues dures qu'il consommera régulièrement dès les années 20 lui fera alterner cures de désintoxication et rechutes, sans jamais pouvoir décrocher. Très tôt, il sera victime d'un syndrome dépressif qui ne le quittera plus, et dont l'ardeur de son engagement intellectuel ne compensera jamais.

Néanmoins, malgré son homosexualité Klaus Mann se fiance en 1924 avec Pamela Wedekind. Cette même année il devient critique artistique à Berlin et publie ses premiers écrits dans divers journaux. En 1928, après avoir voyagé à travers le monde avec Erika sa sœur, son double, Klaus Mann fait la connaissance d'André Gide, de Jean Cocteau et de René Crevel, dont il devient l'ami très intime. De cette rencontre avec André Gide, il écrira un excellent essai en 1943 : "André Gide et la crise de la pensée." Cette influence - décisive - le fera évoluer de l'esthétisme vers un engagement moraliste.

Opposant de la première heure au nazisme, Klaus Mann contredira l'image de dandy, de jeune homme futile et décadent que l'on s'imagine facilement, compte tenu de son milieu et de sa façon de vivre. Il mesure très vite l'ampleur du danger qui menace son pays et l'Europe. Il quitte l'Allemagne en 1933 et mobilisera inlassablement en Europe l'opposition intellectuelle contre le nazisme. En exil à Amsterdam, il fonde une revue littéraire anti-nazie "Die Sammlung" à laquelle participe de nombreux intellectuels de langue allemande. En 1935, déchu de la nationalité allemande par le régime en place, il obtient la citoyenneté tchécoslovaque. En 1938, il s'installe aux États-Unis, après une participation à la guerre d'Espagne en tant que correspondant. Il publie en 1939 "Escape to life", un livre témoignage sur l'émigration allemande, encensé par la critique et le public à sa sortie. En 1939, la sortie de "Volcan", son roman le plus important et le plus ambitieux, est l'occasion de cette reconnaissance paternelle, tant attendue, tant voulue, tant espérée. "Je l'ai lu de bout en bout, avec émoi et amusement ... Plus personne ne contestera que tu es meilleur que la plupart. Ce qui explique ma satisfaction en te lisant."

Dégoûté par la langue allemande, pervertie par le nazisme et ses horreurs, Klaus Mann écrira son autobiographie en anglais en 1942, "Le tournant", reprise après la guerre en allemand. C'est un témoignage exceptionnel sur la vie littéraire et intellectuelle allemande des années 1920, sur les espoirs et les désillusions d'une génération face à la République de Weimar et sur la condition des exilés allemands. Naturalisé américain en 1943, il s'engage dans l'armée auprès du service de propagande où il participe à la "guerre psychologique" en Italie, puis lors de la campagne d'Allemagne. En 1945, il retourne à Munich et retrouve la maison familiale pillée et endommagée. Cette vision le perturbera beaucoup, de même que sa fonction d'interprète auprès de Goering lors de son interrogatoire pour le procès de Nuremberg. Après la guerre, Klaus Mann se propose de participer à la dénazification de la société allemande, mais s'aperçoit que les écrivains exilés sont méconnus dans leur pays et - souvent - sans avenir. Entre cette Allemagne en ruines qu'il retrouve et lui, le divorce est définitif, et rien ne comblera cet abîme d'incompréhension.

En proie à de graves problèmes financiers, désespéré par les suicides de ses amis, profondément déprimé, drogué, il se suicide à Cannes en mai 1949. Thomas Mann écrira à Herman Hesse à son sujet : "Mes rapports avec lui étaient difficiles et point exempts d'un sentiment de culpabilité puisque mon existence projetait par avance une ombre sur la sienne [...]. Il travaillait trop vite et trop facilement."

Il nous faudra attendre les années 1970 - 1980 pour voir ses œuvres publiées ou réimprimées. Celui qui n'avait été - aux yeux de tous - que le fils prodigue de Thomas Mann, sera enfin reconnu comme l'un des écrivains les plus originaux et parmi les meilleurs de sa génération.

Ses principales œuvres

  • Fuite au nord (1934) - Roman
  • La symphonie pathétique (1935) - Roman sur la vie de Tchaïkowski
  • Méphisto (1936) - Un des 20 meilleurs romans du 20ème Siècle
  • Le volcan (1939) - Roman de l'émigration allemande
  • Escape to life (1939) - Roman (Fuir pour vivre)
  • Speed (1939) - Nouvelles
  • André Gide et la crise de la pensée moderne (1943) - Essai
  • Le tournant (1952) - Autobiographie

Un lien vers le blog de Pierre Assouline qui parle de la Saga de la famille Mann, téléfilm diffusé sur la chaîne histoire.

5 décembre 2009

POUR ME JUGER, IL FAUDRAIT SAVOIR QUI JE SUIS


"Tu m'attends ici, dit-elle, en atteignant un banc qu'un vieil homme venait juste de libérer. Ici, il y a des trains qui partent pour Anklam et Angermünde, on pourra peut-être avoir des billets. Je reviens tout de suite. Elle prit Peter par les épaules et l'assit sur le banc. J'ai faim, dit Peter en riant et en s'agrippant solidement à ses bras. Je reviens tout de suite, attends-moi ici, dit-elle. Lui : Je viens avec toi. Elle : Lâche-moi, Peter. Mais déjà il se levait pour la suivre. Alors elle lui fourra la petite valise dans les bras et le rassit sur le banc avec la valise. Obligé de tenir la valise sur ses genoux, Peter ne pouvait plus rattraper sa mère. [...] Peter tenta de la suivre des yeux et repéra sa silhouette au loin, à l'entrée du hall de gare". Été 1945, l'Allemagne n'est plus qu'un champ de ruines fumantes. A Stettin, les Russes sont partout, vainqueurs d'un pays en plein chaos social, économique et moral. Les Allemands fuient vers l'ouest à la recherche d'un improbable mieux-être. Parmi eux, Alice et son petit garçon de sept ans, Peter. Peter qui ne reverra plus jamais sa mère, partie sans un seul regard pour lui, le laissant seul, abandonné, sur le quai de la gare. Pourquoi un tel geste désespéré ? Pourquoi cette séparation subite, inexpliquée et dramatique ? Pour tenter de comprendre un tel comportement inhabituel, il faudra remonter le cours de l'existence d'Alice, tel un fil d'Ariane, passer en revue les événements de sa vie pour mieux la connaître, l'approcher et analyser ce geste inconcevable.

Son enfance, avec la complicité ambiguë de sa sœur ainée - Martha - remplaçant inconsciemment une mère souffrant de troubles psychiatriques au point de terroriser la jeune Alice avec ses crises d'hystérie et de délires psychiques. Cette mère, jugée comme une étrangère à Bautzen où son père - Ernst Ludwig Würsich - était un maître imprimeur réputé et honoré, qui n'accompagnait jamais son époux à la messe dominicale, que tout le monde fuyait comme la peste, qui s'habillait de façon extravagante pour cette région rurale de la Lusace en Saxe. "Personne n'honnorait l'étrangère d'un boujour. Même s'il n'atteiganit guère Selma Würsich, qui, fort prudemment, se souciait plus des rares trouvailles qu'elle faisait entre les pavés de la ville que de ses citoyens, chaque regard était accompagné d'un hochement de tête ou d'un chuchotement désapprobateur. Gênés ou dédaigneux, les passants ne voyaient pas Helene et sa mère, leurs regard glissaient sur la femme accroupie par terre, ils la traversaient sans la voir. Quand Helene allait à la main de sa mère et qu'elle rencontrait Koban, le maire, l'ami de son père, celui-ci changeait de trottoir sans la saluer. Les fils du juge Fiebinger se retournaient sur elle en riant, l'été ils trouvaient les robes légères de sa mère, inconvenantes, l'hiver ses amples vêtements bizarres". Parce que, en plus d'être folle, on soupçonnait fortement Selma Würsich d'être juive.

La jeune Alice, plus douée que son aînée, qui comprenait tout avant même qu'on lui explique les choses, avait la passion des chiffres et rêvait de faire des études de médecine à Heidelberg ou à Dresde, si rare à cette époque pour une jeune fille. Alice, que sa propre mère avait refusé dès sa naissance, après la perte de quatre fils en bas âge, se sentait de trop dans la vie de celle-ci. Cette femme autoritaire et
dominante qui cherchera à rabaisser, à humilier, à écraser la personnalité de sa cadette pour lui imposer l'avenir qu'elle avait décidé pour elle. En retour, Alice hait celle-ci pour son refus de voir le monde tel qu'il est et s'enferme dans sa chambre, refuge ultime de ses hallucinations.

Ce que désirent ardemment
Alice et Martha, c'est fuir Bautzen pour Berlin. Vivre dans la capitale, s'enivrer de la vie et de ses plaisirs, de ses charmes, de ses délices et de son exaltation, des théâtres et des clubs de jazz, de l'art nouveaux et de s'affranchir des contraintes morales imposées par la province, ne plus moisir à la campagne auprès d'une mère déconnectée du quotidien. Et puis, à Berlin, la crise économique, le chômage, l'inflation, les difficultés liées aux conséquences de la Grande Guerre, le regard des autres surtout, seraient sans doute moins prégnants qu'à Bautzen, où des manifestations de mécontentement s'organisaient de plus en plus fréquemment. Berlin, où Martha et Alice seront accueillies chez leur tante maternelle, Fanny. Et là, quel changement d'univers, quel monde nouveau s'ouvre à elles, si différent de celui de leur ville étriquée de province, où le tout Berlin se pressait, où la haute bourgeoisie côtoyait la bohème artistique, où le temps n'avait plus la même valeur. A Berlin, la liberté de penser, d'être, l'art, la manière de vivre et d'aimer étaient si éloignées de leur récent passé. Ici, l'homosexualité masculine et féminine n'était pas un tabou, la drogue et l'alcool ne choquaient personne, la prostitution des deux sexes ne dérangeaient pas. "Aucune chose, aucun être vivant n'était épargné par la musique, elle les transperçait, prenant possession de chaque particule et transformant en fractions de temps cet espace d'éléments agrégés, jusque-là calme et figé, maintenant plongé dans une effervescence qui faisait vibrer chaque molécule, chaque organe, sollicitant à l'extrême, à la limite de l'explosion, les enveloppes des corps tout comme les limites de l'espace, semblait-il à Helene. La musique se dilatait, emplissait l'espace de sa brillance mate, d'un chatoiement délicat, d'une vapeur de très fines mélodies qui ne connaissaient plus la mesure habituelle, elle pliait les corps des danseurs, les recroquevillait, les redressait, roseaux dans le vent".

Et puis, avec cette vie nouvelle, pleine de frénésie, d'excitation, l'amour entre dans la vie de la jeune Alice. L'amour fou, l'amour passion, qui ravage, emporte tout sur son passage, fait oublier son entourage, le monde et les événements qui se déroulent autour de vous. Ce bonheur anéanti par le malheur, la résignation de la fatalité. Par deux fois, Alice sera abandonnée par les deux hommes de sa vie : Carl qu'elle a aimé de toute la force de son être et qui disparaîtra tragiquement, ; Wilhem, dont elle se résignera à accepter la présence à ses côtés, mais qui la méprisera et la délaissera au profit de son fanatisme aveugle et destructeur.

Surtout ne cherchez pas d'action spectaculaire, de sensations fortes, d'émotions intenses dans "La femme de midi" de Julia Franck. A la manière d'un psychanalyste, la romancière dissèque l'existence et les événements qui ont émaillé l'existence d'Alice Würsich, née Helene pour essayer d'analyser ce geste incompréhensible vis-à-vis de son petit garçon innocent. Pour cela, elle va - pas à pas - remonter aux origines de cette femme, avec les relations ambivalentes, presque saphiques avec Martha, sa sœur. Cette volonté de la copier, d'être son double, de marcher sur ses traces, de se fondre en elle pour ne plus faire qu'une et oublier le ressentiment que sa propre mère lui vouait. Alice qui ne comprendra jamais l'égocentrisme de cette femme qui ramenait tout à elle, même la souffrance des autres. Elle fera tout pour se faire aimer, accepter d'elle, en vain. Alice déroutée entre son existence bouleversée par la présence d'une mère psychotique et d'une sœur morphinomane et lesbienne. Alice, si pudique et effacée, mutique et contemplative. Par le regard que Julia Franck pose sur la vie d'Alice / Helene, "La femme de midi" nous plonge
dans la République de Weimar, intermède débridé, libertin, euphorique, à la fois artistiquement riche et socialement démuni, coincé entre un empire englouti par la défaite de la Grande Guerre et pangermanisme qui marquera l'ascension du national-socialisme. Par-delà la chronique sociale et romanesque de l'histoire d'une "Femme de midi", il y a l'introspection des sentiments humains face aux vicissitudes de la vie. Par la grâce envoûtante et l'élégance de la plume de Julia Franck, celle-ci nous fait part des états d'âme d'Alice / Helene qui l'ont - un jour - conduite à cet acte désespéré. "La femme de midi" est un roman tout à la fois tragique, émouvant, troublant et implacable. Dans une écriture minimaliste, monobloc et circonstancié, la romancière redonne une identité, une âme, un visage, des sentiments humains à une personne inconnue que l'on pourrait mépriser pour son attitude, mais qui - paradoxalement - ne vous laisse pas indifférent. Un véritable chef d'œuvre de pudeur et de sensualité. Peut-être un futur classique de la littérature allemande ?

Un merci particulier à Sabrina du site Alapage et pour cette lecture magnifique.

D'autres avis sur ce roman de la rentrée littéraire, celui de la Librairie Georges, celui de Levraoueg, celui de Virginie, celui (complet) de Bibliobs ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit commentaire afin que je vous rajoute à la liste !

318 - 1 = 317 livres ... Elle baisse, elle baisse !






5 / 7 livres de la rentrée littéraire 2009 lus

1 décembre 2009

LES FORCATS DE LA ROUTE

  • Tour de France, tour de souffrance - Albert Londres - Éditions du Rocher (collection Motifs)

Juin 1924, Le Tour de France s'élance de Paris pour rejoindre Le Havre, première étape d'un périple qui ressemblera plus à un chemin de croix qu'à une excursion bucolique à travers la campagne du pays. En ce 22 juin 1924 ils seront cent cinquante sept coureurs à braver les intempéries, la chaleur étouffante, la souffrance physique et mentale, les ennuis mécaniques pour le plaisir du sport en général et de la Petite Reine en particulier. "Ils ne font pas le Tour de France pour se promener, ainsi que j'aimais à l'imaginer, mais pour courir. Ils courent aujourd'hui jusqu'au Havre, sans vouloir respirer, tout comme s'ils y allaient quérir le médecin pour leur mère en grand danger de mort". Ce sont les Henri et Francis Pélissier, Jean Alavoine, Otavio Bottecchia, Hector Tiberghien - marquis de Priolas -, et tant d'autres moins connus, qui sont venus se frotter à l'asphalte des routes françaises pour donner du spectacle aux curieux venus les applaudir, les encourager, les soutenir dans leurs efforts.

En suivant ce Tour de France pour Le Petit Parisien, Albert Londres va découvrir les conditions de ceux qu'il surnommera les forçats de la route. Tenir les quinze étapes de ce Tour dans les dispositions de 1924 relevait quasiment de l'exploit surhumain. Pourtant, ils le feront, la passion chevillée au corps. La seule chose que ces coureurs refusaient, c'était la vexation, l'humiliation des pénalisations tout au long du parcours. Pour assouvir leur passion, ceux-là étaient prêts à tout, même à avaler des produits illicites pour tenir encore et toujours. "De son sac, il sort une fiole : - Ça, c'est de la cocaïne pour les yeux, ça c'est du chloroforme pour les gencives ... - Ça, dit Ville, vidant aussi sa musette, c'est de la pommade pour me chauffer les genoux. - Et des pilules ? Voulez-vous voir des pilules ? Tenez, voilà des pilules. Ils en sortent trois boîtes chacun. - Bref ! dit Francis, nous marchons à la "dynamite". Henri reprend : - Vous ne nous avez pas encore vus au bain à l'arrivée. Payez-vous cette séance. La boue ôtée, nous sommes blancs comme des suaires, la diarrhée nous vide, on tourne de l'œil dans l'eau. Le soir, à notre chambre, on danse la gigue, comme Saint Guy, au lieu de dormir".

En 1924, le Tour de France commençait en pleine nuit pour se terminer à pas
d'heure. Parce qu'il fallait absolument avaler trois cent quatre-vingt un kilomètres, trois cent cinquante quatre kilomètres ou quatre cent dix kilomètres de route qui séparaient les étapes et faire avec les conditions atmosphériques, les crevaisons fréquentes, les chutes - parfois mortelles - que ces coureurs vivaient au quotidien. Dans ce peloton hétéroclite des Croisés du Tour de France, on trouve des routiers, coureurs avec une équipe complète à leur service et les ténébreux, ceux qui roulent avec leur équipement personnel, sans soutien, sans matériel, juste pour la beauté et l'amour du sport. Ce sont souvent eux qui font le spectacle. Dans cette troupe anachronique, certains chantent à tue tête des airs de leur pays d'origine, d'autres prennent le temps de compter fleurette aux belles dames venues les encourager. La plupart souffre le martyr. Lorsque le Tour attaque les Pyrénées, c'est la montée au Calvaire qui attendait ces intrépides. Beaucoup abandonneront dans le Tourmalet, à l'Aubisque ou à Aspin. Les cadavres des bords de route se compteront par dizaine. Et les plus fous ne sont pas seulement sur leur vélo. On les retrouve aussi sur les bords des routes en cet été 1924. Le Tour de France draine près de dix millions de déchaînés qui attendent avec impatience le passage de leurs idoles. "On s'habitue à tout. Il suffit de suivre le Tour de France pour que la folie vous semble un état de nature. Le 19 juin dernier, si quelqu'un m'avait dit : vous allez voir sept à huit millions de Français danser la gigue sur les toits, sur les terrasses, sur les balcons, sur les chemins, sur les places et au sommet des arbres, j'aurais dirigé aussitôt mon informateur vers une maison d'aliénés".

Partis à cent cinquante sept cyclistes, ils ne seront plus que soixante à l'arrivée. Ils auront connus plus souvent le pire que le meilleur. Dans "Tour de France, tour de souffrance", Albert Londres nous dresse un portrait de ces galériens du Tour de France à une époque où courir le Tour relevait de l'exploit physique. Rares étaient ceux qui couraient pour une marque avec une équipe pour les soutenir. Le matériel
- vélo, pneus, boyaux, vêtements - était à leur charge. Pour gagner quoi, au final ? La gloire, parfois. L'anonymat, le plus souvent et le souvenir d'un géhenne inhumain infligé à l'organisme au départ de chaque étape. Il y a tout cela et plus encore sous la plume percutante, nerveuse, vive et très personnelle d'Albert Londres. Il n'hésite pas à prendre position, à dénoncer les conditions dantesques, parfois pittoresques ou picaresques, dans lesquelles ces sportifs amateurs roulaient pour vivre leur amour de la petite reine et la faire partager au public. L'auteur nous raconte l'histoire d'un Tour de France très éloigné de ceux que l'on aperçoit le long de nos routes. Encore que !


L'excellent article de Pierre Assouline sur cet ouvrage d'Albert Londres.

319 - 1 = 318 livres qui s'impatientent ...