30 mars 2011

IVANHOE, LE CHEVALIER DESENCHANTE !

  • Ivanhoé à la rescousse – William Makepeace Thackeray – Le Castor Astral Éditions


« Vous, chères jeunes dames, qui puisez votre savoir dans les rayons du bibliobus, vous seriez portées à croire que, sitôt que le but est atteint, qu'Emilia a rejoint le Comte ravi dans son cabriolet tout neuf ou que Belinda, s'étant dégagée des étreintes larmoyantes de son excellente mère, peut sécher ses adorables yeux sur le gilet palpitant de son jeune époux, vous seriez portées à croire, dis-je, que tout est terminé, qu'Emilia et le Comte couleront des jours heureux jusqu'à leur dernier soupir dans le romantique château que Sa Seigneurie possède dans les Highlands, et que Belinda et son jeune clergyman jouiront d'un bonheur sans nuages dans leur presbytère treillagé de roses, sur la côte occidentale de l'Angleterre. Mais il se trouvera parmi les lecteurs, des individus âgés, certes, mais expérimentés, qui ne se contenteront pas de si peu. Car certains, qui sont mariés, estiment qu'ils ont encore deux ou trois choses à voir et à faire en ce bas monde, et peut-être même à endurer, et que les aventures, les souffrances, les plaisirs, les impôts, les levers et les couchers de soleil, et les diverses péripéties ne s'arrêtent pas avec la cérémonie nuptiale ».

En écrivant « Ivanhoé à la rescousse », William Makepeace Thackeray souhaitait donner une suite au célébrissime roman chevaleresque de Sir Walter Scott, « Ivanhoé ». Frustré qu'il était de voir cette fresque historique s'interrompre pour le moins brutalement avec l'union de Sir Wilfrid d'Ivanhoé et de Lady Rowena, William Thackeray va se charger de nous raconter la suite. Ou, tout au moins, sa suite !

Tous deux désormais retirés sur leurs terres du comté du Yorkshire, Ivanhoé et Rowena auraient pu couler des jours paisibles, entourés de leur cour. Sauf que le souvenir de Rebecca – fils d'Ysaac d'York, riche marchand juif – vient pourrir le quotidien de ce couple idyllique. En effet, Lady Rowena est une vraie bête à Bon Dieu, une bigote hors catégorie. Au point de rendre le bouffon Wanda neurasthénique. Bref, Lady Rowena, jalouse comme un pou, ne ratait jamais une occasion de culpabiliser Ivanhoé. « Par exemple, si Gurth, le porcher, qui avait été promu garde-chasse et officier des eaux et forêts, signalait la présence d'un sanglier dans les bois et proposait une chasse, elle déclarait alors : « Allez-y, Sir Wilfrid, persécutez ces pauvres cochons : vous savez bien que vos amis les Juifs ne peuvent pas les souffrir ! » Ou si, comme cela arrivait souvent, Richard, le monarque au cœur de lion, dans le but d'obtenir un prêt ou un don des capitalistes hébreux, rôtissait une poignée d'entre eux ou bien faisait sauter les molaires des rabbins, alors Rowena exultait et s'écriait : « Ils ne l'ont pas volé, ces misérables ! ».

Et impossible pour lui de compter sur Lord Robin de Huntingdon, alias Robin des Bois. Celui-ci était encore plus étriqué moralement que Lady Rowena. Aussi, lorsqu'Ivanhoé décide de rejoindre Richard Cœur de Lion devant Châlus, Lady Rowena – dans son hystérie religieuse – se voit déjà en veuve éplorée. « Rowena, debout sur les marches du château, entonna une série de prières et de bénédictions particulièrement édifiantes, pendant que son seigneur enfourchait sa jument et que ses écuyers le menaient au pont-levis. – Car c'est le devoir de la femme britannique, lança-t-elle, d'être prête à tout supporter – tout – pour le service de son souverain. Et tant que dure la campagne, elle doit ignorer la solitude et même se préparer au veuvage, à l'abandon et à un avenir incertain ». C'est en tant que veuve quasi-officielle que cette dernière se consolera et convolera avec le cousin d'Ivanhoé, Athelstane. Au bout de maintes péripéties, toutes plus rocambolesques les unes que les autres en compagnie de Richard Cœur de Lion, Sir Wilfrid d'Ivanhoé reviendra sur ses terres dans la plus grande indifférence.

Mais la vengeance est un plat qui se mange froid, et l'infâme Jean sans Terre, fera mettre Lady Rowena au cachot pour se venger de la fidélité d'Ivanhoé à son roi. Avant de retourner en Terre Sainte chasser le mécréant et tenter de retrouver Rebecca, Lady Rowena lui fera tenir une promesse qui ne coûte pas cher et fait beaucoup de bien aux âmes en peine. « Quelle scène sublime ! Et quel lit de mort ! J'ai l'impression d'avoir créé tout ça moi-même pour que cette noble dame et moi puissions nous quitter en paix ! Imaginez l'arrivée d'Ivanhoé – leurs retrouvailles – le visage épuisé de Rowena qui rougit légèrement – la manière pathétique dont elle lui confie le petit Cédric en lui demandant de promettre de s'en occuper. – Wilfrid, mon premier amour, soupira-t-elle, le souffle court, en repoussant une mèche de cheveux gris qui tombait sur son front ridé et en regardant d'un air plein de tendresse le garçonnet assis sur les genoux d'Ivanhoé, accorde-moi, par saint Waltheof de Templestowe, accorde-moi une dernière faveur ! – Je te donne ma parole, dit le vaillant chevalier en pensant qu'elle attendait sa promesse de veiller sur son enfant. – Par saint Waltheof ? – Par saint Waltheof ! – Promets-le moi, alors, gémit Rowena en le suppliant des yeux, promets-moi que tu n'épouseras jamais une Juive. – Tu ne crois pas que tu exagères ? Enfin … Je te le promets par saint Waltheof … Que se passe-t-il, Rowena ? ».

« Ivanhoé à la rescousse » est tout sauf un livre sérieux. Reprenant le goût immodéré de ses compatriotes pour les romans de chevalerie et une certaine nostalgie pour le Moyen Âge romanesque, William Thackeray a décidé de se moquer d'une certaine société anglaise.

Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'en forçant à peine le trait, il nous donne à lire une parodie satirique qui tourne en dérision le roman chevaleresque dont Walter Scott était un des maîtres incontestés au 19ème Siècle.

Ici, Richard Cœur de Lion, Ivanhoé ou Robin des Bois et tous les héros au grand cœur, à la générosité sans bornes et ardents défenseurs des plus faibles, sont croqués comme une bande de serial killers, alcooliques, maniaco-dépressifs ou encore mystiques étriqués.

Dans « Ivanhoé à la rescousse », William Makepeace Thackeray laisse libre-cour à sa fantaisie burlesque et à son imagination débordante. Sous sa plume, Richard Cœur de Lion se transforme en tueur sanguinaire et libidineux, sans foi ni loi, se vautrant dans des orgies alimentaires et alcooliques. Même Robin des Bois est devenu un juge pire que le sheriff de la forêt de Sherwood.

Une fois n'est pas coutume, William Thackeray nous fait passer un trop court moment de lecture drolatique et jubilatoire où les scènes de massacres sont entrecoupées de tournées de bières pour tout le monde et où les happy end prennent des tournures de tarte à la crème.

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248 - 1 = 247 livres dans ma PAL

22 mars 2011

LOULOU, LA BEAUTE DU DIABLE

  • Louise Brooks – Portrait d'une anti-star – Roland Jaccard – Phébus Éditions


« S'il n'y avait eu cette rencontre miraculeuse avec un personnage, « Lulu », et avec un metteur en scène, Pabst, nul doute que Louise Brooks serait vraisemblablement oubliée aujourd'hui. Cet hommage à la femme et à l'actrice se double donc d'un hommage à Pabst. Mais il nous invite surtout à réfléchir sur l'un des mythes les plus révélateurs de l'inconscient de notre époque, celui de Lilith : tout à la fois Éros et subversion ».

Dans l'esprit de chacun, Louise Brooks reste encore l'incarnation de la femme-objet, sensuelle avec un brin de perversité innocente, mutine, faussement naïve, à l'érotisme assumé, à la beauté fatale et incandescente. Ce serait caricaturer et amoindrir le talent de cette actrice du cinéma muet, interprète magnifique et magnétique de Loulou, pièce de Frank Wedekind, mise en images par un génie du cinéma expressionniste allemand, Georg Wilhelm Pabst. Car Louise Brooks était bien plus encore qu'une icône éphémère du cinéma des années 1920, destiné à s'effacer et à disparaître devant la prouesse technologique du parlant, infiniment moins expressif. Louise Brooks était une femme libre et indépendante. Elle devait ce caractère bien affirmé à sa mère, qui lui avait donné le goût d'une certaine liberté à travers la littérature. « Mais moi, j'étais libre ! Bien que ma mère nous ait quittés en 1944, elle ne m'a jamais abandonnée. Elle m'apporte le réconfort à travers chaque livre que je lis. Car chaque fois, c'est comme si j'avais cinq ans et que je lisais par-dessus son épaule, apprenant les mots comme au temps où elle lisait à voix haute Alice au pays des merveilles ».

C'est en cherchant sa Loulou, incarnation de la Femme « […] créature « démoniaque » (au sens dionysiaque du terme) dans la mesure où elle s'apparente aux forces naturelles – à l'Esprit de la Terre – par opposition aux structures figées de la société. Elle seule à la capacité de vivre réellement la parole de Nietzsche : « Tout ce qui se fait par amour se fait par-delà le bien et le mal ». Son existence seule suffit à menacer – par ce qu'elle incarne autant que par les rêves qu'elle fait naître – tout l'univers social. Elle ne détruit rien, mais tout se détruit, se consume autour d'elle », que G.W. Pabst découvre Louise Brooks. C'est un vrai coup de foudre cinématographique ! Pabst est déjà connu et reconnu dans le monde du cinéma. C'est lui qui a révélé Greta Garbo, entre autre. C'est lui qui donnera à Louise Brooks le rôle de toute sa carrière. En 1928, lorsqu'il décide de tourner « Pandora's box » de Wedekind, Pabst n'est pas encore le réalisateur de « L'Opéra de quatr'sous », mais il est déjà Pabst le Rouge, socialiste, pacifiste et désireux de réconcilier Français et Allemands. Pabst est un magicien du cinéma, un génie de l'image. Il va jouer avec les ombres et les lumières, les noirs et les blancs, avec les gros plans qui mettent en valeur Loulou, et donner tout le relief à la personnalité, à l'éclat, à la passion de Louise Brooks, à ce regard sombre et velouté dans lequel brûle un feu ardent et équivoque.

Auparavant, Louise Brooks avait joué un second rôle avec Howard Hawks dans « Une fille dans chaque port ». En 1930, c'est René Clair qui la fera tourner dans « Prix de beauté ». Avec la voix qu'elle possédait elle aurait pu continuer une carrière de star à Hollywood, devenant l'égale des Marlène Dietrich, Greta Garbo ou encore Marilyn Monroe. Seulement, Louise Brooks n'avait pas envie de servir d'image de marque et de faire-valoir à l'industrie du rêve qui commençait à émerger à la fin des années 1920. Trop affranchie, trop sincère et authentique, trop franche et – surtout – trop intelligente dans un univers trop artificiel. Elle préférera se retirer à temps et laisser place à un mythe qui ne s'est jamais démenti. « Les autres sont « les femmes » […] elle est Louise. Elle est beaucoup plus qu'un mythe, elle est une présence magique, un fantôme réel … Peut-on concevoir la laideur, la religion, l'abstinence si on a jeté ne serait-ce qu'un regard sur ce corps-lyre, sur ces yeux volcans ? ».

« Louise Brooks – Portrait d'une anti-star » relate la construction d'une légende du cinéma des années 1920. Louise Brooks reste pour nombre d'entre nous l'image de Loulou et de sa fameuse coupe à la Garçonne qu'elle mettra à la mode en 1925. Cet album iconographique revient sur la pièce de théâtre de Frank Wedekind, auteur et dramaturge allemand, par qui le scandale est arrivé. Parce qu'il y a entre Louise Brooks et Loulou comme une fusion, un amalgame, dont il est encore aujourd'hui difficile de se départir. A l'origine, la Lulu de Wedekind réuni deux de ces pièces de théâtre, dont « La boîte de Pandore ». Son auteur, futur et éphémère beau-père de Klaus Mann, a toujours été un redoutable adversaire de la société bourgeoise, de ses codes, de ses hypocrisies qu'il dénonçait sans cesse dans ses œuvres, lui qui prônait la liberté totale, y compris sexuelle.

Pour créer sa Lulu, Frank Wedekind s'inspirera de la personnalité ambiguë de Lou-Andréa Salomé, femme fascinante, passionnée, voluptueuse, sensible, à l'intelligence prodigieuse et qui le séduira comme elle a su ensorceler, séduire tous les intellectuels qu'elle a rencontrés, Freud inclus. Wedekind fera de sa Lulu un subtil mélange de l'idéal féminin, de Lou-Andréa Salomé et de Lilith – personnage biblique, libre et révoltée -, qui symbolise encore et toujours la subversion. Louise Brooks allait incarner de façon magistrale ce personnage tout à la fois pervertie et dépravée, jeune femme perdue et contrainte à la prostitution. Elle donnera à Loulou toute la force de sa conviction. Pour les cinéphiles, Louise Brooks restera cette ingénue à la beauté redoutable et vénéneuse, au regard profond et intense, innocente et dissolue, sorte de Lola avant « L'ange bleu » et Marlène Dietrich. Pour tous, Louise Brooks est devenue la représentation de la beauté absolue, parfaite, au sens expressionniste du terme.


249 - 1 = 248 livres dans ma PAL

17 mars 2011

BREVES DE COMPTOIR AFRICAIN

  • Verre cassé – Alain Mabanckou – Points Poche Éditions


« Comme il me l'avait lui-même raconté il y a bien des années, L'Escargot entêté avait eu l'idée d'ouvrir son établissement après un séjour à Douala, dans le quartier populaire de New-Bell où il avait vu La Cathédrale, ce bar camerounais qui n'a jamais fermé depuis son ouverture, et L'Escargot entêté, changé en statue de sel, s'y est installé, il a commandé une bière Flag, un monsieur s'est présenté comme étant le responsable des lieux depuis des lustres, il a dit qu'on l'appelait « Le Loup des steppes », et d'après les dires de L'Escargot entêté le type ressemblait à une espèce en voie de disparition, une momie égyptienne, il n'y avait que son commerce qui comptait, même se brosser les chicots ou se raser les cactus clairsemés de son menton, c'était pour lui une perte de temps, il mâchait de la noix de cola, fumait du tabac moisi, on aurait dit qu'il se déplaçait à l'aide d'un tapis volant comme dans certains conte, et alors L'Escargot entêté lui a posé mille et une questions auxquelles le commerçant a répondu sans hésitation, et c'est comme ça que L'Escargot entêté a réalisé que, pour ne pas fermer son bar depuis des années, ce Camerounais comptait sur un personnel fidèle, une gestion rigoureuse et sa propre implication […] ».

Verre Cassé, buveur invétéré, pilier de bistrot et ancien instituteur tient la chronique journalière du « Crédit a voyagé », improbable gargote appartenant à L'Escargot entêté. C'est à l'issue d'un séjour à Douala que ce dernier avait décidé d'ouvrir son propre établissement. Une institution, ce comptoir ! A tel point que lorsque les autorités ont voulu fermer ce lieu culte pour des centaines de Congolais, même le ministre de l'Agriculture, du Commerce et des PME – et ancien camarade de primaire du tenancier – a fait un discours mémorable dans lequel il a repris un J'accuse au goût de déjà entendu dans une précédente affaire d'envergure au moins identique ! Ce J'accuse a failli déclencher une véritable crise ministérielle et politique au sein du gouvernement du président Adrien Lokouta Eleki Mengi, parce que celui-ci s'était senti humilié face à un J'accuse qui avait fait l'unanimité dans la population qui ressortait des J'accuse à tout-va ! Pourtant, au commencement de son affaire L'Escargot entêté s'était fait insulter par une concurrence, plutôt rude. « […] et il a vu les autres commerçants le traiter de sorcier, d'Oudini, d'Al Capone, d'Angoualima l'assassin aux douze doigts, de Libanais du coin, de Juif errant, et surtout de capitaliste, une injure grave quand on sait qu'ici être traité de capitaliste, c'est pire que si on insultait le con de votre maman, le con de votre sœur […] ».

Au quotidien, Verre Cassé relate ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il observe dans ce bar qui prend des allures de cour des miracles. Comme cet honorable père de famille – surnommé l'homme aux Pampers -, viré de chez lui par une épouse acariâtre et mégère fanatique d'un gourou lubrique. Pauvre homme qui n'avait pas encore compris, ni admis ce qui lui était arrivé et qui avait fait intervenir les forces de l'ordre pour pouvoir rentrer chez lui. Le scandale qui s'en était suivi dans son quartier, ameuté par les cris d'orfraie de sa femme qui le traitait de débauché, d'alcoolique, de fainéant. Pour s'en débarrasser, cette harpie ira jusqu'à le faire passer pour un pervers. « […] et donc y avait parmi ces gens en uniforme un policier de nationalité féminine avec des muscles de pêcheur et les cheveux coupés court comme un policier normal, je veux dire comme un policier homme, et c'est ce policier de nationalité féminine qui m'a poussé contre le mur, elle m'a traité de salaud, de pédophile, de sadique, elle a dit que même mort elle me piétinerait, qu'elle irait cracher sur ma tombe, elle a dit que je ressemblais à un marin rejeté par la mer, que je devais savoir que chaque crime avait son châtiment, et ce policier de nationalité féminine a donc juré de me coffrer, elle a promis qu'elle ferait tout pour qu'il n'y ait pas de procès car ce serait me rendre un grand honneur que de me gratifier d'un procès […] ». Depuis sa sortie de prison, il errait dans les rues comme une âme en peine.

Ou cet autre, L'Imprimeur, revenu de tout, des femmes blanches particulièrement, lui qui vivait et travaillait honnêtement en France, qui ne voulait pas revenir au pays, certain qu'il était d'avoir enfin trouvé sa vraie patrie. L'Imprimeur tombera amoureux de Céline, vendéenne au corps voluptueux, aux formes aussi rebondies et aussi fermes que les Africaines. Un vrai coup de foudre, malgré les langues de vipères qui prédisaient qu'une union entre un Noir et une Blanche ne dure jamais bien longtemps. L'Imprimeur s'en moquait comme d'une guigne. Qu'elles causent donc. Lui était amoureux. « […] donc fallait que je lui dise que je l'aimais, fallait que je ne cache pas mes sentiments, fallait que je les exprime sans tabous, me disait-elle, et c'est-là que j'ai vraiment appris à dire pour la première fois à une femme que je l'aimais, et tu sais bien qu'ici au pays c'est pas des choses à dire au risque de passer pour un gars faible, ici on tire son coup la nuit et on se dispense de cette littérature à l'eau de rose, mais en France c'est une autre histoire, il faut pas déconner avec les sentiments, on ne badine pas avec l'amour […] ». Mais le diable – ou plus certainement la folie -, fera tourner cette belle idylle en cauchemar digne de la Divine Comédie de Dante. Depuis, L'Imprimeur rôde lui aussi sans but précis, racontant à qui voulait l'entendre son histoire ambiguë.

« Verre cassé » ou les tribulations d'une taverne pas tout à fait comme les autres quelque part au Congo. Le « Crédit a voyagé » serait plutôt le lieu de rendez-vous de toutes les misères personnelles, de toutes les souffrances psychiques d'un peuple qui se cherche une identité.

En écrivant « Verre cassé », Alain Mabanckou nous raconte avant tout son Afrique. Au travers de ses personnages, il nous relate les sentiments ambivalents des Africains, leurs craintes, leurs convictions et leurs incertitudes. Parce que dans « Verre cassé » on y parle des Noirs et des Blancs, des clichés qui subsistent envers et contre tout, de ces images d'Épinal qui concernent aussi bien la sexualité, la perversité ou la lubricité des uns et des autres. Parce que dans « Verre cassé » on y traite de la relation encore prégnante et ambivalente de l'Afrique noire et de la France, de son passé commun, de son histoire liée et déliée au grès du temps et de ses péripéties. Enfin, parce que dans « Verre cassé » on y exprime les relations homme / femme sur un continent où la virilité reste un symbole de supériorité sociale.

C'est pour toutes ces raisons que « Verre cassé » est un roman truculent, drôle, fin et attrayant, avec une verve qui nous donne à voir un peuple assoiffé d'histoires abracadabrantes où se mêlent un soupçon de réalisme dans un océan d'élucubrations, de fanfaronnades, de fantaisies burlesques et de tartarinades. Les mots, les idées, les pensées, les poncifs sur les Noirs et les Blancs se bousculent, s'entrechoquent. Et choquent parfois aussi le lecteur, volontairement. Cette lecture emporte tout sur son passage, nos opinions et nos convictions, nos représentations erronées aussi.

Grâce à Alain Mabanckou le parler vrai est de retour, la langue de bois est abolie et le politiquement correct disparaît, pour la plus grande joie du lecteur que nous sommes.

D'autres blogs en parlent : , Bladelor, A propos de livres, Coralie, Constance, Louis, Wodka ... D'autres certainement. Merci de vous faire connaître par un petit commentaire !

" Verre cassé" d'Alain Mabanckou a été lu dans le cadre du Blogoclub de mars (je ne suis pas trop en retard, cette fois-ci !).


250 - 1 = 249 livres dans ma PAL ...

15 mars 2011

SOFIA TOLSTOÏ, L’EGERIE

  • Ma vie – Sofia Tolstoï – Éditions des Syrtes


« Je tenterai d'être sincère et authentique jusqu'au bout. Toute vie est intéressante et la mienne attirera peut-être un jour l'attention de ceux qui voudront en savoir plus sur la femme que Dieu et le destin avaient placée à côté de l'existence du génial et complexe comte Léon Nikolaïevitch Tolstoï ». Les mémoires de Sofia Tolstoï - intitulées « Ma vie » - pourraient se résumer de manière laconique à ces quelques phrases placées en introduction. Rédigée à la demande expresse de Vladimir Vassilievitch Strassov, l'autobiographie de la comtesse Sofia Tolstoï – fille d'Andreï Bers, médecin attaché à l'administration de la cour impériale – est essentiellement composée de journaux intimes commencés à l'adolescence comme cela était souvent la coutume dans les milieux privilégiés, d'extraits de correspondance entretenus avec son mari, sa sœur cadette Tania dont Sofia restera toujours très proche, ses enfants et des amis qui lui étaient particulièrement chers.

Évoluant dans un milieu privilégié, Sofia Bers rencontrera très tôt son futur époux, le comte Léon Nikolaïevitch Tolstoï. Sa sœur aînée, Lisa, en étant secrètement amoureuse et Sofia s'étant promise à un ami de son frère Sacha, ce mariage n'aurait jamais dû avoir lieu. Ayant une haute idée du sentiment amoureux, Sofia Bers ne pouvait concevoir d'union qu'entre deux être demeurés purs, ce dont Tolstoï était exempt compte tenu de son passé tumultueux. « Tout cela ne devait pas se réaliser. Je crois fermement au destin, au caractère inéluctable de tout ce qui nous arrive dans la vie, j'appris même à ne jamais me plaindre, à ne jamais rien reprocher à personne, car les actes bons, tout comme les plus méchants des hommes envers moi ne sont rien d'autre que l'instrument, la volonté du destin qui guide ma vie. Ce même destin me précipita dans la vie de Lev Nikolïevitch, mais tout son passé, toute cette impureté que je découvris en lisant ses journaux d'avant le mariage ne devait jamais s'effacer de mon cœur et demeura une souffrance toute ma vie ».

Enfant et adolescente heureuse et insouciante, Sofia Bers baignera dans un monde où la culture et l'art seront la règle. Parlant couramment le français, comme dans toutes les familles de l'aristocratie russe, Sofia Bers s'ouvrira aux auteurs classiques à travers la lecture de leurs œuvres. Jeune fille élégante et cultivée, elle sera courtisée tout au long de son existence. Néanmoins, sa passion exclusive pour le comte Tolstoï et la conviction de son destin de muse l'ont toujours dissuadée de poser son regard ailleurs. « J'avais un caractère spécial pour ce qui concernait l'amour : si j'aimais quelqu'un, les hommes n'existaient plus pour moi en tant que sexe masculin. Le monde entier m'était indifférent. Il ne pouvait alors y avoir ni coquetterie, ni émotion, ni désir d'intimité. En revanche, celui que j'aimais devenait pour moi le centre du monde. La passion qui eut le plus d'ascendant pour moi, la passion pour l'homme aimé, me causa beaucoup de souffrances dans la vie, mais elle y apporta également un contenu immense. Ni les cartes, ni le jeu, ni l'ivresse du vin ou du tabac, ni les toilettes et les sorties, ni la coquetterie, rien de tout cela ne me captivait vraiment. Mais, n'était la sévérité de mes mœurs, c'est sur cette voie, celle de l'amour, que j'aurais pu trébucher. J'aimais et j'aime les gens en général et, dans ma longue vie, il m'arriva de rencontrer des personnes qui m'étaient particulièrement sympathiques ; il y eut alors des instants où, sans jamais cesser d'aimer mon mari, je fus distraite par mes sentiments envers d'autres hommes, toujours très bons, exceptionnels ».

Mariée à dix-huit ans, alors que Lev Tolstoï en avait déjà trente-deux, un passé mouvementé et bien rempli, la jeune comtesse Sofia Tolstoï sait que, désormais, son existence sera exclusivement consacrée à l'amour, à la dévotion, à la passion d'un seul homme, Tolstoï – déjà rongé par ses démons obsessionnels, en proie à des angoisses et à des craintes permanentes d'abandon de la part de celle qu'il chérit. Il n'aura de cesse de lui demander des preuves de cette affection exclusive qu'il attend de son épouse et inspiratrice. « Blottie dans un coin, toute brisée par la fatigue et le chagrin, je pleurais sans cesse. Lev Nikolïevitch semblait étonné, et même mécontent. Il n'avait jamais eu de vraie famille, il était un homme : il ne pouvait comprendre. Il laissa même entendre que je ne l'aimais pas assez, pour être aussi chagrinée par la séparation avec ma famille. Il n'avait pas compris que, si j'aimais les miens aussi passionnément, aussi fort, j'allais transférer cette capacité d'aimer sur lui et sur nos enfants. C'est ce qui arriva ». Personnage tout à la fois rustre, austère presque ascétique, bourru, à l'humeur versatile, prodigue avec son entourage, amant fougueux à l'âme mystique, Léon Tolstoï exigeait de sa jeune épouse un dévouement sans bornes, sans que jamais celle-ci ne reçoive une once de reconnaissance de sa part. « Comme je l'aimais, toute ma vie je fus mue par ce désir ardent de lui être utile, de lui plaire en tout. Oui, toute ma vie fut subordonnée à ce désir. Comment y répondait-il ? Eh bien, il devenait de plus en plus exigeant sans jamais m'encourager par son affection ni sa gratitude pour ce que je lui donnais. Je sentis toujours sa sévérité. Or, il était impossible de suivre ses changements d'humeur, de point de vue, d'envie ».

Très rapidement, Sofia Tolstoï prendra à sa charge la gestion du domaine d'Iasnaïa Poliana, laissé quasiment à l'abandon. Elle va y imprimer sa culture, ses origines aristocratiques et bourgeoises moscovites. Pour se sentir à la hauteur du grand homme qu'était son mari, Sofia Tolstoï ne cessera de s'élever intellectuellement, s'ouvrant à d'autres savoirs, lisant beaucoup, écrivant. Toutefois, toujours planera entre Sofia et Léon Tolstoï l'ombre de la jalousie, notamment en raison de la passion qu'elle éprouvait pour l'homme et son génie littéraire. Elle souffrira énormément de la présence imposée à Iasnaïa Poliana d'Axinia Anikanov et de son fils, ultime maîtresse de Léon Tolstoï avant son mariage.

Cependant, la vie sur ce domaine rustique offrira bien peu de distractions intellectuelles à la jeune et fougueuse comtesse. Celle-ci, habituée à une vie publique et mondaine autrefois très riche et variée, s'ennuiera parfois fermement dans ce coin de campagne russe, loin de Moscou, entourée de paysans farouches, rudes, taiseux, frustes. L'ennui et la nostalgie de sa jeunesse la rendront souvent triste et morose. « Parfois, l'idée d'être irrémédiablement enfermée dans cette vie campagnarde dont je n'avais pas l'habitude m'oppressait terriblement. J'avais envie de bouger, de m'amuser, de trouver à quoi employer mes jeunes forces. Par exemple, j'écrivis dans mon journal : « Ils me disent d'aller dormir, et moi, j'ai envie de faire des galipettes, de chanter, de danser … ». je m'occupais toute la journée, c'est-à-dire, je lisais, je jouais du piano, dessinais, parfois faisait la lecture à haute voix pour la tante ». Dès que Lev Tolstoï quittait le domaine, s'éloignait de Sofia et des enfants pour raisons professionnelles ou pour se divertir tout simplement, celle-ci ressentait un immense sentiment d'abandon, livrée qu'elle était à sa profonde solitude face aux problèmes du quotidien. Petit à petit, Tolstoï était devenu partie intégrante et vitale de son être, rendant ses absences toujours plus douloureuses. « Lev Nilolaïevitch me manquait terriblement. J'avais l'impression de faire partie de lui, et l'aimais si passionnément que la vie me paraissait vaine et insignifiante sans lui. Je lui écrivais tous les jours, surtout pour lui dire mon amour, mon inquiétude pour lui, lui demander de prendre soin de lui. Il n'existe pas d'amour plus grand que celui que j'éprouvais pour Lev Nikolaïevitch ».

« Ma vie » de Sofia Tolstoï est une somme considérable d'informations concernant le quotidien, les pensées, les sentiments et la vie de la famille Tolstoï à Ianaïa Poliana. Plus de mille pages pour dire, raconter, expliquer, explorer, non seulement l'existence de celle qui sera l'épouse attentive et aimante de Léon Tolstoï, mais aussi pour mieux comprendre la complexité, l'ambiguïté de celui qui est l'un des auteurs majeurs de la Russie. Sofia Tolstoï, femme amoureuse des mots, de la culture, de la littérature autant que de son talentueux mari, conservera tous ses écrits relatifs à sa relation avec ce dernier.

Dans « Ma vie », forme d'autoanalyse de son histoire intime et personnelle, de ses réussites et de ses échecs, de ses rêves et de ses frustrations, Sofia Tolstoï revient sur une vie entièrement dévolue à ses nombreux enfants, à la gérance d'Iasnaïa Poliana, à la transcription des œuvres de Tolstoï, dont « Guerre et Paix ». Cette jeune fille de dix-huit ans, vive, intelligente, instruite, élevée au Kremlin dans l'entourage de la famille du Tsar, à l'ambition certaine, acceptera de se dépouiller de ses désirs pour épouser le comte Tolstoï. Pour lui, elle s'exilera loin de Moscou, de sa famille et de ses amis pour partager le commun de paysans vivants encore dans une société dépassée et terminée depuis bien longtemps ailleurs.

Son adaptation sera lente et difficile, faite de renoncements et de questionnements. Pour oublier ce dépit, Sofia Tolstoï se consacrera entièrement à la transcription des écrits de son mari, corrigeant, modifiant, relisant attentivement, conseillant, inspirant sur les personnages et les faits décrits. Petit à petit, elle deviendra la compagne incontournable, attentive, discrète, aimante et amoureuse de l'homme, admirative de l'auteur et du penseur. Une réalité très éloignée de l'image que beaucoup de lecteurs se faisaient de cette femme.

D'autres blogs en parlent : Fabienne, Alice, Jacky ... Je n'ai pas trouvé d'autres lecteurs. Dans le cas contraire, merci de vous manifester par un petit commentaire, que je vous rajoute à la mini-liste !

Ici, je voudrais remercier particulièrement toute l'équipe de Babelio pour la grande patience dont elle a fait preuve à mon égard. En effet, "Ma Vie" était un livre de l'opération Masse Critique de fin 2010. J'ai pris le temps d'en parcourir une grande partie afin d'écrire ce billet. Mais mille pages ne se lisent pas aussi rapidement, surtout que c'est écrit en tout petit, petit !

251 - 1 = 250 livres dans ma PAL ...



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9 mars 2011

LA LEGENDE DE SCARFACE

  • Chicago ballade – Hans Magnus Enzensberger – Allia Éditions


« Dans les salles de bains des immeubles d'habitation, l'eau-de-vie coule des alambics. Dans les salles de jeu, les premiers visiteurs se rassemblent autour des crachoirs dorés. La crème de la société danse le charleston et le shimmy dans les caboulots aux portes closes ornées de judas. Pendant que les trains de camions des gangs de la contrebande de l'alcool, escortés de motards vêtus de blanc immaculé, roulent avec un bruit de tonnerre sur les grandes routes, les véritables maîtres de la ville se montrent aux combats de boxe. Ils portent des chapeaux de paille et des guêtres blanches. Leurs ceintures sont ornées de diamants et le mouchoir qu'ils ont dans leur poche de poitrine, au-dessus de l'étui à révolver, est d'un blanc de neige. Les présenter serait une véritable offense […] ».

Le texte intitulé « Chicago Ballade » est extrait du recueil écrit par Hans Magnus Enzensberger « Politique et crime ». L'auteur a voulu faire partager au lecteur sa vision du mythe du gangster. Si le 19ème Siècle a su produire plusieurs figures légendaires persistant encore de nos jours – Oscar Wilde ou Richard Wagner dans les catégories Dandy et Artiste -, le 20ème Siècle a été plutôt pauvre en icône mythique. Bien sûr, on pourrait citer Lénine ( ?), Lindbergh ou encore Gagarine. Seulement leur image a été ternie avec le temps et n'a pu résister à certains écrits ou reportages venus écorner une surface apparemment trop lisse pour être réelle. Le 20ème Siècle a surtout vendu du mythe en quantité phénoménale grâce à la consommation de masse et en fonction de la demande de l'instant. Dès lors, on est entré dans l'ère du quantitatif, pas du qualitatif. Par contre, l'incarnation du malfrat se résume bien souvent à un nom, resté célèbre : Al Capone. « La seule chose qui, dans Capone et son univers, mérite quelque intérêt, c'est sa fonction mythologique. Le personnage historique est indifférent : c'est celui d'un homme extrêmement vulgaire, avide, habile et antipathique, dont l'histoire ne révèle aucun aspect tragique. Elle est complètement dépourvue de grandeur humaine ; elle est à la fois monstrueuse et banale ; n'importe quel journal du soir romain offre des drames plus poignants que les quatorze années de l'histoire du gangstérisme desquelles il va être question ici. En dépit de ses couleurs violentes, c'est, au fond, une histoire ennuyeuse ».

S'il y a bien une référence, une légende ou un folklore – au choix – du gangstérisme, c'est bien lui. Pensez donc qu'à la grande époque – vers 1925 – 1930 -, son QG faisait partie des circuits touristiques de Chicago ! Ainsi, la célèbre Warner Bros lui avait même proposé un cachet de deux cent mille dollars pour jouer le rôle principal dans « L'ennemi public ». Sa réputation s'est construite à Chicago, ville d'immigration par excellence, des jeux de hasard et de la prostitution. Quand, le 17 janvier 1901 la Lex Volstead entre en vigueur, celle-ci aura l'effet inverse à celui souhaité. D'un coup, la Prohibition allait entraîner une vague d'hystérie alcoolique, non seulement à Chicago, mais à travers les États-Unis. « Des boutiques spécialisées dans la vente de levure, de houblon, de malt et d'alambics ouvrirent du jour au lendemain leurs portes. Une marée d'articles contenant des indications précises sur la manière de brasser de la bière chez soi inondèrent tous les magasins. Des tavernes secrètes, les blind hogs ou speakeasies surgirent de partout. New York qui, une année auparavant, comptait 15 000 débits de boissons légaux, put s'enorgueillir en 1921 de posséder le nombre imposant de 32 000 speakeasies. Ce n'était pas la clientèle qui manquait. L'alcool devint une manie américaine. La première décennie de prohibition aboutit au bilan suivant : un demi-million d'arrestations ; des peines de prison d'une durée totale de 33 000 ans ; 2 000 morts dans la guerre de l'alcool que se firent les gangsters, et 35 000 morts victimes d'intoxication alcoolique ».

C'est par John Tonio, surnommé le président du Conseil qui avait su s'assurer le monopole d'alcool de contrebande selon des méthodes éprouvées de marketing et de publicité qu'Al Capone va démarrer sa carrière légendaire de fraudeur. A la mort de son mentor, il deviendra le potentat inébranlable et incontournable de Chicago. Mais comme toutes les sagas basées sur le crime, la violence, la corruption, l'étoile d'Al Capone – ennemi public n°1 -, ne tarderait pas pâlir et à décliner. « Il considérait son mentor et père nourricier comme un inventeur et un pionnier, mais ne songeait pas une seconde à s'en tenir à ce qui avait été atteint. Aucun modèle ne lui paraissait trop haut placé. […] Il se croyait très supérieur à tous ses innombrables prédécesseurs. Il avait raison ».

Grâce à « Chicago Ballade », Hans Magnus Enzensberger nous fait partir à la découverte d'un symbole du gangstérisme des années de Prohibition, Al Capone. Homme sans grand intérêt apparent, d'une triste banalité, celui-ci va élever la contrebande d'alcool des années 1920 au niveau des affaires légales les plus florissantes. Al Capone s'assurera des protections, ou des silences complices, dans tous les milieux, de la politique à la police, de la justice aux négociants désireux de se protéger d'une concurrence jugée déloyale. Pour ce faire, il fondera un véritable empire économique et financier, avec une administration centrale rationalisée et une organisation dignes des plus grandes entreprises internationales. Bien qu'on lui attribue plus de quatre cents assassinats, Al Capone ne sera jamais poursuivi pour ces meurtres, faute de preuves tangibles !

Très tôt, il comprendra que pour grandir dans ce milieu où la concurrence ne fait aucun cadeau, où la violence est la loi du plus fort, il vaut toujours mieux s'associer, fusionner, s'allier plutôt qu'éliminer. L'empire d'Al Capone phagocytera les syndicats d'ouvriers, de commerçants, mais aussi la police au point que Chicago deviendra Sa ville, dans laquelle règnera Sa loi. Rien, ni personne ne pouvait lui résister. Sauf à Philadelphie, où les juges le feront arrêter pour détention d'arme. Al Capone sera jugé, condamné et emprisonné pour ne pas avoir payé ses impôts !

Au-delà de tout cela, Hans Magnus Enzensberger revient sur le profil du gangster, très éloigné des poncifs habituels que l'on nous donne à voir. Loin d'être des voyous dévoyés, bons à rien sauf à faire mourir leurs mères de chagrin, ils étaient très attachés aux valeurs morale et familiales, toujours pieux, voire un brin bigots, et soucieux de faire le bien autour d'eux. Mais malheur à qui tentait de les doubler dans une affaire, quelle qu'elle soit. Tous voulaient s'intégrer dans le pays où leurs parents avaient immigré. Ils ne voulaient surtout pas entendre parler d'assimilation. Ils voulaient faire partie du paysage, se fondre en lui, tout en conservant leurs traditions apportées du sud de l'Italie, comme le code et le sens de l'honneur. C'est pour cela que le mythe s'est poursuivi et a perduré jusqu'à nous. « Capone et les siens ont importé dans la société capitaliste un ordre plus ancien et plus barbare ; mais cette société l'a accueilli. Elle était prête pour la régression. C'est cela qui fait du cas Capone un paradigme et motive son droit à une place dans la mythologie moderne. Les années vingt de Chicago représentent un modèle de la société terroriste du siècle ».


252 - 1 = 251 livres dans une PAL infinie ...

4 mars 2011

TOUS LES SOLEILS !


Je n'ai pas pour habitude de vous parler des films récents que je vois au cinéma ou des bons vieux classiques que je regarde toujours avec plaisir et nostalgie, en DVD. J'estime – peut-être à tort – que mon blog doit surtout se centrer sur les livres et leurs auteurs, avec quelques incursions photographiques de temps à autre.

Exceptionnellement, j'aimerais vous parler d'une avant-première que j'ai eue la chance de voir mardi dernier, et qui m'a enchantée, portée. Autant vous prévenir de suite, ce billet n'est pas le fruit du hasard – je n'y crois pas -, plutôt un immense coup de cœur !

« Tous les soleils ! » a été réalisé par un écrivain que j'apprécie particulièrement, Philippe Claudel, qui n'est pas vraiment connu pour être un romancier léger, superficiel. Pour tous ceux et celles qui l'ont lu peu ou prou, ces livres parlent de thèmes difficiles, profonds pour ne pas dire graves ou douloureux. Ils sont tous empreints de nostalgie, parfois avec un soupçon de tristesse. C'est souvent sombre, mais toujours très sensible avec des personnages ciselés au plus près, tout en clair obscur.

« Il y a longtemps que je t'aime », son premier film avait été une belle réussite qui laissait présager la poursuite d'une double carrière commencée il y a quelques années plus tôt par l'écriture du scénario des « Âmes grises », tiré de son roman éponyme qui a marqué ceux qui l'ont lu.

Maintenant que vous venez de lire cela, oubliez ce que je viens d'écrire ! « Tous les soleils ! » est tout sauf un film triste, tout en abordant des sujets sérieux et de société, mais sur un ton d'une grâce à vous donner presque envie d'avoir des ennuis. Le synopsis donne déjà une petite idée de ce que l'on va découvrir sur la toile. Alessandro, veuf d'origine italienne, est professeur de musique baroque à Strasbourg, un brin rêveur et bourgeois bohème. Il se partage entre son métier qui le passionne, son frère – Crampone – anarchiste qui a décidé de faire tomber la dictature de Berlusconi, sorte de doux-dingue qui propage ses idées révolutionnaires à la postière de son quartier et refuse obstinément de mettre le nez dehors –, et Irina sa fille de quinze ans. Alessandro a réglé sa vie comme du papier à musique, avec ses cours, son petit cercle d'amis, sa petite famille et ses visites régulières à l'hôpital où il est lecteur bénévole auprès de malades parfois surprenants. Seulement, Alessandro ne se rend pas compte qu'il a centré son existence autour de sa fille qui entre dans l'adolescence et commence à se détacher de son père. Il supporte de plus en plus mal cette distance et n'accepte pas de la voir grandir, partir, devenir une jeune fille qui veut voler de ses propres ailes. En fait, Alessandro a tout fait pour combler l'absence de sa jeune femme, décédée brutalement, le laissant seul et désemparé. Il s'est construit un mur de solitude avec ses souvenirs, son passé d'homme heureux, son travail, Irina et Crampone. Et quand il prend conscience de sa situation et de son désert affectif, Alessandro est démuni.

Avec « Tous les soleils ! » Philippe Claudel nous parle du poids de la solitude dans notre société contemporaine, de la difficulté de se rencontrer, de s'aborder, de communiquer avec l'autre, des stratégies d'évitement que tout un chacun met en place pour ne pas voir une réalité qui dérange, qui gêne et des questions qui font mal quand on pose les problèmes à plat. Le réalisateur a pris l'angle de la dérision, de l'aménité, de la fluidité et c'est ce qui rend ce film très agréable à voir. Les personnages sont simples, campés par des acteurs naturels et spontanés. Dans « Tous les soleils ! », on parle avec les mains comme en Italie, on s'engueule et on s'insulte en italien sur fond de musique baroque, on chante, on danse, on vit malgré tout, parce que vivre c'est se projeter dans le futur. Les deux acteurs italiens – Stefano Accorsi et Neri Marcore - sont excellents en frères ennemis, unis comme les cinq doigts d'une même main. La présence fugitive d'Anouk Aimé est toujours un instant d'élégance et de beauté. Et il me faut faire un immense mea culpa ! Je dois avouer que le jeu de Clotilde Courau, tout en finesse et en délicatesse, en femme blessée par la vie et la perte de sa mère (Anouk Aimé) m'a profondément émue. J'y ai trouvé une actrice simple, douce, accomplie, accessible, tout en sensibilité et en subtilité.

En bref, « Tous les soleils ! » fait passer un instant lumineux, gai, heureux. Ce film est un remède contre la morosité et la tristesse ambiantes. On sourit, on rit, on est émus, on est sous le charme des acteurs et le décor naturel de l'Alsace et de la Petite France, cœur historique de Strasbourg, le rend encore plus chaleureux.

L'avis de Matchingpoints sur ce film de Philippe Claudel. Si vous avez d'autres avis, n'hésitez pas à me les transmettre que je les rajoute. Plus on est de fous, plus on rit, c'est bien connu !


« Tous les soleils ! » sort au cinéma le 30 mars prochain.




1 mars 2011

QUE LIRA-T-ON EN MARS ?

C'est bien connu, le mois de mars est bel et bien celui du retour – au moins théorique – du printemps, des jours qui rallongent – n'oubliez pas de changer d'heure le dernier week end de mars ! – et des amours …

Les oiseaux chantent, les poissons frétillent, la nature s'éveille lentement mais sûrement. Bref, on va vers les beaux jours et les joies de sortir enfin de la grisaille hivernale. On en profite pour se dévêtir, prendre le soleil et de belles couleurs aux terrasses des cafés, flâner dans les jardins publics à la recherche d'un banc … pour lire !

Ensemble, voyons voir ce que nous concocte les sorties de ce mois printanier …

  • 10/18

Avril enchanté – Elizabeth Von Arnim

Comment résister à une pareille offre : « Particulier loue petit château médiéval meublé bord de la Méditerranée ». Un jour de pluie trop sale et d'autobus trop bondés, il n'en faut pas plus aux jeunes londoniennes, Mrs Lotty Wilkins, Mrs. Arbuthnot, et deux autres colocataires pour se lancer seules dans l'aventure et partir, sans presque prévenir leurs époux, un mois en Italie. Au menu : soleil, repos et réflexions. Avril enchanté est un roman majeur, surprenant par sa liberté de ton, sa légèreté et sa finesse d'esprit.

La valse des gueules cassées – Guillaume Prévost

Exsangue au lendemain de la Grande Guerre, La France n'en finit pas de panser ses plaies. Tandis que Clemenceau prépare le Traité de Versailles, le jeune enquêteur François-Claudius Simon intègre le fameux Quai des Orfèvres. Sa première affaire : un cadavre défiguré découvert dans un hangar de la gare Montparnasse. Bientôt, les meurtres se succèdent. Suivant le même rituel macabre, l'assassin transforme en gueules cassées ses victimes, tous d'anciens soldats. Pourquoi cet acharnement ? Pourquoi l'horreur après l'horreur ? Au fil de son enquête, François-Claudius perdra quelques illusions, découvrant qu'il peut être dangereux de se frotter à sa hiérarchie quand le cynisme politique utilise sans vergogne la souffrance des poilus, ses frères de combat...

Le livre de Joe – Jonathan Tropper

A première vue, Joe Goffman a tout pour lui : un magnifique appartement dans les quartiers chics de Manhattan, des aventures sentimentales en série, une décapotable dernier cri et des dollars comme s'il en pleuvait. Ce jeune auteur a très vite rencontré le succès avec son premier roman, Bush Falls. Directement inspiré de son adolescence passée dans une petite bourgade du Connecticut, ce best-seller ridiculise les mœurs provinciales de ses ex-concitoyens, dénonce leur hypocrisie, leur étroitesse d'esprit et toutes leurs turpitudes. Mais le jour où il est rappelé d'urgence à Bush Falls au chevet de son père mourant, il se retrouve confronté aux souvenirs qu'il croyait enfouis à jamais. Face à l'hostilité d'une ville entière, rattrapé par les fantômes de son passé, Joe va devoir affronter ses propres contradictions et peut-être enfin trouver sa place...

Perte et fracas – Jonathan Tropper

Doug a vingt-neuf ans et il est veuf. Sa défunte femme, Hailey, est morte dans un accident d'avion il y a deux ans. Depuis, Doug se noie dans l'auto-apitoiement comme dans le Jack Daniel's, et a pour seules activités le lancer de canettes de bière sur les lapins qui envahissent sa pelouse et la rédaction d'une chronique hebdomadaire " Comment parler à un veuf ". Nul doute qu'il se consacrerait à plein-temps à cette douleur si sa sœur despotique, son beau-fils en mal d'attention et son père sénile ne venaient le sortir de sa léthargie. Et que dire de sa voisine qui s'obstine à lui susurrer des mots cochons à l'oreille... Qu'il le veuille ou non, plus question de se couper des autres. Mais pour Doug, ce retour à la vie ne se fera pas sans perte et fracas.

C'est ici que l'on se quitte – Jonathan Tropper

Morton Foxman s'en est allé. Mais avant de mourir, il a exprimé une dernière volonté : que sa famille célèbre la Shiva'h. Sept jours de deuil, ensemble, sous le même toit. Une perspective peu réjouissante pour ce clan qui ne s'est pas retrouvé ainsi réuni depuis… depuis quand déjà ? Judd, qui nage en pleine déprime après avoir découvert sa femme en flagrant délit d'adultère, s'apprête à vivre ce qui pourrait être la pire semaine de sa vie. Il rejoint sa mère, aux talons et décolleté vertigineux ; sa sœur Wendy accompagnée de ses gosses hyperactifs et de son mari continuellement scotché à son BlackBerry ; son frère aîné, Paul, atrabilaire, et sa charmante épouse, avec qui Judd a pris un peu de bon temps par le passé ; et enfin Phillip, le vilain petit canard, qui se fait aussi rare que discret sur ses activités… Des caractères diamétralement opposés contraints de cohabiter pendant sept jours et sept nuits. Les non-dits, les rancœurs couvent. Et chacun de prendre sur lui pour ne pas péter les plombs. Famille, je vous hais ! Heureusement, il y en a au moins un qui n'est plus là pour voir ça…

Les heures – Michael Cunningham

Clarissa est éditrice à New York à la fin du XXe siècle ; Virginia est écrivain en 1923 dans la banlieue de Londres ; Laura est mère au foyer à Los Angeles en 1949. Tandis que s'écoulent les heures d'une journée particulière, un réseau de résonances subtiles apparaît peu à peu entre ces trois femmes en quête de bonheur, jusqu'à la révélation finale, bouleversante. Sous la plume de Michael Cunningham, d'une grâce presque irréelle, les sentiments les plus furtifs, les émotions les plus impalpables ont la fragilité et l'amertume des occasions perdues, de la douleur de vivre. Ce roman magistral, adapté avec un immense succès au cinéma, a reçu les prestigieux prix Pulitzer et Pen Faulkner en 1999.

Mal tiempo – David Fauquemberg

Boxeur trentenaire au crépuscule de sa carrière, le narrateur accompagne deux jeunes espoirs français sur la pointe occidentale de Cuba, à Pinar el Rio. Dans la fournaise des gymnases, entourés des meilleurs pugilistes amateurs cubains, les deux jeunes champions doivent s'endurcir. C'est au cours d'une session d'entraînement intense, alors que l'entraîneur martèle sa rengaine « Tiempo », que le narrateur remarque Yoangel Corto. Catégorie Poids Lourds, un colosse brûlant d'une rage contenue. Un prodige. Le narrateur est fasciné par ce paysan, cet écorché vif, sorte de Don Quichotte boxeur qui poursuit son combat. Lui seul sachant vers quoi… Nourri de Conrad, Hemingway, Cormac McCarthy, David Fauquemberg, lauréat du prix Nicolas-Bouvier, installe ses personnages dans les feux du ring. Leurs corps, leurs mots, leurs actes tentent de défier un monde insensé. Mal tiempo…

L'affaire de la veuve noire – Jéronimo Tristante

Un colonel mystérieusement assassiné. Un doigt coupé sur son cadavre. Un mendiant, roux, déterré et volé ! Le Noël de 1838 est bien mouvementé pour le célèbre enquêteur madrilène Victor Ros. Alors qu'il pense innocenter rapidement le pauvre fossoyeur accusé de ces profanations, il découvre l'affiliation du colonel à l'ordre ésotérique de la Rose-Croix dont, fait étrange, plusieurs membres en Europe ont déjà disparu. Par ailleurs, il soupçonne la veuve Lucía, une si bonne amie de sa femme, d'avoir empoisonné son marquis de mari. A Madrid, les roux sont rares, les crimes abondent, mais
Victor Ros et son implacable logique rôdent !

  • Livre de poche

L'art de pleurer en chœur – Erling Jepsen

Du haut de ses onze ans, le narrateur ne saisit pas très bien les enjeux du monde des adultes dans la petite bourgade du sud du Jütland où il grandit. Mais il a remarqué que le chiffre d'affaires de l'épicerie de son père augmentait après chacune des prestations de ce dernier lors des enterrements : cet homme dépressif et taciturne a en effet un talent, celui d'émouvoir les cœurs les plus endurcis grâce à ses oraisons funèbres déchirantes. Du coup, après chaque cérémonie, l'atmosphère à la maison est plus légère. De là à provoquer une hausse du nombre des décès, il n'y a qu'un pas, vite franchi par l'imagination débridée de l'enfant… Dans ce roman grinçant et parfaitement maîtrisé, Erling Jepsen dépeint la société rurale danoise, encore repliée sur elle-même, de la fin des années 1960.

Les lieux sombres – Gillian Flynn

Début des années 1980. Libby Day a sept ans lorsque sa mère et ses deux sœurs sont assassinées dans la ferme familiale. La petite fille, qui a échappé au massacre, désigne le meurtrier à la police, son frère Ben, âgé de quinze ans. Vingt-cinq ans plus tard, alors que son frère est toujours derrière les barreaux, Libby souffre de dépression chronique. Encouragée par une association, elle accepte de retourner pour la première fois sur les lieux du drame. Et c'est là, dans un Middle West dévasté par la crise économique, qu'une vérité inimaginable commence à émerger… Après Sur ma peau, Gillian Flynn confirme avec ce livre, au style intense et viscéral, son immense talent.

Absente – Megan Abbott

7 octobre 1949. Jean Spangler, une actrice de second plan, embrasse sa fille et quitte son domicile pour un tournage de nuit dans un studio de Hollywood. On ne la reverra jamais. Les seules traces qu'elle laisse derrière elle : un sac à main retrouvé dans un parc, et beaucoup de rumeurs sur de supposées aventures avec des stars de cinéma et quelques maffieux. L'en- quête – confiée à l'unité de police déjà chargée du fameux meurtre du Dalhia noir en 1947 – tourne court, une fois de plus. Deux ans plus tard, Gil Hopkins, un attaché de presse en vogue, qui avait couvert l'affaire de la disparition de Jean pour le studio où elle travaillait à l'époque, est pris à partie par une amie de la jeune femme, qui l'accuse de vouloir étouffer l'affaire. Du coup, Gil reprend l'enquête. A partir d'un authentique fait divers, Megan Abbott nous entraîne dans l'enfer des bas-fonds de Hollywood où toute vérité n'est pas bonne à dire…

L'heure trouble – Johan Trouble

À l'heure trouble, entre chien et loup, un enfant disparaît sans laisser de trace dans les brouillards d'une petite île de la Baltique. Vingt ans plus tard, une de ses chaussures est mystérieusement adressée à son grand-père. Qui a intérêt à relancer l'affaire ? Et pourquoi toutes les pistes conduisent-elles à un criminel mort depuis longtemps ? Dans une oppressante atmosphère de huis clos, une histoire de deuil, d'oubli et de pardon, hantée par les ombres du passé. Numéro un des ventes en Suède, déjà traduit dans une dizaine de pays, ce suspense complexe et envoûtant a été élu Meilleur roman policier suédois 2007 par la Swedish Academy of Crime.

Nous étions les Mulvaney – Joyce Carol Oates

À Mont-Ephraim, une petite ville des États-Unis située dans l'Etat de New York, vit une famille pas comme les autres : les Mulvaney. Au milieu des animaux et du désordre ambiant, ils cohabitent dans une ferme qui respire le bonheur, où les corvées elles-mêmes sont vécues de manière cocasse, offrant ainsi aux autres l'image d'une famille parfaite, comme chacun rêverait d'en avoir. Jusqu'à cette nuit de 1976 où le rêve vire au cauchemar... Une soirée de Saint-Valentin arrosée. Un cavalier douteux. Des souvenirs flous et contradictoires. Le regard des autres qui change. La honte et le rejet. Un drame personnel qui devient un drame familial. Joyce Carol Oates épingle l'hypocrisie d'une société où le paraître règne en maître ; où un sourire chaleureux cache souvent un secret malheureux ; où il faut se taire, au risque de briser l'éclat du rêve américain.

Virginia Woolf – Viviane Forrester

Chatoyante et fragile, désopilante et meurtrie, voici Virginia Woolf dans le récit bouleversant donné par Viviane Forrester. La présence de Virginia nous fait trembler d'émotion, souvent ployer de rire, parfois la détester. Elle est avant tout différente de la légende tramée par son mari Léonard, qui se forgeait une carapace en projetant sur elle ses propres troubles. Dans la ronde brillante et mouvementée de ceux qui l'entourent au long de sa vie, chacun révèle des secrets, des masques jusqu'ici négligés. Surtout, jaillit à vif, à nu, dans la plénitude ou dans les affres, une femme apte à étreindre le monde, dont elle guette le vrai langage et les silences. Une femme qui eut à subir son génie, à s'efforcer de le faire accepter par les siens. Une femme qui aura pu dire: "Je sens dans mes doigts le poids de chaque mot", avant de répondre à "l'étreinte" promise par la mort en allant se noyer, les poches pleines de pierres, dans la rivière Ouse. Un suicide dont on découvrira certaines raisons passées inaperçues.

  • Folio

Le tombeau de Tommy – Alain Blottière

J'avais depuis longtemps le désir de réaliser un film sur un héros, un vrai, si possible mort jeune et beau, quand j'appris l'histoire de Thomas Elek, dit « Tommy », un lycéen parisien, Juif hongrois, qui combattit le nazisme aux côtés du groupe Manouchian, et figura sur la fameuse Affiche rouge. En découvrant Gabriel, un adolescent d'aujourd'hui lui ressemblant comme un frère, je crus tenir le comédien idéal pour incarner Tommy, soixante ans plus tard. J'étais loin de me douter qu'au fil du tournage se nouerait entre le défunt et son interprète une intrigue bouleversante, invisible à l'écran. Ce roman secret que je suis encore seul à connaître, le voici.

Les ruines du ciel – Christian Bobin

C'est autour d'un événement - la destruction de Port-Royal par Louis XIV - et d'une idée : retrouver dans les ruines de la société actuelle "les signes d'une vie heureuse, toujours possible", que l'auteur fait s'entrecroiser des portraits du XVIIe (saint François de Sales, Saint-Cyran, Pascal, Racine, etc.) et du XXe siècle (Dhôtel, un clochard, Genet, le grand-père de l'auteur, etc.). Leurs rencontres, leurs paroles, leurs visions tissent une tapisserie lumineuse, pleine d'espérance pour notre siècle en ruine.

Tu, moi – Erri De Luca

« Je comprenais mal pourquoi la virilité devait ignorer la douleur. Je la voyais appliquée aux hommes, j'essayais de la reproduire quand mon tour venait. Lorsque j'arrivai sur la plage, mon effort pour me taire m'avait donné la fièvre et Daniele montra à tout le monde la gloire de ma blessure. La curiosité d'une jeune fille jamais vue jusque-là, le contact de ses mains avec la mienne pleine de trous, chassèrent ma douleur de là aussi. Elle s'appelait Caia ». Années cinquante, sur une île de pêcheurs. Un jeune garçon de seize ans passe l'été dans la famille de son oncle. Il y côtoie un cercle de jeunes gens, dont Daniele, son cousin, et Caia, une mystérieuse jeune femme d'origine juive. Cette rencontre décisive va amorcer le début d'une prise de conscience face à la complexité de la condition humaine.

Alias Caracalla – Daniel Cordier

Voici donc, au jour le jour, trois années de cette vie singulière qui commença pour moi le 17 juin 1940, avec le refus du discours de Pétain puis l'embarquement à Bayonne. J'avais 19 ans. Après deux années de formation en Angleterre, j'ai été parachuté à Montluçon le 25 juillet 1942. Destiné à être le radio de Georges Bidault, je fus choisi par Jean Moulin pour devenir son secrétaire. J'ai travaillé avec lui jusqu'à son arrestation, le 21 juin 1943. Ces années, je les raconte telles que je les ai vécues, dans l'ignorance du lendemain et la solitude de l'exil. Qu'en penser après tant d'années ? S'il est dans la nature d'un témoignage d'être limité, il n'en est pas moins incomparable. J'ai consacré beaucoup de soins à traquer la vérité pour évoquer le parcours du jeune garçon d'extrême droite que j'étais, qui, sous l'étreinte des circonstances, devient un homme de gauche. La vérité est
parfois atroce.

Savoir-vivre – Hédi Kaddour

Une Angleterre en crise, dans les années 1920, entre manifestations ouvrières et agitation fasciste. Que peut-faire quand on est une femme seule ou un officier démobilisé dans un pays de chômage et de troubles, et qu'il faut survivre ? L'histoire qui suit a fait à son époque cinq colonnes à la une des journaux, puis elle a disparu. J'ai pensé qu'elle valait la peine d'être racontée dans un roman.

Mon enfant de Berlin – Anne Wiazemsky

En septembre 1944, Claire, ambulancière à la Croix-Rouge, se trouve à Béziers avec sa section, alors que dans quelques mois elle suivra les armées alliées dans un Berlin en ruine. Elle a vingt-sept ans, c'est une très jolie jeune femme avec de grands yeux sombres et de hautes pommettes slaves. Si on lui en fait compliment, elle feint de l'ignorer. Elle souhaite n'exister que par son travail depuis son entrée à la Croix-Rouge, un an et demi auparavant. Son courage moral et physique, son ardeur font l'admiration de ses chefs. Ses compagnes ont oublié qu'elle est la fille d'un écrivain célèbre, François Mauriac, et la considèrent comme l'une d'entre elles. Au volant de son ambulance, quand elle transporte des blessés vers des hôpitaux surchargés, elle se sent vivre pour la première fois. Mais à travers la guerre, sans même le savoir, c'est l'amour que Claire cherche. Elle va le trouver à Berlin.

L'heure étoilée du meurtrier – Pavel Kohout

Au printemps 1945, dans les tous derniers mois de l'occupation nazie, les bombardements alliés se succèdent sur Prague pour faire plier les Allemands. Le corps de la veuve d'un dignitaire nazi est retrouvé horriblement mutilé. Obligés de s'associer pour mener leur enquête, Morava, un jeune policier tchèque, et Buback, un inspecteur de la Gestapo, se lancent sur la piste d'un meurtrier psychopathe. Or Buback est d'origine tchèque, parle couramment cette langue, mais garde le secret, bien utile en temps de guerre, à ce sujet...Peu à peu, les deux hommes découvrent que ce meurtrier a déjà frappé, mais que dans la confusion de la guerre, ses crimes étaient passés inaperçus. Il ne tue que des veuves pour les punir. La police finit par mettre au point un piège pour le capturer, mais il leur échappe après avoir assassiné la jeune femme dont Morava était amoureux. L'Armée Rouge est aux portes de la ville. Tandis que les Allemands tentent de retarder l'inéluctable et que les communistes s'apprêtent à s'emparer du pouvoir, les deux hommes, que tout oppose, apprennent se connaître et à s'estimer. Autour d'eux le monde s'écroule et le chaos s'installe...

Bien connu des services de police – Dominique Manotti

Panteuil dans la banlieue parisienne, ses cités, ses squats, ses trafics et son commissariat. Sébastien Doche et Isabelle Lefèvre y sont affectés sous les ordres de la très ambitieuse et glaciale commissaire Le Muir, surnommée La Muraille. Parmi leurs collègues, les flics de la BAC de nuit qui rackettent les filles de l'Est, mais aussi la tenace enquêtrice des RGPP, Noria Ghozali, qui a la ferme intention de mettre fin à certaines pratiques... Nous sommes en 2005 et le ministre de l'Intérieur met en place sa « nouvelle politique de sécurité ». Lorsqu'un squat de sans-papiers prend feu, tout Panteuil s'embrase et la guerre des polices fait rage.

  • Point

Comme personne – Hugo Hamilton

L'Allemagne nazie vit ses derniers jours. Maria fuit la capitale, tombeau de son fils Gregor. Dans la foule des réfugiés, sa main saisit celle d'un petit garçon : elle nommera l'orphelin du nom de son enfant défunt. Cet héritage va hanter le garçon sa vie durant et le jeter sur les routes de l'Europe. Persuadé d'être juif, il quitte sa famille adoptive, en quête de ses véritables origines…

Fille noire, fille blanche – Joyce Carol Oates

Genna et Minette partagent une chambre sur le campus. Et c'est tout ce qu'elles ont en commun. Minette est aussi noire, indomptable et solitaire que Genna est blanche, timide et généreuse. Fascinée, Genna fait son possible pour fendre la cuirasse de Minette et devenir son amie. Observant la menace des violences racistes croissantes, elle est sa seule alliée ; pourra-t-elle la sauver ?

La joyeuse complainte de l'idiot – Michel Layaz

« La Demeure » abrite des garçons singuliers, des « inadaptés ». Pour Madame Vivianne, la directrice aux méthodes éducatives peu ordinaires, ces jeunes gens ont bien d'autres atouts. Quand elle charge l'un d'eux d'écrire un livre sur « La Demeure », ses pensionnaires et son personnel, un récit fantaisiste peuplé de personnages farfelus et décalés prend forme sous sa plume.

L'ombre de ce que nous avons été – Luis Sépulvéda

Un jour de pluie à Santiago, trois vieux nostalgiques rêvent de propager la révolution. En attendant leur chef, « le Spécialiste », Arancibia, Garmendia et Salinas boivent, fulminent et se disputent pour le plaisir. Mais « le Spécialiste » ne viendra pas : il est mort, assommé par un tourne-disque jeté d'un balcon lors d'une dispute conjugale. Aux vieux communistes de prendre leur destin en main…

L'Agfa box – Günter Grass

Pour feuilleter l'album photo de sa mémoire familiale, Grass confie, une fois encore, à l'artifice d'une fable ironique bien à lui le soin de tourner les pages. II réunit ses enfants dans sa maison d'aujourd'hui et leur fait raconter, chacun avec sa parole et ses souvenirs propres, une enfance diversement concernée par la notoriété et l'existence particulière du père. Mais au cœur de leurs souvenirs, rivalisant avec l'affection filiale, surgit sans cesse la longue silhouette amicale de la vieille Marie et de son Agfa Box magique, qui toujours transfigurait les épisodes photographiés dans le sens du désir de chacun, et pouvait aussi inscrire dans les modestes clichés quotidiens une vision de l'avenir. Les pouvoirs fantastiques du tambour d'Oskar Matzerath sont déposés dans le boîtier affectueux d'une photographe pleine de sagesse qui visite les lieux et les maisons où l'auteur a vécu depuis un demi-siècle, mais tire aussi avec soi entre les lignes la question de l'invention poétique et de l'écriture.

Paquebot – Hervé Hamon

Buongiorno, good morning, bonjour ! 8 heures, le Grand Animateur sonne l'heure du réveil sur le paquebot Imperial Tsarina. Au programme : tournoi de fléchettes, bal costumé vénitien, escale Robinson Crusoé, chasse au trésor et autres strip-teases de passagers. La croisière s'amuse. Mais un savant amoureux, un théologien libertin, un cadavre et des pirates en goguette vont jouer les trouble-fête…

Le tailleur gris – Andrea Camilleri

Le directeur d'une banque, à la retraite, a épousé en secondes noces une veuve bien plus jeune que lui, Adele, dont on découvre peu à peu la double personnalité. Affamée de reconnaissance sociale et parangon de respectabilité, elle est aussi dotée d'un appétit sexuel sans bornes et sans morale, au point d'imposer à son vieil époux la présence d'un jeune cousin qui sait la satisfaire. Est-elle totalement insensible ou aime-t-elle en réalité son mari plus que tout ? Le vieil homme creuse l'énigme. Tout en perçant à jour les faux-semblants d'une société bourgeoise qui affecte la bienfaisance et pratique le compromis mafieux, tout en acceptant sa déchéance contre quelques moments de bonheur sensuel, il découvre des facettes contradictoires d'Adèle, incroyable figure féminine, en attendant le jour où elle revêtira le tailleur gris... Écrit dans une langue sobre, ce roman d'Andrea Camilleri nous fait découvrir un nouvel aspect, totalement inconnu jusque-là, du talent du grand auteur sicilien, dans la lignée des Simenon sans Maigret. Dans cette histoire où le tragique se fait quotidien, les virtuosités langagières se font discrètes comme le désespoir qui pointe. Une grande et splendide réussite d'un écrivain octogénaire qui est aussi, et de très loin, le plus lu en Italie depuis une quinzaine d'années.

Angle obscur – Reed Farel Coleman

Moe Prager n'a jamais aimé son boulot de détective à New York. Son rêve serait d'ouvrir une cave à vin. Pour lancer son affaire, il accepte un dernier contrat très lucratif : retrouver Patrick, le fils fugueur de Francis Maloney, un politicien autoritaire, raciste et corrompu. L'enquête se complique quand Moe comprend que pour aider Patrick il ne suffit pas de le retrouver.

Une histoire familiale de la peur – Agata Tuszynska

Quand on apprend à 19 ans que sa mère est juive, qu'elle a vécu dans le ghetto de Varsovie et perdu une partie de ses proches durant la guerre, un choix s'impose : nier le passé depuis longtemps occulté ou convoquer la mémoire. Agata Tuszynska a choisi de lever le voile. De l'ancien ghetto au camp de Woldenberg, elle défie la peur et parcourt la Pologne pour reconstituer l'effroyable passé familial.

Danse avec le siècle – Stéphane Hessel

Né allemand en 1917, Stéphane Hessel choisit de Gaulle et la Résistance ; il sera déporté, participera à de grands moments de la vie internationale et deviendra ambassadeur de France. Derrière ce parcours exceptionnel se cache un personnage original, qui professe le goût du risque et le respect d'autrui. De l'ONU à Saigon en passant par Alger ou New York, il revient sur sa vie d'homme engagé. Indigné.

Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci – Sigmund Freud

« Quand la recherche médicale sur l'âme, qui doit généralement se contenter d'un matériel humain plutôt médiocre, aborde une grande figure du genre humain, elle n'obéit pas aux mobiles que lui imputent si fréquemment les profanes. Elle ne cherche pas à "noircir ce qui rayonne et à traîner le sublime dans la boue" ; elle n'éprouve aucune satisfaction à réduire la distance entre cette perfection et l'insuffisance de ses objets ordinaires. Bien au contraire, tout ce qu'il est possible d'observer chez ces grands modèles lui semble mériter d'être un objet d'étude et d'intelligence, et elle pense que personne n'est si grand qu'il puisse être infamant pour lui d'obéir aux lois régissant avec la même rigueur conduite normale et conduite morbide. »