- La mer Noire - Kéthévane Davrichewy - Sabine Wespieser Éditions
Tamouna qui ne comprenait pas encore toutes les subtilités du monde des adultes, les menaces qui planaient sur elle, sur les siens, sur Tamaz. Elle était tout éblouie par les sentiments étranges qui émanaient d'elle, qui - sans le savoir - la faisait grandir un peu plus à chaque instant. Tamouna est amoureuse de Tamaz, sans même le savoir, sans s'en rendre compte, et cela la gêne, la dérange, la perturbe un peu. "Je ne résiste pas à l'envie de parler de Tamaz. Cela lui donne une réalité et j'ai besoin de cette réalité. Théa m'en veut d'avoir tant attendu pour le lui dire. Elle me fait répéter inlassablement son nom, ce que nous avons dit, ce que nous avons fait. Elle refuse de croire qu'il ne m'a pas embrassée, elle me demande si j'en ai envie. Ses questions me lassent. Soudain, je regrette mes confidences". Cet été-là, Tamouna le passe à se promener aux côtés de Tamaz, le long de la mer Noire si belle, si romantique. Ne pas se toucher, ne pas se frôler, encore moins oser s'embrasser. Juste rester ensemble, côte à côte, sentir sa présence douce et troublante, penser, espérer que - pour lui aussi - l'émotion est à fleur de peau. Se dire que cet instant magique durera une éternité. C'est la seule chose que désire Tamouna.
L'échec de la démocratie, l'arrivée des bolcheviks et son père, membre du gouvernement géorgien, qui sera forcé à l'exil par la situation politique. Ensemble, ils devront fuir pour éviter les représailles. D'un coup, Tamouna craint de perdre Tamaz, de ne plus jamais le revoir, ni lui, ni ses grands-parents, ni son oncle et sa tante, ni ses cousins. Et pour beaucoup, l'exil c'est la France et Paris. Là-bas, la communauté géorgienne recréera un peu de son histoire collective en vivant proche les uns des autres, en s'entraidant, en se soutenant. En arrivant à Paris, Tamouna prendra conscience que son amour de jeunesse est resté à Batoumi, sur les bords de la mer Noire, comme ses souvenirs et son enfance. Pour ne pas l'oublier et maintenir un lien ténu entre son passé et elle, Tamouna lui écrira plusieurs lettres qu'elle ne postera jamais. Tamaz restera ainsi l'idéal absolu, son amour pur et intact, son adolescence et son pays à jamais perdu. "Tu n'es plus qu'une silhouette sur le port de Batoumi. Et une présence, intangible, tenace et réconfortante, dans mon imaginaire. Je ne suis pas certaine de vouloir croiser ton chemin. Je ne suis pas sûre que tu me plaises. Encore moins sûre de te plaire. J'ai sans doute changé. J'ai les allures d'une élégante étudiante parisienne. Mais je ne fais pas illusion longtemps., il suffit de me parler pour que le masque tombe".
"La mer Noire" de Kéthévane Davrichewy est une ode aux souvenirs enfouis, au temps passé que ne revient pas, à tout ce que l'on aurait aimé dire, confier, dévoiler, écrire à un amour de jeunesse, à la famille au sens large. A travers Tamouna, Kéthévane Davrichewy nous parle de la Géorgie belle et indépendante d'avant la révolution de 19717. Une Géorgie qui avait décidé de reprendre ses libertés fondamentale vis-à-vis de la Russie tsariste et d'exister par elle-même. Une Géorgie qui se voulait démocratique et équitable, en prônant le partage des richesses entre tous. Une Géorgie qui n'a pas eu que des amis autour d'elle. Enfin, une Géorgie qui finira par s'exiler et se reconstruire à Paris, parmi la communauté qui a fui les répressions. "La mer Noire" est aussi un livre qui parle des proscrits, des apatrides, de ces communautés ballotées entre ici qui n'est pas tout à fait chez eux, et là-bas qui n'est plus leur pays. Le temps de cette lecture, le lecteur appartient à cette communauté géorgienne, sorte de grande famille isolée qui n'a jamais voulu abandonner ses traditions, ses rites et coutumes, son histoire, sa langue. Dans la joie et le malheur, dans le rire et la peine, dans le drame et la comédie, la famille de Tamouna sera toujours son refuge, son port d'attache, son île, sa réserve de bonheur, sa source vive dans laquelle elle puisera sa force, son énergie, sa volonté d'avancer malgré les accrocs de l'existence, malgré les petits ennuis hurlés et les grandes souffrances muettes. Tout au long de "La mer Noire", Tamouna nous raconte sa vie, son passé, ses amours, sa famille, qui passe comme un journée un peu plus longue que les autres. Avec une beauté infinie, Kéthévane Davrichewy nous tisse une existence à l'image de son personnage, généreuse et bienveillante, touchante et passionnée, sereine et volontaire. On ressort de la lecture de "La mer Noire" avec le sentiment d'avoir passé une journée infinie en compagnie d'une amie intime, d'une parente âgée qui nous aura - dans un souffle - murmuré son histoire. C'est beau à lire, à vivre. C'est émouvant à pleurer.
Un grand merci à Aifelle pour cette superbe découverte.
D'autres blogs en parlent : Aifelle, Sylire, Leiloona, Esmeraldae, Jellybelly, Stephie, Flo, Anne, Kathel ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit mot.
294 - 1 = 293 livres ... Qui a dit que je n'en viendrai pas à bout ?!