29 juillet 2009

DES COUPS !

  • Darling - Jean Teulé - Pocket Éditions n°10675


"Maman m'a souvent accusée d'avoir déclenché la panique à cette Saint-Luc de 65. Chaque fois qu'elle était en colère, elle me le reprochait : "Tu as toujours été une emmerdeuse ! Déjà, deux heures avant ta naissance, tu as gâché la fête et fait chier le monde !" "Toi aussi, maman, je t'ai fait comme tu dis ?" "Oui !" qu'elle me répondait ... De toute façon, moi, c'est vrai que partout où je suis passée, ça été la merde. Par exemple, la première fois où je suis allée à la messe, le curé est mort pendant le sermon ! J'étais toute petite. Je ne devais pas avoir quatre ans ...". Catherine Nicolle n'est pas née sous une bonne étoile. C'est le moins que l'on puisse penser quand on lit son histoire. Elle désirait tellement que quelqu'un l'écoute, au moins une fois dans sa sinistre existence, qu'elle aurait fait n'importe quoi pour cela. Elle a croisé la route de Jean Teulé - son cousin -, qui l'a écoutée, interloqué, sidéré, stupéfait. Il a décidé de raconter l'histoire de Catherine.

Cette fille savait, dès sa naissance, que sa vie ne serait qu'une suite d'ennuis, de problèmes qui s'enchaîneraient comme d'autres enfilent des perles. De son enfance dans la campagne normande, elle ne vivra qu'une série de catastrophes, pathétiques, calamiteuses et monstrueuses. Née la dernière après deux frères, elle sera le souffre-douleur de sa famille, leur tête de turc, leur punching-ball. Refoulée dès sa naissance, l'avenir de Catherine Nicolle s'engageait plutôt mal. Et ce n'est pas un euphémisme ! Très tôt, le monde paysan la rebute. Elle veut fuir. Elle sait qu'elle partira, parce qu'elle ne veut pas de cette vie toute tracée, comme celle de sa mère. "Ces choux, dans ma tête, je me disais que c'était des crânes de paysans. Et moi, en tournant la manivelle, en cassant les crânes, à chaque tour, je répétais "Je ne serai jamais paysante, moi ... Je ne serai jamais paysante ..." - Sanne ! - Hein ? - Pay ... sanne ! - Ah bon, t'es sûr ? - Oh, pratiquement. - Nous on disait paysante mais on ne nous a jamais appris grand-chose à nous ... - Tu es quand même allée à l'école ... - L'instituteur me gardait à condition que je fasse le ménage chez lui sinon il m'aurait virée. Il aurait alors fallu que j'aille dans une classe de perfectionnement qui s'occupe des échecs scolaires mais c'était à Montebourg et ça n'arrangeait pas les parents. Alors je faisais le ménage chez l'instituteur ... Un jour, je l'ai entendu dire à papa : "Vos deux gars, déjà, c'est pas terrible mais votre fille, c'est pire que tout"".

Rapidement, elle cherche à s'évader de "La Barberie", sa barbarie à elle, en rêvant aux poids lourds qui passe devant chez elle. Ces camions, semi-remorques qui
traçaient du nord au sud, d'est en ouest étaient son eldorado, les routiers, ses aventuriers du nouveau monde, ivres de liberté, races bien supérieures à ces bouseux de la campagne qu'elle abhorre et lui rappellent son père, son frère - Joseph - méchant comme la teigne. Illettrée, pour ne pas dire analphabète, Catherine - alias Tartine ou Grosse futaille pour les intimes - fuira cet enfer familial en travaillant dans une pâtisserie de son village. Quatre ans de bonheur dans une vie de chaos, de coups, d'insultes.

Et quand elle ne travaille pas à la pâtisserie, elle court le long de la nationale qui va vers Bayeux en agitant les bras comme un goéland échoué sur le bas-côté pour que les routiers la remarquent. Parce que le rêve secret de Catherine est de rencontrer un routier qui l'amènerait loin de ce cloaque, de cette vie de chien battu, de misère sociale et humaine. Et pour trouver l'oiseau rare, rien de tel que la C.B. "Le canal où j'étais le plus souvent, c'était le 19, donc le canal des routiers. Quand tu veux lancer un appel, tu le lances sur le 19 ou le 27. Et une fois que tu as pêché quelqu'un, il faut que tu changes. Tu n'as pas le droit de rester sur le 19 ou le 27. T'es obligée d'aller sur un autre canal. Tu lui donnes un rendez-vous, tu lui dis : "On se retrouve sur le 15", par exemple ... On ne se retrouve pas sur le 30 ni sur le 13 parce que là-bas, c'est interdit, ce sont les canaux réservés aux navigateurs. Autrement, tu pouvais aller où tu voulais entre 1 et 40. On parlait de la pluie et du beau temps. Des fois, on se retrouvait là-dessus à plusieurs, comme entre copains, et on parlait de notre vie". En fait de routier sympa, la pauvre Catherine tombera sur un vaurien qui se surnommera Roméo. Sauf qu'elle ne sera jamais aimée comme la Juliette de Shakespeare. En décidant d'unir sa vie à celle de son Roméo, Catherine ne sait pas encore qu'elle vient de signer un pacte avec la violence physique, verbale et morale.

Rire du malheur des autres, se mettre du côté des rigolards pour éviter de trop se questionner sur la vie de bâton de chaise de cette "Darling" de Jean Teulé a été ma première réaction. Attitude inepte, mais salvatrice pour ne pas refermer le livre avant la fin devant tant de souffrances humaines, morales, psychologiques. La
"Darling" de cet auteur de talent, c'est l'écho et la voix du quotidien des quelques deux millions de femmes battues, humiliées. Elle, a eu le courage, la force, la volonté de raconter son parcours pour exorciser, pour se donner une chance de tourner le dos à son passé, pour ultime pied de nez à ses tristes souvenirs. Il n'empêche, entre ricanements idiots et envie de pleurer sur le sort effrayant que la vie a jeté à Catherine, c'est l'histoire d'une femme forte et fragile, courageuse et volontaire, spontanée et candide que nous dévoile Jean Teulé. Tout cela, mais certainement pas une pessimiste. On suit, médusé, le parcours semé d'embuches, la montée au calvaire d'une fille repoussée par tous, sa famille, son mari, les autres. Elle qui ne désirait rien d'autre qu'un petit bonheur tout simple en sortant de sa condition de "paysante", connaîtra l'horreur, la descente en enfer. Et le plus fort de tout cela, c'est que jamais elle ne renoncera. Toujours, elle trouvera la force, la capacité, la volonté d'avancer, d'espérer, de rêver de jours meilleurs. En lisant "Darling", on est scotché à son récit. Au fur et à mesure, on se prend d'amitié pour cette fille attachante, généreuse. On ne peut que ressentir de l'empathie pour cette "Darling", parce que - tel le Phénix - elle a toujours su renaître de ses cendres. "Cette fille me file le tournis ... Elle remonte les pentes à une vitesse fantastiques et moi je ne comprends pas où elle puise cette énergie-là. Où va-t-elle chercher cette rage d'être encore verticale ? Y aurait-il donc des gens dont la force de vie serait sans limite ? Moi, juste écrivant un roman à bord de cette jeune femme - chenille humaine pour montagnes russes de fête foraine -, j'ai vécu de sacrés loopings et des doubles. Par moment, c'est moi qui était effondré et elle qui me remontait".

Ce livre a pris EmiLie aux tripes, Sandrounette ne regrette pas sa lecture malgré la dureté du sujet, Jean Teulé a touché Livrovore en plein cœur, quelques autres avis sur Blog-o-book ... D'autres avis, merci de me le faire savoir dans les commentaires.

20 juillet 2009

VACANCES, REPOS, FARNIENTE ....


Je vous abandonne lâchement pour une petite semaine de repos, au vert, là-bas, entre Landes, Gers et Pyrénées Atlantiques. Je vous rassure, j'emporte avec moi de quoi lire, lire et lire encore et toujours au cas où ! On ne sait jamais ce qui peut arriver. Je vous laisse à vos activités quotidiennes en ayant une pensée émue pour ceux et celles qui sont au travail ou qui ne partent pas. Je vous retrouve en début de semaine prochaine (si je trouve une connexion internet dans le coin, je passerai vous faire un petit coucou).

19 juillet 2009

JAZZ BAND

  • Swing - Jean-Yves Chaperon - J'ai Lu Éditions n°8527


"Joseph Gaignault était enfant de l'Assistance, les témoignages sur sa personne étaient succincts, les photos rares. Dans sa période de création, on l'imaginait plutôt désireux de vivre dans l'isolement, à l'écart. Par la suite, plusieurs toiles suggéraient qu'il avait voyagé en Amérique. On aurait souhaité en apprendre davantage, car les éléments qui établissaient la singularité de l'artiste laissaient entrevoir une riche personnalité".

Paris, septembre 2003. Il y a foule aux portes de la galerie d'art qui expose les rares tableaux de Joseph Gaignault, peints entre 1912 et 1914. Tout le monde se presse pour découvrir la dernière toile de cet artiste méconnu, trouvée par hasard à Philadelphie. Ce qui fait l'attraction principale de l'exposition, c'est la période à laquelle le tableau a été dessiné et une mystérieuse inscription. Joseph Gaignault l'aurait créé à son retour de la guerre, après trois ans dans les tranchées. Le traumatisme vécu avait été tel qu'il s'était muré dans un "autisme pictural". Il avait apparemment cessé de peindre pour se consacrer à la musique, plus exactement à la trompette de jazz. Dans cette peinture, on pouvait lire une inscription vaguement ésotérique, "Joseph Gaignault n'est pas un peintre". Pourquoi cette phrase pour le moins provocante ?

Pour comprendre le sens cabalistique de cette phrase, il est nécessaire de remonter le cours du temps, comme les saumons remontent une rivière pour pondre leurs œufs. San Francisco, 18 avril 1906, alors que le Ténor Enrico Caruso vient d'être ovationné avec le Metroplitan Opera, un tremblement de terre détruit la ville, faisant des milliers de victimes. Pour couvrir la catastrophe, Jack London débarque à San Francisco. Alors que le premier quitte une ville fantôme pour Londres, le second arrive. Jack London a juste le temps de reconnaître le "Grand Caruso". Ils se croiseront, sans se parler.

Londres
où Vernon Castle aurait aimé entendre Caruso à Coven Garden chanter la "Tosca" de Puccini. Mais Vernon a d'autres projets. Il s'apprête à quitter le vieux continent pour conquérir l'Amérique et réaliser son désir le plus cher, devenir artiste. "Ce que veut Vernon, d'abord, c'est danser. Il n'a pas encore vingt ans, mais sa longue silhouette commence à se faire remarquer sur les scènes du quartier. Il a déjà un numéro comique assez convaincant, sur lequel il compte pour montrer ses dispositions. Vernon a appelé ça le drunk gentleman. Il y figure un bourgeois éméché, qui s'efforce de garder son allure d'aristocrate, évidemment sans y parvenir. En général, les gens trouvent le sketch assez réussi. Il fait appel à ses qualités d'imagination, de souplesse et de maîtrise qui laissent
espérer un bel avenir". C'est à Reno, dans le Nevada, que Vernon Castle croisera - sans le savoir - Jack London au cours d'un match de boxe légendaire. Ce sera la première fois qu'un boxeur noir américain - Jack Johnson - se battra et gagnera contre un blanc, Jim Jeffries. Il deviendra ainsi le premier champion du monde noir des poids lourds, la discipline reine. Dans l'assistance, se trouve Tim Nash, jeune garçon noir décidé à se débrouiller seul dans l'existence. Il sait qu'il réussira, mais pas aux États-Unis, à cause de sa couleur, de ses origines. Pour le moment, il est fasciné par ses nouvelles machines à manivelles qui retransmettent ce match partout dans le pays. Les premières caméras ont fait leur apparition.

C'est à Paris, en 1911, que Vernon Castle et sa femme Irène, devenus le couple de danseurs le plus célèbre pour avoir introduit le fox-trot au Café de Paris, croisent le chemin de Jospeh Gaignault, trompettiste dans les bals de Montmartre et passionné par la musique noire américaine. Grâce à son ami Vernon, Joseph découvrira - émerveillé - le "Clef Club", premier orchestre noir de James Reese Europe à se produire à Carnegie Hall. " Et tout à coup, sous la baguette de James Reese Europe en habit, les murs de Carnegie Hall avaient tremblé, les spectateurs avaient été stupéfiés par la furie de cette bande de fous avec trompettes, trombones et tambours. Inouï ! Ce fut un choc fiévreux, un triomphe. Il y eut même débat sur le nom qu'il convenait à donner à cette musique ... "C'est du cake-walk, madame !". "C'est du fox-trot, monsieur !". "Mais non, vous n'y êtes pas du tous, c'est du ragtime !".

Et puis, la guerre est arrivée. Tout le monde la pressentait en espérant qu'elle n'arriverait jamais. Joseph Gaignault, comme de nombreux jeunes gens, partira la fleur au fusil, persuadé que ce conflit est juste et qu'il ne durera pas. Tim Nash, arrivé en France quelques temps avant, s'engagera dans la Légion étrangère pour aider ce pays qui l'avait accueilli à bras ouverts, lui avait permis de réaliser son rêve de liberté, d'être un homme tout simplement et non plus un noir, descendant d'esclave du sud des Etats-Unis et méprisé par les blancs pour cette seule raison. Dans les combats qui font rage sur le front, Joseph et Tim se rencontreront à l'hôpital lors de leur convalescence. Ces deux-là se retrouveront après la guerre pour poursuivre leur passion commune, le jazz, et enflammer les nuits de Montmartre. Le Tim's, leur club, accueillera bientôt le mouvement Dada, conduit par un chef de file pour le moins original, Tristan Tzara.

Vous aimez les romans linéaires, avec un début, un milieu et une fin, classique dans le style et la construction ? Avec "Swing", vous allez devoir réviser ces notions-là. Parce que ce roman de Jean-Yves Chaperon est d'une grande originalité. Le livre s'ouvre sur une exposition en 2003, pour plonger aussitôt le lecteur au début du 20ème Siècle aux États-Unis. Et là, c'est toute l'histoire musicale de ce pays à cette période qui nous est contés. C'est l'aube d'une nation qui ne sait pas encore qu'elle va influencer le reste du monde, mais qui - déjà - fascine les plus téméraires. A travers de nombreux personnages - souvent historiques, parfois fictifs -, l'auteur nous invite à participer à une fresque colorée et trépidante de l'Amérique. Chaque chapitre - introduit par une ville et une date - est l'occasion de revenir sur un événement important ou pas, drôle, tragique ou pathétique. On passe ainsi de la comédie "In Dahomey" avec le célèbre duo d'humoristes noirs Williams & Walker, au championnat du monde des poids lourds qui verra la victoire du premier boxeur noir dans une Amérique ségrégationniste, pour se perdre dans les clubs de jazz ou de ragtime de Harlem à Montmartre écouter des trompettistes qui ne savent qu'ils sont en train de révolutionner la musique et la société tout entière. On croise aussi bien Sydney Bechet que Josephine Baker ou Noble Sissle. On suit la carrière de Enrico Caruso, le plus grand ténor du monde, avec ses frasques amoureuses, ses excès en tous genres, ses caprices de star qui lui coûteront sa carrière. On découvre les "Hellfighters", orchestre de James Reese Europe composé de musiciens noirs et venus en 1917 pour encourager les soldats américains venus se battre. Cet orchestre préfigure celui le "Glenn Miller Army Air Force Band" en 1944. Avec "Swing", c'est
tout un univers qui ressurgit du passé le temps de sa lecture, celui des Années Folles, du jazz naissant et fox-trot, du ragtime. Une période de folie douce qui allait faire définitivement basculer le monde dans le 20ème Siècle. On y traite aussi de la ségrégation en Amérique, de la difficulté d'être né noir, des obstacles pour exister en tant qu'être humain et des lois qui interdisaient aux noirs d'approcher les blancs. "Swing" est une sarabande infinie d'histoires qui s'assemblent tel un patchwork pour - au final - nous raconter le jazz et l'influence de la musique noire américaine dans la culture occidentale. Quant à l'histoire de Joseph Gaignault, chaque protagoniste participe à un bout de celle-ci. L'ensemble est un hymne à la gloire de l'art au 20ème Siècle, de la peinture à la musique.

C'est In Cold Blog qui m'a donné envie de me plonger dans ce livre extraordinaire, suivi de Clarabel, Pierre Assouline aussi en parle (très bien, d'ailleurs !).

17 juillet 2009

LA TRAGEDIE D'UNE REINE ANARCHISTE

  • L'aigle à deux têtes - Jean Cocteau - Folio n°328

Dans "L'aigle à deux têtes", Jean Cocteau met en scène une reine, jeune, veuve et vierge qui doit faire face au poids de son destin. Ce sort dramatique propre à toutes les héroïnes romantiques, prend la forme d'un jeune homme, poète et anarchiste, venu l'assassiner dans le château où elle avait trouvé refuge. Lui désire libérer son pays d'une monarchie jugée opprimante. "Dans votre capitale, j'ai trouvé la misère, le mensonge, l'intrigue, la haine, la police, le vol. J'ai traîné de honte en honte. J'ai rencontré des hommes que ces hontes écœuraient et qui les attribuaient à votre règne." La reine, elle, attend la mort depuis la disparition tragique du roi, survenu le soir même de ses noces. Elle qui ne vivait que par et pour son futur époux, sa mort devenait aussi la sienne propre. Elle se sentait une communauté de destin avec ce roi qu'elle aimait passionnément. "J'allais vivre. J'allais devenir femme. Je ne le suis pas devenue. Je n'ai pas vécu. Frédéric est mort la veille de ce miracle."

Cette reine déjà virtuellement morte, a donc scellé son destin avec ce régicide arrivé à point nommé. Sauf que - hasard ou coïncidence - ce poète est le sosie du roi tant aimé. C'est grâce à cette rencontre fortuite, inespérée, que la reine se dévoilera, au propre comme au figuré. Elle révélera sa personnalité profonde, son esprit anarchiste face à un poète d'esprit royal. "Si je n'étais pas reine, je serais anarchiste. En somme je suis une reine anarchistes. C'est ce qui fait que la cour me dénigre et c'est ce qui fait que le peuple m'aime." Mais lors de ce face à face, Stanislas, poète régicide, avouera son amour, sa passion destructrice pour cette reine inaccessible. Dans un ultime élan romantique, ils décident d'unir leur destin pour n'en plus faire qu'un. Jusqu'au dénouement fatal. Mais la reine le poussera dans ses ultimes retranchements pour obtenir ce pour quoi il est venu. "Les reines n'ont guère changé depuis Cléopâtre. On les menace, elles enjôlent. Elles choisissent un esclave. Elles en usent. Elles ont un amant, elles le tuent."

"L'aigle à deux têtes" est une pièce tragique qui s'inspire de l'histoire dramatique et mystérieuse des maisons de Bavière et d'Autriche. En lisant cette pièce, on ne peut s'empêcher de faire l'analogie avec la fin terrible de l'impératrice Élisabeth d'Autriche, tombée sous les coups de poignard d'un anarchiste. Jean Cocteau l'écrit dans la préface de la pièce. "Elle aurait l'orgueil naïf, la grâce, le feu, le courage, l'élégance, le sens du destin de l'impératrice Élisabeth d'Autriche." Tout s'y retrouve dans cette très belle pièce que l'on prend plaisir à lire : le romantisme lyrique des personnages, la tragédie, les complots, la haine, l'amour, les rapports de force et de pouvoir entre hommes et femmes. C'est une pièce terriblement moderne et d'actualité sur le jeu des pouvoirs et les rapports entre les individus, ainsi que sur les intrigues de palais pour tenter d'obtenir les rênes du régime.

15 juillet 2009

GATEE, JE SUIS


Il y a quelques mois de cela, Anjelica m'a proposé de faire un échange entre nous, sorte de swap à deux. Je sais, en général on invite plusieurs personnes pour un swap, un peu comme les réunions Tuppeware ! C'est toujours mieux quand on est plusieurs. Bon, là, on l'a fait à deux, rien que pour le plaisir de s'échanger deux, trois petites babioles.

Rendez-vous avait été pris pour la mi-juin. Je sais, je suis en retard sur la date, mais j'ai une excuse. Anjelica a déménagé entre temps. Comme je suis d'un naturel plutôt généreux, j'ai attendu qu'elle ait sa connexion internet et soit installée dans son nouveau petit nid pour lui envoyer le colis promis et faire le billet sur le colis reçu. Je vous le dis, je suis une fille sympa et partageuse.

Chose promise, chose due, le jour est - enfin - arrivé pour vous dévoiler les trésors contenus dans son colis. Mais avant, il faut savoir que j'avais choisi le thème du cinéma, si cher au cœur d'Anjelica, le colis devant contenir des livres devenus des films. Et là, j'avoue que Anjelica est tombée juste, que ce soit pour les livres ou les DVD, puisque DVD il y a eu !

Les photos, tout d'abord, pour une mise en bouche.


Les plaisirs variés


Les plaisirs littéraires


Les plaisirs gustatifs


Les plaisirs visuels

Bref, Anjelica a su frapper fort (au sens figuré !) avec Aragon et Maugham qui sont deux valeurs sûres de la littérature classique française et anglaise. Et cela tombe à point nommé, parce que je veux commencer la série "Le monde réel" de Louis Aragon et que "Les voyageurs à l'impériale" font partie de celle-ci. Pour Somerset Maugham "La passe dangereuse" sera l'occasion de me plonger dans une œuvre que je ne connaissais pas de cet auteur tant lu à l'adolescence. Pour les DVD, là encore, banco ! Avec "Douze hommes en colère" et Henry Fonda - dont j'étais secrètement amoureuse enfant ! - "Le voile des illusions" et Edward Norton (mon chouchou avec Ralph Fiennes !) qui me fait fondre comme un glaçon au soleil et "Le bel été" tiré du roman d'Aragon "Les voyageurs de l'impériale". Je ne vous parlerai pas des deux thés reçus (à la violette et Moulin Rouge, tout un programme !) qui a délicatement parfumé le colis dès son ouverture. Le chocolat, lui, n'a fait qu'un petit tour et a été englouti lors du Tea Time.

En un mot comme en cent, cet échange a été un moment de réel bonheur, que ce soit pour le paquet reçu ou pour celui envoyé, parce que recevoir fait plaisir, mais donner est toujours une joie immense et renouvelée. J'attends maintenant la suite de notre échange, qui devrait se poursuivre dans quelques mois. Encore merci pour tout, Anjelica.

7 juillet 2009

LE CLONE SANS PASSE

  • Comme deux gouttes d'eau - Tana French - Michel Lafon Éditions


"Cette histoire est celle de Lexie Madison, pas la mienne. J'aurais aimé raconter l'une sans m'immiscer dans l'autre, mais c'est impossible. Je croyais nous avoir fermement cousues, toutes les deux, épaule contre épaule, avoir bien serré les sutures mais être capable de les briser. Or, peu à peu, nos liens se sont raffermis, approfondis ; ils sont devenus souterrains, invisibles. Et ils m'ont échappé. Pourtant, je suis responsable : de tout ce que j'ai fait". L'inspecteur Cassie Maddox a du mal à retrouver son souffle depuis sa dernière enquête à la brigade criminelle. Un meurtre d'une adolescente rapidement élucidé qui l'a touchée plus qu'elle ne le pensait. Depuis, elle est passée au département des violences domestiques pour prendre du recul par rapport aux événements. Sauf qu'il arrive parfois que certaines histoires mettent du temps à refaire surface. Souvent, elles ne remontent même jamais. Pour ce qui concerne Cassie Maddox, l'histoire a mis quatre ans à ressurgir.

Tout est revenu lorsque deux de ces collègues l'ont appelée sur le lieu d'un crime, en pleine campagne irlandaise. La victime porte le nom d'Alexandra Madison, étudiante à Trinity College, et ressemble trait pour trait à l'inspecteur Maddox. Cette identité était celle qu'elle s'était créée pour infiltrer et démanteler un trafic de stupéfiants. Son ancien chef voit là une occasion unique pour noyauter le groupe dans lequel la victime évoluait et découvrir le meurtrier de cette mystérieuse jeune femme. Faire croire que Alexandra Madison a survécu à ses blessures et laisser Cassie Maddox prendre sa place pour enquêter. "Elle apparaît pour la première fois en février 2002, lorsqu'elle fournit l'extrait de naissance d'Alexandra Madison afin d'ouvrir un compte. Elle l'exhibe à nouveau, ainsi qu'un relevé d'identité bancaire et sa photographie, pour obtenir tes anciens dossiers universitaires, dont elle se sert pour s'inscrire à Trinity en doctorat d'anglais. - Elle est très organisée. - Oh oui ! Organisée, imaginative et convaincante. Je n'aurais pas mieux fait moi-même. Elle ne s'est jamais inscrite au chômage, ce qui est très intelligent. Elle a dégoté un job dans un café de Dublin, travaillé à plein temps tout l'été, puis intégré Trinity en octobre. Le titre de sa thèse est ... Tu vas apprécier ... "Voix diverses : identité, vérité et mensonge". Il s'agit de femmes qui écrivaient sous un pseudonyme".

Cette énigmatique jeune femme partageait sa vie avec quatre autres jeunes gens, tous étudiants au département de littérature anglaise, dans un vieux manoir du 18ème Siècle, Whitehorn House. Ce groupe vivait replié sur lui-même. Les membres de ce cénacle se connaissaient et se fréquentaient depuis leur première année à l'université. Personne d'autre n'avait réussi à s'y immiscer, sauf Lexie Madison. Cette fille semblait être apparue par hasard début 2000. Rien ne permettait de l'identifier et lui redonner son véritable nom. Ses quatre amis ne souhaitaient pas savoir qui elle était réellement et s'en moquaient. Seules comptaient leur vie commune et les règles observées. Ce "Club des Cinq" apparait à Cassie Maddox aussi soudé que les
cinq doigts d'une même main. Que l'un d'entre eux vienne à manquer, les autres se sentent immédiatement orphelins, sont anéantis. Ils forment de l'extérieur - à eux cinq - une micro-société dans laquelle personne ne peut accéder. Ils semblent vivre en symbiose, et chacun possède une place définie au sein de cette cellule presque familiale. De l'extérieur, cet ensemble paraît harmonieux, sans aspérité, sans faille, sans fêlure, les membres sont sans problème apparent, équilibrés, sains. Hormis la littérature victorienne, le"Club des Cinq" a en commun de ne jamais revenir sur leur passé personnel. En acceptant cette nouvelle mission d'infiltration, Cassie Maddox se voit redevenir Alexandra Madison, celle qu'elle avait inventé de toutes pièces, qui revenait de son passé et qui avait été utilisé par une autre personne, assassinée. Le plus difficile pour l'inspectrice était de ne pas se perdre psychologiquement dans cette mission où elle servirait d'appât.

Avis aux amateurs du genre, "Comme deux gouttes d'eau" de Tana French est un vrai policier psychologique avec tous les ingrédients du genre. Les personnages sont méticuleusement ciselés. Ici, point de bagarres inutiles, pas de violences verbales ou physiques, pas de jet d'hémoglobine. Dans ce roman, tout passe par l'analyse psychologique de chaque personnage et des situations. Le drame s'installe lentement mais sûrement, se diffuse au fil des pages. Dès le début de la lecture, l'ambiance est lourde, pesante, de plomb. On pressent que quelque chose se trame. On se pose des questions. On tourne les pages en se demandant ce qui va se passer, qui peut être le coupable, qui est réellement cette Alexandra Madison, quel est son passé. Le suspense est là, qui rend le lecteur haletant, trépignant d'impatience. Ce qui aurait pu être lassant sur la longueur, se transforme en une histoire palpitante aux rebondissements permanents. Parce que dans "Comme deux gouttes d'eau", Tana French réussi l'exploit de nous mettre à la place de son inspectrice. Le temps de la lecture, chacun devient Cassie Maddox infiltrée dans un groupe de jeunes originaux. Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi et surtout l'atmosphère. Cette ambiance unique de la campagne irlandaise que l'auteure a su rendre avec sa rudesse, ses rancœurs tenaces et ses acrimonies historiques et locales, sa haine de l'autre au point de lui jeter des sorts, de le terroriser, de refuser de lui parler. Dans "Comme deux gouttes d'eau", c'est cette Irlande profonde, indépendante, fière de ses racines et de son passé, qui se revendique libre et qui l'est, que l'on retrouve. Une Irlande qui a payé le prix fort pour se libérer de l'emprise anglaise. C'est l'Irlande
d'une autre époque, celle du 19ème Siècle avec ses légendes, ses histoires de maîtres et de serfs, de riches et de pauvres, de jeunes filles enfermées au couvent pour avoir aimé un Anglais ou être tombées enceintes. L'Irlande qui s'est faire face à l'adversité. C'est aussi l'Irlande avec ses pubs, ses chants mélancoliques et doux, ses musiques entraînantes. Dans un style impeccable, maîtrisé, parfait, Tana French nous embarque dans une affaire pleine de rebondissements, labyrinthique dont le lecteur sort exsangue de sa lecture. Vous êtes désormais prévenus !

Pour Cuné, ce roman a une âme vénéneuse qui ne laisse pas indifférent ; pour Lily, c'est un thriller tout en subtilités et en suspens ; Yvon a trouvé le roman plutôt classique ; Caroline recommande ce roman pour les vacances et n'a pas pu décrocher avant la fin ; pour Cathulu, ce roman est une réussite. D'autres, peut-être ... Merci de me le faire savoir.

4 juillet 2009

L'IDEOLOGIE CELINIENNE

  • L'art de Céline et son temps - Michel Bounan - Allia Éditions


Sans doute ne l'avez-vous pas remarqué, mais tout ce qui touche à Louis Ferdinand Céline m'intéresse, me passionne. Dès qu'un ouvrage paraît concernant la vie, l'œuvre, les idée ou les pensées de cet auteur très controversé, je ne peux m'empêcher de me le procurer pour le lire. Sans être une célinienne érudite, je commence à effleurer les rivages de sa personnalité complexe, et à appréhender un tout petit peu mieux son œuvre.

Dans "L'art de Céline et son temps", Michel Bounan revient sur les écrits à odeur de soufre de Céline et ses opinions xénophobes. Pour argumenter ses propos, l'auteur revient dans son essai sur "L'histoire des protocoles des Sages de Sion", traité antisémite visant à démontrer un soi-disant complot juif destiné à asservir le monde et ressorti, agité, pour détourner la population des vrais problèmes politiques, économiques ou sociaux. Selon lui, à chaque période de l'histoire du 20ème Siècle, cette théorie méphitique créée de toutes pièces par l'Okhrana - service secret du Tsar - sert d'épouvantail pour éluder la réalité au peuple. "On tenait donc la clef des malheurs publics et des injustices sociales, des guerres et des révolutions, des crimes d'État et des mensonges journalistiques. Point n'était besoin d'expliquer ces malheurs par l'économie ou la lutte des classes, par la dialectique historique ou par la décadence des mœurs, par la trahison des mauvais dirigeants ou par la rusticité des stupides dirigés. Bien au contraire, ces supposées causes résultaient du complot initiale et quiconque prétendait en disputer, ou seulement en rire, dévoilait par là même, sa connivence objective, et souvent intéressée, avec les chefs de la conspiration".

Quand, en 1932, "Voyage au bout de la nuit" est publié avec tout le Barnum littéraire et médiatique qui a suivi, la situation politique est au chaos, au désordre. Le terreau des idées fumeuses de Louis Ferdinand Céline est fin prêt. Le spectacle peut commencer et donner sa pleine mesure. Il y aura du monde au balcon pour applaudir et rigoler ! Car il ne faut pas oublier que Céline a officié dans les écrits tendancieux bien avant ses pamphlets racistes. Dans des publications à la Société de médecine de Paris, Céline vante les mérites d'une théorie d'un certain Henry Ford - financier de la publication des "Protocoles des Sages de Sion" aux États-Unis -, qui préconise l'embauche "d'ouvriers tarés physiquement et mentalement", et propose
la création de médecins-policiers d'entreprise chargés de convaincre les ouvriers malades de continuer à travailler coûte que coûte, car "ce qui nous paraît beaucoup plus sérieux, c'est l'intérêt patronal et son intérêt économique, point sentimental". En un mot comme en cent, Céline prône déjà pour le réalignement du peuple, une réorganisation plus stricte de la société civile, une mise au pas, une "[...] entreprise patiente de correction et de rectification intellectuelle". Si, à cette époque, Louis Ferdinand Céline n'est pas encore le libelliste raciste, il est déjà petit bourgeois et réactionnaire dans ses idées. A travers ces vues, Céline ne souhaite qu'une seule et unique chose, retrouver son lustre d'antan, celui de ses vagues origines aristocratiques et bourgeoises. Rien d'autre.

Mais Céline sera un maître dans l'art de la manipulation des esprits et des lecteurs. Toute sa vie, il jouera sur la gamme de la misère sociale en se fabriquant une biographie à son image. Enfance pauvre avec une mère ouvrière, exploitée par qui ? des Juifs, des études de médecine - bien sûr - mais grâce à un travail de livreur depuis l'âge de douze ans. A le lire, on se croirait dans un roman digne de Zola ou de Dickens ! Or, depuis, tout le monde a appris qu'il n'en était rien. Au contraire. "Évidemment, confiait-il alors à son correspondant Joseph Garcin, dans les interviews j'amuse la galerie, pitre autant que je peux. Mais tout ceci entre nous (13 mai 1933)". Tout cela ne servira qu'à renforcer ses écrits, dont "Voyage au bout de la nuit" n'aura été que le premier d'une longue lignée. Les aventures de Céline / Bardamu ont ravis les intellectuels de gauche qui ont vu en lui un des leurs, un vrai de vrai, un pur et dur, un anarchiste. De Aragon à Trotsky en passant par Sartre - pas encore "agité du bocal" -, tous le croient révolutionnaire, avec des théories progressistes, novatrices, un style qui va renouveler les romans classiques.

Il n'en est rien. Céline est et restera un réactionnaire, antisémite forcené jusqu'à l'obsession et qui n'hésitera pas à se servir de la propagande nazie des services de Goebbels pour instiller dans la société française les pensées les plus nauséeuses, nauséabondes, funestes qui soient : le Juif est responsable de tout, domine tout et tout le monde, l'État, l'église catholique, l'économie nationale et mondiale, même les marins bretons en sont victimes ! Les âmes charitables sont prêtes pour ce qui va suivre. "Un seul mot d'ordre doit donc s'entendre maintenant en France comme en Allemagne : "luxer le Juif au poteau ! Y a plus une seconde à perdre". Et sans aucune ambiguïté : "s'il faut des veaux dans l'Aventure, qu'on saigne les Juifs ! C'est mon avis". Seul un pogrom universel et complet délivrera les pauvres de leur servitude et l'humanité de ses souffrance ("c'est un grand succès dans son genre un pogrom, une éclosion de quelque chose ...). Céline réclame dès lors une "alliance immédiate avec Hitler", unique moyen d'abattre le capitalisme et ses véritables maîtres juifs". Dans l'immédiat après-guerre, Céline tentera bien de se refaire une
virginité intellectuelle par un mea culpa de surface. Il essaiera de manipuler quelque peu cette période sombre en arrangeant des vérités et en soutenant que ces ouvrages étaient écrits contre la guerre, jamais contre les Juifs !

Au final, "L'art de Céline et son temps" est un essai supplémentaire qui revient, appuie, insiste sur l'aspect raciste, fasciste et réactionnaire de cet auteur, sans pour autant apporter de réponses sur ce qui aurait pu pousser Louis Ferdinand Céline à se comporter de cette manière désastreuse. Michel Bounan a voulu faire de son essai un second "Céline en chemise brune" de Hans-Erich Kaminsky. Si, par certains aspects il y arrive parfaitement, la fin de son ouvrage s'élargit et part sur la théorie du complot de l'ultra-gauche. Le lecteur en sort un peu décontenancé. C'est bien dommage.

1 juillet 2009

COSA NOSTRA EN NORMANDIE

  • Malavita - Tonino Benacquista - Folio n° 4283


"Ils prirent possession de la maison au milieu de la nuit. Une autre famille y aurait vu un commencement. Le premier matin de tous les autres. Une nouvelle vie dans une nouvelle ville. Un moment rare qu'on ne vit jamais dans le noir. Les Blake, eux, emménageaient à la cloche de bois et s'efforçaient de ne pas attirer l'attention". La famille Blake est bien décidée à ne pas se faire remarquer par le voisinage et arrive ainsi en catimini à Cholong-sur-Avre, Normandie. En s'installant dans ce petit cottage d'une autre époque, ils se sentent un peu nostalgique de leur maison ultramoderne de Newark, New Jersey, États-Unis.

Il faut dire que les Blake ont beaucoup déménagé sur le vieux continent ces dernières années. Paris Cagnes-sur-Mer. Maintenant, Cholong-sur-Avre. Toute la famille se sent fatiguée par ces transits incessants. Elle espère pouvoir se poser un jour où l'autre, ne plus devoir fuir un lieu pour un autre, s'ancrer dans un endroit pour y vivre en paix. Sauf que les Blake ne sont pas tout le monde. A commencer par Frederick, le père, qui ne sait pas ce que travailler veut dire, encore moins se lever tôt. Lui serait plutôt du genre à traîner à longueur de journée en peignoir ou robe de chambre en attendant que passe le temps. Ou, éventuellement, à élaborer des combines pour gagner de l'argent facilement. Tout cela, jusqu'au jour où il tombe nez à nez avec une vieille machine à écrire, modèle 1964, une Brother 900 à clavier européen. Et là, c'est la révélation de sa vie ! "Au commencement était le verbe, lui avait-on dit, il y a bien longtemps. Quarante ans plus tard, le hasard lui donnait l'occasion de le vérifier. Au commencement il y avait sûrement un mot, un seul : tous les autres suivraient. Il leva son index droit et frappa un g, bleu clair, tout juste visible, puis un i, il chercha des yeux la touche o, la touche v, ensuite, histoire de s'enhardir, il parvint à obtenir un a de son annulaire gauche, puis frappa deux n à la suite, de deux doigts différents, et termina, de l'index, par un i. Il relut le tout, heureux de n'avoir fait aucune faute.Giovanni".

D'un coup, il sait. Il sera écrivain pour ses voisins. Il va écrire ... sur le débarquement. Logique pour un Américain en pleine campagne normande. Sauf que Frederick Blake confond Marines et GI, et qu'il ne sait même pas qui était Eisenhower ! Parce que Frederick Blake n'est pas celui qu'il prétend être, ni sa jolie
famille parfaite, mais plutôt Giovanni Manzoni, chef de clan redouté de la mafia new yorkaise. Et que peut bien faire un chef de mafia en plein pays normand ? C'est une idée du capitaine Thomas Quintiliani du FBI, pour le protéger de son ancien milieu. Après quatre ans d'une traque infernale, il avait réussi à transformer Giovanni Manzoni en une balance et à le griller au sein de Cosa Nostra pour des générations à venir. Témoigner dans un procès et faire tomber trois caïds de la côte est avait contraint Manzoni à devenir Blake et à bénéficier du Witsec "Protection Witness Program". Et de de venir s'échouer lamentablement en Europe, pays de ses origines profondes. Sauf que le statut de témoin protégé est une contrainte permanente, qui peut vite virer à l'enfer quotidien. Personne ne doit jamais savoir qui vous êtes réellement. Vous ou les vôtres ne peuvent jamais se trouver sur une quelconque photo de presse, même locale, de crainte d'être - un jour où l'autre - retrouvé par vos anciens amis. Vous devez vous faire le plus discret possible. Et ça, les Blake ne savent pas du tout faire. Aussi, lorsqu'ils décident d'inviter le voisinage pour un barbecue, ils ne savent pas encore qu'ils viennent de renouer avec leur histoire personnelle, leur passé. Chasser le naturel, il revient au galop ! Telle pourrait être la devise des Blake. Parce que, ne vous leurrez surtout pas, il n'y a pas que Fred qui soit comme cela. Pas un n'est là pour récupérer les autres. "Fred prit un temps de répit, se massa les paupières, en proie à une formidable montée de violence. Au moment le plus inattendu, Giovanni Manzoni, le pire homme qu'il eût jamais été, reprenait le pouvoir sur Fred Blake, artiste et curiosité locale. Quand un des cinq types tassés autour du feu crut bon de préciser que seul un peu de white-spirit pourrait arranger les choses, Fred le vit implorant pardon à genoux. Plus que le pardon, il implorait la délivrance et demandait qu'on l'achève. Giovanni avait connu la situation plusieurs fois dans sa vie et ne pourrait jamais oublier le gémissement très particulier de l'homme qui réclame la mort ; une sorte de long râle proche de celui des pleureuses de Sicile, un chant dont il reconnaissait la note entre mille".

Avant tout, il faut savoir que ce n'est pas ce livre que j'aurais dû présenter dans le cadre de Blogoclub de juillet, mais "Nous étions les Mulvaney" de Joyce Carol Oates. Malheureusement pour moi, j'ai connu deux échecs de lecture avec cette écrivain et cela ne passe toujours pas entre elle et moi ! Je ne désespère pas, mais je n'avais pas envie de passer à côté de ma lecture. Je me suis donc rabattue sur "Malavita" de Tonino Benacquista. Et là, je dois avouer avoir ricané comme une hyène du début à la fin de ce truculent roman. Je ne sais si je ferai - un jour - la connaissance des Mulvaney. Par contre, j'ai côtoyé une famille de Cosa Nostra et non des moindres, les Manzoni. Et je demande encore, qui dans cette famille est le moins déjanté ! Entre Fred, le père, dont le témoignage a envoyé toute la famille pour un exil interminable en Europe et qui se rêve soudain en écrivain hagiographe de sa propre histoire. Un homme qui conserve par devers lui les stigmates de son ancienne activité, du temps où il faisait régner la terreur autour de lui ; où le seul
nom des Manzoni suffisait à faire trembler de frayeur n'importe quel commerçant de la côte est. Warren, le fils qui rend son père responsable de cet exil contraint, tout en conservant dans ses gènes l'instinct mafieux en aidant ses camarades de collège en difficultés. Belle, la fille, qui - comme son prénom l'indique - ferait fondre un glacier de l'antarctique avec son physique de star. Mais malheur à qui ose lui conter fleurette. Ou Maggie, la mère, qui culpabilise de son passé et décide de retrouver la voie de Dieu. Dans un style digne des policiers avec un sens de l'humour noir décapent, Tonino Benacquista nous parle d'un milieu qui n'a rien d'humoristique, la mafia. Il réussit à nous apitoyer sur le sort d'un parrain de Cosa Nostra repenti et nous faire presque regretter de ne pas avoir eu ce tueur psychopathe comme voisin. A la limite, je serais prête à accepter la chienne !


Rats de biblio en parle très bien, Jules ne s'est pas ennuyée un instant ... D'autres, sans doute. Faites-le moi savoir.