28 août 2009

UN ANGLAIS A BERLIN

  • L'adieu à Berlin - Christopher Isherwood - Livre de Poche Biblio

"Je suis une caméra braquée, absolument passive, qui enregistre et ne pense pas. [...] Un jour, il faudra développer tout cela, l'imprimer avec soin, le fixer". L'impression des souvenirs de Christopher Isherwood lors de son séjour berlinois dans les années 30 nous donnera le splendide "Adieu à Berlin". Pour les fans de très bon cinéma, "Cabaret" de Bob Fosse avec l'inoubliable Liza Minelli, en est l'adaptation. Mais attention, dans l'un comme dans l'autre, il ne faut surtout pas chercher la fidélité dans la transcription.

Berlin 1930, Christopher Isherwood est répétiteur d'anglais chez de riches allemands en attendant de devenir le futur écrivain qu'il sera. Il est en Allemagne pour en apprendre la langue. Il en découvrira beaucoup plus, au hasard de ses rencontres. Désargenté, Chris loue une chambre chez Frl. Schroeder. Dans son immense appartement, transformé en pension de famille, vit un petit monde interlope. Il croise Bobby, barman à la Troïka, Frl. Kost à la profession indéterminée et fluctuante, Frl. Mayer, jodlerin de music hall, vaguement cartomancienne, plus sûrement antisémite. C'est un univers de marginaux, de prostituées, d'artistes plus ou moins ratés qui se côtoient dans cet immeuble à l'allure de cour des miracles. Dans ce Berlin tragique et frivole, tout le monde ne mange pas, mais tout le monde s'amuse, danse et boit dans les boîtes et les cabarets.

C'est au Lady Windermer que Chris rencontrera Sally Bowles, l'énigmatique. "Sa voix était étrangement grave et rauque. Elle chantait mal, sans aucune expression, les mains inertes à ses côtés et cependant elle produisait son effet grâce à l'inattendu de son physique et à son air de mépris total pour l'opinion des gens". Entre ces deux êtres opposés naîtra une étrange amitié, à mi-chemin entre l'attirance et la répulsion. Et Berlin danse, et Berlin chante et s'enivre pour ne pas voir une situation qui se dégrade chaque jour davantage. Se profilent à l'horizon non seulement le crack boursier, mais la montée - au combien plus inquiétante - du nazisme et de son corolaire, l'antisémitisme et l'intolérance. Personne ne veut voir, ni croire que le pire pourrait arriver. Chacun profite de ces derniers instants de paix relative pour s'éblouir. "Là-bas, dans la ville on comptait les bulletins de vote [...]. Malgré les retards possibles du règlement décisif, tous ces gens-là sont condamnés sans merci. Cette soirée est la répétition générale d'un désastre. Ou bien la dernière représentation d'une époque". Même au terme de son séjour, Christopher Isherwood rejoindra l'Angleterre avec l'illusion de la chute prochaine du gouvernement nazi.

"Adieu à Berlin" est une vision morcelée, kaléidoscopique et éthérée d'un certain monde à une époque instable et complexe. Le narrateur nous promène des fêtes berlinoises - populaires et populeuses - à des soirées privées organisées par de riches berlinois. On vit au rythme de la narration, dans un monde glauque peuplé de prostituées au grand cœur, d'homosexuels solitaires et névrosés, de bourgeois naïfs et d'ouvriers désabusés. C'est un monde dur et sans concession dans lequel on plonge avec "Adieu à Berlin". C'est une chronique sociale qui, sur fond de légèreté, nous conte la montée du nazisme et son influence dans toutes les strates sociales.

Nouvelle édition de ce billet, initialement paru le 16 janvier 2007 sur mon précédent blog.

25 août 2009

LA COUR DES POISONS

  • La chambre ardente - Max Gallo - Fayard Éditions


14 juillet 1709. Primi Visconti, ambassadeur de la Sérénissime République de Venise auprès de Louis XIV est inquiet. Autour de ce roi craint et admiré - tant en France qu'à l'étranger - des rumeurs circulent concernant des empoisonnements de rivales, maîtresses du Roi Soleil, et usages de filtres pour s'attirer ses grâces. Il se murmurerait même que des dames de la noblesse se rendraient chez des sorcières, des nécromanciennes et autres apothicaires pour acheter breuvages, drogues, poisons ou simplement pour connaître l'avenir. Pire. On y pratiquerait des messes noires. "On s'y livrait à d'étranges pratiques ; la femme, le corps à demi dénudé mais le visage masqué, servait d'autel dans ses célébrations où l'on priait Dieu et le diable afin qu'ils favorisent les projets de la demanderesse qui voulait se faire aimer d'un homme qu'elle jugeait insensible à ses charmes. Et Nicolas Gabriel de La Reynie m'avait laissait entendre que cet homme était souvent le Roi".

Dans l'entourage du roi, certaines useraient de poudres de succession afin de se débarrasser de personnes gênantes pour obtenir un héritage, vivre un amour clandestin au grand jour. Pour mettre un terme à cette situation qui pourrait menacer le trône, Louis XIV allait créer la Chambre ardente chargée d'enquêter, de juger et de condamner tous ceux et celles qui s'adonneraient à ces pratiques occultes. Celui qui sera nommé à la tête de cette police secrète, c'est Nicolas Gabriel de La Reynie, officier probe, intègre, qui va s'acharner à remplir sa mission jusqu'au bout. Mais ce que ni Louis XIV, ni Nicolas Gabriel de La Reynie ne savent, ce sont les personnalités impliquées dans ce vaste réseau. "Or les plus grandes dames de la Cour, Mme de la Motte et la duchesse de Polignac, dénoncées par les sorcières, jeteuses de sorts et faiseuses d'anges, furent appelées à comparaître devant la Chambre ardente. Elles avaient, assuraient ces devineresses, alchimistes et criminelles, réclamé des la "poudre de succession" et d'autres de ces drogues qui plongent ceux qui les absorbent dans le sommeil de la mort, et non dans une courte somnolence".

Car c'est pratiquement toute la Cour royale, ou peu s'en faut, qui usent et abusent
de ces élixirs, aphrodisiaques, poisons, cérémonies sataniques, ensorcellements, dans l'espoir d'influencer leur destin personnel. On aurait pu croire que ces usages ne concernaient que les gens de peu, le peuple frustre, primaire, sans éducation, soumis aux peurs ancestrales. Or, il n'en est rien. Quand il s'agit de vie à influencer et d'argent à gagner, tout le monde se retrouve dans une sorte de confrérie du poison, l'aristocrate, le prêtre apostat et le gueux. Nicolas Gabriel de La Reynie va remonter la filière pour - enfin - arriver au sommet de cette organisation prête à tout pour détenir le pouvoir occulte sur le roi et ses décisions les plus intimes. "Il m'avait dit qu'il se sentait souvent comme un homme cherchant à dévider un pelote aux nombreux fils embrouillés afin de reconstituer la trame d'un tissu d'où ils provenaient, et qui, s'il réussissait dans sa tâche, pourrait recomposer les figures que ces fils avaient représentées". De fil en aiguille, celui-ci arrivera jusqu'à la Montespan ! Femme d'influence et maîtresse officielle du Roi de France dont les bâtards étaient légitimés, beaucoup rêvaient de lui ravir sa place d'honneur ! Jalousée par les unes, haïe par les autres, presque tous espéraient voir la Montespan chuter de son pied d'estale. Mais pouvait-on l'atteindre - directement ou non - sans toucher à Louis XIV lui-même ?

Prévoyant d'entreprendre la lecture des deux tomes consacrés au Louis XIV de Max Gallo, je me suis dis que "La Chambre ardente" était une belle introduction pour commencer avec cet auteur. Ce livre, c'est chez Leiloona que je l'avais repéré à la fin de l'année dernière et il m'avait intrigué. Ce Grand Siècle a cela de passionnant qu'il regorge de secrets d'alcôves et politiques, de bouleversements sociaux et économiques par les frondes populaires. "La Chambre ardente" n'est ni plus, ni moins qu'une idée de génie du Roi Soleil pour surveiller son entourage et découvrir les éventuels complots pouvant ébranler son pouvoir absolu. Grâce à la relation particulière - et imaginaire - écrite par Primi Visconti, on apprend qui sont les personnalités impliquées dans cette vaste entreprise criminelle. Ainsi, Madame Henriette, princesse d'Angleterre et épouse du duc d'Orléans aurait été empoisonnée, car elle avait eu le tort d'être aussi la maîtresse du roi. Ou encore,
l'épouse du duc Louis-Victor de Rochechouart - frère de la marquise de Montespan -, aurait été vue achetant ses Poudres pour se défaire de son époux encombrant ! Des proches de Louis XIV ont été - à un moment ou à un autre - accusés de faire commerce de poisons ou de participer à des messes orgiaques : Racine, la vicomtesse de Polignac, Olympe Mancini - nièce de Mazarin - Madame de Dreux - maîtresse de Richelieu. Tout cet aréopage de beaux messieurs et de belles dames, poudrés, enrubannés, parfumés, ourdissaient des cabales pour s'assurer un regain d'intérêt auprès du roi, pour retrouver un amour perdu, pour éliminer un gêneur, une prétendante ambitieuse. Mais pour assurer la paix du royaume et protéger certains intimes de Louis XIV, seules les sorcières, telles la Voisin, la Lesage, la Bosse ou la Lepère seront châtiées en subissant la question préalable et condamnées à être brûlées en place publique. Tous les nobles - gens de condition - seront simplement sermonnés pour avoir côtoyé ces messagères du diable. Seule la marquise de Montespan ne sera jamais ennuyée, son nom jamais évoqué dans cette affaire d'Etat. Trop complice du rio, trop sûre d'elle, trop de pouvoir en jeu pour oser même l'interroger en tout innocence. Avec "La Chambre ardente", Max Gallo nous plonge dans les bas-fonds du Grand Siècle, dans les coulisses du pouvoir, lorsque les aristocrates - de grandes lignées ou pas - étaient prêts à tout pour s'assure les bons offices du Louis XIV, lui qui pouvait éloigner une personne de sa Cour sur un simple caprice, une mauvaise humeur. Dans un style sobre, dépouillé, objectif, presque rêche, l'auteur nous présente une face de ce 17ème Siècle, bien sombre, où le meurtre d'un nouveau-né pour pactiser avec le diable était chose naturelle surtout pour conserver ses privilèges auprès du Roi Soleil ; une époque où tout paraissait permis dans l'occultisme tant que l'on ne touchait pas à la personne du roi.

Outre Leiloona, l'avis de la Muse agitée, celui de Stephie, le site officiel de l'auteur ... D'autres peut-être ! Merci de vous manifester par un commentaire.

23 août 2009

ANNA ET SON PRINCE

  • Un prince à conquérir - Elizabeth Harbison - Harlequin "Idylles princières"


Il était une fois à Pendletonborough une libraire de l'Institut de jeunes filles de bonnes familles de Pendleton qui rêvait de visiter l'Europe avant de prendre son nouveau poste de préceptrice au Kublenstein (ce pays ou cette région n'existe pas, j'ai cherché sur Google. Mais après ma lecture assidue du "Prince à conquérir" il se situerait entre Genève, Milan et Berlin, perdu dans les alpages. Quel talent pour imaginer une telle contrée !). Sa collègue s'inquiète de sa témérité. Après tout, elle part chez des étrangers, dont on ne sait rien. "Qui te dit que ce ne sont pas de dangereux tueurs psychopathes ? (ou des Papous sodomites !)". En fait, elle a peur de s'ennuyer en l'absence de sa copine. C'est juste pour cela qu'elle tente de lui saper le moral. Oh, mais l'autre résiste, s'accroche à son rêve comme une moule à son rocher, avec l'énergie du désespoir. Autant vous l'avouer, la copine a des intuitions ! Elle sait que son amie rencontrera l'amour, le vrai, le grand, le beau, au Kublenstein. Les cartes ont parlé pour elle !

Aussitôt dit, aussitôt fait ! Un taxi et la voilà dans le train pour le Kublenstein où le paysage est aussi épatant que dans la série "Sissi Impératrice". "Rêveusement, Anna regarda le fabuleux paysage qui se déployait sous ses yeux. N'était-elle pas déjà entrée dans un conte de fées ? En vagues argentées, les montagnes montaient à l'assaut d'un ciel aux reflets d'acier, tandis que des armées de sapins se tenaient au garde-à-vous sous les neiges éternelles. C'était l'univers féerique des frères Grimm, un monde magique où tout semblait possible ...". (Notez la note culturelle avec la référence aux contes de Grimm ! Il y en a une autre, plus bas). Changeant de wagon (absence de ventilation) et traînant ses lourdes valises, la pauvrette découvre Apollon dans un compartiment, absorbé dans ses pensées. "Telle la divinité grecque descendue de l'Olympe, il était assis avec une élégance un peu nonchalante, abîmé (?) dans ses réflexions. Il émanait de sa personne une impression de solitude telle qu'Anna sentit son cœur se serrait de compassion". Il ne l'a pas remarquée. C'est normal, personne ne prête jamais attention à elle, Cosette (ou Caliméro). C'est Apollon, certes, mais avec de faux airs de Heathcliff (il y a des airs des "Hauts du Hurlevent" dans "Un prince à conquérir" ! Ultime note culturelle, il ne faut pas abuser des bonnes choses). Comme elle avait tenté de frauder, le contrôleur exige une amende de 400 DM (c'est avant l'€uro). Bon prince, Apollon aux yeux verts (encore et toujours !) sort la somme et le fout à la porte du compartiment, parce qu'il l'avait reconnu (c'était le prince !). La pauvre fille venait aussi de s'étaler lamentablement à ses pieds à cause d'une secousse du train. Nous sommes à la page 18. Il y en a 148. Cela annonce une série palpitante et à rebondissements. La honte passée, ils font connaissance. Hans (c'est le pseudo qu'il a donné pour dissimuler sa véritable identité) lui trouve un air de Blanche Neige. "Sa longue chevelure d'un noir de jais, brillante et bien fournie, évoquait celle de Blanche-Neige. Et lorsqu'elle avait perdu ses lunettes, il avait eu le temps de remarquer l'éclat lumineux de ses yeux myosotis. Elle possédait un regard vif, intelligent, expressif, et un visage mobile où se succédaient les émotions : surprise, confusion, plaisir, curiosité ...". Blanche Neige rêve plus du prince charmant que des sept nains ! Sans même se connaître, ils se chamaillent déjà sur l'éducation des enfants. Elle les dorlote ; il les éduque à la teutonne (c'est normal, il est le prince Ludwig Johann Ambrose Georges de Kublenstein, et ses filles sont des princesses. On ne badine pas avec l'étiquette). Elle s'émeut des enfants qui jouent dans la rue et trouve Lassberg merveilleux. Mais voilà que la neige tombe. C'est magique ! Elle pense à Hans (du train, parce qu'elle ignore que
c'est le prince). Se souviendra-t-il d'elle ?

Lorsqu'elle apprend qu'elle sera gouvernante
chez le prince du Kublenstein, Anna est fière comme Artaban. Quelle surprise de voir que son employeur et Hans ne sont qu'une seule et même personne ! Qui l'eût cru ?! Comment n'avait-elle pas fait le rapprochement ? (Quelle courge !). Qu'il est beau ! Qu'il est beau ! Qu'il est beau ! Aussitôt retrouvés, les voilà qui s'engueulent à propos du protocole. Il pense à la virer sur le champ, comme les quinze autres avant elle. Mais à cette idée, son cœur saigne. C'est un signe ! Il n'ose pas se l'avouer, mais il est amoureux ! Passant outre le protocole, sous le regard médusé de Greta (la secrétaire), Hans présente Marina et Barbara (tout se termine en A, c'est plus facile à retenir). Deux poupées de cire ! "Le cœur battant, Anna vit entrer les deux petites filles au teint pâle, coiffées d'anglaises, et vêtues de tabliers à carreaux bleu clair. Elle ressemblaient à des fillettes des chromos d'autrefois, avec leurs robes longues à volants et leurs bottines vernies, songea Ana qui se demanda comment elles pouvaient jouer dehors avec des tenues pareilles". Nouvelle engueulade autour de l'éducation. Parce que Anna veut aussi changer le prince, lui faire accepter ses idées novatrices (!) comme déjeuner avec ses filles pour leur équilibre psychique, ou les sortir du palais pour voir de leurs yeux ébahis la vraie vie. L'autre lui demande de s'occuper de ses affaires. Il est odieux, mais il se sent seul, très seul, désespérément seul, abandonné dans sa demeure aux couloirs interminables et labyrinthiques où tout le monde se perd (surtout Anna !). Ils se retrouvent par hasard dans les cuisines. Le prince lui défonce l'épaule en poussant la porte comme un butor et découvre le décolleté profond aux courbes voluptueuses d'Anna. Pour faire tomber l'incendie hormonal provoqué par cette vision, il ouvre le réfrigérateur et prend un paquet de frites surgelées !

Il pense encore à la virer sur le champ pour se débarrasser de cette verrue, parce qu'elle a osé promener les princesses en ville. Mais, ému par le passé de petite fille pauvre dans un milieu social défavorisé, il l'invite à l'opéra. Il se sent nerveux et impatient. Serait-ce Cupidon qui fait les siennes ?! Tout simplement le café qu'il s'est envoyé toute la journée, et c'est un homme qui attend une femme qui se prépare pour sortir avec son prince (charmant). Il la reluque et la dévore des yeux. Elle apprend que sa femme et lui n'étaient pas proches, que le mariage était une bonne affaire commerciale, arrangée et patati et patata et que jamais, non, jamais plus, il ne recommencerait. Promis ! Juré ! Craché ! Plus de mariage, plus de femme, plus rien. Abstinence ! Comprenne qui voudra ! Mais à cette idée, son cœur saigne à nouveau (gare à l'hémorragie interne, coco !). C'est un homme, avec un cœur (encore), des sentiments (un peu), un sexe (surtout et les hormones qui lui montent à la tête et qu'il ne contrôle plus vraiment). Pas une statue de marbre ! Nouvelle engueulade (il y en a à peu près toutes les trois - quatre pages à propos de l'éducation et des convenances), toujours au sujet de l'éducation (c'est encore un signe). C'est lui le prince. C'est lui qui commande dans sa taule ! Soudain, à l'opéra, tout se déclenche. L'ambiance, la scène, le décor, Anna plus délicieuse que jamais. Hans lui saute dessus comme la misère sur le peuple (Ouf ! On est page 110. Il était temps qu'il passe à l'acte). Il lui dévore la bouche, lui suce les lèvres, lui mange la langue.
Et là, patatra ! la Castafiore débarque dans la loge princière ! Elle vient de briser l'atmosphère qui s'annonçait torride. Elle est une rivale contre Anna qui ne peut pas lutter. Elle a tout, l'autre n'a rien (Cendrillon !). Résultat ! Elle lui fait la gueule. Pour rien, parce que le prince voulait voir la princesses pour une vague inauguration. Ouf ! (on est passé à côté d'un crêpage de chignons en règle. C'est dommage, cela aurait donné un peu d'ambiance !).

Noël, Noël, mais le prince est triste à cette idée. Son cœur saigne parce qu'il déteste cette période heureuse et familiale. Il se sent si seul, si triste malgré le bal masqué qu'il va présider, seul. Mais Anna occupe ses pensées à un point tel qu'il ne peut plus rien faire d'autre, alors qu'il a tant de dossiers qui s'accumulent sur son immense et froid bureau. Heureusement, sauvé par le coucou suisse (il y a des coucous suisses partout dans le palais), il se souvient de la promesse faite aux princesses d'aller voir leur sapin (et Anna). Dès qu'elles ont le dos tourné, le prince saute sur Anna comme un affamé. Il la désire. Il la veut. Mais il se sauve comme un voleur dans son bureau. Et Anna qui rêve d'aller au bal masqué, alors que personne ne l'a invitée (re-Cendrillon !). Heureusement, la bonne Greta veille au grain parce qu'elle sait que le cœur du prince saigne, et patati, et patata ... Anna le cherche au bal, il la trouve sans la reconnaître. C'est normal, elle s'est affublée d'une perruque blonde pour faire Années Folles ! Il lui avoue être amoureux et vouloir demander en mariage la femme de sa vie. Mais pourquoi tant de haine ?! Son cœur saigne. Elle a envie de pleurer très fort et très longtemps. Elle se sauve dans sa chambre. Il l'y retrouve, pose un genou à terre (c'est un prince, ne pas l'oublier !), et lui demande de l'épouser. Elle qui pensait que le prince en pinçait pour la Castafiore, se retrouve comme une courge, le visage décomposé et le maquillage coulé à cause des sanglots.

P.S. : J'ai a-do-ré cette lecture reposante au style simpliste. J'ai tellement aimé que j'ai décidé de récidiver dans la lecture hautement kitschissime !

21 août 2009

LE PARIA

  • Signor Giovanni - Dominique Fernandez - Livre de poche n° 15566


"Un érudit qui reçoit sept coups de couteau dans sa chambre d'hôtel, un archéologue qu'on assassine dans des circonstances mystérieuses, un helléniste saigné comme un cochon, n'y a-t-il pas là matière à rêver ?". Cet érudit, cet helléniste et archéologue n'est rien moins que Johann Joachim Winckelmann, fils d'un cordonnier prussien et disciple du néoclassicisme. Jeune homme pauvre, cultivé, instruit et lettré prêt à tout pour réussir dans la vie. Il feint de se convertir au catholicisme pour s'attirer les grâces du cardinal Archinto, proche de l'électeur de Saxe Frédéric-Auguste II.

Arrivé à Trieste le 8 juin 1768, son comportement est jugé peu conforme à celle d'un homme cumulant des titres aussi prestigieux que ceux de "Secrétaire de la bibliothèque Vaticane" ou de "Préfet des Antiquités de Rome". Winckelmann rencontre dans cette ville portuaire Francesco Arcangeli à l'auberge de l'Osteria Grande, cuisinier chez le comte Cattaldi. "Le cuisinier de Pistoria, magnifié par son patronyme flamboyant, se présenta aux yeux du nostalgique de l'Hellade comme la synthèse du paganisme et du christianisme, comme le moyen de concilier le culte des dieux anciens et la dévotion au Dieu moderne". Seulement, Winckelmann vient de se lier d'amitié avec un voleur, un banni de l'Empire, un rescapé de la petite vérole qui s'est marié à Stock Haus, la prison de Vienne. Drôle d'amitié pour un homme jugé aussi brillant et cultivé que l'était Winckelmann !!! Comme s'il cherchait à oublier le personnage qu'il s'était créé par ambition. Comme s'il recherchait l'anonymat, à n'être que M. Personne. Pourquoi ?

Winckelmann aurait été assassiné à Trieste pour des motifs cupides, bassement matérialistes. "[...] je lui fis voir de grandes médailles d'argent, et deux d'or, parmi lesquelles une que me donna en cadeau l'Impératrice à Schönbrunn, il y avait le portrait du prince du Liechtenstein". Dans les actes du procès d'Arcangeli, c'est Winckelmann lui-même qui donne la version du meurtre par cupidité, alors qu'il est moribond, incapable d'articuler un mot pour donner son identité et sa profession. Autre bizarrerie. Pourquoi ? Pour impressionner son nouvel ami, il s'invente un rôle d'ambassadeur occulte auprès de l'Impératrice Marie-Thérèse, sorte de sauveur du trône de l'Empire contre un soi-disant complot politique. "Vraisemblablement, il était allé montrer à Marie-Thérèse quelques ouvrages ou manuscrit grec. Mais, pour impressionner son nouvel ami, il invente une fable politique, des secrets de cour [...]". Autre étrangeté dans la vie apparemment bien réglée, lisse, sans aspérités, de Winckelmann. A cinquante ans, cet homme de grande culture est toujours célibataire, alors qu'au 18ème Siècle l'âge limite pour se marier et éviter toute suspicion était de vingt-cinq ans, trente ans au plus tard. A cette époque, tout le monde - paysans, bourgeois, aristocrate - obéissait à cette loi non écrite. Et si, en plus de son célibat, Winckelmann était aussi hérétique ? Ou Juif ? Ou encore un simple imposteur ? Pire, un paria de la société ? Drôle de petit livre que ce "Signor Giovanni" de Dominique Fernandez qui nous invite - une fois n'est pas coutume - à une promenade culturelle à travers le temps et l'histoire. En effet, Dominique Fernandez revient sur le meurtre de Winckelmann, apôtre du néoclassicisme, poignardé à Trieste alors qu'il se rendait à Vienne. Dans son livre, l'auteur refait l'enquête de cet homicide pour le moins étrange, dont le mobile était - à l'origine - la cupidité du coupable. Tout au long de ces pages, tel un détective digne de Sherlock Holmes ou d'un Rouletabille, on défait la pelote du procès et on découvre des détails pour le moins surprenants. 90 pages qui nous tiennent en haleine et nous donnent envie de connaître - peut-être - le véritable mobile du crime, très éloigné du verdict. On a envie de savoir, d'apprendre. "Signor Giovanni" se lit d'une traite jusqu'au bout. Dès qu'on le commence, on ne peut plus le lâcher. Petit livre haletant, il donne une certaine vision de ce 18ème Siècle, tout à la fois flamboyant et austère.

18 août 2009

LES ARCANES D'UN PALACE

  • Lutetia - Pierre Assouline - Folio n°4398


"Il m'avait laissé seul avec elle. Ma conscience. Ou ce qu'il en restait. Suffisamment en tout cas pour distinguer le bien du mal, diriger ma conduite en fonction d'une raison pratique et me juger moi-même au nom d'un certain sens moral. En quatre ans, j'aurais pu maintes fois glisser de la concession au compromis, et du compromis à la compromission. Pourquoi ? Comme les autres : l'attrait du pouvoir, l'illusion de la puissance, le goût de l'argent. Tout ce qui m'avait toujours laissé indifférent. Avec la formation que j'avais reçu, le métier qui avait été le mien et celui qui l'était encore, j'avais eu mille fois l'occasion de glisser du renseignement à l'espionnage, et du mouchardage à la délation. Pourquoi ne l'avais-je pas fait ? Parce que ça ne se fait pas". Paris, printemps 1945. Édouard Kiefer, responsable de la sécurité du mythique hôtel Lutetia, se souvient - non sans nostalgie - d'un certain temps. Celui d'avant, lorsque le seul palace parisien de la rive gauche accueillait tout ce que l'Europe contenait d'artistes, d'intellectuels, d'aristocrates. Édouard Kiefer, dissimulé dans les sombres recoins de ce palace qu'il connaît par cœur, en a vu et entendu, sans jamais rien laisser paraître, sans jamais trahir un secret. Car le maître mot de cet homme si discret est bel et bien silence.

Sa vocation de policier, c'est dans la Somme en juin 1916 qu'elle naîtra, dans les tranchées remplies de boue charriant passé, présent et avenir des soldats abandonnés de Dieu. Ici comme là-bas, c'est dans un mutisme total que Kiefer vaque à ses occupations. Parfois un duel discret sur le toit du Lutetia qu'il doit arbitrer, remédier aux facéties d'un plaisantin qui n'a pas conscience qu'il peut déclencher un incident diplomatique, faire sortir furtivement une demi-mondaine de l'hôtel parce que embarrassante pour la clientèle huppée, mais sans tapage ni esclandre. Depuis son bureau, sa tour de guet - épicentre de ce monde unique -, Édouard Kiefer voit évoluer une société en train de se fissurer lentement mais sûrement. Petit à petit, cet Alsacien voit arriver les premiers exilés allemands, autrichiens, dont la langue lui redevient soudain si familière, après l'avoir enfouie au tréfonds de sa conscience. De l'autre côté du Rhin, le Lutetia sera rattaché à ces intellectuels qui feront de ce lieu feutré leur point de rencontre, pour se donner l'illusion qu'ils étaient encore protégés en France. "D'ailleurs, quand la presse ou le ministère de la Propagande y évoquaient le travail de sape des émigrés parisiens, ils les nommaient les "comités Lutetia", par commodité. Ainsi un nom de palace pouvait-il être associé à son insu à une société secrète ou à une organisation subversive. Un observateur aurait pu croire qu'une guerre hôtelière se livrait sur les rives de la Seine en découvrant que le George-V abritait, quant à lui, les réunions du très officiel comité France-Allemagne, lequel recevait von Ribbentrop à déjeuner lorsqu'il était en visite à Paris".

Mais très vite, ce monde à part basculera lui aussi de l'entre-deux-guerres à la drôle de guerre, puis à l'avant-guerre, termes enrobant une réalité que chacun croyait ou espérait ne plus revivre, Kiefer en tête. Toujours soucieux du détail jusqu'à l'obsession, il se souviendra particulièrement des heures et minutes sombres plutôt que des dates, les laissant aux spécialistes du genre, des sons du tocsin qui se gravent à jamais dans les esprits, des premières alertes aériennes qui se font dans une joyeuse pagaille, même si clients et personnel ne se mélangent jamais. On parle ici rationnement, là prix littéraire, on mange, on boit - de l'ordinaire ou des vins fins
- pour se croire toujours avant. Avec la réquisition du Lutetia par l'Abwehr, Édouard Kiefer devient l'interprète de deux mondes qui se côtoient en s'ignorant, celui de la collaboration et des hétaïres du marché noir. Toujours à son corps défendant, toujours en conservant le recul sur les hommes et les événements pour mieux se garder de prendre part. Lui qui aurait tant aimé hurler, agir, réagir, restait muet, en retrait, comme absent des scènes qu'il vivait. Le pire sera atteint par Édouard Kiefer lorsque celui-ci verra réapparaître - tels deux spectres de son passé - Bonny et Lafont, deux cerbères zélés des nouveaux maîtres du pays. "Ah, la fine équipe, Bonny et Lafont ! Ou plutôt le contraire car Lafont était bien le patron du tandem. En temps normal, par reflexe naturel, j'aurais composé TURbigo 92 00, la numéro de la direction de la PJ, dès l'apparition de ces deux ordures dans le hall. Pour les faire coffrer. Seulement, voilà, nous n'étions plus en temps normal. Ils incarnaient désormais le pouvoir, la puissance, l'argent. Ils avaient droit de vie et de mort sur beaucoup de monde. Des résistants, des juifs, des otages. Désormais, la loi c'était eux". La Libération allait donner l'occasion au Lutetia de se laver de l'humiliation subie pendant l'occupation. Les victimes allaient bientôt remplacer leurs bourreaux dans le cadre luxueux de cet hôtel parisien. En devenant l'hôtel des rescapés de la Gestapo, des survivants des camps, le Lutetia tournait définitivement le dos à ce sinistre épisode et assurait sa rédemption.

"Qu'importe ce que l'on fait, pourvu qu'on le fasse au mieux, à l'excellence, au point de perfection". Tel est Édouard Kiefer, ancien inspecteur de la PJ et des RG, passé du service de l'État à la sécurité de l'hôtel. Kiefer, trop pur, trop droit, trop moral, pour accepter toutes les compromissions, se posera - tout au long de l'occupation - la même lancinante question : jusqu'où aller sans trahir ses idéaux ? Kiefer, protestant jusque dans sa façon d'être, de penser, d'aimer, d'agir, avec mesure, circonspection, finesse. Parce que Édouard Kiefer est la mémoire vive et vibrante du "Lutetia" de Pierre Assouline. Homme taciturne, cultivant - comme ce palace parisien - l'art du savoir-faire et du savoir-être dans la retenue. S'étalant de 1938 à 1945, "Lutetia" se compose de l'avant, du pendant et de l'après de l'histoire de ce palace pas tout à fait comme les autres. L'avant, c'est la fin d'une époque, le saupoudrage des Années Folles, période où chacun donne l'impression de vivre dans une société qui - bientôt - ne sera plus qu'un souvenir évanescent. Un monde où l'on s'enivre d'un reste d'art de vivre en déballant ses richesses, ses ors, ses strass, pour mieux cacher ses origines, ses secrets, ses failles. L'avant, c'est l'histoire des coulisses du Lutetia, de la cohorte du personnel - petit ou grand, du sous-sol aux étages nobles -, de la clientèle connue, illustre ou inconnue - de passage ou habituée -, de ses amours illégitimes, de ses bruits de couloirs qui alimentaient la rumeur. Pendant, c'est la période sombre, grise ou noire, celle qui marquera cet hôtel à jamais par la présence dans ses salons de l'Abwehr. Les anti chassés par les pro, dans le lieu même où les premiers s'étaient réunis pour lutter contre la gangrène fasciste. Même si les murs ne portaient pas les cris d'agonie des martyrs des nervis de la Gestapo, il conserveraient - dans leurs pierres - les ordres de la traque des résistants, des juifs, des exilés. Le Lutetia qui verra se pavaner toute la lie de la collaboration et du marché noir, du tandem baroque Bonny et Lafont, à Joanovici ou Rudy de Mérode. L'après, c'est la Libération, cette bouffée d'air frais apportée par les alliés, cette envie de re-naître, d'effacer les traces laissées par les précédents, de panser les plaies qui allaient mettre de longs mois à cicatriser. En devenant lieu de transit des survivants des camps, endroit de retrouvaille, d'espoir et de désespoir pour les familles, le Lutetia reprenait sa juste place et se lavait des offenses subies.

Dans "Lutetia", Pierre Assouline a fait œuvre de romancier et d'historien. Romancier à travers l'histoire personnelle d'Édouard Kiefer, l'âme de cet hôtel de luxe. Historien, en colligeant les grands et petits instants de ce palace à la clientèle parfois extravagante. Car "Lutetia" est un roman creusé, fouillé, riche, dense, touffu. On a envie de crier grâce, mais on se laisse embarquer, happer par son récit dont on sort fourbu, exsangue, pantelant, mais heureux d'avoir parcouru les coulisses d'un lieu exceptionnel et précieux. "Si les murs pouvaient parler ... Ils suintent, murmurent, hurlent parfois mais ne parlent pas. A Lutetia, la musique de fond est faite de chuchotements, ceux de leur colloque ininterrompu depuis un demi-siècle. Car si tout grand hôtel est un lieu hanté, celui-ci l'est plus que d'autres".

Plusieurs avis élogieux sur rats de biblio, celui d'Emeraude, celui d'Essel, celui d'In Cold Blog ... D'autres, peut-être. Faites-vous connaître dans un commentaire.

16 août 2009

L'ARTISTE ET SON PUBLIC


"La limite, c'était le public. L'artiste était à la merci de l'auditoire. Celui-ci pouvait être ignorant, vulgaire, distrait pu perspicace, intelligent ou fermé à la nouveauté, comme le public qui n'avait pas supporté la Deuxième Symphonie de Beethoven, condamnée par un éminent critique viennois de l'époque qui l'avait qualifiée de "monstre vulgaire qui se bat furieusement de la queue jusqu'au finale si désespérément attendu" ... Et un autre éminent critique, français celui-là, n'avait-il pas déclaré dans La Revue des Deux Mondes que le Faust de Berlioz était une œuvre pleine de vulgarité et de son étranges émis par un compositeur "incapable d'écrire pour la voix humaine" ? C'est à juste titre, se dit Atlan-Ferrara avec un soupir, que nulle part au monde il n'existe de monument érigé à la mémoire d'un quelconque critique littéraire ou musical ... Placé comme il l'était en équilibre précaire entre deux création - celle du compositeur et celle du chef d'orchestre -, Gabriel Atlan-Ferrara avait envie de se laisser conduire par la beauté dissonant de cet Enfer à la fois si désirable et si redoutable que représentais la cantate d'Hector berlioz. La condition de maintien de cet équilibre - et, par conséquent, de la tranquillité d'esprit du chef d'orchestre - était que chacun reste à sa place. Surtout, dans La Damnation de Faust, la voix devait être collective afin de souligner la fatalité de la faute individuelle du héros et sa damnation."


Extrait - "L'instinct d'Inez" - Carlos fuentes

11 août 2009

LE SECRET D'ABRAHAM ZARCO

  • Le dernier Kabbaliste de Lisbonne - Pocket Éditions n°13011


"Je veux que les miens sachent les raisons de mon départ, qu'ils lisent le récit des événements survenus il y a vingt-quatre ans qui ne me permettent pas d'agir autrement. L'histoire de l'assassinat qui assombrit à jamais notre vie et de ma quête du tueur mystérieux est trop longue et trop complexe pour être contée de vive voix. Et je tiens à ne rien passer sous silence". Bérékhia Zarco se décide à écrire l'histoire de sa famille et celle de son oncle - Abraham - mystérieusement assassiné à Lisbonne alors que l'Espagne est en proie à l'inquisition et que le Portugal ne va pas tarder à sombrer elle aussi dans l'intolérance religieuse. En reprenant le récit là où lui-même l'avait interrompu - terré dans une cave - Bérékhia Zarco sait qu'il vient de replonger dans l'enfer d'une affaire sanglante et terrifiante.

Tout a commencé ce maudit jour de l'an de grâce 1506, le 16 avril. La capitale portugaise et ses environs sont rongés par la sécheresse, la famine et la peste, au point que la population sombre dans la folie furieuse. Partout, des processions de pénitents et de religieux suivis d'une foule ivre de rage, de colère, de désarroi, de peur, demandent l'arrivée de l'eau salvatrice. "Nous regardions passer une procession de flagellants, porteurs de cierges, qui se mortifiaient à coups de discipline. Les lanières de cuir étaient garnies de boules de cire hérissées de limaille d'étain et d'éclats de verre coloré. Venait ensuite une délégation de moines des couvents de Lisbonne qui brandissaient des banderoles jaune et bleu, brodées d'images du Nazaréen mis en crois. Fermant la marche, des membres de confréries à la mine fière, parés de soieries flottantes, levaient haut des litières portant des effigies des saints. Une foule s'était rassemblée pour assister à la procession, formant de part et d'autre de la rue, jusqu'aux abords de la cathédrale, deux haies désordonnées contre le blanc poussiéreux des façades, implorant alternativement la pluie et la miséricorde avec des cris qui sonnaient comme une antienne".

Pendant que les chrétiens hurlent par les rues que cette situation est l'œuvre du Malin, Abraham Zarco est en pourparlers avec le père Carlos qui refuse de lui vendre un Sefer de rabbi Salomon Ibn Gabirol pour le faire sortir secrètement du Portugal. Juif converti de force au catholicisme, Abraham Zarco continue néanmoins à pratiquer la religion interdite dans la clandestinité et initie en sous-main un groupe de mystiques - les "Moissonneurs du champs" - à l'étude approfondie de la Kabbale. Alors que les marranes se préparent à fêter Pessah en cachette des autorités, Bérékhia Zarco retrouve la maison familiale saccagée et son oncle massacré. A ses côtés, se trouvait une jeune fille inconnue de celui-ci. Les deux avaient été égorgés selon le rite ancestral du Chohet, boucher juif procédant à l'abattage rituel des animaux. Qui avait bien pu écharper ces deux-là selon les rites juifs ? Un chrétien ? Un juif volontairement converti ? Un juif mystique ? Bien sûr, avec la disette et la peste qui sévissaient dans Lisbonne, les chrétiens s'en prenaient plus facilement aux marranes et aux quelques juifs responsables de tous les maux. Il y avait eu quelques précédents ces derniers jours, mais rien de plus que d'habitude. En fouillant dans la maison, Bérékhia observe que dans la Genizah - lieu où sont
conservés les livres sacrés - un ouvrage manque. Le texte de la Pâque juive sur lequel Abraham Zarco travaillait - la Haggadah - a disparu. Qui pouvait bien s'intéresser à un texte prétendument sans valeur autre que religieuse ? "Le seul ouvrage manquant posait une nouvelle énigme. C'était la Haggadah que mon oncle avait presque terminée la veille de sa mort. Quelle que fût la témérité de ses motifs décoratifs, la beauté des lettres ornées à tête d'oiseau, elle ne valait rien en regard des manuscrits d'Aboulafia, vieux de plusieurs siècles, dont certains passages étaient écrits de la propre main du maître. La Haggadah de mon oncle avait donc pour le tueur une valeur secrète".

En partant à la recherche de ses proches et du meurtrier de son oncle, Bérékhia Zarco va plonger dans une ville livrée à la folie rédemptrice, à la vindicte collective. Partout, les dominicains exhortent la population crédule à l'anéantissement des Juifs, seule condition pour rétablir une situation catastrophique engendrée par des phénomènes naturels. Des bûchers sont allumés pour faire rôtir les corps des malheureux avant de les vouer aux flammes de l'enfer éternel. Dans sa quête, Bérékhia rencontrera des Juifs qui - comme lui - auront perdu la foi en Dieu, d'autres voudront persister dans la religion honnie, prêts à tout et même à se sacrifier avec leurs familles plutôt que de renier la croyance ancestrale.

"Le dernier Kabbaliste de Lisbonne" de Richard Zimler est l'adaptation libre d'une traduction de manuscrits retrouvés par l'auteur à Istanbul. Composés de six traités, allant de 1507 à 1530, ils racontaient le massacre de Lisbonne qui devait se solder par la mort de près de 2 000 nouveaux chrétiens. Mais, au-delà de cet épisode sanglant de l'histoire du Portugal, Richard Zimler nous fait partir à la découverte de la communauté juive de cette région, de son passé, de ses rites et coutumes. Une
histoire émaillée de tolérance à l'égard de leur présence et de leur religion, mais aussi d'interdits, de contraintes et de conversions forcées. Avec le décret de 1492 d'Isabelle la Catholique en Espagne, suivi en 1497 par Dom Manuel du Portugal, la communauté juive s'était vue dans l'obligation de se convertir à la religion catholique et de se faire baptiser. Si beaucoup ont choisi la fuite, d'autres se sont pliés aux volontés royales tout en maintenant l'enseignement de la religion juive dans la clandestinité. Les marranes étaient poursuivis, pourchassés, jugés et condamnés au bûcher par les prêcheurs de l'inquisition qui ne reconnaissaient qu'une seule et unique foi, la catholicisme. C'est tout cela que l'on retrouve dans ce roman. Ce fait de l'histoire religieuse sert de trame à l'enquête que va mener Bérékhia Zarco, accompagné de son ami musulman - Farid -, pour tenter de démêler l'écheveau qui a conduit au meurtre de son oncle, grand Kabbaliste à Lisbonne. A travers cette exploration, c'est la société du 16ème Siècle qui revit avec ses peurs, ses non-dits, ses tabous, ses superstitions. Société à peine sortie du Moyen Âge, mais maintenue dans la ferveur religieuse avec des actes de foi et de contrition à faire pour obtenir le paradis tant promis. Menée tambour battant, sans temps mort et aux multiples rebondissements, "Le dernier Kabbaliste de Lisbonne" est une enquête haletante et palpitante avec un personnage baroque. Bérékhia Zarco, à la fois sage et un peu devin, entraîne le lecteur dans une aventure dont on ressort à bout de souffle. Une fois commencé, on ne lâche plus "Le dernier Kabbaliste de Lisbonne".


"Le dernier Kabbaliste de Lisbonne" a été lu dans le cadre du challenge de Catherine



L'avis de
nad93, celui de Dasola, d'autres peut-être ... Merci de me le faire savoir dans un commentaire.

8 août 2009

LE LIVRE DES ESPRITS (2)

  • Alister Kayne Chasseur de fantômes - Tome 2 : Dans ce monde comme dans l'autre - Betbeder/Henninot - Albin Michel Éditions (collection Post Mortem)


Alister Kayne a quitté l'Angleterre pour le vieux continent, laissant derrière lui une femme meurtrie et une réputation de lâche, d'opportuniste et de sous-fifre après la lamentable affaire visant à démontrer que Sir Arthur Conan Doyle n'était qu'un manipulateur se servant de sa célébrité pour faire accepter l'existence des supposées fées de Cottingley entrevues grâce à la technique de la photographie spirite.

Parti au fin fond de la Transylvanie - région du comte Dracula, pays figé dans ses peurs et superstitions d'un autre âge -, Alyster Kayne est considéré par cette population frustre et rurale comme un "Strigoï", un esprit des ténèbres, un vampire. Ne croyant pas à la légende de Dracula et autres monstres mythologiques, il traquera dans la région la bête ou l'homme qui terrorisait ces pauvres gens crédules. Cette expérience le poussera aux abords de la folie et du délire. Pour revivre, Alister Kayne sait qu'il doit retourner parmi les vivants.

Lors de son retour par l'Orient-Express, Alister Kayne perçoit un bruit sourd et étrange. Il apprend qu'un suicide et un meurtre avaient eu lieu quelques années auparavant après une altercation entre un homme et une femme, complices d'un vol de pierres précieuses. Si le corps de l'homme avait été retrouvé dans le wagon qu'il occupait, celui de la femme avait mystérieusement disparu sans laisser de traces. Pris d'une transe soudaine, Alister Kayne retrouvera les restes du corps, tombés dans un ravin sur le bas-côté de la ligne de chemin de fer. Au même moment, le comte Logothati - étrange réplique de Nosferatu le Vampire -, spécialiste de la parapsychologie et rencontré dans ce même train, lui confirme ses dons de médium, ce que refusera d'admettre Alister Kayne au long de sa vie. Pour tenter de le convaincre de ses dons médiumniques, le comte fantasque et hors du temps lui propose d'assister à un rituel lors de la nuit de Walpurgis, le 30 avril 1923. Au cours d'une séance spirite, un esprit recommandera à Alister Kayne à la rencontre de Blocksberg, le 30 avril. Il en va de sa survie jusque dans l'autre monde.

Dans le tome 2 de "Alister Kayne", sous-titré "Dans ce monde comme dans l'autre", le personnage principal revient sur son passé et retrace les expériences marquantes
qui ont jalonné son existence mouvementée. Entre ombre et lumière, passé et présent, hier et aujourd'hui, vie et mort, Alister Kayne ne cesse de nous promener. Ses allusions à la Mort vue comme un spectre impressionnant proche de l'Alchimiste des contes et légendes populaires apparaissent dans ce tome 2 pour les amateurs du genre. De même, les mythes autour des grand monuments parisiens hantés par les esprits des lieux sont invoqués. On retrouve également Houdini et Sir Conan Doyle, déjà présents dans le tome 1. L'aventure du premier tome se poursuit et s'intensifie dans celui-ci. Même si de nombreux éléments échappent au lecteur, on est happé, magnétisé par cette histoire aux confins du fantastique, de l'onirique, de l'au-delà. Les références aux expériences paranormales sont nombreuses, ce qui rend encore plus passionnante cette bande dessinée. Cependant, on reste un peu sur notre quant à soi, car il nous faudra attendre le prochain tome pour comprendre certains événements qui sont restés en suspend.

Pour vous remémorer le tome 1, c'est par-là.

6 août 2009

LE GRAND AMOUR DE MALRAUX

  • Le cœur battant - Suzanne CHANTAL - Grasset Éditions

"On ne se sépare d'un homme comme Malraux. Il y aura toujours son nom dans un journal, sur la couverture d'un livre, sur les lèvres des uns et des autres [...]. Je suis sûre que, si je renonçais à lui, aussitôt viendrait une autre femme qui elle, aurait sans effort, ce qui m'a été, tenacement, refusé." Si l'on croit aux phrases prémonitoires, celle de Josette Clotis concernant sa relation avec André Malraux en est bien une. A elle seule, cette phrase est un concentré de sa vie commune avec l'un des plus grands écrivains du 20ème Siècle. Elle aurait pu être une de ces actrices ou starlettes célèbres dans les années 1930, charmeuse et frivole à la fois. Elle a préféré être le grand amour secret de Malraux. Leur première rencontre se fera chez l'éditeur Gallimard - à la NRF - juste avant son prix Goncourt en 1933 pour "La condition humaine". Elle vient de publier un livre, "Le temps vert." Le seul. Elle travaille pour la revue "Marianne", rubrique "parisienne", "potins", "cancans". Immédiatement, elle est attirée, aimantée, fascinée par l'homme, l'auteur, le personnage officiel. "Elle regarde ce visage lumineux, ce visage désormais pour elle le plus important qui soit au monde et pense, avec un pincement au cœur : "Et si, toi je t'aimais pour la vie, sans aucune pensée d'infidélité." D'ailleurs, cette attirance est réciproque. Ce qu'il a aimé en elle, c'est cette spontanéité instinctive et drôle, cette absence de prétention, cette intelligence et ce goût très sûr.

Ils commencent à se voir régulièrement par une simple liaison platonique, puis plus profonde, qui s'ancre dans le temps et dans la vie d'André Malraux. Mais il y a une ombre à ce tableau idyllique. André Malraux est déjà marié. Clara Malraux et Josette Clotis sont antithétiques. Josette Clotis avait "le sein haut, la cuisse longue, le pied mince, le cou délié tenant fièrement une tête ronde, au profil de camé, sous des cascades de cheveux clairs." A l'opposé, Clara a un grand nez, un teint gris, des traits virils. Elle est petite et voûtée, avec une absence totale de douceur qui lui donne un air intelligent. Elles se connaissent, bien que ne fréquentant pas les mêmes milieux. En fait, Josette est impressionnée par Clara. Elle est aussi jalouse du passé, de l'histoire commune du couple officiel qu'ils forment. Comme toutes les femmes amoureuses. Elle se demandera jusqu'au bout la place occupée par Clara dans l'existence de Malraux, et quel rang elle a gardé toute sa vie ? L'ombre de Clara Malraux planera en permanence sur le couple Malraux/Clotis, comme un aigle sur sa proie.

Très vite, André Malraux hésitera entre ces deux femmes, complémentaires : Clara, l'intellectuelle, l'officielle, la "régulière" ; Josette, son grand amour, secret mais réel. Avec le temps, la liaison secrète devient officielle. Ils s'aiment au grand jour. Malraux demande le divorce. Mais cette procédure traînera en longueur, sera difficile et coûteuse. La guerre sera une trêve dans cette séparation officielle. Clara Malraux est née juive. André Malraux refusera de lui faire prendre le moindre risque. Le mariage la protège d'une déportation. Josette en tiendra toujours griefs à celle-ci, la voyant comme un obstacle à son désir de porter le nom de l'homme qu'elle aime. "Elle vous précédait, triomphante, dans un char, elle dirigeait tout, changeait nos résidences, vous appelait sous les prétextes les plus insensés, bouleversait et saccageait à jamais notre vie."

Mais il faut faire vite. Le temps presse. La guerre se profile avec son lot de risques, d'incertitudes, de peurs. Josette Clotis est enceinte. Cet enfant ne peut que porter le nom de Malraux. Le nom de son père. Il le portera, grâce à Robert, le frère d'André Malraux, qui le reconnaît. Un deuxième arrivera. Plus tard. Le couple connaît des fluctuations. La vision de Josette Clotis sur la vie de couple diffère de celle de Malraux. "Il parle et tranche. Tout le monde trouve naturel qu'il le fasse. Elle veut un couple fraternel, une confiance tendre, sans premier rôle, elle veut vivre avec lui côte à côte et pas à la remorque."

Les événements s'enchaînent. Roland et André Malraux s'engagent dans la résistance. Roland est arrêté et déporté. Il ne reviendra pas. Jeune marié, il laisse une femme - Madeleine - et un enfant. La fin de la guerre est proche. On la sent arriver. Josette aussi. Elle revient à Paris, après un exil à la campagne. Elle, si parisienne, avait retrouvé ses origines profondes entre Rouergue et Quercy. Le bonheur frappe de nouveau à sa porte. Comme le printemps revient après la grisaille de l'hiver qu'elle détestait. Elle a deux garçons. Deux Malraux. Le divorce est en cours. Le mariage se fera. C'est sûr. Malraux lui a promis. Jusqu'à cet accident stupide sur le quai d'une gare. Tragique et dramatique. Dans ses "Antimémoires", Malraux écrira que "la mort de la femme aimée, c'est la foudre." Il sera au désespoir, n'aura plus de projets et se sentira désorienté dans une vie où il n'arrive pas à reprendre pied. Finalement, la vie est toujours plus forte que tout. Malraux et Clara divorceront après la guerre. Il épousera la veuve de son frère Roland, Madeleine. Ainsi va la vie.

"Le cœur battant" n'est pas une nouvelle biographie d'André Malraux. C'est un bout de sa vie privée, lui qui ne se livrait pas, ou alors avec parcimonie. C'est le roman d'un amour fou où Malraux se dévoilera tel qu'il était. On le verra tour à tour humain, possessif, jaloux, amoureux, paternel. On connaîtra mieux Josette Clotis, toujours reléguée aux rangs subalternes dans les biographies officielles, souvent écrasées par les personnalités de Clara Malraux et de Louise de Vilmorin. Ce n'est certes pas un grand livre. C'est un bon petit livre, loin des hagiographies et des discours académiques. Pour (re)découvrir un autre Malraux, plus secret, plus proche.

Nouvelle édition de ce billet, initialement paru le 16 novembre 2006 sur mon précédent blog.

4 août 2009

LE CHOC DES MONDES

  • Vent d'est, vent d'ouest - Pearl Buck - Livre de Poche n°912


"Je puis vous raconter ces choses, à vous, ma sœur. Je ne saurais en parler avec l'un des miens, car il ne se ferait aucune idée de ces contrées lointaines où mon mari a passé douze ans, et je ne me sentirais pas libre non plus auprès de ces étrangères qui ne connaissent ni mon peuple ni notre manière de vivre depuis l'Ancien Empire. Mais vous ? Vous avez passé votre existence entière parmi nous. Même si vous appartenez au pays où mon mari a étudié dans ses livres occidentaux, vous comprendrez, je ne vous cacherai rien. Je vous ai appelée ma sœur, je vous dirai tout".

Kwei-Lang se décide à relater l'histoire et les coutumes de ses ancêtres, présents à Pékin depuis plus de cinq cents ans à celle qu'elle considère sa "sœur". Alors qu'elle vient d'être mariée à un homme dont elle était promise avant sa naissance, Kwei-Lang ne comprend pas les attitudes de celui-ci envers elle. Faisant des efforts pour paraître plaisante à la manière de ses aïeules, pour séduire son seigneur et maître, elle se questionne sur le sens de sa beauté. "Je suis assez belle alors, et prête pour lui. Mais dès l'instant où son regard s'abaisse sur moi, je m'aperçois qu'il ne remarque rien, ni lèvres ni sourcils. Ses pensés voguent ailleurs, par terre et par mer, partout où je ne suis pas à l'attendre". Car Kwei-Lang a été élevée selon les rites de l'aristocratie chinoise pour servir au mieux son époux et sa belle-mère. Elle n'ignore rien de la cérémonie du thé ou de l'art de préparer les plats pour attirer ses regards. Elle a appris à se tenir en société en fonction de son rang. Surtout, elle a souffert le martyr pour avoir les plus jolis petits pieds de sa génération, attribut suprême de féminité et de séduction dans son milieu. Elle sait qu'elle devra donner un fils à son mari dans la première année de son mariage. Si Kwei-Lang a été confinée dans le passé ancestral de ses origines, son frère s'est peu à peu émancipé de ces traditions pour étudier à l'université, puis partir en Amérique, décidant de s'habiller à l'occidentale et refusant catégoriquement le mariage arrangé pour lui par ses parents. Elle acceptera difficilement que celui-ci revienne dans la maison familiale en imposant une étrangère comme épouse, en lieu et place de la jeune fille choisie.

Quelle ne sera pas sa profonde déception de découvrir son époux occidentalisé, lui aussi, refusant d'imposer quoi que ce soit à son épouse, préférant lui laisser le libre arbitre de ses sentiments, de ses choix, de sa vie, elle qui avait tout le temps été dirigée. ""On ne peut vous demander d'être attirée vers celui que vous apercevez
pour la première fois ; il en est de même de mon côté. On nous a obligés, l'un comme l'autre, à ce mariage. Jusqu'ici, nous étions sans défense. Mais à présent nous voilà seuls ; nous sommes libres de nous créer une vie selon nos désirs. Quant à moi, je veux suivre les voies nouvelles. Je veux vous considérer, en toutes choses, comme mon égale. Je n'userai jamais de la contrainte. Vous n'êtes pas mon bien, un objet en ma possession. Vous pouvez être mon amie, si vous voulez." Voilà la discours que j'entendis le soir de mes noces ! Tout d'abord, j'étais trop étonnée pour comprendre. Son égale ! Mais comment ?". Le pire sera lorsque celui-ci lui demandera de débander ses pieds, emblème de sa distinction, de son rang social. Comment peut-il exiger cela, après tant de souffrances acceptées rien que pour lui plaire. La seule façon de capter cet homme si étranger à son univers, si occidentalisé, sera de s'émanciper de son passé immémorial, de laisser les usages et croyances révolus et de se tourner vers l'avenir, vers la modernité, vers la vie, malgré ses peurs et ses angoisses.

Si "Vent d'est, vent d'ouest" possède bien une qualité, c'est celle de nous faire vivre de l'intérieur la société aristocratique en Chine. Par la grâce et la beauté de l'écriture de Pearl Buck - prix Nobel 1938 - ce monde si secret, si fermé aux étrangers s'entrouvre miraculeusement pour nous, lecteur tout à la fois ébahis et effarés. Émerveillés par la débauche de luxe des palais, le faste d'un univers feutré, mais surtout consternés par le poids des traditions qui posaient une chape de plomb sur les pensées et les actes des personnes. Cette société qui vivait encore - malgré les traités et les concessions avec les pays occidentaux -, selon les mœurs d'une autre époque, éloignée du 20ème Siècle. Un monde avec ses castes, ses classes sociales corsetées, ses convenances d'un autre âge. Kwei-Lang et son mari sont deux chinois de même rang social, mais que tout oppose. Si son objectif est de lui convenir, comme l'a fait sa mère avec son père, lui a fait siennes les habitudes modernes de l'occident. Et c'est bien là que réside l'intérêt de "Vent d'est, vent d'ouest". Pearl Buck retranscrit à merveille ce décalage social et culturel entre les
chinois et les occidentaux. Ce fossé de rites, de coutumes qui paraît infranchissable tant les modes de pensée, d'être, de vivre sont en totale dissonances. En prenant pour thème un frère qui s'émancipe de la tutelle familiale en partant pour l'étranger, épousant une américaine et une sœur - plus docile et plus candide - qui cherche à s'ouvrir au monde nouveau grâce à son mari, Pearl Buck nous montre une Chine en plein bouleversement social et culturel. Par son écriture poétique, usant de circonlocutions, d'ellipses et d'un langage imagé, l'auteur nous parle d'une autre Chine, cloîtrée, autarcique, enferrée dans ses coutumes, à la croisée des chemins entre passé illustre, présent confus et avenir aléatoire.

"Vent d'est, vent d'ouest" a été lu dans le cadre du challenge



Des avis sur rats de biblio, celui de Sandra, celui de Fanyoun, celui de Méria ... D'autres peut-être, merci de me le faire savoir dans un commentaire.

1 août 2009

LE DROIT D'ABSOUDRE ... OU PAS !

  • Pardonner, tyrannie ou libération ? - Sylvie Tenenbaum - Inter Éditions

"Dans ce livre sur le pardon, je vous parlerai des enfants (et des adultes qu'ils sont devenus) qui souffrent des tourments infligés par des parents nuisibles, quelle que soit l'intensité de leur nuisance. Vous en connaissez tous, dans votre entourage privé ou professionnel. Ce sont des personnes qui prennent des antidépresseurs, des anxiolytiques, des calmants ; qui sont malheureuses ; qui semblent aller d'échec en échec dans leur vie amoureuse, professionnelle. La plupart du temps, elles ne font pas le lien entre ce qu'elles ont vécu dans leur enfance et dans leur adolescence et leurs échecs actuels, leurs difficultés à vivre. Pourtant, "quel que soit notre âge, c'est toujours l'enfant qui est atteint en nous, celui qui est sans défense"". Dans son ouvrage, Sylvie Tenenbaum - psychothérapeute - revient sur cette notion si importante dans notre vie sociale, le pardon. Ainsi, dans les trois religions monothéistes, c'est Dieu - seigneur, éternel et miséricordieux - qui accorde le pardon suprême aux hommes imparfaits et faillibles. Et si nous pardonnons à autrui, Dieu nous pardonnera (CQFD). "Pardonner est un véritable acte d'amour, désintéressé. Car "Dieu pardonne" et par ce pardon reçu, l'homme fait "l'expérience de la grâce de Dieu"". S'il faut du courage pour pardonner à quelqu'un, il est encore plus difficile de demander pardon. Ce sentiment de honte, de culpabilité reconnue est le plus souvent perçu comme une forme de faiblesse morale, psychologique, voire même physique. Seule la victime peut pardonner à son tourmenteur pour le réhabiliter. Encore faudrait-il que le tortionnaire ait conscience de son acte pour que le pardon prenne tout son sens. Le pardon collectif au nom de l'Histoire, du passé, de la réconciliation entre les Peuples semble n'être qu'un pis-aller. "Seul l'offensé possède la légitimité du pardon car l'offense ou les crimes sont toujours accomplis de personne à personne, même s'ils sont collectifs. De nombreux crimes resteront ainsi à jamais impunis, ceux dont les victimes sont mortes, au cours des siècles, des dernières années ou ce jour d'aujourd'hui [...]".

En aucun cas, le pardon ne sera un acte thérapeutique vers l'apaisement, pour tourner la page et écrire une nouvelle histoire personnelle. "Promettre la "guérison" de la souffrance grâce au pardon est un leurre qui, l'expérience le démontre, se révèle être un mensonge". Plus même, le pardon n'est pas une sujétion. Seule, la victime détient cette faculté de le dédouaner de ses actes. En aucun cas, personne ne peut la culpabiliser de ne pas pardonner pour les souffrances physiques, morales, psychiques endurées. Dans ces circonstances, l'entourage - parents, amis, thérapeutes -, peut prendre la forme du "maître-chanteur". "Pardonne ou tu seras puni ! Pardonne ou tu deviendras à ton tour impardonnable !"". L'acte de pardon doit être spontané et jamais dirigé, commandé, ordonné ou imposé.

Le pardon est la finalisation d'un processus qui se met en place dès l'enfance, sa naissance et même in utero. Un adulte ne sera épanoui, fort moralement, solide psychologiquement qu'à la seule condition que son enfance ait été réussie. Un enfant qui a enduré des maux, dont les relations avec les parents, l'entourage proche, la fratrie n'ont pas été harmonieuses ne sera jamais un adulte équilibré,
stable. "Lorsque les parents font souffrir leurs enfants, ces derniers consacrent inconsciemment une grande part de leur énergie à effacer tous les souvenirs de ce qu'ils ont subi : refoulés aux tréfonds de leur mémoire, ils sont absents de leur conscience. Pourtant, devenus adulte, ils ne parviennent pas - comme empêchés, entravés - à vivre comme ils le désirent. Qu'ils s'agisse de leur vie affective, relationnelle ou même professionnelle, ils sont comme perdus et rencontrent bon nombre d'obstacles à leur épanouissement". Ces carences affectives entraînent, dès lors, un manque d'estime de soi, un désamour pour sa personne, un isolement persistant, des échecs. Le tout menant souvent à la dépression.

De même, le silence et le non-dit pour conserver les apparences de la normalité, de la perfection dans une famille est néfaste. L'enfant porte en lui le poids d'une responsabilité qui ne lui appartient pas. Devenu adulte, soit il persistera dans la soumission aux volontés parentales et
refoulera ses attentes personnelles, se pliera à cette autorité sans prendre une décision propre de peur de peur de les décevoir ; soit ils entreront en résistance et tomberont dans les excès, la rébellion, les violences ou dans la délinquance.

Dans "Pardonnes, tyrannie ou libération", Sylvie Tenenbaum part de la généralité du pardon comme un acte généreux, bienveillant issue de la religion. Absoudre les péchés, les malheurs faits à autrui pour oublier, tel était le fondement de cet acte rédempteur. Mais qu'en est-il réellement ? En tant que thérapeute, Sylvie Tenenbaum a compris que le pardon était une manière d'enfouir sa détresse, de l'oublier dans les profondeurs de son moi inconscient. Or, il n'en est rien. A travers de nombreux exemples de patients venus en thérapie, elle démontre que pardonner à un parent nuisible ou prédateur n'a rien changé à leur situation. Au contraire. Ces patients ont endossé une responsabilité pour décharger les vrais coupables. Une des méthodes pour sortir de ce cercle vicieux "violence, pardon, culpabilité" sera la psychothérapie. Dès lors, le spécialiste sera celui/celle qui aide le souffrant à accoucher de son passé pour s'en délivrer. Le pardon n'est pas une fin en soi, parce que le passé - parfois douloureux - ne disparaîtra jamais de la mémoire. L'essentiel est l'acceptation de soi avec ses qualités et ses défauts, l'écoute de ses émotions et la distanciation avec les événements.

Une interview de Sylvie Tenenbaum sur le site des éditions Dunod.

Merci à Antigone qui en a fait un livre voyageur et pour qui cette lecture a été libératrice et instructive ; pour Sylvie, c'est un livre salutaire ; pour Leiloona, il permet de réfléchir sur certaines démarches éducatives ... Ce livre va continuer son parcours en allant chez Saxaoul.