- Si loin de vous - Nina Revoyr - Phébus Éditions
"Pendant plus de dix ans, et plus particulièrement entre 1915 et 1922, j'ai accordé d'innombrables interviews, posé pour des séances de photographies et été l'objet de nombreux articles dans les revues de cinéma. Les somptueuses réceptions que je donnais dans ma propriété des collines de Hollywood attiraient parfois jusqu'à cinq cents invités, tandis que la première de chacun de mes nouveaux films faisait salle comble dans les cinémas les plus prestigieux du pays. J'étais un personnage aussi célèbre et reconnaissable qu'il était possible de l'être en ce temps-là". Alors que Jun Nakayama coule des jours heureux dans sa villa au pied des colline de Hollywood, s'acharnant à conserver une anonymat que les décennies passées avaient facilité, un jeune trublion vient perturber son existence ordonnée en le retrouvant pour le Temple du cinéma muet. Par un simple appel téléphonique, Nick Bellinger vient de faire ressurgir un passé que le célèbre acteur de cinéma muet d'origine japonaise pensait avoir enfoui une bonne fois pour toutes. Et comme ses contemporains ont la mémoire courte, cela lui convenait parfaitement.
Homme discret, Jun Nakayama avait décidé - de son plein gré - d'arrêter sa carrière cinématographique à son firmament, en 1922. Contrairement à ce qu'affirmaient certains critique de cinéma, cette décision n'avait rien à voir avec un quelconque racisme anti-japonais se développant à la même époque aux États-Unis en général, en Californie en particulier. Encore moins en raison de l'image négative que Jun Nakayama donnait de l'homme oriental à travers l'un de ses personnages, Sasaki. A la fin de sa vie, Jun Nakayama n'a qu'un seul et unique regret, celui de ne pas avoir fondé une famille qui aurait donné un sens concret à son existence. Mais sa carrière, ses premiers pas à Hollywood, ses débuts prometteurs au cinéma ne l'avaient pas incité à penser à tout cela.
Et lorsqu'il revient sur son passé, Jun Nakayama ne voulait pas devenir comédien. Parti de Tokyo pour faire des études de littérature et perfectionner son anglais, son désir était d'enseigner. "A l'université du Wisconsin, où j'étais étudiant en anglais, je me suis intéressé aux littératures anglaise et française - je me suis pris d'une passion particulière pour Hardy, Eliot, Dickens et Forster, et j'ai acquis une assez bonne connaissance de Balzac et de Flaubert. J'adorais les écrivains russes, dont je dévorais les œuvres traduites en japonais - Tolstoï, Tourgueniev, Dostoïevski. Et puis je lisais des pièces et allais voir chaque compagnie de théâtre qui se produisait à Madison, notamment celles qui interprétaient Shakespeare et d'autres classiques du répertoire anglais". C'est le hasard qui l'amènera tout d'abord à devenir metteur en scène, scénariste et comédien dans une pièce pour le Théâtre de Little Tokyo à Los Angeles. Les dès d'un destin prospère venaient d'être jetés pour Jun Nakayama. D'un coup, son avenir basculait. Il passerait ainsi du petit théâtre de quartier à la machine cinématographique américaine par l'entremise d'une jeune comédienne japonais, Hanako Minatoya. C'est grâce à cette jeune femme que Jun Nakayama apprendra, développera et affinera son jeu face à la caméra, au point de devenir une star convoitée par les sociétés de production de l'époque. Sa carrière explosera avec "Tour de passe-passe" de Ashley Bennet Tyler, dans lequel il jouera le rôle du méchant oriental. Ce film déchaînera les passions et exacerbera encore un peu plus les clivages existant entre orientaux et occidentaux en Californie. Et voilà que Nick Bellinger débarquait avec son impétuosité et sa jeunesse et rêvait de faire tourner à nouveau Jun Nakayama dans un long métrage parlant ! Cela le perturbe quelque peu, car il craint que l'affaire concernant le meurtre du metteur en scène Ashley Bennet Tyler - jamais élucidé - ne remonte à la surface. "Je dois admettre que j'éprouvais une certaine appréhension, car un retour au cinéma ne serait pas chose simple. J'étais aussi assez anxieux à la pensée de jouer dans un film sonore. Tant de mes contemporains n'avaient pas survécu à la transition avec le parlant - non seulement les acteurs et les actrices aux voix trop aiguës, trop graves ou trop grinçantes, mais aussi ceux qui avaient une jolie voix et ignoraient comment l'utiliser, ou encore ceux dont la voix ne pourrait jamais être à la hauteur de ce qu'avaient imaginé les spectateurs. Cependant, je savais que j'étais sans rival sur le plan du pur talent de comédien".
Dans "Si loin de vous" et par la voix de son personnage principal, Nina Revoyr fait revivre un mythe de l'Amérique à l'aube du 20ème Siècle, le cinéma muet et les débuts de Hollywood, du temps où ce n'était encore que des collines verdoyantes, des sentiers et des terres agricoles. Jun Nakayama se souvient de cette époque légendaire où il était l'égal d'un Rudolph Valentino et faisait se pâmer d'extase ses groupies féminines à chacune de ses sorties, où ses films étaient tous des succès assurés, où les plus grands cinéastes s'arrachaient ses talents de comédien. Car dans les prémices de cet âge d'or de Hollywood, il était fréquent de passer de l'anonymat aux feux de la rampe du jour au lendemain. N'importe qui, avec un peu de talent pour la scène, pouvait se transformer en comédien du muet, en producteur de renom. Tous se sentaient portés par cette nouvelle technique dont chacun pressentait qu'elle allait révolutionner le siècle naissant. Mais par-delà l'avènement du 7ème Art, Nina Revoyr en profite pour nous raconter la communauté japonaise de Little Tokyo, sa culture, ses hommes d'affaires mécènes qui, par leur réussite sociale et leur intégration, aidaient les nouveaux immigrants à s'installer aux États-Unis. Elle nous dit aussi ces lois américaines visant à limiter l'arrivée des Japonais sur le territoire et leur difficulté pour accéder à la citoyenneté, amenant ressentiment d'un côté et ostracisme de l'autre. Sans parler du racisme anti-japonais qui ira crescendo jusqu'à la 2ème Guerre Mondiale. L'auteur a fait de son personnage principal un être tout en retenu, en pondération, rempli d'humilité et empreint d'une certaine sagesse, comme seuls savent l'être les Asiatiques. Son comportement est celui d'un homme qui en a vu beaucoup, vécu autant et entendu plus encore. Jun Nakayama est un personnage très en retrait qui nous décrit un univers impitoyable où rien n'est le fruit d'un heureux hasard. "Si loin de vous" est le roman de la nostalgie sur le temps qui passe, des occasions manquées et des amours tus ou dissipés. C'est un roman comme un paravent japonais, filtrant le superflu pour ne laisser apparaître que l'essentiel.
Beaucoup ont lu ce roman, dont Stephie, Leiloona, Catherine, Papillon, Thaïs, Véronique, Alice, Amanda, Sylire, Pascale, Joëlle, Cathulu, Lael, Clarabel, et d'autres que j'ai oublié (parce que je suis une grosse fainéante) et que l'on retrouve chez BOB ...
C'est grâce à Suzanne, de Chez les Filles, que j'ai fait cette lecture merveilleuse dans un monde qui l'est beaucoup moins. Comme toujours, je la remercie pour cet envoi et ce choix judicieux et captivant !
332 - 1 = 331 ... Si c'est pas épatant, ça ! Pas d'achat cette semaine, en plus ...
Homme discret, Jun Nakayama avait décidé - de son plein gré - d'arrêter sa carrière cinématographique à son firmament, en 1922. Contrairement à ce qu'affirmaient certains critique de cinéma, cette décision n'avait rien à voir avec un quelconque racisme anti-japonais se développant à la même époque aux États-Unis en général, en Californie en particulier. Encore moins en raison de l'image négative que Jun Nakayama donnait de l'homme oriental à travers l'un de ses personnages, Sasaki. A la fin de sa vie, Jun Nakayama n'a qu'un seul et unique regret, celui de ne pas avoir fondé une famille qui aurait donné un sens concret à son existence. Mais sa carrière, ses premiers pas à Hollywood, ses débuts prometteurs au cinéma ne l'avaient pas incité à penser à tout cela.
Et lorsqu'il revient sur son passé, Jun Nakayama ne voulait pas devenir comédien. Parti de Tokyo pour faire des études de littérature et perfectionner son anglais, son désir était d'enseigner. "A l'université du Wisconsin, où j'étais étudiant en anglais, je me suis intéressé aux littératures anglaise et française - je me suis pris d'une passion particulière pour Hardy, Eliot, Dickens et Forster, et j'ai acquis une assez bonne connaissance de Balzac et de Flaubert. J'adorais les écrivains russes, dont je dévorais les œuvres traduites en japonais - Tolstoï, Tourgueniev, Dostoïevski. Et puis je lisais des pièces et allais voir chaque compagnie de théâtre qui se produisait à Madison, notamment celles qui interprétaient Shakespeare et d'autres classiques du répertoire anglais". C'est le hasard qui l'amènera tout d'abord à devenir metteur en scène, scénariste et comédien dans une pièce pour le Théâtre de Little Tokyo à Los Angeles. Les dès d'un destin prospère venaient d'être jetés pour Jun Nakayama. D'un coup, son avenir basculait. Il passerait ainsi du petit théâtre de quartier à la machine cinématographique américaine par l'entremise d'une jeune comédienne japonais, Hanako Minatoya. C'est grâce à cette jeune femme que Jun Nakayama apprendra, développera et affinera son jeu face à la caméra, au point de devenir une star convoitée par les sociétés de production de l'époque. Sa carrière explosera avec "Tour de passe-passe" de Ashley Bennet Tyler, dans lequel il jouera le rôle du méchant oriental. Ce film déchaînera les passions et exacerbera encore un peu plus les clivages existant entre orientaux et occidentaux en Californie. Et voilà que Nick Bellinger débarquait avec son impétuosité et sa jeunesse et rêvait de faire tourner à nouveau Jun Nakayama dans un long métrage parlant ! Cela le perturbe quelque peu, car il craint que l'affaire concernant le meurtre du metteur en scène Ashley Bennet Tyler - jamais élucidé - ne remonte à la surface. "Je dois admettre que j'éprouvais une certaine appréhension, car un retour au cinéma ne serait pas chose simple. J'étais aussi assez anxieux à la pensée de jouer dans un film sonore. Tant de mes contemporains n'avaient pas survécu à la transition avec le parlant - non seulement les acteurs et les actrices aux voix trop aiguës, trop graves ou trop grinçantes, mais aussi ceux qui avaient une jolie voix et ignoraient comment l'utiliser, ou encore ceux dont la voix ne pourrait jamais être à la hauteur de ce qu'avaient imaginé les spectateurs. Cependant, je savais que j'étais sans rival sur le plan du pur talent de comédien".
Dans "Si loin de vous" et par la voix de son personnage principal, Nina Revoyr fait revivre un mythe de l'Amérique à l'aube du 20ème Siècle, le cinéma muet et les débuts de Hollywood, du temps où ce n'était encore que des collines verdoyantes, des sentiers et des terres agricoles. Jun Nakayama se souvient de cette époque légendaire où il était l'égal d'un Rudolph Valentino et faisait se pâmer d'extase ses groupies féminines à chacune de ses sorties, où ses films étaient tous des succès assurés, où les plus grands cinéastes s'arrachaient ses talents de comédien. Car dans les prémices de cet âge d'or de Hollywood, il était fréquent de passer de l'anonymat aux feux de la rampe du jour au lendemain. N'importe qui, avec un peu de talent pour la scène, pouvait se transformer en comédien du muet, en producteur de renom. Tous se sentaient portés par cette nouvelle technique dont chacun pressentait qu'elle allait révolutionner le siècle naissant. Mais par-delà l'avènement du 7ème Art, Nina Revoyr en profite pour nous raconter la communauté japonaise de Little Tokyo, sa culture, ses hommes d'affaires mécènes qui, par leur réussite sociale et leur intégration, aidaient les nouveaux immigrants à s'installer aux États-Unis. Elle nous dit aussi ces lois américaines visant à limiter l'arrivée des Japonais sur le territoire et leur difficulté pour accéder à la citoyenneté, amenant ressentiment d'un côté et ostracisme de l'autre. Sans parler du racisme anti-japonais qui ira crescendo jusqu'à la 2ème Guerre Mondiale. L'auteur a fait de son personnage principal un être tout en retenu, en pondération, rempli d'humilité et empreint d'une certaine sagesse, comme seuls savent l'être les Asiatiques. Son comportement est celui d'un homme qui en a vu beaucoup, vécu autant et entendu plus encore. Jun Nakayama est un personnage très en retrait qui nous décrit un univers impitoyable où rien n'est le fruit d'un heureux hasard. "Si loin de vous" est le roman de la nostalgie sur le temps qui passe, des occasions manquées et des amours tus ou dissipés. C'est un roman comme un paravent japonais, filtrant le superflu pour ne laisser apparaître que l'essentiel.
Beaucoup ont lu ce roman, dont Stephie, Leiloona, Catherine, Papillon, Thaïs, Véronique, Alice, Amanda, Sylire, Pascale, Joëlle, Cathulu, Lael, Clarabel, et d'autres que j'ai oublié (parce que je suis une grosse fainéante) et que l'on retrouve chez BOB ...
C'est grâce à Suzanne, de Chez les Filles, que j'ai fait cette lecture merveilleuse dans un monde qui l'est beaucoup moins. Comme toujours, je la remercie pour cet envoi et ce choix judicieux et captivant !
332 - 1 = 331 ... Si c'est pas épatant, ça ! Pas d'achat cette semaine, en plus ...
11 commentaires:
C'est sûrement un des livres les plus commentés de la rentrée et ton billet aussi est élogieux. Je l'ai naturellement mis sur ma liste!
J'ai eu du mal à entrer dans cette œuvre, mais une fois le rythme pris, je n'ai eu aucun mal à poursuivre ma lecture. :)
Un bon billet! Et j'apprécie beaucoup tes photos.
je l'ai lu aussi avec plaisir.
Je te rejoins tout à fait, un très bon roman, même si j'ai déploré quelques longueurs.
J'ai apprécié l'histoire mais je ne suis jamais entrée entièrement dedans. trop de longueurs à mon goût. mais une belle histoire, billet à venir.
Etrangement, ce titre ne me tente pas du tout ! Je vois que tu es bien partie pour ton objectif pal ;o)) Tu as mis la barre très haute, il faut dire !! Un de moins, c'est déjà bien...
Bonne soirée Nanne ! Bises.
@ Mango : C'est le livre qui tourne bien sur les blogs depuis le milieu de l'été et qui continue son chemin de rentrée. C'est une belle occasion de redécouvrir le cinéma muet à travers le personnage principal ! Il rappelle beaucoup "Boulevard du crépuscule" avec Gloria Swanson ...
@ Leiloona : Contrairement à toi, je suis entrée dans le roman très vite. Mais se sont les quelques digressions qui m'ont un tout petit peu perturbée. Encore que !! Mais je l'ai beaucoup apprécié ... Je pense lire son précédent roman.
@ Keisha : Merci beaucoup ! Les photos sont celles de Nina Revoyr et de Gloria Swanson à sa période du muet ... Difficile de faire l'impasse sur cette star des débuts du cinéma à Hollywood !
@ Sylire : J'ai trouvé le personnage principal très pudique et en retrait par rapport aux événements difficiles de sa vie. C'est ce que j'ai particulièrement aimé ! Par contre, il y a bien quelques longueurs, mais elles aident à comprendre un peu la situation sociale et le racisme anti-japonais à cette période.
@ Théoma : J'irai lire ton billet ! Les longueurs sont un peu gênantes, mais pas au point de m'avoir empêchée d'entrer dans l'histoire ...
@ Antigone : Eh bien, je te félicite pour tant de rigueur ! J'avoue que j'ai craqué pour ce roman que j'avais repéré en librairie avant l'été ... Je suis faible ;-D Pour mon objectif, c'est gentil de m'encourager, mais j'ai bon espoir de faire diminuer cette maudite PAL d'ici quelques mois !
Coucou Nanne, les photos anciennes sont belles et cela doit être passionnant de voir comment l'auteur fait revivre cette époque.
Gros bisous et bonne fin de soirée,
J'ai lu tellement d'avis élogieux, que j'ai noté cette référence sur ma liste. Il ne reste plus qu'à trouver le temps de lire ce roman...
J'ai été plus cruelle avec Gloria Swanson, en choisissant une photo tirée de Sunset Bld, mais on pense tout de même parfois à ce film aussi, non?
@ Muad'Dib : C'est un roman qui pourrait te ravir, car il parle très bien du cinéma muet et des débuts de Hollywood, au temps où ce n'était encore qu'une vaste colline ! Si tu veux le lire, je peux te l'envoyer ... A très bientôt !
@ Marie : C'est vrai que ce roman a fait des émules sur les blogs. C'est un bon roman, malgré quelques longueurs qui peuvent gêner la lecture (cela a été le cas pour certaines bloggueuses). Mais il se lit très vite, car l'histoire est captivante !
@ Keisha : Tu as été un peu cruelle en prenant une photo de cette actrice à un âge plus avance, disons ! C'est sûr que tout le long de ma lecture, je n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement avec "Sunset Boulevard" ... La romancière a sans doute été sous l'influence (positive) de ce chef d'œuvre !
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