28 mars 2010

GUENATSVALE !

  • La mer Noire - Kéthévane Davrichewy - Sabine Wespieser Éditions

"Tamaz vient aujourd'hui. Enfin. Commencer à y penser. Pour la joie et la douleur d'y penser. Il sera là ce soir. Elle remue un peu les orteils, remonte les draps sur son menton, laisse retomber sa tête sur l'oreiller. Elle referme les yeux, sent Pacha sauter sur sa poitrine. Le chat se couche contre son oreille et se met à ronronner. Tout redevient flou. Le silence de la pièce sans appareil en marche. Elle s'assoupit. Dans son sommeil, elle voit surgir le champ de blé derrière la maison. Tamaz l'appelle. Elle sursaute mais ne répond pas. Elle dort". Tamouna, dans son demi-sommeil, revient sur l'été de ses quinze ans. Sans doute le plus bel été de son existence, là-bas, en Géorgie, sur les bords de la mer Noire, à Batoumi. La famille de Tamouna possédait une petite maison. Ensemble, ils passaient l'été au frais avec Babou, le grand-père et Bébia, la grand-mère. La vie était heureuse et joyeuse, espiègle, insouciante et légère, comme l'enfance. C'est l'été de ses quinze ans que Tamouna rencontrera Tamaz, celui qu'elle attend fébrilement aujourd'hui, pour son quatre-vingt dixième anniversaire. Il a promis de venir. Depuis ses quinze ans, Tamouna attend Tamaz, l'homme de sa vie. "Il est sorti de sa vie et, pourtant, il semble l'avoir accompagnée partout. Et lui, Tamaz ? Pense-t-il à elle parfois ? Les gens sont-ils plus présents une fois partis ? En faisant sa toilette, elle songe aux absents, elle mesure leur présence dans son existence".

Tamouna qui ne comprenait pas encore toutes les subtilités du monde des adultes, les menaces qui planaient sur elle, sur les siens, sur Tamaz. Elle était tout éblouie par les sentiments étranges qui émanaient d'elle, qui - sans le savoir - la faisait grandir un peu plus à chaque instant. Tamouna est amoureuse de Tamaz, sans même le savoir, sans s'en rendre compte, et cela la gêne, la dérange, la perturbe un peu. "Je ne résiste pas à l'envie de parler de Tamaz. Cela lui donne une réalité et j'ai besoin de cette réalité. Théa m'en veut d'avoir tant attendu pour le lui dire. Elle me fait répéter inlassablement son nom, ce que nous avons dit, ce que nous avons fait. Elle refuse de croire qu'il ne m'a pas embrassée, elle me demande si j'en ai envie. Ses questions me lassent. Soudain, je regrette mes confidences". Cet été-là, Tamouna le passe à se promener aux côtés de Tamaz, le long de la mer Noire si belle, si romantique. Ne pas se toucher, ne pas se frôler, encore moins oser s'embrasser. Juste rester ensemble, côte à côte, sentir sa présence douce et troublante, penser, espérer que - pour lui aussi - l'émotion est à fleur de peau. Se dire que cet instant magique durera une éternité. C'est la seule chose que désire Tamouna.

L'échec de la démocratie, l'arrivée des bolcheviks et
son père, membre du gouvernement géorgien, qui sera forcé à l'exil par la situation politique. Ensemble, ils devront fuir pour éviter les représailles. D'un coup, Tamouna craint de perdre Tamaz, de ne plus jamais le revoir, ni lui, ni ses grands-parents, ni son oncle et sa tante, ni ses cousins. Et pour beaucoup, l'exil c'est la France et Paris. Là-bas, la communauté géorgienne recréera un peu de son histoire collective en vivant proche les uns des autres, en s'entraidant, en se soutenant. En arrivant à Paris, Tamouna prendra conscience que son amour de jeunesse est resté à Batoumi, sur les bords de la mer Noire, comme ses souvenirs et son enfance. Pour ne pas l'oublier et maintenir un lien ténu entre son passé et elle, Tamouna lui écrira plusieurs lettres qu'elle ne postera jamais. Tamaz restera ainsi l'idéal absolu, son amour pur et intact, son adolescence et son pays à jamais perdu. "Tu n'es plus qu'une silhouette sur le port de Batoumi. Et une présence, intangible, tenace et réconfortante, dans mon imaginaire. Je ne suis pas certaine de vouloir croiser ton chemin. Je ne suis pas sûre que tu me plaises. Encore moins sûre de te plaire. J'ai sans doute changé. J'ai les allures d'une élégante étudiante parisienne. Mais je ne fais pas illusion longtemps., il suffit de me parler pour que le masque tombe".

"La mer Noire" de Kéthévane Davrichewy est une ode aux souvenirs enfouis, au temps passé que ne revient pas, à tout ce que l'on aurait aimé dire, confier, dévoiler, écrire à un amour de jeunesse, à la famille au sens large. A travers Tamouna, Kéthévane Davrichewy nous parle de la Géorgie belle et indépendante d'avant la révolution de 19717. Une Géorgie qui avait décidé de reprendre ses libertés fondamentale vis-à-vis de la Russie tsariste et d'exister par elle-même. Une Géorgie qui se voulait démocratique et équitable, en prônant le partage des richesses entre tous. Une Géorgie qui n'a pas eu que des amis autour d'elle. Enfin, une Géorgie qui finira par s'exiler et se reconstruire à Paris, parmi la communauté qui a fui les répressions. "La mer Noire" est aussi un livre qui parle des proscrits, des apatrides, de ces communautés ballotées entre ici qui n'est pas tout à fait chez eux, et là-bas qui n'est plus leur pays. Le temps de cette lecture, le lecteur appartient à cette communauté géorgienne, sorte de grande famille isolée qui n'a jamais voulu abandonner ses traditions, ses rites et coutumes, son histoire, sa langue. Dans la joie et le malheur, dans le rire et la peine, dans le drame et la comédie, la famille de Tamouna sera toujours son refuge, son port d'attache, son
île, sa réserve de bonheur, sa source vive dans laquelle elle puisera sa force, son énergie, sa volonté d'avancer malgré les accrocs de l'existence, malgré les petits ennuis hurlés et les grandes souffrances muettes. Tout au long de "La mer Noire", Tamouna nous raconte sa vie, son passé, ses amours, sa famille, qui passe comme un journée un peu plus longue que les autres. Avec une beauté infinie, Kéthévane Davrichewy nous tisse une existence à l'image de son personnage, généreuse et bienveillante, touchante et passionnée, sereine et volontaire. On ressort de la lecture de "La mer Noire" avec le sentiment d'avoir passé une journée infinie en compagnie d'une amie intime, d'une parente âgée qui nous aura - dans un souffle - murmuré son histoire. C'est beau à lire, à vivre. C'est émouvant à pleurer.

Un grand merci à Aifelle pour cette superbe découverte.

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294 - 1 = 293 livres ... Qui a dit que je n'en viendrai pas à bout ?!

24 mars 2010

L'HOMME QUI NE SOURIAIT JAMAIS

Edgar Allan Poe "Une vie coupée court" - Peter Ackroyd - Philippe Rey Éditions


Le 8 octobre 1849, Edgar Allan Poe était enterré en présence de quatre personnes seulement. Quelques jours auparavant, ses amis l'avaient quitté sur le quai du port de Richmond, Virginie, alors que le poète américain partait pour affaires à New York. Il avait prévu une escale rapide à Baltimore. Normalement, son séjour devait l'occuper deux semaines environ. A partir de là, les pistes s'embrouillent, se mêlent, s'entremêlent. Certains ont affirmé qu'il serait resté à Baltimore plus longtemps que prévu ; d'autres qu'il avait pris le train pour Philadelphie afin de rendre visite à des connaissances. Toujours est-il que Edgar Poe sera retrouvé ivre mort, délirant, agité, perturbé à Baltimore, sans que personne ne sache jamais la vérité sur cette mystérieuse fin tragique de l'un des plus grands poètes américains. "A l'image de ses nouvelles, la chute de l'histoire personne d'Edgar Poe est abrupte et reste ouverte ; elle est embrouillée par un mystère qui n'a jamais été et ne pourra sans doute jamais être résolu".

Poète maudit à l'âme morcelée, Edgar Allan Poe héritera des angoisses transmises par sa mère - Eliza Poe - actrice dans une vague troupe de théâtre itinérante. De son père, le jeune Edgar recevra un goût immodéré pour la boisson. Sa mère, emportée par la tuberculose après avoir été abandonnée par le père de ses trois enfants, aura été incapable d'assumer une telle charge. La disparition tragique de cette jeune femme fragile et phtisique fera d'Edgar Poe un "[...] orphelin permanent sur cette terre". Dans tous ses écrits, l'image de cette mère belle et généreuse, aimante, malade, esseulée, abandonnée et
moribonde réapparaitra sous les traits de ses personnages féminins dans ses futurs romans. Recueilli par un couple de riches marchands d'origine écossaises, l'enfance d'Edgar Poe sera celle d'un petit prince, longtemps attendu et désiré, à la fois heureuse, joyeuse et insouciante. "C'est ainsi que, tout jeune, Edgar Poe emménagea chez des inconnus, à Richmond, à l'angle de la Grande Rue et de la Treizième Rue, à l'étage, au-dessus du commerce d'Ellis et Allan. Le jour de son baptême, le 7 janvier 1812, il reçut le nom de ses parents "d'adoption" : il devint Edgar Allan Poe".

Le jeune Edgar Poe sera très tôt attiré par la poésie et sera longtemps soutenu dans cette voie par son père et tuteur, John Allan. De même, avant de sombrer dans l'alcoolisme et le délire, il aura été un athlète accompli. Sportif, sec et puissant à la fois, Edgar Poe pratiquait régulièrement la lutte, la course à pied et était un excellent nageur. Étudiant à l'université de Charlottesville en Virginie, le futur poète excelle en latin, en italien et en français. Malheureusement, très vite l'alcool fera des ravages dans son existence. Devenu un adulte farouche, misanthrope, fier, pédant, méprisant, arrogant, péremptoire, cassant, Edgar Poe se disputera de plus en plus souvent avec John Allan, ce dernier refusant de payer les dettes de jeu exorbitantes de son pupille. Lassé de cette situation conflictuelle et devenue permanente, le jeune Poe part pour Boston, sa ville d'origine. Là-bas, il s'engage dans l'armée, pour cinq ans. "Le 26 mai, il se rendit à Castle Island, dans le port de Boston, et s'engagea dans l'armée des États-Unis pour les cinq années
suivantes sous un nom d'emprunt, Edgar A. Perry ("Perry" figurait juste avant son propre nom sur la liste d'inscription des étudiants à l'université). Il prétendait avoir vingt-deux ans, alors qu'il n'en avait que dix-huit. Les mineurs étant acceptés dans l'armée, il n'avait aucune raison de mentir mais il voulait sans doute qu'on perde sa trace ; il souhaitait se débarrasser du fardeau de son identité. Sans compter que le mensonge était pour lui une seconde nature".

Instable, menant une vie chaotique et désorganisée, ne sachant jamais quel choix
est le meilleur pour lui, Edgar Poe voudra se libérer très vite de ses obligations militaires et rentrer à West Point, la prestigieuse école militaire américaine. Au lieu de cela, il se retrouvera à Baltimore, chez ses grands-parents paternels où il retrouvera Henry, son frère aîné, alcoolique lui aussi et phtisique comme leur mère. Mais surtout, il y rencontrera Virginia Clemm - sa future femme - et la mère de celle-ci, Maria Clemm. Très vite, il tombera sous la coupe de cette vague tante qui le prendra sous son aile protectrice et s'occupera de lui jusqu'au bout. "Personnage ambigu, la tante d'Edgar, Maria Clemm, essaya de maintenir la maisonnée à flot pendant cette période difficile. Elle savait se débrouiller avec peu, en couture comme en cuisine ; Edgar Poe fit bientôt partie intégrante de la famille dont cette femme s'efforçait de préserver l'unité à tout prix. Il finit par dépendre entièrement d'elle pour toutes les nécessités de la vie. Sa réputation de mendiante ou de pique-assiette était bien établie".

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le "Edgar Poe" de Peter Ackroyd est une biographie concise, minutieuse et rigoureuse. Sous la plume à vif de son auteur, se découvre un poète singulier, menteur, hâbleur, charmant et charmeur, coureur chaste, persuadé d'avoir été mal aimé tout au long de sa vie, alors que son entourage ne souhaitait qu'une chose : le protéger de ses démons. Le temps de cette lecture, Edgar Poe redevient l'enfant délicat, émotif et malingre très tôt orphelin de ses deux mères consécutives et qui ne se remettra jamais totalement de ces disparitions. Tout au long de son existence, il saura user et abuser de la gamme des sentiments humains pour toucher son monde et tenter de l'infléchir en sa faveur. Amoureux des mots, Edgar Poe révèlera précocement un véritable talent pour la poésie et l'écriture de nouvelles gothiques ou à sensation. Tour à tour étudiant sans le sou, soldat et élève éphémère à West Point, avant de devenir journaliste satirique, Edgar Poe aura vécu une vie en dents de scie, alternant les périodes fastes où ses qualités de prosateur étaient reconnues et appréciées, à des moments plus sombres où tout ce qu'il entreprenait partait à vau l'eau. Edgar Poe, premier de la lignée des poètes maudits, aura tout fait pour le devenir à son corps défendant. Alcoolique buvant par intermittence à s'en rendre malade, Edgar Poe devenait un critique irascible, féroce, à la plume acérée, méchante, voire venimeuse. Il prenait un malin plaisir à semer le trouble au sein de la communauté des auteurs new yorkais, se revendiquant sudiste, conservateur et anti-démocrate, ne reniant jamais son profond attachement à l'esclavagisme et à l'esprit de castes. Ses périodes alcooliques le faisaient passer par des stades de dépression et de folie furieuse, l'amenant au bord du gouffre et aux idées
morbides, sans jamais aller au bout. Toutefois, il se servait de ses idées noires comme d'un chantage à l'affectif auprès de ses proches et amis pour les forcer à céder. Nécrophile à ses heures, Edgar Poe écrira toute sa vie des nouvelles où la mort sera présente, souvent représentée sous la forme de jeunes femmes malades, livides, au corps have et décharné. "Edgar Allan Poe - Une vie coupée court" de Peter Ackroyd permet au lecteur de mieux connaître celui qui a été le premier auteur américain, précurseur des romans policiers avec son "Double assassinat dans la rue Morgue", des romans de science-fiction des 19e et 20e Siècles qui inspireront directement H.G. Wells et Jules Verne. Ses écrits ont aussi influencé nombre d'auteurs par la suite, dont Arthur Conan Doyle, Nietzsche ou Kafka pour ses personnages torturés et affligés. Dans son ouvrage, Peter Ackroyd revient sur l'ensemble de l'œuvre d'Edgar Allan Poe et la relie aux grands événements qui ont jalonné une vie aussi brève qu'intense.

L'avis de Michel Sender.

295 - 1 = 294 livres ...

21 mars 2010

NOIR, C'EST NOIR !

  • Court, noir, sans sucre - Emmanuelle Urien - Quadrature Éditions

"Mélanie Bix, cette femme mince et un peu voûtée, suspendue par un fil à je ne sais quel ciel, quitte ce matin la petite ville de Saône-et-Loire qu'elle habite depuis dix ans, et où elle ne reviendra plus. Son nom, après, figurera sans doute dans les journaux, Mélanie Bix, c'est un nom que l'on retient facilement, moi en tout cas je ne l'oublierai pas". Mélanie Bix est une femme seule avec sa souffrance mais déterminée, qui sait ce qu'elle souhaite. C'est une acharnée qui a décidé de partir pour Zurich. Aller simple. Pas de retour. Aucune possibilité de revenir en arrière, sur son passé, son histoire, sa vie. A Zurich, il leur a fallu quatre dossiers pour accepter sa demande qu'ils jugeaient prématurée. Mélanie Bix avait trente-cinq ans.

"Hein ? Y a quoi, dans son jardin ?" Il a fini par craquer : il s'est détourné du poste de télé et m'a regardé avec un fond de haine pas méchante, c'est seulement que je l'embêtais, à la fin. "J'en sais rien !". Ça, c'était l'introduction. "C'est juste un verger, avec des fruits, qu'est-ce que tu veux que je te dise ?". Thèse. "Il tourne pas rond, Leloup, il voit jamais personne, t'en va pas traîner par là". Antithèse. "Et d'abord on s'en tape, de son jardin, au père Leloup". Synthèse. "Ça va, je peux regarder mon film, maintenant ?". Conclusion. "Huit sur vingt", j'ai murmurant en acquiesçant". Certains adolescents se terrent dans un mutisme provocant, d'autres n'arrêtent pas de poser des questions sur tout ou rien. Lui, ce qu'il veut savoir à tout prix, c'est percer le secret du jardin du père Leloup. Un vrai bunker, son verger, avec barbelés et clôture électrifiée. Pas vraiment le genre d'endroit où il fait bon s'attarder au printemps. Pourtant, lui c'est un obstiné qui veut pénétrer l'énigme de ce jardin extraordinaire, étrange où les fruits sont bien plus gros que la moyenne. Il y a des jours, comme ça, où la curiosité est un bien vilain défaut !

"Pauline a reposé le fer, Grandbaron, soit, mais l'homme ? Grand, mince, élégant, ténébreux. Radical. Intransigeant. Pli ou pas pli ? Pauline voudrait appeler l'homme pour lui demander. De sa toute petite voix, étouffant son angoisse sous un rire un peu bête, elle dirait : "Tu sais, ton pantalon, le gris, avec des poches cavalières, je ne me souviens plus si tu le veux avec ou sans pli ?" Le pantalon est là, devant elle. Sourd et muet". Pauline est une femme d'intérieur. Toute sa journée est consacrée au ménage, à la cuisine, au repassage. Pauline traque la moindre poussière qui vole, le moindre grain qui traîne pour le plaisir de l'homme. Parce que l'homme décide de tout. De ce qu'il veut manger tous les jours, de qui
est invité chez lui, des courses à faire. L'homme dirige son domaine. Même en son absence, sa présence pèse dans la maison. Pauline dit oui à toutes ses exigences, ses demandes, ses désirs. Pauline rêve pour échapper à son quotidien. Elle part au soleil, sur des plages lumineuses où l'eau est chaude pour se baigner et tout oublier. Pauline rêve dès que l'homme part pour son travail jusqu'à son retour, le soir. Dans sa tour d'ivoire, Pauline n'a plus que le rêve pour fuir.

"Elle aime les missions difficiles, elle choisit exprès les lieux les plus retirés, les régions les plus démunies. Elle s'y sent d'autant plus utile. Cette fois, c'est réussi : elle a échoué dans un hôpital de brousse à la croisée des chemins, un baraquement de tôles brûlantes qui ne désemplit pas, où la mort libère plus de lits que la guérison". Marianne a fait de son métier d'infirmière une vraie vocation. Elle est partie quelque part, dans un coin reculé d'Afrique, un endroit pauvre, où seules ne survivent que les mouches envahissantes et les guerre inter-ethniques. Marianne a été envoyée dans un hôpital de campagne au Katanga, une région du Congo. Là-bas, Marianne côtoie plus fréquemment la mort que la vie, où même l'espoir d'en réchapper. Dans cet hôpital, ils ne reçoivent que les personnes fuyant les massacres de la région, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieillards. "Ku-ipaya, Ku-ipaya !" crient deux jeunes filles de Lubinda. Ce que fera Marianne pour les sauver. Dans la vie, il faut toujours faire des choix !

"Court, noir, sans sucre" d'Emmanuelle Urien, comme un express bien serré, bien tassé, pour réveiller le lecteur, le secouer jusqu'au fond des entrailles. Quinze nouvelles courtes, cinglantes, âpres, amères ou cyniques, toujours noires qui laissent longtemps un arrière-goût de cruauté. Emmanuelle Urien jongle avec les sentiments humains, avec des situations dramatiques, sinistres, effroyables, monstrueuses, de toute une humanité prise entre la vie et la mort, en équilibre précaire entre ses deux alternatives. Dans "Court, noir, sans sucre", Emmanuelle Urien joue avec la vie, la mort, les frayeurs de tout le monde, la peur de la mort, la crainte de l'autre, la hantise de l'après. Que ce soit par la guerre, les accidents, la maladie, la violence, la mort est prégnante dans chaque nouvelle de ce recueil. Une mort qui ne s'apprivoise pas, mais avec laquelle chacun doit composer, de bonne ou de mauvaise grâce. "Court, noir, sans sucre", c'est la noirceur, l'amertume de la mort. "Court, noir, sans sucre" d'Emmanuelle Urien, c'est très beau, très intense, très fort. Mais cruel, aussi.

Un grand merci à Patrick Dupuis des éditions Quadrature pour cet envoi judicieux.

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296 - 1 = 295 livres qui attendent d'être dévorés ...

17 mars 2010

LA VILLE AUX MILLE COUPOLES

  • La ville insoumise - Jon Fasman - Seuil Éditions

Ingouchie, prison d'Itchikov, aux confins de la Russie. Que peuvent bien vouloir deux officiels du ministère de l'Intérieur à cette prison perdue au bout du monde, alors que la dernière visite d'une personnalité remontait à 1977 ? Outre le fait que dans ce lieu s'entassaient cent-cinquante neuf détenus violents pour quinze gardiens, directeur et médecins inclus, il n'y avait là rien d'extraordinaire. Rockville, Maryland, États-Unis. Jim Vilatzer, trente-deux ans, ses désespère dans sa banlieue populaire de Washington D.C. Son seul et unique horizon professionnel se limite pour le moment au Delicatessen & Épiceries fines de son père, Sam Vilatzer, particulièrement depuis sa rupture avec Serena. Son trop-plein de temps libre, Jim le passe à boire et à jouer. Comme c'est plutôt la guigne qui l'accompagne, il perd plus qu'il ne gagne. Et ses créanciers ne sont pas vraiment du genre patients ! Pour le sortir de ces ennuis, Vivek - l'ami d'enfance de Jim - lui propose un travail à Moscou, à la Fondation de la Mémoire chargée de collationner les témoignages de rescapés du Goulag au temps de la grande époque soviétique. Changer de vie, d'atmosphère, se refaire une santé psychologique, essayer de se transformer en winner, Jim accepte cette nouvelle perspective presque trop belle pour être vraie et pour s'éviter de sérieux problèmes avec la mafia locale ! Et puis, la Russie est le pays de ses origines, celle de ses grands-parents paternels qui l'avaient fui pour se donner une chance de vivre libre, pour voir leurs enfants grandir dans une société plus tolérante et plus stable, sans crainte des autorités, de la police politique, du camp d'internement. En arrivant à Moscou, malgré l'ambiance lourde, pesante, asphyxiante, plombée, et les risques d'attentat partout présents, Jim comprend que cette ville est la sienne, que c'est là - et nulle part ailleurs - que sa vie va se jouer à pile ou face, que son existence de raté américain prend fin, qu'il est - enfin - un homme neuf. En plus d'avoir trouvé un emploi assuré pour une année entière - événement exceptionnel pour Jim - celui-ci tombera amoureux d'une jeune finnoise, étudiante en art dramatique à Moscou, Kaisa. Le coup de foudre à portée de main. Le rêve américain en pleine Russie ! Grâce au grand-père de kaisa, Jim commencera sa première enquête sur les anciens prisonniers politiques russes. Seulement, Grigori Naumenko n'est pas du genre bavard. Naumenko le renverra vers Vilis Balderis, un autre ancien du Goulag, qui le renverra à son tour vers d'autres rescapés des purges. Sauf que, les Russes et les Américains continuent leur guerre sale et leur surenchère sur les armes de nouvelles technologies, biochimiques, nucléaires, bactériologiques. Et lorsque les Américains ont besoin d'un appât pour démêler une affaire qui menace de tourner au vinaigre, c'est à Jim qu'ils pensent !

Drôle d'atmosphère dans "La ville insoumise" de Jon Fasman. Pas vraiment sombre, ni noire, mais plutôt grise, angoissante, menaçante, étrange. Le sentiment bizarre que quelque chose se trame dans les couloirs du pouvoir russe, de l'administration, des ministères, des ambassades. Il faut reconnaître à l'auteur une description minutieuse des arcanes de la bureaucratie russe, héritée des grandes heures de la période communiste où tout était tenu secret, où tout était estampillé, signé, consigné, contresigné, classé et conservé en lieu sûr jusqu'au moment propice à sa sortie. Dans cet univers où le pouvoir se mesurait à ce que chacun détenait sur son voisin pour l'obliger à plier, à accepter l'inacceptable, chaque information avait valeur de talisman, de pouvoir, de sésame pour obtenir un plus sur l'autre. Dans "La ville insoumise", le lecteur vit le quotidien de la Russie actuelle, post-perestroïka, post-glasnost, post-communiste. Pays à l'économie délabrée, laminée, anéantie, corrompue où les anciens apparatchiks de l'époque sont devenus les commensaux du nouveau régime politique. Ils tiennent les rênes du pouvoir grâce à l'argent sale, celui de la mafia, des trafics d'armes, de la drogue, de la prostitution, du chantage, du kidnapping, des prises d'otages et des grosses rançons. Ils n'hésitent pas à vendre leur pays en morceaux au plus offrant, laissant la population en pleine dérive économique et sociale, au bord du gouffre, ravivant les vieilles haines inter-ethniques et religieuses, par intérêt personnel. Par-delà l'environnement politico-économico-mafieux de la Russie post-moderne, "La ville insoumise" parle de Moscou. Ville tentaculaire, loin des clichés pour touristes occidentaux en mal de romantisme, Moscou est décrite comme un endroit interlope, vivant essentiellement la nuit
dans des endroits improbables grâce à l'argent de l'économie parallèle. Dans cette mégapole, tout un microcosme tente de survivre, de la babouchka qui vend ses pommes-de-terre dans les immenses tunnels reliant les artères de la capitale russe à l'ancien militaire de la campagne de Tchétchénie reconverti en barbouze de luxe. Moscou, ville impétueuse, ville cruelle, qui ne laisse rien à ses habitants, ni espoir, ni rêve, ni appétence pour la vie. Malgré de nombreux passages où les clichés relatifs aux Russes et à leur pays ont la vie dure, "La ville insoumise" se lit très vite et facilement, dès que l'on est entré dans le sujet. On plonge dans cette atmosphère trouble en sachant par avance que les bons finiront par gagner cette partie et parce que l'on se laisse prendre par le décor singulier d'un Moscou underground, sans doute plus proche du quotidien qu'on ne le pense.

Un merci à Suzanne de "Chez les Filles" et aux éditions du Seuil pour cet envoi.

D'autres blogs en parlent : Saxaoul, Lucie, Un coin de blog, Yv, Mika, Michel, Petite Pom, Nag ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un commentaire.

297 - 1 = 296 livres à découvrir ...

14 mars 2010

DES VALISES POUR MEMOIRE

  • Neuf valises - Béla Zsolt - Seuil Éditions

"Ma patrie a toujours davantage compté pour moi que la plupart de ceux qui m'entouraient. Je m'y suis consacré avec fièvre dans mes écrits, mes paroles et mes rêves, et certaines années, précisément dans ma jeunesse, elle m'a par exemple empêché de me rendre compte que j'étais amoureux. C'était l'époque où, après l'échec de deux révolutions, j'ai attendu pendant presque une décennie que mes idées politiques l'emportent de nouveau, que mes héros et mes amis reviennent d'exil arracher ma patrie aux griffes des escrocs et des saboteurs. J'ai attendu pendant presque dix ans, pendant lesquels je n'ai pas eu une seule maîtresse. Et quand j'en ai eu assez d'attendre, quand j'ai presque renoncé à espérer pour le reste de ma vie, je me suis marié, et me suis accroché à ma vie privée comme un naufragé s'accroche à une planche qui le mènera peut-être au rivage. Mais autant l'avouer, je ne me faisais aucune illusion sur ce rivage. Et en dépit de tous mes efforts pour renoncer à "mes lubies et mes folies", ma passion pour la vie publique m'a de nouveau entraîné loin de l'idylle bientôt pâlissante de ma vie privée [...]".

Béla Zsolt, journaliste, intellectuel et homme politique hongrois est enfermé dans la synagogue du ghetto de Nagyvarad transformé en hôpital, attendant son éventuel transfert vers un camps d'extermination. Dans cette anti-chambre de la mort, Béla Zsolt revient sur les conditions misérables de sa situation de juif hongrois, dans un pays sous la coupe de la Wehrmacht et des Croix Fléchées depuis le 19 mars 1944, parce que le gouvernement de l'amiral Horty - pourtant pro-nazi - rechignait à appliquer la solution finale. En 1939, quittant Paris pour retrouver sa patrie mal en point et ses beaux-parents qui refusaient de laisser leurs biens, Béla Zsolt ne savait pas encore le calvaire qu'il allait vivre. En 1944, tout lui est désormais indifférent, particulièrement les corps entassés, dont certains ont été ses amis. La mort vaut mieux que cette vaine attente qui ronge, dévore, angoisse, insupporte tout le monde, à commencer par l'auteur. En effet, Béla Zsolt sait le sort inexorable dévolu à sa communauté. Il en est informé depuis 1942, par les Anglais. "Sont-ils vraiment montés dans le train ? Pourquoi sont-ils montés, pour l'amour de Dieu ? Pourquoi n'ont-ils pas fait demi-tour, pourquoi ne sont-ils pas partis en courant le plus loin possible, par-delà la palissade, vers la ville, vers la forêt ? Pourquoi n'ont-ils pas d'abord tué, pourquoi ne sont-ils pas morts ? Ils sont montés dans le train simplement parce qu'on leur a dit de le faire. L'admirable Dr Sebestyén et d'autres de mes amis, mes compagnons de jeunesse, des relations plus ou moins sympathiques, les amis que j'avais abandonnées et celles qui m'avaient trompé - tous les citoyens sérieux, diligents, ingénieux, tous les intellectuels et les ouvriers, tous les farceurs et les truands -, sont-ils tous derrière les portes scellées ?".

Pourtant, dès son retour à Budapest, en 1939, Béla Zsolt avait - de nouveau - organisé une forme de résistance politique et intellectuelle à l'occupant avec d'autres hommes politiques, des écrivains, des journalistes. Ils élaboraient des plans, discutaient beaucoup, mais ne se sentaient pas réellement la capacité de mourir pour des idées les armes à la main, aussi belles soient-elles. Ils étaient avant tout des penseurs, des théoriciens, des philosophes. Et lorsque le médecin-chef du ghetto - le Dr Németi - lui annonce que les premières déportations concerneront sans doute les plus malades, il lui demande ce qu'il doit faire ! Que conseiller lorsque les personnes d'une communauté - à laquelle vous appartenez - sont pourchassées, enfermées, humiliées, martyrisées ? Faut-il les laisser partir vers leur destin, en espérant y échapper soi-même par un hypothétique miracle, ou bien résister, en incitant le médecin à l'euthanasie, la mort dans la paix et la sérénité ? "Par ailleurs, la rumeur court aujourd'hui dans l'hôpital que nous n'allons pas au même endroit que les autres, mais à Nyireghaza où les malades de tous les ghettos de Hongrie sont rassemblés dans un immense ensemble de baraquements. Il paraît que le gouvernement hongrois a fait cette
concession à Roosevelt qui menaçait de bombarder le pays. Certains le croient même, et ceux qui, comme moi, ne sont pas malades, mais cachés à hôpital pour leur sécurité, sont particulièrement optimistes".

Mais peu importe le contenu, pourvu que l'on ait l'ivresse ! Et dès que la rumeur d'une déportation du ghetto vers un soi-disant camp de travail aux environs du lac Balaton pour assécher des marécages circule, tout ce monde désespéré, découragé, abattu, anéanti, se remet à rêver. Ils espèrent survivre, voir le bout, s'en sortir. Ils sont prêt à tout et à n'importe quoi, pourvu que les coups cessent, que la faim ne les obsède plus, que la terreur se taise un peu. Mais les plus difficiles à gérer restent les enfants qui ne comprennent pas pourquoi ils sont enfermés alors que leurs camarades jouent, mangent, se baignent, vont au parc. Ils en viennent à accuser leurs parents de criminels pour les avoir faits naître Juifs, les rendant responsables de ce qui arrive, les culpabilisent de cette situation intenable et infernale.

Et puis, tel un Messie sorti de nulle part, apparaîtra un gynécologue de confession juive, ayant l'idée lumineuse de recréer une épidémie de typhus pour sauver certaines personnes de la déportation. Seulement, il faudra de l'argent, beaucoup d'argent. Longtemps, Béla Zsolt restera persuadé que ce stratagème est une arnaque supplémentaire pour tenter de soutirer le peu d'argent qui circulait encore dans le ghetto. Il arrive parfois que les miracles aient lieu, que les hommes tiennent parole ou que le hasard fasse son travail. Ce sera le cas pour l'auteur, qui sera admis dans le service des contagieux de l'hôpital du ghetto, d'où il pourra être évacué à l'extérieur. C'était un certain 6 juin 1944, quelque part en Hongrie. "A ce moment-là, les commandos britanniques et les parachutistes américains étaient engagés dans une bataille sans précédent sur la presqu'île du Cotentin contre les troupes allemandes du mur de l'Atlantique. C'était l'aube du 6 juin 1944. Le matin du débarquement. Les Anglais et les Américains commençaient la guerre sur le continent. Les Hongrois achevaient la déportation des Juifs de Nagyvarad".

Béla Zsolt, penseur, journaliste, écrivain et homme politique hongrois a tout vécu, tout connu, le pire et le meilleur, durant la 2e Guerre mondiale. "Neuf valises", son témoignage à vif sur cette période, relate son cheminement de Paris à Budapest, en passant par l'Ukraine, pour - enfin - se finir en Suisse grâce au marchandage de Rezso Kasztner après maintes circonlocutions. Avec une écriture sans concession, acérée, d'un cynisme presque dérangeant vis-à-vis du sujet, l'auteur raconte ce qu'il voit, ce qu'il sait, ce qu'il vit et entend dans cet immense bourbier humain qu'est devenu le ghetto de Nagyvarad. Il dit les grandes frayeurs et les petites peurs, l'indifférence de chacun pour l'autre qui a pu être un ami autrefois, un collègue de travail, un client fidèle. Il dit le soulagement d'une partie de la communauté juive qui n'est pas encore touchée par les coups, parce que c'est le sort d'autres membres - les plus riches, les plus prospères, les plus fortunés - qui sont le point de mire des Croix Fléchées pour leur extorquer leur argent. Il décrit cet autisme social qui frappe ses coreligionnaires, espérant passer au
travers des mailles du filet. Plutôt le voisin que soi. Il relève toute la fourberie humaine, tout l'égocentrisme des individus prêts à sacrifier sa famille, ses parents, ses propres enfants pour survivre, voir la fin de ce cauchemar. De la même façon, l'auteur nous parle de la population hongroise, partagée entre antisémites, heureux d'avoir récupéré un part de butin - un appartement plus spacieux, une nouvelle boutique, une clientèle supplémentaire, un lopin de terre, du mobilier - et les autres, ceux qui les aident et les soutiennent, malgré la peur, malgré leur peu de moyens. Mais surtout, Béla Zsolt, comme Hannah Arendt quelques années plus tard, fustige son propre peuple. D'un côté, les petits-bourgeois engoncés dans leurs habitudes et se demandant pourquoi ils méritaient ce coup du sort malgré leur assimilation, de l'autre les hassidiques qui - par leur volonté de rester en marge de la société - ont stigmatisé l'ensemble de leur communauté. Il ira même jusqu'à s'en prendre à Dieu lui-même pour avoir crée le christianisme et le socialisme ! Dans "Neuf valises", c'est un Béla Zsolt désabusé qui se confie, qui dit, qui hurle, qui se questionne et se demande comment le monde peut laisser commettre de telles horreurs sans intervenir. En lisant ce récit à vif et à chaud, on ne peut s'empêcher de faire la comparaison avec "Si c'est un homme" de Primo Levi pour l'expérience personnelle et la part d'introspection de son auteur. Les "Neufs valises" de Béla Zsolt est un témoignage indispensable sur les conditions dans lesquelles la communauté juive hongroise a été laminée à la fin de la 2e Guerre mondiale. C'est aussi une confession forte, d'une lucidité tranchée sur le sort de chacun à un moment où la vie et la mort d'une personne ne valait pas grand chose.

"Neuf valises" de Béla Zsolt a été lu dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio. Je remercie chaleureusement Guillaume et les éditions du Seuil pour cette lecture passionnante, même si elle a été difficile !

D'autres lecteurs : Christophe Pierre, Dorothy, Belle de Nuit ...

298 - 1 = 297 livres dans ma PAL



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10 mars 2010

QUAND LE VIN RENCONTRE L'ART

Le vin dans l'Art - Montserrat Miret i Nin - Glenat Éditions


"La vigne et le vin ont joué, depuis des millénaires, un rôle prépondérant dans toutes les civilisations méditerranéennes. On constatera leur présence lors d'événements importants de l'histoire, dans la mythologie et diverses liturgies où ressortent leurs aspects sacré et symbolique. Le vin a été, et reste sans l'ombre d'un doute, objet de plaisir et source de joie. Dans le passé, on lui attribuait même des vertus curatives et antiseptiques, à l'express condition qu'il fût consommé avec modération. [...]. La vigne et le vin ont été, de toute évidence, des acteurs de premier ordre, comme en témoigne leur manifestation iconographique dans toutes les cultures. On pourrait ajouter, enfin, que la civilisation et le vin ont cheminé de concert. Comme l'écrivait Victor Hugo, "Dieu créa l'eau, mais l'homme fit le vin"".

Dans "Le vin dans l'Art", Monserrat Miret i Nin aborde la vigne et le vin à travers un voyage dans le temps et l'histoire de l'art et des cultures. Ainsi, apprend-
on que depuis l'origine, le vin a inspiré - consciemment ou non - le monde de l'art. En effet, les premières manifestations artistiques de l'ère préhistorique sont des peintures rupestres présentant des scènes de récolte de miel, d'olives et de raisin. Les plus anciennes et les plus connues étant celles du Levant Espagnol, dans les grottes des "Mallaetes" près de Valence, et dans les "Calaveres". Des vestiges archéologiques dans tout le pourtour méditerranéen confirment l'existence de vignobles dans les temps les plus reculés de l'humanité. Parmi les plus anciennes, celles découvertes à Jéricho, remontant à 7 000 ans avant J.C. Dans l'Égypte ancienne, le vin est une offrande aux dieux multiples lors de nombreux rituels religieux afin d'obtenir l'immortalité. De même, dans les tombes des premières dynasties découvertes dans la région, des amphores de vin ont été mises à jour lors de fouilles. Diverses peintures ornant ces tombes montrent les vendanges, le foulage du raisin, la pressée et les différentes méthodes d'élaboration et de conservation du vin, comment était servi celui-ci, à quel moment et à quelle personne.

La mythologie grecque et romaine, quant à elle, dévoilera une réalité mêlant
subtilement religion, philosophie et scènes du quotidien. Les représentations artistiques de la vigne et du vin dans le monde antique feront références aux mythes de Dionysos et de Bacchus. Ainsi, Dionysos, dieu du panthéon grec, fondateur de la civilisation du vin et de la fertilité, apparaît en Grèce au XVe Siècle avant J.C à Pylos. Il diffusera dans l'ensemble des contrées méditerranéennes la culture de la vigne et le culte du vin. Une légende prétendra même que le sang de Dionysos aurait été, en fait, du vin ! La tradition voudrait que Dionysos ait grandi à l'écart de la civilisation, dans une nature sauvage. C'est là qu'il y aurait planté des vignes et - avec le vin fabriqué - se serait enivré avec les satyres, les ménades et autres nymphes, ses compagnes et compagnons habituels. Actuellement, il reste peu de sculptures connues de cette époque hellénique : "Silène et Dionysos" au musée du Louvre, "Satyre avec Dionysos enfant", au musée Pio Clementino du Vatican et "Satyre au panier de raisin" de Pietro da Barga - qui date du 16e Siècle - au musée de Bargello à Florence. En l'honneur du dieu du vin et de la fertilité, les Grecs organisaient des agapes qui se déroulaient tout au long de l'année. Celles du printemps étaient les plus importantes par leur durée dans le temps. Les scènes qui s'y déroulaient alors seraient à l'origine du théâtre moderne.

C'est en Lydie exactement que Dionysos se transforme en Bacchus par les Romains. Les bacchanales consacrées à ce dieu ont perduré durant plus d'un millénaire. C'étaient essentiellement des fêtes de transgression de la morale au cours desquelles les cités étaient prises d'agitation frénétique, ses habitants se livrant à des orgies de toutes sortes, désobéissant à l'ordre établi. Les participants se peignaient le corps de sang, de jus de mûre ou de lie de raisin. Ces bacchanales ont été interdites en 186 avant J.C parce que considérées comme dangereuses pour la sécurité de l'État et contraire à la morale et à la religion. Plusieurs évocations artistiques existent, dont celle d'Albrecht Dürer, "Bacchanale avec Silène" à la galerie de l'Albertina à Vienne, "La Bacchanale" de Nicolas Poussin au musée du Louvre ou encore celle de Pierre-Paul Rubens, qui se situe au musée national de Stockholm.

C'est particulièrement avec la Bible que le vin va se développer. Il y est cité pas moins de quatre cent quatre trois fois, directement ou indirectement. Dans les Saintes Écritures, le vin a un caractère ambivalent. D'un côté, il a un rôle social prédominant et positif, participant à de nombreuses célébrations (mariages, anniversaires, fêtes laïques et religieuses). C'est le symbole de la joie et du partage, de la gaité. De l'autre, il a un sens clairement négatif, quand on en use et en abuse. L'ivresse est source de maux menant à la solitude du sujet et à sa disgrâce sociale. "Avec le vin, ne fais pas le brave, car le vin a perdu bien des
gens" (l'Ecclésiastique, XXXI, 25). La vigne, le raisin et le vin, produits de la terre et du travail des hommes, sont incarnés dans les paraboles des Évangiles. Deux épisodes de la foi chrétienne se déroulent dans le Nouveau Testament - la transformation de l'eau en vin dans "Les noces de Cana" et "La Cène" - devenant le sacrement du pain et du vin comme symbole du Christ. Dès lors, ces éléments seront associés au sang du Christ dans la religion catholique. Leurs représentations chrétiennes sont apparues au cours des premiers siècles de notre ère, sous domination romaine, donnant naissance à l'art paléochrétien.

Avec le Moyen-Âge, le vin dans les œuvres d'art sera d'essence religieuse. Il possédait une valeur surnaturelle et fondamentale dans la célébration de l'Eucharistie. Mais l'activité agricole constituant la base de l'économie à cette période, le temps, les changements climatiques, les cycles de la végétation et des travaux des champs régulaient la vie des hommes. Les calendriers feront leur apparition, dépeignant ces travaux de la terre. Les illustrations de la culture de la vigne, les images de la taille en mars, des vendanges et de l'élaboration du vin en septembre et octobre, étaient fréquentes. Dans son aspect laïc, le vin occupe aussi une place importante dans cette société médiévale qui s'organise. On le retrouve dans la tapisserie, forme artistique majeure de l'époque, appartenant aux classes sociales les plus élevées. Celles-ci faisaient tisser des thèmes aussi variés que les travaux des champs tout au long de l'année, les guerres, les banquets, la vie urbaine. L'œuvre la plus célèbre et la plus ancienne, "La Tapisserie de Bayeux" (1080 - 1090), met en scène un banquet normand, composé de soixante-dix tableaux réalistes, décrivant aussi bien la vie à la cour, les tournois, les scènes de chasse que la galante des chevaliers.

Dans les peintures du 16e et 17e Siècles, le vin était clairement présenté contrairement au 18e Siècle où il se transformera en invitation aux plaisirs. Au 19e Siècle, il acquiert un intérêt surtout esthétique. Bien que la fin du 19e et le début
du 20e Siècles soient ceux des bouleversements artistiques et thématiques dans l'art, la vigne et le vin continueront d'occuper une place certaine dans la peinture. Parfois, ils ont joué un rôle actif ; dans d'autres, ils n'ont été que des accessoires reproduisant le quotidien et la fête. En perdant leur sens religieux, mythologique et sacré d'autrefois, la vigne et le vin ont exprimé les sensibilités de l'artiste qui les peignait. "Le vin dans l'Art" de Montserrat Miret i Nin nous invite à un voyage iconographique et culturel rare. Grâce à cet ouvrage de qualité et riche d'enseignement, le lecteur peut mieux aborder un thème artistique que l'on retrouve à travers les différentes époques, les différentes cultures et mouvements au long des siècles précédents.

7 mars 2010

MADEMOISELLE "JE SAIS TOUT"

  • Emma - Jane Austen - Livre de Poche Classique n°14073

"Belle, intelligente et riche, jouissant d'une confortable demeure et d'un heureux caractère, Emma Woodhouse semblait dotée des plus précieux avantages de l'existence : et depuis près de vingt et un ans qu'elle était sur cette terre, elle n'avait guère connu le chagrin ou la contrariété. Fille cadette d'un père excessivement affectueux et indulgent, elle avait très tôt tenu le rôle de maîtresse de maison, du fait du mariage de sa sœur. Sa mère était morte depuis trop longtemps pour qu'Emma pût conserver de ses caresses autre chose qu'un vague souvenir, et à Mrs. Woodhouse s'était substituée la gouvernant, une excellente femme dont l'affection était quasiment celle d'une mère". Telle est Emma Woodhouse. Cette jeune fille a tout pour elle, et elle le sait. En plus de cela, son père lui laisse une totale liberté d'action sur la gestion de la maison, particulièrement depuis le départ de sa sœur, Isabelle, et de sa gouvernante, Miss Taylor. C'est une personne qui est imbue d'elle-même, persuadée qu'à son jeune âge elle en avait déjà beaucoup vu de la vie et vécu plus encore.

Emma vivait désormais seule, en tête à tête avec son père vieillissant, fragile et malade. C'est un peu pour cela qu'elle sentait peser la solitude. Il faut dire, qu'à ses yeux, personne à Hartfield ne pourrait remplacer Miss Taylor, cultivée, intelligente, discrète et raffinée. En fait, Emma est plutôt fière d'avoir pu arranger le mariage de Miss Taylor avec Mr. Weston. "Oui, c'est moi qui en ai été à l'origine, il y a quatre ans. Et de constater qu'elle a eu lieu, et que j'avais raison quand tant de gens prétendaient que Mr. Weston ne se remarierait jamais, il y a là de quoi me consoler de tout. Mr. Knightley hocha la tête, et son père répondit tendrement : - Ah, ma petite, si seulement vous vous absteniez d'arranger des mariages et de faire des prédictions, car il vous suffit d'annoncer un événement pour qu'il se produise ! Je vous en supplie, ne vous mêlez plus de mariages !". Et contrairement à la demande de son père et de Mr. Knightley - son beau-frère - Emma a bien l'intention de persévérer et de se rendre utile de cette façon. Certaine de son fait, elle confond allégrement bonheur de voir une amie heureuse et organisation de rencontres amoureuses. Emma se sent un devoir moral à vouloir absolument faire le bonheur de son entourage, y compris celui de son propre père. Ce dernier attirait autour de lui un cercle restreint d'amis qui partageaient sa passion pour les parties de cartes, particulièrement le whist. "Encouragé par Emma, il lui arrivait fréquemment d'inviter ses meilleurs amis à dîner, mais il préférait toutefois passer simplement la soirée avec eux, et à moins qu'il ne fût favorablement disposé, Emma trouvait toujours le moyen de lui procurer des partenaires aux cartes".

C'est au sein de ce petit cercle de personnes de la paroisse de Highbury qu'Emma fera la connaissance de la jeune et jolie Harriet Smith, orpheline, qu'elle prendra sous son aile. Elle décidera de la sortir de sa condition, de l'élever en la sortant de son milieu d'origine, rustre et commun, de l'instruire et de lui apprendre les bonnes manières afin de l'introduire dans la bonne société. Harriet n'était certes pas intelligente, mais elle était naturelle et spontanée, douce et affectueuse,
admirative devant tout ce qu'Emma entreprenait pour elle. Aussi, la première chose que fera celle-ci sera d'éloigner sa protégée du fils de ses anciennes amies d'Abbey Mille Farm, Victor Martin. En effet, Emma est convaincue que ce jeune homme ne possède aucune distinction, qu'il est inintéressant, que c'est un paysan rustre, grossier et sans avenir. D'ailleurs, elle le trouve laid. Non, ce que désire Emma pour la juvénile et fraîche Harriet c'est un homme de la classe et de l'élégance de Mr. Elton, le pasteur de Highbury. "Mr. Elton était précisément la personne choisie par Emma pour supplanter le jeune fermier dans l'esprit de Harriet. Il lui semblait que cela ferait un excellent mariage ; et pareil projet était si manifestement souhaitable, si naturel, et sa réalisation si probable qu'elle n'avait, pour sa part, guère de mérite à le favoriser. Elle craignait que tout le monde eût déjà envisagé et prédit cette union. En revanche, elle était certaine que personne n'avait autant œuvré qu'elle dans ce sens, car elle y avait songé le soir même où Harriet était pour la première fois venue à Hartfield. Plus Emma y songeait et plus elle était convaincue du bien-fondé de ce mariage. La situation de Mr. Elton était des plus estimables, et lui-même était homme du monde, ne fréquentant que des gens comme il faut".

De son côté, Mr. Knightley, homme posé et peu disert, sait combien Emma est inconstante, changeant rapidement d'avis, s'intéressant à beaucoup de choses, mais sommairement. En un mot, Emma Woodhouse se lasse vite de ce qu'elle entreprend. Ainsi, elle a commencé une longue liste des livres à lire, prenant des avis dans son entourage, sans jamais avoir réussi à en lire la moitié. Pareil pour la peinture et le dessin, qu'elle avait commencés à pratiquer, puis s'était fatiguée de cette activité artistique demandant de la concentration, de la persévérance, de l'exigence, de la volonté. Et lorsque Harriet Smith reçoit une demande en mariage officielle de la part de Victor Martin, c'est Emma qui se sent blessée dans son orgueil d'aînée et de personne influente. Comment un homme de sa condition, aussi fruste que lui a-t-il pu faire une telle proposition à sa protégée ? "Vous voir, vous, exilée à Abbey Mille Farm ! Vous, réduite toute votre existence à subir la présence d'un entourage inculte et vulgaire ! Je n'imagine pas comment ce jeune homme a osé se permettre de vous le demander. Il faut vraiment qu'il se fasse de lui-même une très haute opinion". Sous l'ascendant d'Emma, Harriet refusera ce mariage honnête pour sa condition, certaine de trouver mieux chez un autre homme. D'un coup, elle est assurée de sa grande beauté, sûre de son intelligence acquise auprès d'Emma et convaincue d'appartenir à une lignée de gentlemen par ses manières et sa bonne conduite. Tant bien que mal, Mr. Knightley tentera de faire prendre conscience à Emma de son erreur de jugement sur Mr. Martin et le pasteur Elton. En pure perte ! Emma est fermement décidée à voir Harriet épouser un homme de bonne condition, quitte à se fâcher avec son beau-frère.

Pauvre Emma Woodhouse, serait-on tenté de penser en lisant "Emma" de Jane Austen. Quelle personne fière d'elle-même et sûre de connaître parfaitement la nature et les sentiments humains, d'être au-dessus des autres, qu'elle en devient presque insupportable au lecteur. Sa fatuité, son égocentrisme, sa conviction d'appartenir à un milieu social privilégié dans son petit village de Highbury la fait parfois apparaître comme un personnage ridicule, un peu à la manière de M. Jourdain dans "Le bourgeois gentilhomme" de Molière. Elle passe son temps à se vanter, à être sûre de ses faits et paroles, qu'elle en est bouffie d'orgueil. On se demande bien, tout au long de cette lecture, comment son petit monde réduit à son père et ses partenaires de whist, à Mr. Knightley, Mr. Elton et à Miss Taylor pourrait vivre sans les conseils prodigués par Emma ! Jane Austen a réussi l'incroyable pari de créer un personnage dans "Emma" que le lecteur prend plaisir à détester. Emma n'a qu'une seule et unique envie, passer pour un parangon de culture et de vertus auprès de son entourage. En pensant au bonheur des autres, elle veut se créer une image d'elle-même éloignée de la réalité. Elle fait preuve de commisération auprès des pauvres de la paroisse en leur rendant visite pour bien insister sur la différence de milieu social qui existe entre elle et les autres. Emma est persuadée d'avoir toujours raison envers et contre tout, surtout auprès de ses aînés qui - tel Mr. Knightley - essaient de lui faire comprendre la complexité de la nature humaine telle qu'elle est réellement. "Emma" de Jane Austen nous propose le portrait d'une jeune fille à peine sortie des affres de l'enfance et se croyant déjà adulte accomplie et mûre, réfléchie et mature en raison de l'attention qu'elle porte à son père souffreteux et âgé. Elle confond allègrement sentiments amicaux et amoureux par son inexpérience de la vie et ne sait pas traduire les comportements de son entourage, ni les siens propres. Elle se contente des apparences et son imagination fertile pour en déduire des conclusions hâtives et erronées. Son attitude la mènera à faire des découvertes
sur elle-même et sur les intentions réelles des autres. "Emma" de Jane Austen est un roman abouti et d'une maturité intellectuelle certaine, d'une ironie mordante, cinglante, plein d'humour et de confusions dans les sentiments de chacun. Jane Austen donne l'impression de s'être amusée avec ses personnages, prenant un malin plaisir à les mettre dans des situations embarrassantes, particulièrement son Emma. Mais surtout, Jane Austen nous brosse un portrait net et précis de la société anglaise de province du 18e Siècle. Une société où tout un chacun veut briller, se montrer, imiter l'aristocratie dans leurs pratiques. Un petit monde étriqué où tous veulent jeter de la poudre aux yeux de son voisin pour l'épater. Malgré les avis partagés, "Emma" restera une belle découverte et une première rencontre avec l'univers feutré et romantique de Jane Austen. Et certainement pas le dernier !

L'avis de Bénédicte.

"Emma" de Jane Austen a été lu dans le cadre d'une lecture commune avec Neph


Lecture dans le cadre du challenge de Marie L.

Lecture dans le cadre du challenge de Karine:)


299 - 1 = 298 livres ... C'est merveilleux les challenges et autres lectures communes pour amaigrir sa PAL avant l'été !

4 mars 2010

MES MADELEINES DE PROUST ...

Voilà enfin le tag tant attendu, désiré, espéré et que j'avais promis de faire à Cynthia et à Fleur du Soleil depuis le début de l'année (voire même la fin de l'année précédente). Ceux et celles qui fréquentent cet endroit savent que, dès que je fais une promesse, je la tiens toujours ! Sur mon blog, je ne m'impose aucune contrainte. C'est un des lieux où je prends le temps de vivre au rythme de mes désirs et de mes envies ... Donc, voici en avant-dernière, mes Madeleines de Proust.

1. Une odeur, un parfum, un fumet qui déclenche un souvenir ?

Pas une odeur, mais deux et un parfum qui me ramènent à mes souvenirs d'enfance, vers des lieux que j'ai toujours en mémoire, dans un coin, et dont une simple effluve me rappelle leur existence.

C'est tout d'abord le parfum de l'eau de Cologne ambrée que portait mon grand-père paternel. Dès que je sens dans une parfumerie cette fragrance, je ne
peux m'empêcher d'avoir les larmes qui me montent aux yeux. Il était synonyme de départ en balades, à travers la campagne, sur les chemins de traverse, en visite chez les voisins, les amis. Il m'arrive d'en acheter pour la porter de temps en temps. J'ai l'impression d'avoir encore mon grand-père à mes côtés le temps de cette senteur éphémère.

Deux odeur
s particulières me font remonter le temps vers celui de l'innocence et de la candeur. C'est celui du bois de cheminée qui se consume encore en fin de nuit. C'est une odeur particulière qui émane de ce matériau qui nous donne tellement de chaleur, de douceur, de bien-être. C'est une exhalaison qui est propre aux maisons de la campagne et très caractéristique que j'adore sentir le matin en me levant. La deuxième odeur, c'est celle de la terre humide à l'aurore, lorsque le soleil n'est pas encore levé et que la rosée n'est pas évaporée. La terre développe ses arômes pour ceux qui se lèvent très tôt et profitent de cet instant magique entre la nuit finissant et la promesse d'une aube illuminée par un soleil estival.

2. Un son, un bruit, une mélodie qui déclenche un souvenir ?

Un son, celui de la pendule plus que centenaire qui appartient à ma famille depuis des générations et dont je n'ai jamais pu me séparer. Ce tic-tac permanent et ronronnant, ses coups pour rappeler le temps qui passe et que l'on compte la nuit, lors d'insomnies. Cette vieille pendule n'est pas dans mon appartement, parce qu'elle trop haute, mais dans une vieille maison de famille. Dès que je la vois et l'entends, je sais que je suis enfin à la campagne, chez moi, au calme, au repos. Je ne peux me passer de ce son si caractéristique que plus personne ne supporte, sauf moi !

Une mélodie me renvoie systématiquement vers l'Allemagne de mon enfance et de mon début d'adolescence, c'est "Breakfast in America" de Supertram. Ne me demandez pas pourquoi c'est une chanson anglaise qui me rappelle quand je partais me baigner à la piscine ou dans un lac, l'été, en Allemagne. Même moi, je ne le sais pas !

3. Une saveur, un goût qui déclenche un souvenir ?

Je me souviendrai toute ma vie de la saveur des vrais Petits Lu de Nantes et des
caramels mous parce que, dès que j'arrivais en vacances chez mes grands-parents, j'étais sûre d'en trouver dans des boîtes en fer ou des bocaux en verre. Pour le goûter, il y avait toujours ces gâteaux si bons, si simples, si savoureux et naturels. Quant aux caramels mous, c'était la spécialité de mes grands-mères paternelle et maternelle. Donc, tout était fait maison, et c'était un vrai régal. Le plus difficile était de devoir les partager avec les petits voisins, les cousins et cousines, en plus de mon frère ! Même les chiens et les chats réclamaient leur part de gourmandise ...

4. La matière, la surface qui déclenche un souvenir ?


Là encore, une surface et une matière qui - dès que je les aperçois - déclenche un flot de souvenirs familiaux, personnels et intimes.

La surface est celle du bois
des vieux meubles patiné par le temps et la cire. Dès que je suis en présence d'un meuble ancien, je ne peux m'empêcher de passer la main dessus, de le caresser, de l'effleurer, de m'imprégner de son histoire conservée dans les creux, les trous, les veinures du bois. C'est un matériau noble qui donne au meuble sa qualité, sa grandeur, son élégance. Il a su traverser les âges pour arriver jusqu'à nous presque intact.

Quant à la matière, c'est tout simplement celle des draps de mes grands-mères, en coton ou en lin, brodés aux initiales de la famille. Les voir, les sentir, les toucher, les déplier pour les repasser délicatement et les replier sont des instants magiques durant lesquelles je me retrouve en leur présence.

5. Une image, une forme, un objet qui déclenche un souvenir ?

Je possède un vieil album de famille où sont collationnées toutes les photos de mes grands-parents, aïeux et aïeules, tantes et oncles, cousins et cousines. Bref, tout ce petit monde aujourd'hui disparu et qui est ma mémoire intime et filiale. Il n'y a pas d'images particulières dans cette album qui déclenche un souvenir précis, seulement la couleur sépia de l'époque qui renvoie à une époque révolue, fin du 19e Siècle ou début du 20e Siècle, à la campagne, en villégiature au bord de la
mer à Biarritz ou à Royan, avec des dames qui osaient à peine se tremper le bout des pieds ! Je trouve ces images surannées, mais tellement belles que je prends toujours plaisir à les regarder, juste pour le plaisir.

Pour l'objet, c'est tout simplement un peigne d'homme en corne qui a appartenu à mon grand-père paternel et qu'il emmenait partout avec lui. Il le portait en permanence dans la poche intérieure de ses vestes. C'est un très vieux peigne que je lui ai toujours vu. A sa mort, je me suis dépêchée de le récupérer. Il me sert à me peigner tous les matins. A mon tour, je l'ai en permanence sur moi, comme un talisman.

J'ai enfin rendu ma copie sur ce moment de nostalgie qui m'a fait remonter une vague de bons et heureux souvenirs.

2 mars 2010

QUE LIRA-T-ON EN MARS ?

Chose promise, chose due. J'ai décidé de créer une nouvelle chronique mensuelle sur mon blog, "Les sorties en poche" pour vous présenter un éventail, non exhaustif, de tout ce qui sort chaque mois en livre de poche et que l'on avait repéré lors d'une première sortie en grand format. Je commence donc par les sorties de mars, en ayant fait un tour chez les différents éditeurs.
  • Livre de poche
Au zénith - Duong Thu Huong

Quatre intrigues se mêlent autour de l'histoire tragique d'Ho Chi Minh, père spirituel du Vietnam. Au début des années 1950, alors âgé de plus de 60 ans, il tombe éperdument amoureux de Xuan, une jeune montagnarde et fonde avec elle une famille. Mais lorsqu'il souhaite officialiser son union, ses anciens compagnons de combat s'y opposent. Xuan est exécutée et ses enfants cachés pour survivre. Une fresque somptueuse et passionnante, mêlant amours, pouvoir et meurtres, un livre enragé et engagé, tout autant qu'une ode colorée et poétique à la nature et à la nourriture vietnamienne.


Le vol du Régent - Michel de Grèce

En mai 1789, alors que la France est en faillite, la joaillière Anne-Louise s'intéresse surtout aux bijoux de la Couronne qu'elle a pu admirer lors du passage des souverains à Paris. Elle est en réalité une espionne à la solde des Anglais. Détachée des événements de plus en plus terribles, elle se voit proposer le vol des bijoux, notamment celui du fameux Régent : 9000 diamants, 500 perles, 200 rubis, 71 topazes, 150 émeraudes, 135 saphirs, le fameux diamant bleu et le Régent, plus gros diamant du monde...

Le voyage dans le passé - Stefan Zweig

L'histoire d'un amour contrarié par les circonstances de la vie : un jeune homme pauvre tombe amoureux de la femme de son riche employeur, qui est également son bienfaiteur. Elle l'aime aussi. Il est envoyé en Amérique latine pour une mission de confiance de plusieurs années. Elle lui promet de se donner à lui quand il reviendra. La Première Guerre mondiale éclate... Intitulée La Résistance de la réalité, cette nouvelle place les promesses du passé et l'héritage de la passion au centre de la narration. Un concentré de Zweig : un amour contrarié par les circonstances de la vie, une réflexion sur l'usure des sentiments, et l'impossibilité de faire revivre le passé.

Correspondances 1932 - 1942 - Stefan Zweig

Ces lettres expédiées d'Autriche, de France, d'Angleterre, des États-Unis et du Brésil, couvrent les dix dernières années de S. Zweig. Elles retracent sa vie personnelle marquée par l'exil, la dépression et la lutte contre le nazisme, ainsi que ses productions littéraires dans lesquelles l'histoire occupe un rôle majeur, qui apparaissent toutes deux indissociables du contexte politico-historique.

Ramon - Dominique Fernandez

Enquête de l'écrivain sur la personnalité et le parcours intellectuel et politique de son père. Ramon Fernandez (1894-1944), qui écrivait dans la Nouvelle revue française, a été l'intime des nombreuses personnalités du monde littéraire de l'entre-deux-guerres, a navigué entre le socialisme, le communisme, le fascisme, a été malheureux en ménage... Un ouvrage qui donne à lire une histoire littéraire de la France (Ramon Fernandez a été au centre de la vie intellectuelle française, ami intime de Proust et de Duras à la fin de sa vie), une histoire politique de la France et de l'Europe, et enfin, de l'histoire d'un couple.

Une lueur de paradis
- John O'Hara

A Hollywood, l'histoire d'amour hésitante du scénariste James Malloy et de la jeune libraire Peggy est mise à mal par le père de Peggy. Ce dernier, disparu il y a des années, est de retour et s'immisce dans la vie amoureuse de sa fille.

  • 10/18 éditions
Le mystère de la maison Aranda - Jéronimo Tristante

Ancien délinquant promu sous-inspecteur, Victor Ros intègre le commissariat de la Puerta del Sol, au cœur de Madrid. Idéaliste et passionné, le jeune homme est chargé d’élucider trois meurtres perpétrés dans une riche demeure. L’affaire passionne le Tout-Madrid, car on dit cette maison maudite. Mais Victor est bien trop rationnel pour y croire. Trop humaniste aussi pour ne pas vouloir démêler une autre série d’assassinats, moins populaires, commis à l’encontre de prostituées. En cette fin de XIXe siècle, des bas-fonds madrilènes aux hautes sphères de l’aristocratie, règne la même horreur… les mêmes ombres déroutantes, les mêmes sinistres fantômes. Victor Ros devra se montrer pugnace pour remonter les fils d’Ariane qui traversent la ville et qui mènent aux coupables.

Nuala O'Faolain
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Best Love Rosie

Après avoir vécu et travaillé loin de chez elle, Rosie décide qu’il est temps de rentrer à Dublin, pour s’occuper de Min, la vieille tante qui l’a élevée. Mais, « il faut du temps pour revenir quelque part… » et les retrouvailles tournent vite au vinaigre. Bientôt, Rosie voit se creuser le fossé qui la sépare de l’infatigable Min, galvanisée par sa découverte de l'Amérique. Et tandis que l’une se réveille de sa torpeur, l’autre se voit rattrapée par la mélancolie... Dans ce roman lumineux, Nuala O’Faolain met en scène une femme tourmentée et attachante, qui fait sienne toutes les interrogations de l’écrivain. Best Love Rosie est un grand livre sur l’âge, la solitude, l’exil, le sentiment maternel et les chimères de l’amour.

L'accordeur de pianos
- Pascal Mercier

Le célèbre ténor Antonio di Malfitano est abattu d’un coup de pistolet sur la scène de l'Opéra de Berlin, au beau milieu d’une représentation de Tosca de Puccini. Les enfants de l'assassin, des jumeaux, regagnent le foyer familial afin de comprendre ce qui a poussé leur père, accordeur de pianos réputé et piètre compositeur d’opéras, à commettre cet acte pathétique. En sondant les profondeurs du passé, ils vont découvrir la cause de son désespoir et de celui de toute la famille. Et si le crime avait finalement été orchestré par la musique ?
  • Babel Poche
J'aurais voulu être égyptien - Alaa El Aswany

Après Chicago (2007), l'auteur de L'Immeuble Yacoubian (2006) revient au coeur du Caire et des contradictions d'une société en crise avec un recueil de nouvelles pétillantes où l'intelligence aiguë des situations le dispute à l'humanité et à la drôlerie de son regard attentif, qui pour être perçant et percutant, n'en demeure pas moins amoureux.
  • Point Seuil
L'hirondelle avant l'orage - Robert Littel

Ossip Mandelstam, le grand poète, n’est pas l’artiste qu’il aurait aimé être. Avec sa femme Nadejda, ils vivent de sexe et de vodka, enfermés dans leur appartement moscovite, sale et glacial. Effrayé par les dérives du stalinisme, Mandelstam veut sauver sa belle Russie des griffes de celui qu’il nomme « le montagnard du Kremlin ». Ses poèmes moquant le dictateur vont lui coûter très cher…

  • Phébus Éditions
Point de rencontre à l'infini - Klaus Mann

Sebastian, l’écrivain, Sonja, la comédienne, les danseurs Greta et Gregor Gregori n’ont rien en commun. Les courtisanes sur le retour, les dandys ou les érudits qu’ils croisent non plus. Ils se connaissent pourtant. Ils fréquentent les mêmes cabarets de Berlin, traversent les mêmes rues parisiennes. Ils partagent aussi les mêmes angoisses existentielles : tous déchirés entre nostalgie et désespoir, ambition et fuite. Ni les divertissements de la grande ville, ni les drogues les plus dures ne parviennent à les rassasier, à les sortir de leur solitude.Plusieurs voix dans ce roman semblent se faire écho sans jamais se répondre vraiment... Les protagonistes vivent les uns à côté des autres, mais restent inaccessibles. Sauf parfois, le temps d’une brève rencontre à l’infini.Pour la première fois traduit en français, ce roman à l’esthétique théâtrale constitue un maillon important dans la production littéraire de l’auteur, tant il porte l’empreinte de l’esprit d’une génération sans repères, la sienne. Point de rencontre à l’infini ouvre déjà la voie des grands romans de l’auteur que sont Mephisto et Le Volcan, et de son engagement politique contre le nazisme.