11 mai 2011

CHIMENE DES BAS-FONDS

  • Et mon mal est délicieux - Michel Quint - Folio


"Pourtant, je vous jure, monsieur, chaque soir, Max Klein, le fils du Président de la cour d'assises, et Luz, la gamine de chiffonniers, se faisaient face à deux pas d'ici, au milieu des décombres du monastère, grimpés sur les gravats de l'ancien réfectoire pontifical d'Innocent VI, effondré à ciel ouvert ...".

Max Klein, adolescent romantique comme Rodrigue, épris de beauté et de splendeur, rêvant d'un amour pur et éternel, donne chaque soir la réplique à une Chimène pleurant son amour impossible. Chimène fantasque, originale, bouillonnante, incarnée par Luz - gitane d'origine espagnole - réfugiée de la guerre d'Espagne ayant fui Barcelone. Elle ne connaissait que cette pièce de Pierre Corneille et ne voulait jouer que Le Cid, à sa façon. "Faut dire, c'était pas le style Comédie-Française, croyez-moi, le texte au rasoir et la belle diction ... ! Elle s'inventait des représentations au décrochez-moi-ça. A son image de mal nippée. Deux-trois vers de Corneille, le reste rapiécé, retaillé à ses mesures, à rimes décousues, une langue de colère massacrée de chagrin, de révoltée".

Malgré le feu et la violence verbale de leurs échanges théâtraux, Max était intimement persuadé que Chimène l'aimait. Il le sentait. Il le savait. Le baiser fatidique était là, présent aux bords des lèvres, prêt à changer leur vie, à la métamorphoser. Ce baiser tant attendu, tant espéré par les deux amants improbables, jeunes, fougueux, intrépides et si sages. Mais l'histoire de France va se mélanger à la romance du Cid. En 1940, en pleine débâcle, voilà que débarque un réfugié - Gérard - qui donne la réplique à Luz. Chimène et Rodrigue se sont reconnus. Dès lors, la vie de chacun va s'en trouver bouleverser à jamais. "Et Luz se métamorphosait, mille ans d'Espagne corsetée dans sa voix, plein d'honneur offensé à fleur de peau, et du frisson, et des envies du nudité et les reins déjà cambrés ... Ensemble, ils ont raconté la vieille Espagne. [...] ... Et de ce jour, jamais plus Luz n'a repris avec moi ses représentations bricolées ... Relâche, monsieur, relâche, en l'absence du jeune premier ... ! J'étais devenu indigne de seulement donner la réplique !".

Avant de quitter la ville, Gérard lui offre ce baiser et lui fait la promesse de revenir jouer Le Cid en ce lieu même, dès qu'il serait devenu comédien. Max, blessé dans son amour propre, refusera de revoir Luz, l'évitera, de peur de se faire humilier, d'être rejeté, renvoyé. Et puis, d'autres soucis le taraudent. L'indicible et irrépressible peur des gens traqués par l'occupant. On tente de se rassurer comme on le peut. Mais la fin des illusions arrivent avec la dure réalité d'un quotidien couleur vert-de-gris. Le père de Max est Juif. Cela est suffisant pour l'envoyer au pays des horreurs avec un aller-simple sans espoir de retour. Dès lors, Max vivra entre Luz et Amparo - la tante - superbe femme en noir au visage de flamenca tourmentée, douloureuse et sensuelle. "Elles m'ont accueilli comme un cousin des Amériques, jamais oublié, comme si j'étais sorti l'instant d'avant et que je revienne avec le pain du matin ou de l'eau tirée au puits". Vivant de bric et de broc, Max, Amparo et Luz voient la Libération arriver comme le retour des beaux jours après un hiver particulièrement long et difficile.

Si les parents de Max ne reviendront jamais, Luz - quant à elle - est persuadée que son Gérard reviendra à Villeneuve-lès-Avignon jouer Le Cid, rien que pour elle. A cause de la promesse faite. Elle en est sûre et certaine. Elle espère et cela lui permettra de tenir jusqu'à ce qu'il revienne. Max, fou d'amour, fera tout ce qui est possible de faire pour que cette promesse aléatoire devienne une réalité vraie. Le miracle se produira. Gérard viendra en représentation à Avignon, et jouera Le Cid, rien que pour elle. Luz venait de recevoir son lot de bonheur tant espéré, pour aller au bout de son calvaire, dans le calme et la sérénité. Mais qui est ce Gérard, entr'aperçu une nuit de juin 1940 dans les ruines mal famée de la Chartreuse, à Villeneuve-lès-Avignon ?

Livre original par son approche en biais de situations douloureuses - au propre comme au figuré - "Et mon mal est délicieux", emprunté à un poème de Guillaume Apollinaire, Marie, Michel Quint nous fait vivre un pur instant de félicité. Il nous entraîne dans le monde onirique de théâtre, où tout est possible, tout peut se réaliser - même les rêves les plus fous - où le malheur et la souffrance s'estompent, se dissolvent, pour laisser place à l'enchantement et à l'envoûtement du jeu. C'est un ouvrage magique, magnifique et tout à la fois terrible. "Aucun regret, sauf un : Luz ne m'a jamais embrassé [...]. Gérard, en juin 40, est le seul à les avoir mordues".

D'autres blogs en parlent : Violette, Laurence (Biblioblog), Lire, écouter, voir, ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit commentaire.

Et pour ceux et celles qui veulent (re)voir Michel Quint et Olivier Barrot parler de ce magnifique roman sur le théâtre et les acteurs, la vidéo sur le site de l'INA.

Pas de PAL qui diminue, puisque ce billet est un transfuge du précédent blog. Je sais, c'est mal, mais j'avais envie de vous faire partager ce très beau moment de lecture.

8 commentaires:

Dominique a dit…

J'ai aimé le premier livre de Michel Quint mais ensuite ce qu'il a publié m'a déçu et je n'ai plus rien tenté, faut il que j'ai un regret ?

Theoma a dit…

il m'attend dans ma pal...
Dominique : une lecture commune ?

Nanne a dit…

@ Dominique : Je comprends ton hésitation, mais pour ce tout petit roman autour du théâtre, du Festival d'Avignon, de Gérard Philippe est vraiment une pépite ! Il se lit très vite et on regrette presque qu'il soit si court ...

Yv a dit…

J'ai découverte assez récemment la superbe langue de M. Quint avec un petit livre sur une troupe de théâtre. Un auteur qui sait raconter des histoires et des personnages.

moustafette a dit…

Hé hé je crois reconnaître où a été prise la photo de l'auteur !!! bon souvenir que cette journée.

Je n'ai pas encore lu celui-ci, ma dernière lecture de M Q est "Une ombre, sans doute", un roman sur la guerre entre hier et aujourd'hui, je te le conseille.

Lounima a dit…

Lu il y a quelques années, c'est un roman que j'ai adoré (j'aime d'ailleurs beaucoup cet auteur). Cela me donne envie d'aller relire les extraits que j'avais notés... ;-)
As-tu lu "Sur les trois heures après dîner" ? C'est un petit livre qui tourne aussi autour du théâtre et, accessoirement, le premier livre que j'ai lu de cet auteur : j'en garde un très bon souvenir ! :-)

Nanne a dit…

@ Theoma : Si tu le possèdes, il faut le lire absolument ! Ce tout petit roman est une vraie merveille autour du théâtre et un hommage au Festival d'Avignon et à ceux qui l'ont créé ...

@ Yv : C'est un auteur que j'affectionne particulièrement, parce qu'à chaque fois que je l'ai rencontré, je suis tombée sous le charme de sa conversation ! Il écrit de petits romans, mais qui ont toujours une certaine force et dans une écriture parfaite, ce qui rare de nos jours ...

Nanne a dit…

@ Moustafette : C'est exactement le bon jour et le bon endroit où a été prise cette photo ! J'espère que l'on aura l'occasion de s'y retrouver ... Je suis sûre que ce petit roman te ravira par son écriture subtile et le thème abordé. Je possède "Une ombre, sans doute" dans ma PAL, et dédicacée par Michel Quint lui-même ! Ainsi que "Max" ... Je pense que les deux vont m'intéresser.

@ Lounima : C'est sans doute le même livre conseillé par Yv, dont tu me parles. Je ne le connaissais pas encore, mais je retiens le titre, parce que j'ai très envie de le découvrir ... Et surtout, ne te prive pas de cette belle relecture de ce très beau roman ;-D