- Vingt-quatre heures d’une femme sensible – Constance de Salm – Phébus Éditions
« Mon amour, mon ange, ma vie, tout est trouble et confusion dans mon âme ! Depuis une heure entière, j’attends, j’espère. Je ne puis me persuader que tu ne sois pas venu, que tu ne m’aies pas au moins écrit quelques lignes, après cette fatale soirée. Il est une heure … peut-être es-tu encore chez cette femme ! Quelle nuit je vais passer ! Ah ! mon Dieu ! je n’ai pas une pensée qui ne me soit une douleur. Le ciel sait que le moindre doute sur ta tendresse me paraîtrait une horrible profanation ; mais n’est-ce donc rien que ces longues heures de désespoir ? ».
Quarante-quatre lettres et billets pour dire, exprimer, écrire, crier, témoigner son amour, sa passion, son dépit à un homme – son amant – que Constance de Salm a vu disparaître dans la calèche de Madame de B**. Une nuit et une journée de tourments, d’angoisses, d’émois, de détresses, de divagations pour tenter de comprendre le comportement ambigu de cet homme habituellement galant à son égard. Et voilà, comme à chaque fois qu’une femme amoureuse est assaillie de doutes sur son pouvoir de séduction, sur sa capacité à se faire aimer de son amant, à se sentir l’unique objet de ses pensées et de son désir, Constance de Salm échafaude des théories sans fondement, se torture une âme déjà en proie aux idées noires et funestes de la fin d’un amour qu’elle voudrait total, absolu, parfait, suprême, éternel. « Mais qu’a donc cette Mme de B*** pour me mettre dans cette horrible situation ? S’il faut croire ce que l’on en dit, son âme tout entière t’offrirait-elle une seule étincelle du feu qui dévore la mienne ? Oh ! non ; mais elle est belle, elle est coquette ; et seuls, seuls dans une voiture ; les vêtements se touchent, les mains se rencontrent, on respire le même air ; on est homme, on est femme … Ah !... ».
Dès lors, comment imaginer l’amour autrement que parfait, sublime, précieux, irremplaçable, exclusif, quand on donne tout à un homme qui apparaît se comporter comme un être indifférent, voire méprisant ? Car le sentiment amoureux a une valeur hautement symbolique et est bien plus qu’une émotion, qu’un trouble que Constance de Salm place au-dessus de tout. L’amour est autre chose qu’une simple relation entre deux êtres. C’est un ensemble complexe d’émois, d’exaltations, de sensations que chacun partage, échange, dans ces instants de solitude à deux, d’intimité recherchée. « Non, tu ne me trahiras pas, tu ne trahiras pas ces serments tant de fois répétés ; tu ne les profaneras point par des sensations étrangères ; tu ne le pourrais pas. Il y a dans l’amour autre chose que l’amour, une union plus intime encore, des rapports qu’il n’appartient pas aux âmes communes de comprendre ni de sentir, un entraînement d’un être vers l’autre, qui ne tient à rien de ce que la pensée peut définir. C’est par l’accord involontaire de ces sentiments, de ces délices inconnues, que nous sommes unis, chère âme de ma vie ! Que peut une Mme de B*** contre des liens si sacrés ? ».
Et chaque femme qui approche son amant est un accablement psychique supplémentaire. Elle guette le moindre geste, le plus petit regard, la plus infime attitude qui pourrait laisser filtrer l’ombre de la trahison amoureuse. Pendant toute cette journée, alternant entre espoir, certitude, joie, chagrin, neurasthénie, dépit, suspicion, défiance, bonheur, appréhension, extase, euphorie, ultimatum, supplication, Constance de Salm attendra une lettre, un signe de son amant. « Ton billet du matin manque seul, dans ce moment, à ma félicité. Ah ! comme ma main va trembler de joie en le recevant ! Comme je vais me hâter de me dérober à tous les regards pour qu’aucun œil profane ne saisisse sur mon front les sensations qu’il va me falloir éprouver ! car je ne crois pas que dans mon emportement j’irai le lire avec avidité : après en avoir regardé rapidement la dernière ligne, je me retirerai dans ce cabinet où j’ai reçu tes premiers serments ; j’en fermerai la porte avec soin ; je me placerai dans le siège que tu occupes ordinairement près de moi, et là, tout entière à l’amour, je savourerai lentement et avec délices le charme de chacune de tes douces paroles ; je me plairai à contempler ces caractères tracés par ta main, à toucher ce papier que tu auras touché ; je le presserai sur mon cœur, sur mes lèvres brûlantes, et, relisant cent fois les expressions de ta tendresse, je prolongerai ainsi mon illusion jusqu’au moment désiré que te ramènera enfin près de moi ».
« Vingt-quatre heures d’une femme sensible » de Constance de Salm où les égarements de la rivalité féminine qui empoisonne les pensées de son auteure. Au fur et à mesure de la lecture de ce magnifique roman épistolaire, le lecteur est confronté aux sentiments suscités par les débordements de l’imagination de son épistoliaire. D’abord contrariée parce qu’elle a aperçu son cher soupirant monter dans la même berline qu’une femme galante, ses pensées vont très vite aborder les rivages du dépit amoureux, du ressentiment, de la divagation que génère ce sentiment.
Constance de Salm, tour à tour éperdue d’amour et effondrée à la pensée de perdre son amour, va se supplicier l’esprit en élaborant des scenarii sur les raisons de cette perte soudaine et inexpliquée. Ombrageuse au point de friser l’hystérie, Constance de Salm sera prête à tout pour confirmer ses soupçons chimériques, issus de son raisonnement lancinant sur la tromperie, la dissimulation, l’adultère, l’inconstance, le désamour. Au cours de cette nuit et de cette journée, elle passera par tous les stades des émotions, de la colère au déni, du renoncement à l’imploration, de l’espoir à la conviction. Comme souvent, elle évoquera même le souhait d’en finir physiquement pour ne plus souffrir, espérant ainsi le retour de l’être tant chéri, tant aimé.
« Vingt-quatre heures d’une femme sensible » est un roman éminemment romantique, passionné, sensible, empreint de la notion d’amour pur, unique, auquel chaque individu doit s’abandonner totalement. Si tel n’est pas le cas, alors la mort vaut mieux qu’une résignation, qu’un renoncement ou – pire – qu’un amour sans passion. Il y a dans ce roman une telle force de conviction, de tels élans amoureux, une telle emphase que l’on retrouve là toute la puissance évocatrice des grands auteurs romantiques des 18ème et 19ème Siècles. C’est tout simplement merveilleux !
D'autres blogs en parlent : Pascale, Cynthia, Keisha, Stephie76, Kenza, Lilly, L'encreuse, Liliba, Laure, Martine, Erzebeth, Florinette, Emmyne, Charly, Babelio, Clarabel ... D'autres, peut-être ?! Si je vous ai oubliées, merci de vous faire connaître par un petit message que j'ajoute votre lien.
"Vingt-quatre d'une femme sensible" de Constance de Salm est un livre voyageur de Liliba. Je tenais à la remercier particulièrement pour sa patience à mon égard et à sa (très) grande tolérance ... Ce livre va enfin retourner à son heureuse propriétaire !
Je vous joins un extrait de la pièce de théâtre tirée de ce superbe roman épistolaire et joué lors du Festival d'Avignon en 2009.
11 commentaires:
Déjà noté par ailleurs, je finirai bien par lire ce petit opus qui a l'air très sensible.
Très beau billet pour ce livre auquel, hélas, je n'ai pas été sensible. Je crois que j'y serai plus attentive en pièce de théâtre effectivement.
je me laisse fléchir par ton billet qui est plus que convaicant
j'aime les correspondances même romancées et celle ci parait avoir tout le charme des siècles passées, j'ai dans ma pal : le lit bleu une belle correspondance amoureuse aussi mais celle là bien réelle
Lu il y a quelques années, je garde un très bon souvenir de ce livre que j'avais beaucoup aimé. ;-)
Je ne savais pas qu'il existait une pièce de théâtre de ce livre : merci pour l'info.
Parfois j'ai du mal avec les grandes envolées lyriques ... Du coup, ça me retient quelque peu. :/
J'avais beaucoup apprécié la lecture de ce petit livre moi aussi. Comme d'habitude, tu en parles très bien :)
@ Aifelle : C'est un livre auquel tu devrais être sensible ... Une lecture merveilleuse, même si - pour moi - elle ne vaut pas "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" de S. Zweig. Il y a parfois des envolées lyriques un peu emphatiques, mais cela n'est pas gênant !
@ Emmyne : J'ai découvert que ce roman épistolaire avait été joué au Festival d'Avignon en 2009 ... Cela doit valoir d'être vu. Le texte est quand même très beau et se prête bien au théâtre.
@ Dominique : Laisse-toi fléchir, car ce roman épistolaire mérite d'être lu et connu un peu mieux ... Il a la beauté d'écriture des siècles passés et c'est ce qui le rend précieux ! Par contre, je suis intriguée par "Le lit bleu", dont tu me parles. Il faut que j'en saches un peu plus, parce que j'aime ce genre littéraire assez rare.
@ Lounima : Cela ne m'étonne pas que tu aies apprécié ce roman. L'écriture est sensible et très accessible pour avoir été écrit au 18ème Siècle ... Si tu peux le voir au théâtre, vas-y !
@ Leiloona : Ce sont des envolées lyriques, mais il n'y a pas que cela ... C'est aussi un écrit sur les tourments amoureux, sur les questions que tout le monde peut se poser à un moment donné lors de situations confuses. Elle peut parfois paraître comme légèrement hystérique, mais elle refait vite surface ! C'est à essayer ;-D
@ Lilly : Ce roman a été apprécié par beaucoup de lectrices ... Je pense que, quelque part, on peut se reconnaître dans les émotions qu'éprouvent son auteure !
Quel beau billet ! Ah tu me donnes envie de le relire !
@ Liliba : Merci ... Mais le livre incite à écrire de tels billets, par les émotions qu'il fait passer en le lisant ! Il revient très vite chez toi ;-) Et encore merci pour cette magnifique découverte littéraire ...
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