- L'éducation européenne - Romain Gary - Folio n° 203
"L'éducation européenne" est un conte moral, cruel et optimiste. Janeck, jeune polonais de 14 ans, prend conscience des difficultés de l'existence en cet hiver rigoureux de 1942. Il se joint aux partisans des forêts polonaises sur les conseils de son père. "Des hommes affamés et affaiblis vivaient tapis au cœur de la forêt. On les appelait "partisans" dans les villes, "verts" dans les campagnes [...]. Ils vivotaient par petits groupes de six ou sept dans les cachettes creusées dans la terre, dissimulées sous les broussailles, pareils à des bêtes traquées". Comme les partisans, Janeck connaîtra le froid, la faim, la trahison, la lutte et la mort. Comme tout adolescent, il connaîtra l'amour auprès de Zosia. Zosia, de Wilno, qui "va avec les soldats", comme elle dit. Petit être fragile et gracile, meurtri par la violence de la vie. Il trouvera auprès de Zosia la chaleur et le réconfort d'un cœur resté pur, malgré les forfaitures de l'existence. Avec les partisans - camarades d'infortune - Janeck comprendra la grandeur de l'Homme. La simplicité, la générosité de chacun lui permettra de toujours croire en l'homme.
C'est une galerie de portraits à la fois émouvante et pathétique que l'on découvre avec le personnage de "L'éducation européenne". Il y a Staczyk, coiffeur de Wilno, qui a perdu ses deux filles et hurle au fond des bois, comme les loups affamés des steppes, "Toutes les deux, toutes les deux". Les nuits de délire, il part en criant comme un damné et revient, au petit jour, repu de ses victimes. Cukier, boucher juif, bâti comme un lutteur forain, qui attend patiemment chaque vendredi soir pour prier avec d'autres. Où encore Machorka, paysan grec orthodoxe, qui confond forêt et catacombes, partisans et premiers chrétiens. Il vit dans attente de la résurrection. Les trois frères Borowski, taciturnes, décidés et méfiants, qui ne se séparent jamais. Enfin, Adam Dobranski, chef du réseau de résistance, épris de poésie, de littérature et de liberté. Mais surtout, il y a la présence surnaturelle d'un partisan hors du commun, exceptionnel, qui permet à chaque résistant de croire et d'espérer, le partisan Nadejda. "C'est le nom de guerre de notre commandant en chef, et il a une très belle voix. Il chante tout le temps [...]. Il vient souvent nous donner des concerts dans cette forêt".
Enfin, les partisans de Dobranski sont pétris de cultures européennes et de grandes idées politiques. "L'Europe a toujours eu les meilleures et les plus belles universités du monde. C'est là que sont nées nos plus belles idées, celles qui ont inspiré nos plus grandes œuvres. Les universités européennes ont été le berceau de la Civilisation". Ce sont des idéalistes qui font plus la guerre aux concepts nauséeux qu'aux hommes mêmes.
Au travers de leurs expériences personnelles, chaque partisan apprendra à trier le bon grain de l'ivraie. Ils découvriront le vrai sens des mots fraternité, patriotisme. "Janeck demande à Dobranski : -Tu aimes les Russes, toi ? - J'aime tous les peuples, mais je n'aime aucune nation. Je suis patriote, je ne suis pas nationaliste. - Quelle est la différence ? - Le patriotisme, c'est l'amour des siens. Le nationalisme, c'est la haine des autres [...]. Il y a une grande fraternité qui se prépare dans le monde [...]".
Janeck comprendra la force et le sens de l'amitié vraie, par-delà des différences, avec Augustus Schröder, officier allemand et fabricant de jouets musicaux, égaré dans un conflit qu'il ne comprend pas. Augustus Schröder qui fera découvrir Schubert, Mozart et Chopin à Janeck.
En prenant pour prétexte l'histoire des partisans polonais, Romain Gary fait passer un message à l'attention de ses lecteurs. Il faut se garder des préjugés et idées préconçues qui aveuglent la réflexion personnelle, évitent de se poser les vraies questions sur les événements et sur les personnes. Avec "L'éducation européenne", on revisite les concepts de solidarité, de fraternité entre les peuples, d'espoir aussi. Car "L'éducation européenne" est un livre d'espoir sur fond d'abîme. A travers tout le récit, Romain Gary nous montre qu'il ne faut désespérer de rien, ni de personne. Comme le répète souvent Janeck : "Rien d'important ne meurt ... sauf les hommes et les papillons". C'est un livre sur l'amour universel des Hommes, sur tout ce qui les rapproche par delà les différences de culture, d'idéologie, de race, de religion.
6 commentaires:
C'est un écrivain que j'aime : les promesses de l'aube et les racines du ciel sont mes romans préférés, je ne connais pas celui ci mais on retrouve les thèmes de Gary, curieux que cet homme porteur d'idéal est fini par se suicider !
Idem Dominique. Moi aussi j'aime énormément Gary à travers "La promesse de l'aube", je note donc celui-ci :-)
Je ne connaissais pas ce livre de Gary. J'aime beaucoup la phrase de Janeck que tu cites à la fin de ton billet.
@ Dominique : C'est un de ses premiers romans écrits à la Libération et un des moins connus. C'est un auteur que je vénère parmi quelques autres ! Je pense qu'il s'est suicidé parce qu'il était porteur d'un idéal sacrifié ... Il était entier, sans concession et le suicide a été sa seule échappatoire !
@ Cathe : Je suis sûre que ce roman te plaira par le sujet qu'il traite et l'intensité de l'écriture ! C'est un de ses meilleurs romans avec "La promesse de l'aube".
@ Leiloona : Il y a plein de phrases comme celles-ci dans ce petit roman de Romain Gary ! Ce livre est très beau et très optimiste aussi ...
J'aime particulièrement cet auteur, et attaque Chien Blanc, qui sera mon 14e Gary. Mais je conseille tout particulièrement celui ci ! "Et si les papillons..."
@ Anonyme : J'avoue une passion pour les ouvrages de cet auteur de talent ! Je n'ai pas encore lu les livres dont vous parlez, mais j'en ai d'autres dont "Lady L" et "La promesse de l'aube" ...
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