- C'était la guerre des tranchées - Jacques Tardi - Casterman Éditions
"C'était la guerre des tranchées n'est pas un travail "d'historien" ... Il ne s'agit pas de l'histoire de la Première Guerre mondiale racontée en bande dessinée, mais d'une succession chronologique, vécues par des hommes manipulés et embourbés, visiblement pas contents de se trouver où ils sont, et ayant pour seul espoir de vivre une heure de plus, souhaitant par-dessus tout rentrer chez eux ... en un mot, que la guerre s'arrête ! Il n'y a pas de "héros", pas de "personnage principal", dans cette lamentable "aventure" collective qu'est la guerre. Rien qu'un gigantesque et anonyme cri d'agonie".
En octobre 1917 cela fait maintenant trois ans que les Poilus pataugent dans la fange des tranchées, embourbés dans la bourbe, coincés qu'ils sont entre la mitraille, les avions et les obus de l'ennemi. Le 2ème Classe Binet se demande encore ce qu'il peut bien faire dans cet endroit. Cette guerre-là ne le concerne pas. Ce qu'il veut, Binet, c'est avoir la paix, qu'on le laisse tranquille. Du genre taciturne, Binet, qui n'a même pas l'esprit d'équipe. Il est revenu de tout, Binet, sauf d'une chose, qui l'empêche même de dormir. Le jeune Faucheux a été envoyé en reconnaissance par le capitaine, un planqué de l'État-major. Avant de partir en mission, il avait confié à Binet son petit cahier bleu d'écolier. Personne ne l'a jamais vu revenir. Depuis, Faucheux hantait ses pensées la journée, peuplait ses cauchemars la nuit. Son Faucheux, Binet voulait le retrouver, mort ou vif. Des rumeurs annonçaient que l'avant-poste avait fraternisé, qu'il s'y échangeait tabac et nourriture, qu'on y trouvait même de la cocaïne à foison. Il commençait à trop gamberger, Binet. Peut-être même qu'il devenait fou à lier dans ses tranchées sans fin. Un servant allemand mettra fin à tout cela. Binet sera abattu près de l'avant-poste à 4 h 25 mn du matin.
25 novembre 1916, la perte de son ami de tranchée est l'occasion pour le soldat Lafont de se souvenir comment tout ça a commencé pour lui. La mobilisation, la foule ivre de haine qui vociférait des slogans anti-allemands, les orchestres improvisés entonnant la Marseillaise. Et malheur à celui qui ne partageait pas cet enthousiasme patriotique. Il était l'espion, le traître, l'homme à abattre. Jamais l'homme de Paix, lucide et visionnaire sur ce qui allait arriver quelques semaines plus tard. En 1916, le soldat Lafont en avait vu des morts, en avait vécu des batailles, des montées au front, des départ à l'assaut baïonnettes au bout du fusil, des bombardements, des gaz à l'ypérite. Il était un des rares survivants de son régiment entièrement reconstitué, après tant de boucheries inutiles. Il s'était peu à peu habitué à la boue, à la crasse, à la peur, aux totos, aux rats, à la mort. Tellement bien, qu'un obus l'a fauché ce jour-là en pleine méditation. "Les hommes sont des moutons. Ce qui rend possible les armées et les guerres. Ils meurent victimes de leur stupide docilité (Gabriel Chevalier - La Peur)".
27 novembre 1916. L'artillerie française pilonne sans relâche les lignes allemandes. La 3ème Compagnie de la 115ème d'infanterie s'apprête à monter au feu. Parmi tous ces soldats silencieux et tétanisés par la peur, Jean Desbois. Poilu hâve et fatigué, il n'en peut plus de monter à l'assaut de lignes imprenables. Surtout, il ne comprend pas l'entêtement obsessionnel des gradés à vouloir leur faire prendre ces positions malgré l'état de leurs pertes. Et puis, le silence avant l'offensive. La mort passe et plane au-dessus de chacun d'eux, emportant leurs rêves d'en revenir, leurs espoirs d'être épargnés. Une fois de plus, ce sera l'échec et le repli vers les positions d'origine. Le général de brigade Berthier ne l'entend pas comme cela. Pour pousser ces malheureux à sortir de leur trou, il fera canonner la tranchée française par l'artillerie. Refusant obstinément de sortir, épuisés, harassés, choqués, meurtris, trois soldats seront pris au hasard parmi les survivants et fusillés pour l'exemple. Parmi eux, le soldat Desbois. "Heureuses, malgré leur deuil, les familles dont le sang coule pour la patrie ( général Rebillot - Libre Parole -13/12/14)".
Autant vous prévenir de suite, "C'était la guerre des tranchées" de Tardi n'est pas un ouvrage historique stricto sensu. Il ne raconte pas la 1ère Guerre Mondiale des ses origines à l'Armistice. Il va bien au-delà. Tardi a voulu nous parler du sort d'êtres humains pris dans la nasse de cette guerre patriotique, nationaliste et éminemment revancharde. Mises bout à bout, ces tranches de vie et de quotidien dans les tranchées nous donne à lire la grande histoire sous un autre angle, celui d'anonymes, d'hommes simples, projetés dans une tourmente qui les dépasse. Car dans "C'était la guerre des tranchées", il n'y a pas de héros, personnages auréolés de pouvoirs supra-naturels leur permettant de sortir vainqueur de chaque situation. Dans cette bande dessinée, nous ne sommes pas dans la fiction, mais dans la dure réalité de ce qui a été - un jour - l'existence de millions d'hommes, toutes nationalités confondues. Des hommes face à l'horreur des tranchées, à la frayeur de mourir dans la souffrance, à l'angoisse de ne jamais revenir d'une mission. Les Français, les Allemands éprouvent les mêmes sentiments, les mêmes doutes. Tuer l'Autre, celui d'en face parce qu'il est l'ennemi, celui que l'on ne connaîtra jamais et qui aurait pu être un ami, devient - dès lors - une véritable épreuve morale et spirituelle. Car cette bande dessinée hors du commun nous raconte les souvenirs des Poilus, d'instants de vie ou de mort. Elle va au-delà du simple fait historique pour devenir un réel documentaire, recueil précieux de témoignage à l'heure où tous les soldats de la Grande Guerre ont disparu.
Toute la force de cette bande dessinée réside dans les dessins minutieux où chaque détail apparaît, rendant la réalité encore plus terrifiante. Les uniformes, les gamelles, les brodequins, les armes, les tranchées retournées et labourées, les morts - humains et animaux - les villes et villages anéantis par les bombardements, rien n'est laissé au hasard. Un vrai travail d'artiste doublé d'une recherche historique fouillée et précise qui renforce encore le côté documentaire. Les visages aux traits marqués par la fatigue, le désarroi, l'épouvante, le doute, le remord, le chagrin, la crasse intérieure et extérieure, donnent au lecteur un sentiment de malaise. Les dessins, monochromes, sont parfois de simples ombres sur un fond d'apocalypse. Certaines planches sans texte, comme un silence d'outre-tombe, rendent encore plus prégnantes ce malaise, cette sensation d'apparaître presque comme un voyeur, un planqué. Les textes sont d'une grande sobriété, émaillés d'extraits de textes et de citations d'auteurs, dont Louis-Ferdinand Céline, particulièrement cher à Tardi. Dans "C'était la guerre des tranchées", Tardi fustige la guerre et les gradés, qui la dirigent depuis leurs bureaux confortables de l'État-major. Il ose nous montrer ce que de nombreux livres d'histoire ont occulté, les massacres des civils par les soldats, les jugements sommaires et les exécutions arbitraires, la folie ordinaire, les gradés incapables d'analyser une situation et s'obstinant à envoyer leurs hommes se faire étriller, la bêtise quotidienne et l'antisémitisme larvé. La fraternisation aussi, entre soldats français et allemands, considérée pire qu'une trahison, vue comme intelligence avec l'ennemi.
Au-delà des statistiques froides, "C'était la guerre des tranchées" nous montre un morceau d'existence de ces hommes arrachés à leur bonheur familial, à leur milieu, à leur quiétude monotone, pour être propulsés dans un carnage qui a fait entrer le monde dans le 20ème Siècle à grands coups d'obus.
En octobre 1917 cela fait maintenant trois ans que les Poilus pataugent dans la fange des tranchées, embourbés dans la bourbe, coincés qu'ils sont entre la mitraille, les avions et les obus de l'ennemi. Le 2ème Classe Binet se demande encore ce qu'il peut bien faire dans cet endroit. Cette guerre-là ne le concerne pas. Ce qu'il veut, Binet, c'est avoir la paix, qu'on le laisse tranquille. Du genre taciturne, Binet, qui n'a même pas l'esprit d'équipe. Il est revenu de tout, Binet, sauf d'une chose, qui l'empêche même de dormir. Le jeune Faucheux a été envoyé en reconnaissance par le capitaine, un planqué de l'État-major. Avant de partir en mission, il avait confié à Binet son petit cahier bleu d'écolier. Personne ne l'a jamais vu revenir. Depuis, Faucheux hantait ses pensées la journée, peuplait ses cauchemars la nuit. Son Faucheux, Binet voulait le retrouver, mort ou vif. Des rumeurs annonçaient que l'avant-poste avait fraternisé, qu'il s'y échangeait tabac et nourriture, qu'on y trouvait même de la cocaïne à foison. Il commençait à trop gamberger, Binet. Peut-être même qu'il devenait fou à lier dans ses tranchées sans fin. Un servant allemand mettra fin à tout cela. Binet sera abattu près de l'avant-poste à 4 h 25 mn du matin.
25 novembre 1916, la perte de son ami de tranchée est l'occasion pour le soldat Lafont de se souvenir comment tout ça a commencé pour lui. La mobilisation, la foule ivre de haine qui vociférait des slogans anti-allemands, les orchestres improvisés entonnant la Marseillaise. Et malheur à celui qui ne partageait pas cet enthousiasme patriotique. Il était l'espion, le traître, l'homme à abattre. Jamais l'homme de Paix, lucide et visionnaire sur ce qui allait arriver quelques semaines plus tard. En 1916, le soldat Lafont en avait vu des morts, en avait vécu des batailles, des montées au front, des départ à l'assaut baïonnettes au bout du fusil, des bombardements, des gaz à l'ypérite. Il était un des rares survivants de son régiment entièrement reconstitué, après tant de boucheries inutiles. Il s'était peu à peu habitué à la boue, à la crasse, à la peur, aux totos, aux rats, à la mort. Tellement bien, qu'un obus l'a fauché ce jour-là en pleine méditation. "Les hommes sont des moutons. Ce qui rend possible les armées et les guerres. Ils meurent victimes de leur stupide docilité (Gabriel Chevalier - La Peur)".
27 novembre 1916. L'artillerie française pilonne sans relâche les lignes allemandes. La 3ème Compagnie de la 115ème d'infanterie s'apprête à monter au feu. Parmi tous ces soldats silencieux et tétanisés par la peur, Jean Desbois. Poilu hâve et fatigué, il n'en peut plus de monter à l'assaut de lignes imprenables. Surtout, il ne comprend pas l'entêtement obsessionnel des gradés à vouloir leur faire prendre ces positions malgré l'état de leurs pertes. Et puis, le silence avant l'offensive. La mort passe et plane au-dessus de chacun d'eux, emportant leurs rêves d'en revenir, leurs espoirs d'être épargnés. Une fois de plus, ce sera l'échec et le repli vers les positions d'origine. Le général de brigade Berthier ne l'entend pas comme cela. Pour pousser ces malheureux à sortir de leur trou, il fera canonner la tranchée française par l'artillerie. Refusant obstinément de sortir, épuisés, harassés, choqués, meurtris, trois soldats seront pris au hasard parmi les survivants et fusillés pour l'exemple. Parmi eux, le soldat Desbois. "Heureuses, malgré leur deuil, les familles dont le sang coule pour la patrie ( général Rebillot - Libre Parole -13/12/14)".
Autant vous prévenir de suite, "C'était la guerre des tranchées" de Tardi n'est pas un ouvrage historique stricto sensu. Il ne raconte pas la 1ère Guerre Mondiale des ses origines à l'Armistice. Il va bien au-delà. Tardi a voulu nous parler du sort d'êtres humains pris dans la nasse de cette guerre patriotique, nationaliste et éminemment revancharde. Mises bout à bout, ces tranches de vie et de quotidien dans les tranchées nous donne à lire la grande histoire sous un autre angle, celui d'anonymes, d'hommes simples, projetés dans une tourmente qui les dépasse. Car dans "C'était la guerre des tranchées", il n'y a pas de héros, personnages auréolés de pouvoirs supra-naturels leur permettant de sortir vainqueur de chaque situation. Dans cette bande dessinée, nous ne sommes pas dans la fiction, mais dans la dure réalité de ce qui a été - un jour - l'existence de millions d'hommes, toutes nationalités confondues. Des hommes face à l'horreur des tranchées, à la frayeur de mourir dans la souffrance, à l'angoisse de ne jamais revenir d'une mission. Les Français, les Allemands éprouvent les mêmes sentiments, les mêmes doutes. Tuer l'Autre, celui d'en face parce qu'il est l'ennemi, celui que l'on ne connaîtra jamais et qui aurait pu être un ami, devient - dès lors - une véritable épreuve morale et spirituelle. Car cette bande dessinée hors du commun nous raconte les souvenirs des Poilus, d'instants de vie ou de mort. Elle va au-delà du simple fait historique pour devenir un réel documentaire, recueil précieux de témoignage à l'heure où tous les soldats de la Grande Guerre ont disparu.
Toute la force de cette bande dessinée réside dans les dessins minutieux où chaque détail apparaît, rendant la réalité encore plus terrifiante. Les uniformes, les gamelles, les brodequins, les armes, les tranchées retournées et labourées, les morts - humains et animaux - les villes et villages anéantis par les bombardements, rien n'est laissé au hasard. Un vrai travail d'artiste doublé d'une recherche historique fouillée et précise qui renforce encore le côté documentaire. Les visages aux traits marqués par la fatigue, le désarroi, l'épouvante, le doute, le remord, le chagrin, la crasse intérieure et extérieure, donnent au lecteur un sentiment de malaise. Les dessins, monochromes, sont parfois de simples ombres sur un fond d'apocalypse. Certaines planches sans texte, comme un silence d'outre-tombe, rendent encore plus prégnantes ce malaise, cette sensation d'apparaître presque comme un voyeur, un planqué. Les textes sont d'une grande sobriété, émaillés d'extraits de textes et de citations d'auteurs, dont Louis-Ferdinand Céline, particulièrement cher à Tardi. Dans "C'était la guerre des tranchées", Tardi fustige la guerre et les gradés, qui la dirigent depuis leurs bureaux confortables de l'État-major. Il ose nous montrer ce que de nombreux livres d'histoire ont occulté, les massacres des civils par les soldats, les jugements sommaires et les exécutions arbitraires, la folie ordinaire, les gradés incapables d'analyser une situation et s'obstinant à envoyer leurs hommes se faire étriller, la bêtise quotidienne et l'antisémitisme larvé. La fraternisation aussi, entre soldats français et allemands, considérée pire qu'une trahison, vue comme intelligence avec l'ennemi.
Au-delà des statistiques froides, "C'était la guerre des tranchées" nous montre un morceau d'existence de ces hommes arrachés à leur bonheur familial, à leur milieu, à leur quiétude monotone, pour être propulsés dans un carnage qui a fait entrer le monde dans le 20ème Siècle à grands coups d'obus.
8 commentaires:
Intéressant cette BD elle va faire plaisir à quelqu'un de la famille ! merci pour l'idée et Joyeuses pâques
J'adore le travail de Tardy et plus particulièrement ses albums sur la guerre de 14-18, atrocement beaux!
Une BD bien intéressante. J'ai pris le temps de lire jusqu'au bout ton billet: il donne envie de se plonger dans ce récit illustré, de main de maître comme d'habitude, par Tardi. Je regarderai si on le trouve à la médiathèque!!
Merci pour cette découverte.
@ Dominique : Cette BD est au-delà de cela, c'est une véritable œuvre documentaire sur la 1ère Guerre Mondiale ! C'est à lire et à relire pour se souvenir ...
@ Mimienco : C'est cela même, atrocement beau et cruellement réaliste ! Un véritable travail de recherche documentaire ...
@ Katell : Je pense que tu devrais trouve cette BD à la médiathèque ! Elle est très dense, mais donne une vision plus réaliste du quotidien des tranchées ...
Dans le même thème, j'avais lu Paroles de poilus adaptés en BD. J'avais beaucoup aimé. très émouvant. J'aime bien le graphisme de l'album que tu présentes aussi. Je crois que je vais le noter ^^
Laëtitia : J'ai repéré cette adaptation de "Paroles de Poilus" en BD ... Cette BD est aussi émouvante, même si elle présente des aspects plus poisseux, plus scabreux ! Elle est à lire et à faire lire par devoir de mémoire ... Et c'est très bien construit, en plus !
Tiens, une fan de Tardi... et à mon sens sa Bd la plus forte, la plus émouvante...
@ Jean-François : Tout à fait, une inconditionnelle, je dirais même, de Tardi et de ses superbes BD ! Cet album remue, secoue le lecteur. C'est sans aucun doute la BD de son œuvre la plus forte et la plus émouvante ... Celle où il a mis ses tripes, sans faire de l'humour facile.
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