28 avril 2009

MEME DIEU LES A ABANDONNEES

  • Seules contre tous - Miriam Katin - Seuil Éditions


Budapest, 1944. Jusqu'à cette date-là, les Juifs de Hongrie avaient toujours été relativement épargnés par la solution finale qui s'était abattue sur l'ensemble de la communauté en Europe. Non pas qu'ils vivaient dans une grande sérénité d'esprit, mais le Général Horthy, alors régent du pays, refusait de les livrer aux nazis. Cette même année, Horthy - sentant le vent de la liberté souffler sur l'Europe -, décidait de changer secrètement d'allié. Ce retournement spectaculaire de situation n'a pas été du goût de l'occupant allemand. Leur ire s'est immédiatement retournée contre la communauté juive hongroise.

Or, Lisa et Esther - sa mère - sont juives. Et comme tous, elles doivent se plier aux diktats imposés par l'occupant. Après avoir été sommée de donner son chien, Esther doit rentre l'appartement qu'ils occupaient avec Karoly, son mari, suite à une dénonciation du concierge de l'immeuble. Ordre lui a été signifiée de déménager pour être parquée dans un quartier avec d'autres Juifs. Seulement Esther a entendu des rumeurs alarmantes concernant des déportations de populations, de disparitions. Elle ne veut surtout pas s'y rendre. Pour cela, elle est prête à tout, même à changer d'identité, à fuir sa vie citadine et bourgeoise pour la campagne, à mentir pour sauver sa vie et celle de sa petite Lisa.

Contre de l'argent, elle deviendra une simple domestique de campagne avec une enfant illégitime. Esther devra néantiser son passé, gommer son histoire, brûler ses photos personnelles et la Thorah, ne rien conserver de ce qui pourrait la trahir à
tout instant. Se faire oublier, se fondre dans la masse, disparaître corps et biens. Elle trouvera refuge chez des paysans rustres et sauvages qui n'auront pas grand chose à partager, mais le feront de bon cœur. Esther participera aux travaux quotidiens, tentant ainsi d'échapper aux angoisses et à la crainte d'être prises avec sa fille. La petite Lisa mettra du baume au cœur de sa mère et dans celui de ce vieux couple de campagnard reclus dans leurs rituels taciturnes.

Mais bientôt la fin de la guerre arrive. La débâcle allemande va laisser la place à la
violence soviétique avec des soldats sans foi ni loi. Sans sentiment, aussi. Les vainqueurs se comporteront de la pire manière qui soit, pillant, violant dans chaque lieu où ils passaient. Après la peur des nazis, la terreur des soldats de l'Armée rouge sensée apporter la liberté tant attendue par tous. Partout, les mêmes scènes de bataille pour un village gagné. Esther, Lisa et les habitants de ces hameaux en feront toujours les frais, pauvres civils pris qu'ils sont entre le marteau et l'enclume.

Le retour à la normalité, à la vie d'avant ne sera pas un exercice facile. Prise en charge par un centre de réfugiés, Esther cherchera à retrouver son mari, dont elle est sans nouvelles depuis son enrôlement dans l'armée hongroise, et à obtenir des informations sur sa famille disparue.

Dès les premières pages de "Seules contre tous" de Miriam Katin j'ai eu la nausée, un haut le cœur, une envie irrépressible de vomir et de pleurer tout à la fois. Dans cette bande dessinée magnifique, l'auteur relate son histoire personnelle, sa fuite avec sa mère à travers le pays, les risques que celles-ci ont dû prendre pour ruser et rester en vie. Et le récit est pour le moins édifiant. La haine, le mal, l'abjection transpirent partout dans le quotidien, dans leurs rencontres, chez les gens. Ici, pas de place pour l'espoir. Simplement se dire que chaque journée gagnée contre la barbarie, le désespoir, c'est une journée supplémentaire qui rapproche de la fin du calvaire qui finira par arriver.

Dans cette bande dessinée tragique parce que réellement vécue par son auteur, tout est noir et gris, dur et sombre. Même les sentiments doivent être masqués, cachés, réprimés. La petite Lisa, enfant de trois ans à peine en 1944, ne comprend pas cette méchanceté d'adulte. Elle essaie tant bien que mal de s'attacher à des
objets, à des animaux. En vain. Les moindres parcelles de bonheur lui sont arrachées par la bêtise des grandes personnes.

Sur leur route, elles croiseront des civils vraiment mauvais, hostiles, des allemands pas toujours aussi dangereux que cela, des femmes jalouses et perverses, des gens généreux, simples et bons, prêts à les aider dans leur désir de survivre, leur donnant le gîte, le couvert, un sourire, un bout de pain ou un peu de compassion.

Les dessins au crayon à papier aux des traits épais, durs, rageurs alternent avec des coups de crayon plus légers, lorsqu'il s'agit de se remémorer des instants fugaces de bonheur. Quelques planches aux couleurs tendres et lumineuses, symboles de la vie et de renaissance, viennent casser cet ensemble noir et adoucir certains passages. On est frapper par le ton de narration, sans rancœur, sans animosité qui tranche avec la dureté des dessins. C'est une lecture dont on ne sort pas indemne, mais qui marque et laisse une empreinte longtemps après l'avoir terminée.

Le site de Miriam Katin sur ses autres albums, les avis de Joëlle, de Florinette et de Sylire pour qui cette BD a été un vrai coup de cœur.

9 commentaires:

sylire a dit…

Je lis très peu de BD et celle-ci m'a vraiment plue effectivement. Le graphisme est très beau, le texte aussi et comme tu le soulignes l'histoire est d'autant plus émouvante que la narratrice et sa mère ont vécu tout cela.

keisha a dit…

C'est noté! J'aime les BD qui sont fortes, avec ce petit plus...

Nanne a dit…

@ Sylire : C'est ton billet qui m'avait donné envie de lire cette BD hors du commun. Et je dois reconnaître qu'elle est très forte et réellement émouvante. Je ne regrette pas cette lecture !

@ Keisha : Si tu veux de l'émotion, cette BD est vraiment à lire. Elle est d'une force et d'une puissance extraordinaire !

Florinette a dit…

C'est un joli roman graphique que je garde bien précieusement !
Bon 1er mai Nanne, bisous !

Nanne a dit…

@ Florinette : Je comprends bien que tu veuilles garder ce très beau roman graphique ! L'histoire est très forte et marque les esprits pour longtemps. Bon week end du 1er mai à toi ...

Muad' Dib a dit…

Coucou Nanne, merci de nous proposer ces superbes ouvrages à lire ...
Gros bisous et très belle soirée,

Nanne a dit…

@ Muad' : Encore merci de ton petit message et de ton passage. J'espère que cette lecture te plaira autant qu'elle m'a enchantée ! Très belle semaine à toi ...

Lyvie a dit…

Je la note. Je passais sans lire ton billet depuis un moment... Mais ce soir, je l'ai lu, et je lirai cette BD

Nanne a dit…

@ Sylvie : C'était peut-être la peur qui t'empêchait de lire ce billet ! Il faut lire et faire lire cette BD pour la beauté du texte et les dessins que j'ai trouvés extraordinaires ...