17 mars 2010

LA VILLE AUX MILLE COUPOLES

  • La ville insoumise - Jon Fasman - Seuil Éditions

Ingouchie, prison d'Itchikov, aux confins de la Russie. Que peuvent bien vouloir deux officiels du ministère de l'Intérieur à cette prison perdue au bout du monde, alors que la dernière visite d'une personnalité remontait à 1977 ? Outre le fait que dans ce lieu s'entassaient cent-cinquante neuf détenus violents pour quinze gardiens, directeur et médecins inclus, il n'y avait là rien d'extraordinaire. Rockville, Maryland, États-Unis. Jim Vilatzer, trente-deux ans, ses désespère dans sa banlieue populaire de Washington D.C. Son seul et unique horizon professionnel se limite pour le moment au Delicatessen & Épiceries fines de son père, Sam Vilatzer, particulièrement depuis sa rupture avec Serena. Son trop-plein de temps libre, Jim le passe à boire et à jouer. Comme c'est plutôt la guigne qui l'accompagne, il perd plus qu'il ne gagne. Et ses créanciers ne sont pas vraiment du genre patients ! Pour le sortir de ces ennuis, Vivek - l'ami d'enfance de Jim - lui propose un travail à Moscou, à la Fondation de la Mémoire chargée de collationner les témoignages de rescapés du Goulag au temps de la grande époque soviétique. Changer de vie, d'atmosphère, se refaire une santé psychologique, essayer de se transformer en winner, Jim accepte cette nouvelle perspective presque trop belle pour être vraie et pour s'éviter de sérieux problèmes avec la mafia locale ! Et puis, la Russie est le pays de ses origines, celle de ses grands-parents paternels qui l'avaient fui pour se donner une chance de vivre libre, pour voir leurs enfants grandir dans une société plus tolérante et plus stable, sans crainte des autorités, de la police politique, du camp d'internement. En arrivant à Moscou, malgré l'ambiance lourde, pesante, asphyxiante, plombée, et les risques d'attentat partout présents, Jim comprend que cette ville est la sienne, que c'est là - et nulle part ailleurs - que sa vie va se jouer à pile ou face, que son existence de raté américain prend fin, qu'il est - enfin - un homme neuf. En plus d'avoir trouvé un emploi assuré pour une année entière - événement exceptionnel pour Jim - celui-ci tombera amoureux d'une jeune finnoise, étudiante en art dramatique à Moscou, Kaisa. Le coup de foudre à portée de main. Le rêve américain en pleine Russie ! Grâce au grand-père de kaisa, Jim commencera sa première enquête sur les anciens prisonniers politiques russes. Seulement, Grigori Naumenko n'est pas du genre bavard. Naumenko le renverra vers Vilis Balderis, un autre ancien du Goulag, qui le renverra à son tour vers d'autres rescapés des purges. Sauf que, les Russes et les Américains continuent leur guerre sale et leur surenchère sur les armes de nouvelles technologies, biochimiques, nucléaires, bactériologiques. Et lorsque les Américains ont besoin d'un appât pour démêler une affaire qui menace de tourner au vinaigre, c'est à Jim qu'ils pensent !

Drôle d'atmosphère dans "La ville insoumise" de Jon Fasman. Pas vraiment sombre, ni noire, mais plutôt grise, angoissante, menaçante, étrange. Le sentiment bizarre que quelque chose se trame dans les couloirs du pouvoir russe, de l'administration, des ministères, des ambassades. Il faut reconnaître à l'auteur une description minutieuse des arcanes de la bureaucratie russe, héritée des grandes heures de la période communiste où tout était tenu secret, où tout était estampillé, signé, consigné, contresigné, classé et conservé en lieu sûr jusqu'au moment propice à sa sortie. Dans cet univers où le pouvoir se mesurait à ce que chacun détenait sur son voisin pour l'obliger à plier, à accepter l'inacceptable, chaque information avait valeur de talisman, de pouvoir, de sésame pour obtenir un plus sur l'autre. Dans "La ville insoumise", le lecteur vit le quotidien de la Russie actuelle, post-perestroïka, post-glasnost, post-communiste. Pays à l'économie délabrée, laminée, anéantie, corrompue où les anciens apparatchiks de l'époque sont devenus les commensaux du nouveau régime politique. Ils tiennent les rênes du pouvoir grâce à l'argent sale, celui de la mafia, des trafics d'armes, de la drogue, de la prostitution, du chantage, du kidnapping, des prises d'otages et des grosses rançons. Ils n'hésitent pas à vendre leur pays en morceaux au plus offrant, laissant la population en pleine dérive économique et sociale, au bord du gouffre, ravivant les vieilles haines inter-ethniques et religieuses, par intérêt personnel. Par-delà l'environnement politico-économico-mafieux de la Russie post-moderne, "La ville insoumise" parle de Moscou. Ville tentaculaire, loin des clichés pour touristes occidentaux en mal de romantisme, Moscou est décrite comme un endroit interlope, vivant essentiellement la nuit
dans des endroits improbables grâce à l'argent de l'économie parallèle. Dans cette mégapole, tout un microcosme tente de survivre, de la babouchka qui vend ses pommes-de-terre dans les immenses tunnels reliant les artères de la capitale russe à l'ancien militaire de la campagne de Tchétchénie reconverti en barbouze de luxe. Moscou, ville impétueuse, ville cruelle, qui ne laisse rien à ses habitants, ni espoir, ni rêve, ni appétence pour la vie. Malgré de nombreux passages où les clichés relatifs aux Russes et à leur pays ont la vie dure, "La ville insoumise" se lit très vite et facilement, dès que l'on est entré dans le sujet. On plonge dans cette atmosphère trouble en sachant par avance que les bons finiront par gagner cette partie et parce que l'on se laisse prendre par le décor singulier d'un Moscou underground, sans doute plus proche du quotidien qu'on ne le pense.

Un merci à Suzanne de "Chez les Filles" et aux éditions du Seuil pour cet envoi.

D'autres blogs en parlent : Saxaoul, Lucie, Un coin de blog, Yv, Mika, Michel, Petite Pom, Nag ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un commentaire.

297 - 1 = 296 livres à découvrir ...

18 commentaires:

Neph a dit…

J'ai déjà lu deux avis d'abandon sur ce livre, alors ton article me rassure un peu, quelques jours avant que je me lance :)

Aifelle a dit…

Ce n'est tout de même pas l'enthousiasme autour de ce roman, je passe.

Paolina a dit…

Un peu trop "sombre" à mon goût.

sylire a dit…

Pareil que Aifelle ...

keisha a dit…

Je l'ai reçu, je le lirai, mais pas pour maintenant, un pavé en route. je sais qu'en fait ce n'est pas un thriller, mais ton avis me donne envie.

Nanne a dit…

@ Neph : Tu sais à quoi t'en tenir avec tous ces avis plus que mitigés ! C'est pas que je n'ai pas aimé, mais il y a certains aspects que j'ai trouvés très caricaturaux ... Par contre, la description de Moscou, de la société russe et de son économie sont bien présentées. On sent que l'auteur travaille pour le magazine "The Economist". Il connait bien son sujet !

@ Aifelle : Ce n'est pas vraiment le grand enthousiasme, mais il se laisse lire quand même ... Il faut entrer dans l'histoire, se laisser porter et la suite vient après ! Mais il y a tant d'autres livres à lire et à apprécier que tu peux passer ton tour ...

@ Mirontaine : Plutôt sombre, il faut le reconnaître, et des situations alambiquées où le lecteur ne comprend pas toujours où on veut le faire arriver ...

@ Sylire : Tu peux passer ton tour, ce ne sera pas le coup de cœur de l'année !

@ Keisha : En fait, il faut se donner le temps d'entrer dans le roman ! Ce n'est pas du tout un thriller. Par contre, j'ai trouvé que les descriptions de la vie en Russie, la situation des minorités ethniques étaient plutôt bien maîtrisées. J'aurais préféré qu'il fasse un livre autour de ce thème, plutôt qu'un espèce de roman d'espionnage raté, dont on ne comprend pas toujours les tenants et les aboutissants !

Yv a dit…

D'accord avec toi : la vie à Moscou, les habitants y sont bien décrits. par contre, l'auteur aurait dû s'en tenir là : l'intrigue est mauvaise.

Choco a dit…

Pourtant il me tente bien moi ce roman... A voir alors...
je vais voir si d'autres avis tombent !

L'or des chambres a dit…

Moi aussi je passe, il ne me tente pas du tout ce roman !
Bon week end Nanne et à bientôt !

Nanne a dit…

@ Yv : J'ai vu ton billet et lu que tu n'avais pas trop apprécié cette lecture ! Personnellement, ce que j'ai aimé c'est cette atmosphère de Moscou, la vie des habitants et les explications sur l'économie du pays ... On sent qu'il est journaliste à "The Economist" ! Par contre, l'intrigue part très vite dans tous les sens et on ne comprend pas où il veut nous amener. L'auteur aurait mieux fait d'écrire sur cette partie-là !

@ Choco : Si tu veux le lire, je peux te l'envoyer, sans problème. Ainsi, tu pourras te faire ton opinion ! Mais il y a eu de nombreux avis très mitigés, à cause de l'intrigue ...

@ L'or des chambres : Je te comprends très bien ... Ce ne sera pas le coup de cœur de l'année 2010 ! Et puis, il y a tant d'autres livres à découvrir ;-D

Anonyme a dit…

Je n'ai pas envie de Russie post moderne ni de mafieux... les billets sur ce livre (largement distribué visiblement) sont quasi tous très mitigés, aucun ne m'a donné le goût de lire ce livre.

Nanne a dit…

@ Ys : Il a été (très) largement distribué, et je dois reconnaître que je suis restée sur ma lecture de son premier roman qui m'avait plu en 2005 ! Le fonds n'est pas mauvais, c'est l'intrigue qui n'est pas bonne ... Et puis, il y a tant d'autres romans à découvrir, alors tu peux passer à côté ;-D

Lounima a dit…

Non, je passe, ton avis est trop mitigé ! De plus, je n'ai pas trop envie d'atmosphère grise en ce moment... ;-)

Nanne a dit…

@ Lounima : Je te comprends !Même si j'ai apprécié sa vision d'un autre Moscou, je dois reconnaître que l'intrigue pèse sur la lecture ... Et puis, c'est le printemps, donc vive les lectures joyeuses et lumineuses !

Catherine a dit…

Nanne, je suis contente que tu aies aussi aimé ce livre, parce que beaucoup de personnes ne l'ont pas aimé et nous sommes peu nombreux à l'avoir apprécié !

Nanne a dit…

@ Catherine : Je suis plutôt partagée, pour une fois, sur ce roman, en fait. D'un côté, j'ai aimé cette description d'une certaine Russie et de Moscou, de sa société multi-culturelle, de son atmosphère délétère, de son économie laminée. J'ai trouvé cette partie de l'histoire maîtrisée par l'auteur. Par contre, quelle déception quant à la partie thriller ! C'est dommage, car la seconde partie a réussi à gâcher un roman qui aurait pu être réellement captivant !

craklou a dit…

Encore un avis :-)

Un peu comme tout le monde j'ai bien apprécié l'ambiance, les détails, et moins l'intrigue que je ne trouve pas "thrillerienne" pour un sous!

Nanne a dit…

@ Cracklou : Je pense que ce roman a été très largement diffusé sur les blogs ! Je crois que c'est un livre qu'il faut lire plus pour l'ambiance d'une certaine Russie qui est très proche de la réalité que pour l'intrigue elle-même ... En fait, je pensais que le roman parlait de la mafia russe et des différents trafics juteux qu'elle réalisait en revendant des armes ! Cela dit, il se lit plutôt vite et bien. C'est l'essentiel ...