- Court, noir, sans sucre - Emmanuelle Urien - Quadrature Éditions
"Mélanie Bix, cette femme mince et un peu voûtée, suspendue par un fil à je ne sais quel ciel, quitte ce matin la petite ville de Saône-et-Loire qu'elle habite depuis dix ans, et où elle ne reviendra plus. Son nom, après, figurera sans doute dans les journaux, Mélanie Bix, c'est un nom que l'on retient facilement, moi en tout cas je ne l'oublierai pas". Mélanie Bix est une femme seule avec sa souffrance mais déterminée, qui sait ce qu'elle souhaite. C'est une acharnée qui a décidé de partir pour Zurich. Aller simple. Pas de retour. Aucune possibilité de revenir en arrière, sur son passé, son histoire, sa vie. A Zurich, il leur a fallu quatre dossiers pour accepter sa demande qu'ils jugeaient prématurée. Mélanie Bix avait trente-cinq ans.
"Hein ? Y a quoi, dans son jardin ?" Il a fini par craquer : il s'est détourné du poste de télé et m'a regardé avec un fond de haine pas méchante, c'est seulement que je l'embêtais, à la fin. "J'en sais rien !". Ça, c'était l'introduction. "C'est juste un verger, avec des fruits, qu'est-ce que tu veux que je te dise ?". Thèse. "Il tourne pas rond, Leloup, il voit jamais personne, t'en va pas traîner par là". Antithèse. "Et d'abord on s'en tape, de son jardin, au père Leloup". Synthèse. "Ça va, je peux regarder mon film, maintenant ?". Conclusion. "Huit sur vingt", j'ai murmurant en acquiesçant". Certains adolescents se terrent dans un mutisme provocant, d'autres n'arrêtent pas de poser des questions sur tout ou rien. Lui, ce qu'il veut savoir à tout prix, c'est percer le secret du jardin du père Leloup. Un vrai bunker, son verger, avec barbelés et clôture électrifiée. Pas vraiment le genre d'endroit où il fait bon s'attarder au printemps. Pourtant, lui c'est un obstiné qui veut pénétrer l'énigme de ce jardin extraordinaire, étrange où les fruits sont bien plus gros que la moyenne. Il y a des jours, comme ça, où la curiosité est un bien vilain défaut !
"Pauline a reposé le fer, Grandbaron, soit, mais l'homme ? Grand, mince, élégant, ténébreux. Radical. Intransigeant. Pli ou pas pli ? Pauline voudrait appeler l'homme pour lui demander. De sa toute petite voix, étouffant son angoisse sous un rire un peu bête, elle dirait : "Tu sais, ton pantalon, le gris, avec des poches cavalières, je ne me souviens plus si tu le veux avec ou sans pli ?" Le pantalon est là, devant elle. Sourd et muet". Pauline est une femme d'intérieur. Toute sa journée est consacrée au ménage, à la cuisine, au repassage. Pauline traque la moindre poussière qui vole, le moindre grain qui traîne pour le plaisir de l'homme. Parce que l'homme décide de tout. De ce qu'il veut manger tous les jours, de qui est invité chez lui, des courses à faire. L'homme dirige son domaine. Même en son absence, sa présence pèse dans la maison. Pauline dit oui à toutes ses exigences, ses demandes, ses désirs. Pauline rêve pour échapper à son quotidien. Elle part au soleil, sur des plages lumineuses où l'eau est chaude pour se baigner et tout oublier. Pauline rêve dès que l'homme part pour son travail jusqu'à son retour, le soir. Dans sa tour d'ivoire, Pauline n'a plus que le rêve pour fuir.
"Elle aime les missions difficiles, elle choisit exprès les lieux les plus retirés, les régions les plus démunies. Elle s'y sent d'autant plus utile. Cette fois, c'est réussi : elle a échoué dans un hôpital de brousse à la croisée des chemins, un baraquement de tôles brûlantes qui ne désemplit pas, où la mort libère plus de lits que la guérison". Marianne a fait de son métier d'infirmière une vraie vocation. Elle est partie quelque part, dans un coin reculé d'Afrique, un endroit pauvre, où seules ne survivent que les mouches envahissantes et les guerre inter-ethniques. Marianne a été envoyée dans un hôpital de campagne au Katanga, une région du Congo. Là-bas, Marianne côtoie plus fréquemment la mort que la vie, où même l'espoir d'en réchapper. Dans cet hôpital, ils ne reçoivent que les personnes fuyant les massacres de la région, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieillards. "Ku-ipaya, Ku-ipaya !" crient deux jeunes filles de Lubinda. Ce que fera Marianne pour les sauver. Dans la vie, il faut toujours faire des choix !
"Court, noir, sans sucre" d'Emmanuelle Urien, comme un express bien serré, bien tassé, pour réveiller le lecteur, le secouer jusqu'au fond des entrailles. Quinze nouvelles courtes, cinglantes, âpres, amères ou cyniques, toujours noires qui laissent longtemps un arrière-goût de cruauté. Emmanuelle Urien jongle avec les sentiments humains, avec des situations dramatiques, sinistres, effroyables, monstrueuses, de toute une humanité prise entre la vie et la mort, en équilibre précaire entre ses deux alternatives. Dans "Court, noir, sans sucre", Emmanuelle Urien joue avec la vie, la mort, les frayeurs de tout le monde, la peur de la mort, la crainte de l'autre, la hantise de l'après. Que ce soit par la guerre, les accidents, la maladie, la violence, la mort est prégnante dans chaque nouvelle de ce recueil. Une mort qui ne s'apprivoise pas, mais avec laquelle chacun doit composer, de bonne ou de mauvaise grâce. "Court, noir, sans sucre", c'est la noirceur, l'amertume de la mort. "Court, noir, sans sucre" d'Emmanuelle Urien, c'est très beau, très intense, très fort. Mais cruel, aussi.
Un grand merci à Patrick Dupuis des éditions Quadrature pour cet envoi judicieux.
D'autres avis sur les blogs : Sylire, Cathulu, Keisha, Florinette, Tamara, Rose, Fashion, Clarabel ... D'autres ?! Merci de vous manifester par un petit mot en commentaire.
296 - 1 = 295 livres qui attendent d'être dévorés ...
"Hein ? Y a quoi, dans son jardin ?" Il a fini par craquer : il s'est détourné du poste de télé et m'a regardé avec un fond de haine pas méchante, c'est seulement que je l'embêtais, à la fin. "J'en sais rien !". Ça, c'était l'introduction. "C'est juste un verger, avec des fruits, qu'est-ce que tu veux que je te dise ?". Thèse. "Il tourne pas rond, Leloup, il voit jamais personne, t'en va pas traîner par là". Antithèse. "Et d'abord on s'en tape, de son jardin, au père Leloup". Synthèse. "Ça va, je peux regarder mon film, maintenant ?". Conclusion. "Huit sur vingt", j'ai murmurant en acquiesçant". Certains adolescents se terrent dans un mutisme provocant, d'autres n'arrêtent pas de poser des questions sur tout ou rien. Lui, ce qu'il veut savoir à tout prix, c'est percer le secret du jardin du père Leloup. Un vrai bunker, son verger, avec barbelés et clôture électrifiée. Pas vraiment le genre d'endroit où il fait bon s'attarder au printemps. Pourtant, lui c'est un obstiné qui veut pénétrer l'énigme de ce jardin extraordinaire, étrange où les fruits sont bien plus gros que la moyenne. Il y a des jours, comme ça, où la curiosité est un bien vilain défaut !
"Pauline a reposé le fer, Grandbaron, soit, mais l'homme ? Grand, mince, élégant, ténébreux. Radical. Intransigeant. Pli ou pas pli ? Pauline voudrait appeler l'homme pour lui demander. De sa toute petite voix, étouffant son angoisse sous un rire un peu bête, elle dirait : "Tu sais, ton pantalon, le gris, avec des poches cavalières, je ne me souviens plus si tu le veux avec ou sans pli ?" Le pantalon est là, devant elle. Sourd et muet". Pauline est une femme d'intérieur. Toute sa journée est consacrée au ménage, à la cuisine, au repassage. Pauline traque la moindre poussière qui vole, le moindre grain qui traîne pour le plaisir de l'homme. Parce que l'homme décide de tout. De ce qu'il veut manger tous les jours, de qui est invité chez lui, des courses à faire. L'homme dirige son domaine. Même en son absence, sa présence pèse dans la maison. Pauline dit oui à toutes ses exigences, ses demandes, ses désirs. Pauline rêve pour échapper à son quotidien. Elle part au soleil, sur des plages lumineuses où l'eau est chaude pour se baigner et tout oublier. Pauline rêve dès que l'homme part pour son travail jusqu'à son retour, le soir. Dans sa tour d'ivoire, Pauline n'a plus que le rêve pour fuir.
"Elle aime les missions difficiles, elle choisit exprès les lieux les plus retirés, les régions les plus démunies. Elle s'y sent d'autant plus utile. Cette fois, c'est réussi : elle a échoué dans un hôpital de brousse à la croisée des chemins, un baraquement de tôles brûlantes qui ne désemplit pas, où la mort libère plus de lits que la guérison". Marianne a fait de son métier d'infirmière une vraie vocation. Elle est partie quelque part, dans un coin reculé d'Afrique, un endroit pauvre, où seules ne survivent que les mouches envahissantes et les guerre inter-ethniques. Marianne a été envoyée dans un hôpital de campagne au Katanga, une région du Congo. Là-bas, Marianne côtoie plus fréquemment la mort que la vie, où même l'espoir d'en réchapper. Dans cet hôpital, ils ne reçoivent que les personnes fuyant les massacres de la région, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieillards. "Ku-ipaya, Ku-ipaya !" crient deux jeunes filles de Lubinda. Ce que fera Marianne pour les sauver. Dans la vie, il faut toujours faire des choix !
"Court, noir, sans sucre" d'Emmanuelle Urien, comme un express bien serré, bien tassé, pour réveiller le lecteur, le secouer jusqu'au fond des entrailles. Quinze nouvelles courtes, cinglantes, âpres, amères ou cyniques, toujours noires qui laissent longtemps un arrière-goût de cruauté. Emmanuelle Urien jongle avec les sentiments humains, avec des situations dramatiques, sinistres, effroyables, monstrueuses, de toute une humanité prise entre la vie et la mort, en équilibre précaire entre ses deux alternatives. Dans "Court, noir, sans sucre", Emmanuelle Urien joue avec la vie, la mort, les frayeurs de tout le monde, la peur de la mort, la crainte de l'autre, la hantise de l'après. Que ce soit par la guerre, les accidents, la maladie, la violence, la mort est prégnante dans chaque nouvelle de ce recueil. Une mort qui ne s'apprivoise pas, mais avec laquelle chacun doit composer, de bonne ou de mauvaise grâce. "Court, noir, sans sucre", c'est la noirceur, l'amertume de la mort. "Court, noir, sans sucre" d'Emmanuelle Urien, c'est très beau, très intense, très fort. Mais cruel, aussi.
Un grand merci à Patrick Dupuis des éditions Quadrature pour cet envoi judicieux.
D'autres avis sur les blogs : Sylire, Cathulu, Keisha, Florinette, Tamara, Rose, Fashion, Clarabel ... D'autres ?! Merci de vous manifester par un petit mot en commentaire.
296 - 1 = 295 livres qui attendent d'être dévorés ...
21 commentaires:
Oh je crois que ce n'est pas pour moi ...
Je suis assez intéressée : j'aime ce genre de nouvelles acides qui font réfléchir... mais je ne sais pas si la cruauté, sur laquelle tu insistes, ne me gênera pas...
A voir;-)
Je l'ai déjà noté par ailleurs, les éditions quadrature ont l'air de sortir des textes bien intéressants.
Nous sommes d'accord...
Bonne semaine, Nanne !
Recueil toujours sur ma LAL malgré la déception éprouvée à la lecture de La collecte des monstres. Pour l'apprécier pleinement, je me suis promis de lire ce recueil-ci nouvelle par nouvelle et non pas d'une traite comme je l'ai fait avec La collecte.
Encore un billet enthousiaste! Vraiment bien noir, on était prévenus...
Contrairement à ICB j'ai beaucoup aimé La collecte des monstres et je pense que celui-ci a tout pour me plaire !
@ Celsmoon : C'est très noir et très bien écrit ! Mais très, très noir, même l'humour ... Je te comprends très bien ;-D
@ Lounima : Les nouvelles sont très courtes et se lisent très vite et très bien, parce que l'écriture est limpide et belle ! Mais tout est noir et corsé, comme un expresso ... Si tu veux le lire, je peux te l'envoyer.
@ Aifelle : Plusieurs blogueuses en ont parlé dernièrement ! C'est un très beau recueil qui parle de façon originale de la mort ... Cela dit, le contexte est sombre, malgré un certain sens de l'humour dans quelques nouvelles. Si tu veux le lire, je peux l'envoyer sans problème ...
@ Sylire : Tout à fait ;-D
@ In Cold Blog : Je n'ai rien lu d'autre de cette romancière et je le regrette un peu ... Mais il me semble qu'en lisant les nouvelles petit à petit, et non d'une traite, celles-ci doivent prendre une autre dimension. On doit moins ressentir cette pesanteur de la mort ! Mais cela reste quand même une belle lecture ...
@ Keisha : CQFD ! Vous voilà prévenus pour toutes celles et ceux qui veulent lire ce recueil ...
@ Kathel : Personnellement, j'ai trouvé ce recueil très réussi grâce à l'écriture d'Emmanuelle Urien ! Elle décrit très bien et de façon pertinente les multiples façon de percevoir la mort ... Si tu veux le lire, je peux l'envoyer. Il suffit de me le dire.
je viens de l'ajouter dans ma LAL merci de ton article
Merci Nanne de ta proposition, mais pas maintenant, je suis submergée ..
Ce livre réunit beaucoup trop de points que je n'aime pas : les nouvelles, le "très très noir" et l'auteur (j'avais été très déçu par "Tu devrais aller voir quelqu'un" Alors non, je ne ferais pas d'autre tentative avec cet auteur mais je suis très intéressée par ta lecture en cours "la mer noire", alléchée par des avis convaincants je me le suis achetée.
Bonne semaine Nanne et à bientôt
@ Bénédicte : Il est très sombre, mais très beau à lire par son écriture très épurée. Je pense que ce recueil a tout pour te plaire !
@ Aifelle : Je suis aussi submergée ;-D Il est à ta disposition si un jour l'envie de le lire te prend ...
@ L'or des chambres : Alors, c'est définitivement non, on dirait ;-D Pour "La mer Noire", il te faudra attendre un tout petit peu pour lire le billet ! Mais je peux te dire que je l'ai adoré et lu très (très) vite ... Patience !
Noté depuis longtemps et renoté depuis quelques temps...décidément, il serait temps que je tombe dessus. ;o)
Et un petit coucou en passant Nanne !!
@ Antigone : Il devrait te plaire ... Si tu veux le lire, je peux te l'envoyer ! Fais-le moi savoir par un mot ou un mail ;-D Belle fin de semaine à toi ...
Je l'ai acheté à la foire du livre cette année mais je m'interroge finalement. Est-il vraiment fait pour moi ?
@ Manu : Essaie de lire une nouvelle à la fois. Elles sont très courtes et concises. Sans doute que l'âpreté du sujet passera mieux de cette façon ! Sinon, l'écriture d'Emmanuelle Urien est très belle, épurée et poétique ... Ça fait mieux passer le thème autour de la mort sous toutes ses formes.
C'est très gentil Nanne de me le proposer en hôte de marque dans ma PAL mais, non, vraiment, en ce moment, je tente de descendre en dessous des 50 livres à lire et, crois-moi, c'est une vraie bataille (perdue d'avance d'ailleurs) !! ;-)
@ Lounima : Personnellement, j'ai renoncé à faire baisser (officiellement) ma PAL ! Elle ne diminue qu'officieusement, parce que je refuse de compter tous les livres que j'ai en attente ... Plus qu'une bataille, c'est un vrai combat de titan que tu tentes-là et je t'admire ;-D
Je l'ai reçu également et suis d'autant plus intriguée maintenant que j'ai lu ton billet ^^
@ Cynthia : Il y a de fortes chances pour qu'il te plaise, malgré le sujet récurrent autour de la mort ! C'est très bien écrit, ça se lit très vite et très bien. Et il y a de l'humour noir ...
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