- Marie-Antoinette - Stefan Zweig - Livre de Poche n°14669
"Pendant des siècles, sur d'innombrables, champs de bataille allemands, italiens et flamands, les Habsbourgs et les Bourbons se sont disputé jusqu'à épuisement l'hégémonie de l'Europe. Enfin, les vieux rivaux reconnaissent que leur jalousie insatiable n'a fait que frayer la voie à d'autres maisons régnantes ; déjà, de l'île anglaise, un peuple hérétique tend la main vers l'empire du monde ; déjà la marche protestante de Brandebourg devient un puissant royaume ; déjà la Russie à demi païenne s'apprête à étendre sa sphère à l'infini : ne vaudrait-il pas mieux faire la paix, finissent par se demander - trop tard, comme toujours - les souverains et leurs diplomates, que de renouveler sans cesse le jeu fatal de la guerre, pour le grand profit de mécréants et de parvenus ?".
En 1766, l'impératrice Mari-Thérèse d'Autriche, digne représentante de la Maison des Habsbourgs, vieillissante et épuisée par le poids de sa fonction, ne souhaite plus qu'une chose, faire la paix. En politicienne avertie, en monarque avisée d'un immense empire s'étendant aux confins de l'Orient, Marie-Thérèse veut au moins se réconcilier avec les Bourbons, régnant en France. Aussi propose-t-elle à Louis XV la main de Marie-Antoinette, sa dernière fille - à peine âgée de onze ans -, pour le dauphin et futur roi Louis XVI. Après maintes circonlocutions, tractations secrètes, négociations en tout genre par l'intermédiaire d'ambassadeurs et autres intercesseurs, la demande arrive enfin au palais de Schoenbrunn en 1769. "Enfin, en 1769, Louis XV adresse à Marie-Thérèse la missive qu'elle attend fiévreusement depuis si longtemps ; le roi y demande solennellement la main de la jeune princesse pour son petit-fils, le futur Louis XVI, et propose comme date de mariage les fêtes de Pâques de l'année suivante. Marie-Thérèse accepte, comblée ; après de longues années de soucis, cette femme, tragique et résignée, peut vivre encore de belles heures. La paix de l'empire, et en même temps de l'Europe, lui paraît désormais assurée ; aussitôt les courriers et les estafettes annonçant officiellement à toutes les cours que, d'ennemis, Habsbourgs et Bourbons sont à jamais devenus alliés par le sang. Bella gerant alii, tu, felix, Austria, nube ; une fois de plus, la vieille devise des Habsbourgs se trouve confirmée". Marie-Antoinette a quatorze ans. C'est une archiduchesse gentille, aimable, agréable, belle, frivole, insouciante qui va bientôt devenir reine de France. Sa légèreté, son inconséquence vont peser lourds sur son éducation et sa culture. A peine sait-elle lire et écrire correctement l'allemand et le français ! Son immaturité intellectuelle fait soudain craindre le pire à l'impératrice Marie-Thérèse. Et si sa fille était incapable de tenir le rôle que le protocole royal va lui imposer ? Trop tard pour revenir en arrière. Le sort de Marie-Antoinette est inexorable et personne ne pourra l'arrêter.
En se rendant à Strasbourg à la rencontre de sa nouvelle existence, la jeune archiduchesse se dépouille de son passé des Habsbourgs pour revêtir celui des Bourbons et perpétuer la descendance royale. Strasbourg l'accueille dans la ferveur populaire, dans une joie et une liesse réelles et spontanées. Elle fait un pont d'or à la future reine de France. "L'arrivée de Marie-Antoinette marque une heure inoubliable pour le peuple français qui depuis longtemps a perdu l'habitude des fêtes. Il y a de nombreuses années que Strasbourg n'a plus vu de dauphine, et peut-être n'en a-t-elle jamais vue une aussi adorable que cette jeune fille. La svelte enfant aux cheveux blond cendré, aux yeux bleus et espiègles, rit et sourit du fond de son carrosse vitré aux innombrables Alsaciens et Alsaciennes accourus des villes et villages, dans leur joli costume national, pour acclamer le somptueux cortège. Des centaines d'enfants, de blanc vêtus, précèdent la voiture en jonchant le chemin de fleurs ; un arc de triomphe a été dressé, les portes sont pavoisées, sur la grande place le vin coule de la fontaine, des bœufs entiers rôtissent à la broche, on distribue d'énormes corbeilles de pain aux pauvres. Le soir toutes les maisons sont illuminées, des flammes serpentent autour du clocher et la dentelle rougeâtre de la divine cathédrale en devient transparente. [...] la blonde messagère d'Autriche semble avoir apporté un nouvel âge d'or ; une fois encore le peuple de France, oubliant ses maux et son ressentiment, reprend courage et se laisse aller à un joyeux espoir". Tout le monde l'aime, l'admire, l'adule. Louis XV, fin amateur de beauté féminine, trouve la jeune et fraîche Marie-Antoinette jolie et désirable. Et elle l'est. Mais de sombres présages, inaperçus ou jugés tels, s'amoncellent, qui pourraient annoncer un avenir sinistre à tout esprit quelque peu clairvoyant.
Mariée à quinze ans à peine, jeune fille douce et câline, Marie-Antoinette ne demandera qu'à vivre son destin de reine et de future mère. Cependant, Louis XVI éprouve des difficultés physiologiques et psychiques dans sa sexualité. Il est gauche, emprunté, timide, voire timoré, introverti, bourru. De là, naîtra la frustration pour l'un, l'aigreur pour l'autre. Lui se réfugiera dans les plaisirs virils pour oublier ses défaillances masculines ; elle, plongera dans la futilité, les dépenses exorbitantes, les festivités, le papillonnage amoureux pour fuir sa triste réalité. "Des nuits entières elle fuit le lit conjugal, lieu douloureux de son humiliation, et, tandis que son triste mari se repose des fatigues de la chasse en dormant à poings fermés, elle va traîner jusqu'à quatre ou cinq heures du matin dans les redoutes d'opéra, des salles de jeu, des soupers, en compagnie douteuse, s'excitant au contact de passions étrangères, reine indigne, parce que tombée sur un époux impuissant. Mais certains moment de violente mélancolie révèlent que cette frivolité, au fond, est sans joie, qu'elle n'est que le contrecoup d'une déception intérieure".
Le naturel gai et enjoué de Marie-Antoinette s'accommodera toujours difficilement de l'étiquette, de la pompe et de la rigueur protocolaire d'un Versailles autarcique et autiste à ce qui se passe à l'extérieur. Les batailles pour le pouvoir des comtes d'Artois et de Provence - frères de Louis XVI -, les luttes intestines, les méchancetés de Mesdames - filles bigotes et célibataires de Louis XV -, les manigances de la du Barry pour s'assurer les bonnes grâces de la future reine de France, sont étrangères à Marie-Antoinette, tout à la fois naïve et spontanée. Le rituel rigide et guindé de Versailles lui déplaisent profondément. Ce qu'elle désire, c'est vivre normalement, être heureuse et aimée, jouir des bonheurs que lui procure l'existence et son sang royal. Sa première visite officielle à Paris la confortera dans sa volonté d'être toujours aimée pour elle. Une nouvelle fois, c'est une foule euphorique qui l'accueille. S'étonnant de cette marée humaine en son honneur, le maréchal de Brissac lui murmurera : "Madame, n'en déplaise à Son Altesse le Dauphin, mais vous voyez ici deux cent mille hommes épris de vous". D'un coup, en apercevant cette cohue ivre du bonheur de l'apercevoir enfin, Marie-Antoinette prend conscience de la grandeur de son rang. Perçoit-elle aussi la pesanteur de cette charge et les conséquences de ses inconduites et de ses enfantillages sur son avenir ? "La belle émotion provoquée par cet amour populaire immérité, et pourtant si ardemment offert, éveille en elle un sentiment généreux et reconnaissant. Mais si Marie-Antoinette s'émeut vite, elle oublie aussi tout aussi vite. Après quelques visites à Paris, elle accepte déjà cette allégresse comme un hommage qui va de soi, dû à son rang et à sa situation, et s'en réjouit avec l'insouciance enfantine qui lui fait accepter nonchalamment tous les cadeaux de la vie. C'est pour elle quelque chose de merveilleux que d'être acclamée par cette foule ardente, aimée par ce peuple inconnu : désormais elle jouit de l'amour de ces vingt millions d'hommes comme s'il lui revenait de droit, sans se douter qu'un droit comporte des devoirs et que l'amour le plus pur finit par se lasser quand il n'est pas réciproque".
Écrit en 1933, "Marie-Antoinette" de Stefan Zweig reste une référence en matière biographique sur une des reines les plus malmenées et les plus mal connues de France. Par cette hagiographie, Stefan Zweig fait presque œuvre d'avocat pour la défense de Marie-Antoinette. Et cette pauvre reine en a bien besoin ! Flattée, courtisée, vénérée, copiée, admirée par une cour rococo jamais avare de flagorneries pour s'attirer les honneurs du couple royal, Marie-Antoinette a aussi été fêtée par un peuple qui a vu, en ce jeune couple, la fin de leurs malheurs, le terme de leurs souffrances. Avec la disparition de Louis XV, qui n'était plus depuis longtemps le bien aimé roi de France, le peuple a cru que Louis XVI et Marie-Antoinette allaient redorer le blason d'un royaume qui en avait bien besoin. La misère régnait en maître derrière les grilles dorées à l'or fin du château de Versailles. Marie-Antoinette ne s'en souciera jamais. Jamais elle ne visitera la province pour aller à la rencontre de cette population qui espérait tant que les choses évolueraient, que leur situation s'améliorerait. Jamais elle ne s'est intéressée à la politique intérieure comme l'a si bien fait sa mère, l'impératrice Marie-Thérèse. Jamais elle n'a questionné les ministres et le Parlement sur l'état des finances du pays. Tout ce qui captait son attention, c'était elle. Son univers s'arrêtait aux grilles des châteaux du royaume. La société se réduisait à cet aréopage de courtisans, de séducteurs, de galants et autres flatteurs dans laquelle elle se complaisait et se noyait pour ne rien voir de la réalité. De dépenses exorbitantes - en vêtements, coiffures, bijoux -, alors que la masse mourait de faim, en dettes de jeu qui grevaient encore et toujours plus les finances personnelles de la reine, Marie-Antoinette s'étourdissait de plaisirs mondains et futiles, au lieu de penser en monarque d'un grand royaume à l'avenir de ses sujets. Erreur suprême, Louis XVI, épris de sa femme, cède à sa requête d'un lieu pour elle seule. Avec le Trianon, Marie-Antoinette se coupe encore plus du réel, oublie complètement le quotidien. Le Trianon, c'est elle, son œuvre, son petit monde créé à son image, beau, élégant, raffiné. Et dispendieux ! Ici, on rit, on joue à la bergère, à la paysanne, on fait du théâtre, on chante, on danse, on courtise. On éloigne les grincheux, les tristes, les moralisateurs, pour laisser place à une bande de dépravés, débauchés, dépensiers, parasites qui abandonneront Marie-Antoinette dès les premiers signes de la révolution, dans quelques années. Devenue mère pour son plus grand bonheur, ayant - enfin - donné un dauphin à la France, elle n'en continue pas moins ses frasques. Les libelles, les pamphlets, les feuillets sarcastiques, méchants, odieux, obséquieux fleurissent partout. Tous l'accusent d'appauvrir le pays déjà ruiné, au bord de la banqueroute. Elle en rit et s'en moque. L'affaire du collier finira de rendre Marie-Antoinette impopulaire et détestée par une population qui ne demandait qu'à l'aimer. A travers "Marie-Antoinette", Stefan Zweig relate - plus que la fin d'un règne - le terme d'une époque. C'est aussi l'histoire personnelle d'une femme indépendante et libre qui n'a pas pu - ou su - comprendre à temps le sens de son destin, moins encore la portée de ses faits et gestes. Spontanée, légère et futile, elle voulait vivre comme une simple aristocrate, alors que sa naissance la préparait à un avenir de reine. En fin psychologue de l'âme féminine qu'il était, Stefan Zweig réussi, une fois de plus, à nous faire ressentir de l'empathie pour une personnalité égocentrique, stipendiée, haïe, abhorrée par tous et qui finira dans une immense et profonde solitude, elle qui avait tant peur de se retrouver seule.
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En 1766, l'impératrice Mari-Thérèse d'Autriche, digne représentante de la Maison des Habsbourgs, vieillissante et épuisée par le poids de sa fonction, ne souhaite plus qu'une chose, faire la paix. En politicienne avertie, en monarque avisée d'un immense empire s'étendant aux confins de l'Orient, Marie-Thérèse veut au moins se réconcilier avec les Bourbons, régnant en France. Aussi propose-t-elle à Louis XV la main de Marie-Antoinette, sa dernière fille - à peine âgée de onze ans -, pour le dauphin et futur roi Louis XVI. Après maintes circonlocutions, tractations secrètes, négociations en tout genre par l'intermédiaire d'ambassadeurs et autres intercesseurs, la demande arrive enfin au palais de Schoenbrunn en 1769. "Enfin, en 1769, Louis XV adresse à Marie-Thérèse la missive qu'elle attend fiévreusement depuis si longtemps ; le roi y demande solennellement la main de la jeune princesse pour son petit-fils, le futur Louis XVI, et propose comme date de mariage les fêtes de Pâques de l'année suivante. Marie-Thérèse accepte, comblée ; après de longues années de soucis, cette femme, tragique et résignée, peut vivre encore de belles heures. La paix de l'empire, et en même temps de l'Europe, lui paraît désormais assurée ; aussitôt les courriers et les estafettes annonçant officiellement à toutes les cours que, d'ennemis, Habsbourgs et Bourbons sont à jamais devenus alliés par le sang. Bella gerant alii, tu, felix, Austria, nube ; une fois de plus, la vieille devise des Habsbourgs se trouve confirmée". Marie-Antoinette a quatorze ans. C'est une archiduchesse gentille, aimable, agréable, belle, frivole, insouciante qui va bientôt devenir reine de France. Sa légèreté, son inconséquence vont peser lourds sur son éducation et sa culture. A peine sait-elle lire et écrire correctement l'allemand et le français ! Son immaturité intellectuelle fait soudain craindre le pire à l'impératrice Marie-Thérèse. Et si sa fille était incapable de tenir le rôle que le protocole royal va lui imposer ? Trop tard pour revenir en arrière. Le sort de Marie-Antoinette est inexorable et personne ne pourra l'arrêter.
En se rendant à Strasbourg à la rencontre de sa nouvelle existence, la jeune archiduchesse se dépouille de son passé des Habsbourgs pour revêtir celui des Bourbons et perpétuer la descendance royale. Strasbourg l'accueille dans la ferveur populaire, dans une joie et une liesse réelles et spontanées. Elle fait un pont d'or à la future reine de France. "L'arrivée de Marie-Antoinette marque une heure inoubliable pour le peuple français qui depuis longtemps a perdu l'habitude des fêtes. Il y a de nombreuses années que Strasbourg n'a plus vu de dauphine, et peut-être n'en a-t-elle jamais vue une aussi adorable que cette jeune fille. La svelte enfant aux cheveux blond cendré, aux yeux bleus et espiègles, rit et sourit du fond de son carrosse vitré aux innombrables Alsaciens et Alsaciennes accourus des villes et villages, dans leur joli costume national, pour acclamer le somptueux cortège. Des centaines d'enfants, de blanc vêtus, précèdent la voiture en jonchant le chemin de fleurs ; un arc de triomphe a été dressé, les portes sont pavoisées, sur la grande place le vin coule de la fontaine, des bœufs entiers rôtissent à la broche, on distribue d'énormes corbeilles de pain aux pauvres. Le soir toutes les maisons sont illuminées, des flammes serpentent autour du clocher et la dentelle rougeâtre de la divine cathédrale en devient transparente. [...] la blonde messagère d'Autriche semble avoir apporté un nouvel âge d'or ; une fois encore le peuple de France, oubliant ses maux et son ressentiment, reprend courage et se laisse aller à un joyeux espoir". Tout le monde l'aime, l'admire, l'adule. Louis XV, fin amateur de beauté féminine, trouve la jeune et fraîche Marie-Antoinette jolie et désirable. Et elle l'est. Mais de sombres présages, inaperçus ou jugés tels, s'amoncellent, qui pourraient annoncer un avenir sinistre à tout esprit quelque peu clairvoyant.
Mariée à quinze ans à peine, jeune fille douce et câline, Marie-Antoinette ne demandera qu'à vivre son destin de reine et de future mère. Cependant, Louis XVI éprouve des difficultés physiologiques et psychiques dans sa sexualité. Il est gauche, emprunté, timide, voire timoré, introverti, bourru. De là, naîtra la frustration pour l'un, l'aigreur pour l'autre. Lui se réfugiera dans les plaisirs virils pour oublier ses défaillances masculines ; elle, plongera dans la futilité, les dépenses exorbitantes, les festivités, le papillonnage amoureux pour fuir sa triste réalité. "Des nuits entières elle fuit le lit conjugal, lieu douloureux de son humiliation, et, tandis que son triste mari se repose des fatigues de la chasse en dormant à poings fermés, elle va traîner jusqu'à quatre ou cinq heures du matin dans les redoutes d'opéra, des salles de jeu, des soupers, en compagnie douteuse, s'excitant au contact de passions étrangères, reine indigne, parce que tombée sur un époux impuissant. Mais certains moment de violente mélancolie révèlent que cette frivolité, au fond, est sans joie, qu'elle n'est que le contrecoup d'une déception intérieure".
Le naturel gai et enjoué de Marie-Antoinette s'accommodera toujours difficilement de l'étiquette, de la pompe et de la rigueur protocolaire d'un Versailles autarcique et autiste à ce qui se passe à l'extérieur. Les batailles pour le pouvoir des comtes d'Artois et de Provence - frères de Louis XVI -, les luttes intestines, les méchancetés de Mesdames - filles bigotes et célibataires de Louis XV -, les manigances de la du Barry pour s'assurer les bonnes grâces de la future reine de France, sont étrangères à Marie-Antoinette, tout à la fois naïve et spontanée. Le rituel rigide et guindé de Versailles lui déplaisent profondément. Ce qu'elle désire, c'est vivre normalement, être heureuse et aimée, jouir des bonheurs que lui procure l'existence et son sang royal. Sa première visite officielle à Paris la confortera dans sa volonté d'être toujours aimée pour elle. Une nouvelle fois, c'est une foule euphorique qui l'accueille. S'étonnant de cette marée humaine en son honneur, le maréchal de Brissac lui murmurera : "Madame, n'en déplaise à Son Altesse le Dauphin, mais vous voyez ici deux cent mille hommes épris de vous". D'un coup, en apercevant cette cohue ivre du bonheur de l'apercevoir enfin, Marie-Antoinette prend conscience de la grandeur de son rang. Perçoit-elle aussi la pesanteur de cette charge et les conséquences de ses inconduites et de ses enfantillages sur son avenir ? "La belle émotion provoquée par cet amour populaire immérité, et pourtant si ardemment offert, éveille en elle un sentiment généreux et reconnaissant. Mais si Marie-Antoinette s'émeut vite, elle oublie aussi tout aussi vite. Après quelques visites à Paris, elle accepte déjà cette allégresse comme un hommage qui va de soi, dû à son rang et à sa situation, et s'en réjouit avec l'insouciance enfantine qui lui fait accepter nonchalamment tous les cadeaux de la vie. C'est pour elle quelque chose de merveilleux que d'être acclamée par cette foule ardente, aimée par ce peuple inconnu : désormais elle jouit de l'amour de ces vingt millions d'hommes comme s'il lui revenait de droit, sans se douter qu'un droit comporte des devoirs et que l'amour le plus pur finit par se lasser quand il n'est pas réciproque".
Écrit en 1933, "Marie-Antoinette" de Stefan Zweig reste une référence en matière biographique sur une des reines les plus malmenées et les plus mal connues de France. Par cette hagiographie, Stefan Zweig fait presque œuvre d'avocat pour la défense de Marie-Antoinette. Et cette pauvre reine en a bien besoin ! Flattée, courtisée, vénérée, copiée, admirée par une cour rococo jamais avare de flagorneries pour s'attirer les honneurs du couple royal, Marie-Antoinette a aussi été fêtée par un peuple qui a vu, en ce jeune couple, la fin de leurs malheurs, le terme de leurs souffrances. Avec la disparition de Louis XV, qui n'était plus depuis longtemps le bien aimé roi de France, le peuple a cru que Louis XVI et Marie-Antoinette allaient redorer le blason d'un royaume qui en avait bien besoin. La misère régnait en maître derrière les grilles dorées à l'or fin du château de Versailles. Marie-Antoinette ne s'en souciera jamais. Jamais elle ne visitera la province pour aller à la rencontre de cette population qui espérait tant que les choses évolueraient, que leur situation s'améliorerait. Jamais elle ne s'est intéressée à la politique intérieure comme l'a si bien fait sa mère, l'impératrice Marie-Thérèse. Jamais elle n'a questionné les ministres et le Parlement sur l'état des finances du pays. Tout ce qui captait son attention, c'était elle. Son univers s'arrêtait aux grilles des châteaux du royaume. La société se réduisait à cet aréopage de courtisans, de séducteurs, de galants et autres flatteurs dans laquelle elle se complaisait et se noyait pour ne rien voir de la réalité. De dépenses exorbitantes - en vêtements, coiffures, bijoux -, alors que la masse mourait de faim, en dettes de jeu qui grevaient encore et toujours plus les finances personnelles de la reine, Marie-Antoinette s'étourdissait de plaisirs mondains et futiles, au lieu de penser en monarque d'un grand royaume à l'avenir de ses sujets. Erreur suprême, Louis XVI, épris de sa femme, cède à sa requête d'un lieu pour elle seule. Avec le Trianon, Marie-Antoinette se coupe encore plus du réel, oublie complètement le quotidien. Le Trianon, c'est elle, son œuvre, son petit monde créé à son image, beau, élégant, raffiné. Et dispendieux ! Ici, on rit, on joue à la bergère, à la paysanne, on fait du théâtre, on chante, on danse, on courtise. On éloigne les grincheux, les tristes, les moralisateurs, pour laisser place à une bande de dépravés, débauchés, dépensiers, parasites qui abandonneront Marie-Antoinette dès les premiers signes de la révolution, dans quelques années. Devenue mère pour son plus grand bonheur, ayant - enfin - donné un dauphin à la France, elle n'en continue pas moins ses frasques. Les libelles, les pamphlets, les feuillets sarcastiques, méchants, odieux, obséquieux fleurissent partout. Tous l'accusent d'appauvrir le pays déjà ruiné, au bord de la banqueroute. Elle en rit et s'en moque. L'affaire du collier finira de rendre Marie-Antoinette impopulaire et détestée par une population qui ne demandait qu'à l'aimer. A travers "Marie-Antoinette", Stefan Zweig relate - plus que la fin d'un règne - le terme d'une époque. C'est aussi l'histoire personnelle d'une femme indépendante et libre qui n'a pas pu - ou su - comprendre à temps le sens de son destin, moins encore la portée de ses faits et gestes. Spontanée, légère et futile, elle voulait vivre comme une simple aristocrate, alors que sa naissance la préparait à un avenir de reine. En fin psychologue de l'âme féminine qu'il était, Stefan Zweig réussi, une fois de plus, à nous faire ressentir de l'empathie pour une personnalité égocentrique, stipendiée, haïe, abhorrée par tous et qui finira dans une immense et profonde solitude, elle qui avait tant peur de se retrouver seule.
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"Marie-Antoinette" a été lu dans le cadre des challenges de Karine:) Ich liebe Zweig et Marie sur les Classiques
20 commentaires:
Un billet très fouillé, il me donne envie de relire cette bio mais il faut que je résiste, je suis plongée dans celle de Mme de Staël et je n'avance pas beaucoup
J'ai aimé toute les bio de Zweig y compris celle des philosophes et la série : Dickens, Balzac et ...zut j'ai perdu le 3ème
aimant l'histoire, je devrais découvrir ce roman
Beau billet, en effet, mais je suis convaincue d'avance. Après celle de Balzac , la biographie de MA semble à lire absolument, et je lorgne aussi sur celle de Marie Stuart.
dans ma PAL depuis mon passage au Festival Etonnants Voyageurs !
@ Dominique : Madame de Staël, tout un programme ! J'ai aussi souffert en lisant une biographie sur ce personnage singulier, je te comprends bien et je compatis ... Si tu as le temps, relis cette biographie riche, dense, fouillée d'une Marie-Antoinette qui renaît sous la plume enchanteresse de Stefan Zweig. C'est un vrai bonheur ! Pour le 3e, c'est Dostoïevski dans "Trois maîtres".
@ Pom': Si tu aimes l'histoire, alors cette biographie est faite sur mesure pour te plaire ! Elle replace Marie-Antoinette dans son siècle et dans la Révolution française ... Mais c'est dense, autant le savoir avant (comme toutes les biographies de Zweig).
@ Keisha : Je ne peux même pas t'acheter avec ce billet, alors ;-D Pour ma part, je veux lire sa biographie de Balzac ! Et je te conseille fortement celle de Marie Stuart lue il y a longtemps. Un vrai monument !
@ Loulou : Alors plus aucune raison de ne pas partir à la rencontre de cette reine malheureuse et de son destin ! Mais prends ton temps pour la lire, car c'est opulent ...
Ce qu'il y a de terrible à la lecture de tes articles, c'est que 9 fois sur 10, j'ai envie de lire le livre après... :D
Heureusement pour moi, j'avais déjà noté ce livre et ma belle-soeur doit me le prêter cet été !!! ;-)
Premier livre de Zweig que j'ai lu sans vraiment connaitre son oeuvre et j'avais beaucoup aimé. L'histoire de Marie-Antoinette m'a toujours fasciné!
Bonsoir Nanne, il faudrait que je me décide à lire au moins cette biographie. Je sais que Zweig a eu accès avant tout le monde à des archives sur la reine de France. Il semble que son récit reste une référence. M. Zweig était non seulement un grand écrivain mais aussi un grand biographe. Bonne soirée.
Tu es taguée chez moi Nanne... Je t'attends, il devrait te plaire celui là...
Bises
Dans ma lal depuis quelques temps maintenant et inscrit à mon challenge abc 2010, je le lirais donc dans l'année ;-)
@ Lounima : Serais-je donc une vile tentatrice ?! Mais je crois que cette biographie monumentale de Marie-Antoinette est vraiment à lire pour son érudition ... Une fois de plus,Stefan Zweig démontre que c'est un grand biographe et un non moins grand écrivain !
@ Émilie : Tu n'as vraiment abordé Zweig avec le livre le plus facile d'accès ! C'est le moins que l'on puisse dire ... J'avais commencé ses biographies par celles de Marie Stuart. Et c'est dans le même genre, dense, érudit, riche, mais d'un immense intérêt. Marie-Antoinette est un personnage réellement captivant et émouvant pour moi. J'ai d'autres ouvrages la concernant. C'est dire !
@ Dasola : "Marie-Antoinette" par Stefan Zweig est LA référence en ce qui la concerne ! On peut dire qu'il l'aime même, à travers son récit. Il a eu accès aux archives privées de Fersen, son supposé amant et aux archives françaises et autrichiennes. Cela donne une somme documentaire plutôt riche pour écrire une biographie dense. C'est vraiment à lire pour découvrir le grand biographe qu'était Stefan Zweig !
@ L'or des chambres : Je vais passer te voir très vite pour ton tag ...
@ Lilibook : C'est une lecture magistrale, mais il faut prendre son temps car cette biographie ne se lit pas comme un simple roman ! C'est réellement un ouvrage destiné à réhabiliter cette reine de France détestée et si mal connue ... Cela reste une référence biographique sur Marie-Antoinette.
après le billet de Karine, je venais recueillir ton sentiment sur ce livre.
Je pourrais, comme à Karine, te suggérer la Correspondance de Marie-Antoinette compilée par Evelyne Lever (que j'ai attaquée mais pas terminée, la correspondance, pas l'auteur), mais je préfère te complimenter sur le nouveau design de ton chez toi. Je le trouve lumineux, sobre et très classe (et en plus, j'adore le vert).
Mon plaisir de te rendre visite s'en trouve décuplé !
Je dois dire que je suis moins attirée par ses biographies que par ses nouvelles.
Et puis j'ai encore en tête les images du film de Sofia Coppola.
A lire mais plus tard donc ;)
@ In Cold Blog : Merci pour cette suggestion de lecture. Je connais cette correspondance par Évelyne Lever et je me demandais si elle était pertinente, mais je pense que c'est la cas, puisque tu me la recommandes ... Heureusement pour Évelyne Lever que tu ne l'aies pas attaquée ;-D Merci pour mon nouveau design que j'aime aussi particulièrement ! Je voulais changer depuis déjà quelque temps, dans des tons de vert ... Mon blog est à mon image, apaisé et serein. What else ?!
Superbe ton nouveau décor !
@ Cynthia : Les biographies de Zweig sont beaucoup plus denses et ardues à lire que ses nouvelles et romans. Celle-ci est vraiment un monument dans son genre ! Sa "Marie-Antoinette" est une référence littéraire et historique, car Zweig a eu la primeur des archives privées du comte Axel de Fersen à l'époque. Je n'ai pas voulu voir le film de Sofia Coppola parce que j'ai eu peur qu'il ne soit pas fidèle à la réalité historique ...
@ Manu : J'avoue que je suis assez heureuse du résultat ;-D
J'ai très envie de lire les bio de Zweig qui semble-t-il sont toutes excellentes... toutes les bios dont celle-ci bien sur !
@ Yueyin : Les biographies de Zweig sont absolument incontournables pour leur richesse, leur densité et leur érudition ! Elles sont toutes excellentes. Celle de Marie-Antoinette est une réussite dans le genre. Mais toi qui aime particulièrement l'histoire de l'Angleterre, il faut lire la biographie de Marie Stuart ... C'est un vrai monument !
J'ai adoré cette bio, peut-etre la meilleure jamais lu jusqu'ici ! Fouillée, palpitante, poignante même... Merci pour ce billet qui me fait replonger avec bonheur :)
@ Pickwick : C'est certainement une des meilleures biographies de Stefan Zweig, à mon avis ! Mais je n'ai pas lu toutes ses œuvres ... Par contre, si tu aimes les biographies de Zweig, je te conseille aussi celle de Marie Stuart que j'avais trouvé formidable. Ce n'est pas trop difficile d'écrire cela concernant les ouvrages de Stefan Zweig ;-D
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