24 octobre 2010

L’INDE, ENTRE PASSE ET AVENIR

  • Le défi indien Pourquoi le XXIe Siècle sera le siècle de l'Inde – Pavan K. Varma – Babel Poche n°798


« Qu'est-ce que c'est qu'être indien ? Une telle interrogation est particulièrement pertinente aujourd'hui, non seulement pour l'Inde elle-même, mais aussi pour le monde tout entier. Au XXIe Siècle, un humain sur six sera indien. L'Inde sera probablement devenue le deuxième marché de consommation du monde, avec une classe moyenne de plus d'un demi-milliard de personnes dotées d'un réel pouvoir d'achat. L'économie indienne est déjà la quatrième au monde en termes de parité de pouvoir d'achat. Elle se situe parmi les dix premières économies mondiales en termes de produit national brut ». Sir Winston Churchill a un jour dit que l'Inde était « […] une simple expression géographique ». Vision concise du colonisateur au colonisé. Cependant, malgré sa grande clairvoyance, celui-ci avait omis une donnée importante : sa démographie exponentielle, sa croissance politique et économique, essentiellement basée sur le clientélisme. Depuis la fin de l'impérialisme britannique, les indiens se sont développés pour devenir une puissance qui compte. Elle est la 2ème diaspora du monde, la communauté étrangère la plus riche des États-Unis et du Royaume-Uni. Les Indiens ont même rejoint les Juifs d'Anvers dans la Bourse des Diamants. En bref, l'Inde est un pays qui va bientôt se retrouver l'égal des grandes puissances occidentales et nucléaires. L'hebdomadaire « The Economist » évoque l'Inde comme « […] un éléphant à son réveil, traînant péniblement sa charge vers son emplacement réservé sur le marché ».

Vu de l'Occident, l'Inde est encore perçue comme un pays pacifique – tiré du mythe de l'ahimsa, vendu par Gandhi -, tolérant vis-à-vis des autres religions et souvent vue comme hors du monde du fait de ses traditions. N'en croyez rien. Au contraire, la société indienne est non seulement incroyablement avant-gardiste, mais elle est surtout pragmatique. La notion de caste et la hiérarchisation des relations sociales sont encore prégnantes et bien définies. « D'une manière générale, les Indiens sont opposés à la violence dès lors qu'elle crée un niveau d'instabilité ou de désordre qui menace le système social. Toutefois, dans un milieu contrôlé, comme l'application de la hiérarchie des castes ou de la pureté, lorsque la violence a une sanction sociale ou qu'elle est soutenue par une force supérieure en nombre, les Indiens peuvent être aussi violents que n'importe quel autre peuple ». Si elle n'était pas telle qu'elle s'est constituée pour survivre, sans doute que son système politique en serait moins corrompu.

En Inde, modernité et démocratisation de la société n'empêchent pas que chacun respecte et flatte l'autre. La corruption est une valeur contenue dans le quotidien de chaque Indien et codifie leur existence. Chacun est déférent vis-à-vis de son supérieur uniquement parce qu'il se sait respecté par son subalterne. « La corruption elle-même, selon une excellente réflexion récente, ne concerne pas seulement le gain matériel. « Dans une société comme la nôtre, où la valeur d'égalité morale de chaque individu est rarement affirmée, l'un des moyens par lesquels les gens expriment leur propre valeur est d'être capable d'exercer un pouvoir discrétionnaire sur d'autres. La corruption concerne tout autant l'attrait du pouvoir que celui de l'argent, et l'intensité frénétique de la compétition pour la puissance dans cette société est largement due au fait que, sans le pouvoir, votre valeur morale ne sera pas reconnue. La corruption est l'une des façons d'exercer ce pouvoir » ».

Dans cette société où les qualités ancestrales et la simultanéité se côtoient, un élément est prééminent, celle de la moralité attachée à la religion hindoue. En effet, chaque Indien a assimilé le moral et l'amoral. Le spirituel est incarné par le Karma, concept de naissance et de renaissance récurrent en fonction de la nature des actes commis. L'essentiel est que cela n'interfère pas avec les intérêts personnels et professionnels. Ainsi, les Indiens n'adhèrent pas aux valeurs d'honnêteté et de rigueur. Dans leur esprit, la fin justifie les moyens. Peu importe s'il faut pour cela donner des dessous de table pour atteindre le but fixé.

De même, l'altruisme, cette capacité à agir pour la communauté sans rien attendre en retour est une disposition suspecte chez les Indiens. C'est plutôt la suspicion qui règne en maître dans cette société où le mauvais œil et l'envie prédominent. « Cette ambiance de méfiance crée deux mondes opposés mais qui coexistent, l'un fait de déférence, l'autre d'hostilité. La déférence se montre quand l'attraction gravitationnelle du centre du pouvoir est forte ; l'hostilité fait surface lorsque cette attraction faiblit ; les deux coexistent lorsqu'il s'établit un équilibre ». L'Indien est ultra-matérialiste, jusque dans ses croyances et la religion. Seules comptent les offrandes financières dans les lieux cultuels visités par les dévots et les touristes étrangers. Et malheur à qui tenterait de réformer leur représentation de la charité !

Dans cette société basée sur le consumérisme à outrance et l'apparence, le capitalisme est roi. L'idée d'un État Providence social qui prendrait en compte les plus pauvres pour leur apporter assistance matérielle et réconfort psychologique serait immédiatement rejetée par la totalité de la population, riches et pauvres confondus. Les plus fortunés ne se soucient aucunement des plus nécessiteux de leurs congénères. De leur côté, les indigents des bidonvilles n'aspirent qu'à un seul et unique objectif, grimper l'échelle sociale et changer de statut. « Dans l'un des pays les plus pauvres du monde, l'aspiration à la richesse, en tant qu'objectif se suffisant à lui-même, est universelle ; les pauvres sont peut-être démunis, mais ils ne sont pas différents des riches à cet égard. Eux aussi veulent être riches et sont prêts à tout risquer pour y parvenir, pour peu que l'occasion se présente. Le montant total de la loterie organisée en Inde atteint pratiquement sept milliards de dollars, soit environ 2 % du produit intérieur brut du pays. Chacun ne peut pas gagner, mais chaque fois qu'un pauvre a réussi à grimper sur le char de la classe moyenne, ou même plus haut, il montrera exactement la même insensibilité que les riches à ceux qui sont restés derrière ».

Avec le « Défi indien », Pavan K. Varma a dû se faire quelques millions d'ennemis dans une Inde qui compte plus de un milliard d'habitants ! Ouvrage singulier, iconoclaste, l'auteur – ancien diplomate et haut fonctionnaire en charge des Relations Culturelles – a décidé de nous faire découvrir le vrai visage de l'Inde. Très éloignée des poncifs qui voudraient que ce pays soit celui de la spiritualité, apôtre de la non-violence – précepte du Mahatma Gandhi pour chasser l'occupant britannique -, l'image que nous donne Pavan K. Varma déboulonne toutes ces théories.

La spiritualité et la relation aux divers dieux de l'Hindouisme sont invoquées, non dans l'espoir d'une vie meilleure après, mais pour le présent, le concret. Chaque Indien, aisé ou malheureux, fait des offrandes essentiellement pour améliorer leur quotidien. On parle aux dieux et déesses comme on traite une affaire commerciale !

De même, avec nombre d'exemples, de témoignages, l'auteur relate l'ingéniosité, l'inventivité et la créativité des Indiens. En Inde, rien ne se perd, tout se transforme et 60 % de l'économie locale se fait dans la rue, grâce à la méthode de recyclage permanent. Cette économie informelle permet ainsi aux plus miséreux d'entre eux de percevoir des revenus de leur travail. De nombreuses micro-sociétés ont vu le jour grâce à la ténacité indienne et à la création de coopératives se développant par le micro-crédit bancaire. Cette économie qui s'apparenterait en Occident à une économie de bouts de chandelles, génère toutefois des millions d'emplois et de dollars en Inde.

« Le défi indien » de Pavan K. Varma sort des sentiers battus avec son Inde entre coutumes, vénérations et avant-gardisme. C'est un ouvrage à lire pour connaître une autre facette, la part immergée, réelle, quotidienne d'un pays qui – n'en doutons pas un instant – deviendra une puissance économique, technologique et financière avec qui il faudra compter dans les prochaines décennies.



266 - 1 = 265 livres dans ma PAL ...

7 commentaires:

Aifelle a dit…

J'ai lu ton billet avec intérêt, nous sommes loin en effet de l'image d'Epinal généralement véhiculée. Mais il suffit d'aller au cinéma pour savoir que ce n'est pas vrai ... et de lire au delà de la presse lambda. Les explosions de violence ont toujours été fortes là-bas .. et il ne faut pas oublier la condition féminine, particulièrement difficile. A l'occasion je lirai ce livre.

Dominique a dit…

J'ai lu ton billet avec un grand intérêt, quand je pense que pendant très longtemps on parlait du "sous continent indien" le pays qui va être le plus peuplé de la planète
Vrai qu'il véhicule aussi bien des images toutes faites

dasola a dit…

Billet très intéressant, merci Nanne. Je ne suis pas très attirée par ce pays et pourtant il compte. J'ai passé 11 jours en Chine, fin septembre. Le 21ème siècle pourrait être aussi la Chine: on est loin du "col Mao" et du riz. Nous, les Occidentaux, on a du mouron à se faire. Bon dimanche.

Nanne a dit…

@ Aifelle : Je dois reconnaître que ce n'est pas un livre évident à lire, et pourtant il a son intérêt ! Comme tu le rappelles, on est très éloignés de l'image formatée que l'on se fait de l'Inde ... Si les occidentaux en savaient un peu plus, ils se poseraient certainement de nombreuses questions ...

Nanne a dit…

@ Dominique : Le "sous continent indien" est un vrai leurre pour occidental, et tente de donner une image rassurante d'un avenir beaucoup plus inquiétant pour un Europe qui se repose sur ses lauriers depuis trop longtemps ! C'est un pays qui sait jouer sur son "aspect" pacifique, mais qui cache une réalité bien plus dure ... A lire pour mieux comprendre où va l'Inde.

Nanne a dit…

@ Dasola : Entièrement d'accord avec toi pour ce qui concerne aussi la Chine, qui est un pays avec lequel il faudra de toute façon négocier à un moment ou un autre ! Ces pays dits "émergent" prennent une place de plus en plus importante dans une économie mondialisée ... Ce qui est intéressant, c'est de suivre cette évolution sociale et sociétale ! L'Occident a des soucis à se faire pour l'avenir.

Lounima a dit…

Bonjour Nanne,
J'ai très peu de temps à moi ces temps-ci pour venir sur la blogosphère mais c'est toujours avec le même plaisir que je lis tes billets.
Et c'est encore un très bel article que tu nous offre-là sur un pays que je commence petit à petit à connaître. Je n'ai pas lu ce livre mais il fait partie de mes prochaines lectures, je l'ai repéré il y a quelques temps déjà... ;-)