22 mars 2011

LOULOU, LA BEAUTE DU DIABLE

  • Louise Brooks – Portrait d'une anti-star – Roland Jaccard – Phébus Éditions


« S'il n'y avait eu cette rencontre miraculeuse avec un personnage, « Lulu », et avec un metteur en scène, Pabst, nul doute que Louise Brooks serait vraisemblablement oubliée aujourd'hui. Cet hommage à la femme et à l'actrice se double donc d'un hommage à Pabst. Mais il nous invite surtout à réfléchir sur l'un des mythes les plus révélateurs de l'inconscient de notre époque, celui de Lilith : tout à la fois Éros et subversion ».

Dans l'esprit de chacun, Louise Brooks reste encore l'incarnation de la femme-objet, sensuelle avec un brin de perversité innocente, mutine, faussement naïve, à l'érotisme assumé, à la beauté fatale et incandescente. Ce serait caricaturer et amoindrir le talent de cette actrice du cinéma muet, interprète magnifique et magnétique de Loulou, pièce de Frank Wedekind, mise en images par un génie du cinéma expressionniste allemand, Georg Wilhelm Pabst. Car Louise Brooks était bien plus encore qu'une icône éphémère du cinéma des années 1920, destiné à s'effacer et à disparaître devant la prouesse technologique du parlant, infiniment moins expressif. Louise Brooks était une femme libre et indépendante. Elle devait ce caractère bien affirmé à sa mère, qui lui avait donné le goût d'une certaine liberté à travers la littérature. « Mais moi, j'étais libre ! Bien que ma mère nous ait quittés en 1944, elle ne m'a jamais abandonnée. Elle m'apporte le réconfort à travers chaque livre que je lis. Car chaque fois, c'est comme si j'avais cinq ans et que je lisais par-dessus son épaule, apprenant les mots comme au temps où elle lisait à voix haute Alice au pays des merveilles ».

C'est en cherchant sa Loulou, incarnation de la Femme « […] créature « démoniaque » (au sens dionysiaque du terme) dans la mesure où elle s'apparente aux forces naturelles – à l'Esprit de la Terre – par opposition aux structures figées de la société. Elle seule à la capacité de vivre réellement la parole de Nietzsche : « Tout ce qui se fait par amour se fait par-delà le bien et le mal ». Son existence seule suffit à menacer – par ce qu'elle incarne autant que par les rêves qu'elle fait naître – tout l'univers social. Elle ne détruit rien, mais tout se détruit, se consume autour d'elle », que G.W. Pabst découvre Louise Brooks. C'est un vrai coup de foudre cinématographique ! Pabst est déjà connu et reconnu dans le monde du cinéma. C'est lui qui a révélé Greta Garbo, entre autre. C'est lui qui donnera à Louise Brooks le rôle de toute sa carrière. En 1928, lorsqu'il décide de tourner « Pandora's box » de Wedekind, Pabst n'est pas encore le réalisateur de « L'Opéra de quatr'sous », mais il est déjà Pabst le Rouge, socialiste, pacifiste et désireux de réconcilier Français et Allemands. Pabst est un magicien du cinéma, un génie de l'image. Il va jouer avec les ombres et les lumières, les noirs et les blancs, avec les gros plans qui mettent en valeur Loulou, et donner tout le relief à la personnalité, à l'éclat, à la passion de Louise Brooks, à ce regard sombre et velouté dans lequel brûle un feu ardent et équivoque.

Auparavant, Louise Brooks avait joué un second rôle avec Howard Hawks dans « Une fille dans chaque port ». En 1930, c'est René Clair qui la fera tourner dans « Prix de beauté ». Avec la voix qu'elle possédait elle aurait pu continuer une carrière de star à Hollywood, devenant l'égale des Marlène Dietrich, Greta Garbo ou encore Marilyn Monroe. Seulement, Louise Brooks n'avait pas envie de servir d'image de marque et de faire-valoir à l'industrie du rêve qui commençait à émerger à la fin des années 1920. Trop affranchie, trop sincère et authentique, trop franche et – surtout – trop intelligente dans un univers trop artificiel. Elle préférera se retirer à temps et laisser place à un mythe qui ne s'est jamais démenti. « Les autres sont « les femmes » […] elle est Louise. Elle est beaucoup plus qu'un mythe, elle est une présence magique, un fantôme réel … Peut-on concevoir la laideur, la religion, l'abstinence si on a jeté ne serait-ce qu'un regard sur ce corps-lyre, sur ces yeux volcans ? ».

« Louise Brooks – Portrait d'une anti-star » relate la construction d'une légende du cinéma des années 1920. Louise Brooks reste pour nombre d'entre nous l'image de Loulou et de sa fameuse coupe à la Garçonne qu'elle mettra à la mode en 1925. Cet album iconographique revient sur la pièce de théâtre de Frank Wedekind, auteur et dramaturge allemand, par qui le scandale est arrivé. Parce qu'il y a entre Louise Brooks et Loulou comme une fusion, un amalgame, dont il est encore aujourd'hui difficile de se départir. A l'origine, la Lulu de Wedekind réuni deux de ces pièces de théâtre, dont « La boîte de Pandore ». Son auteur, futur et éphémère beau-père de Klaus Mann, a toujours été un redoutable adversaire de la société bourgeoise, de ses codes, de ses hypocrisies qu'il dénonçait sans cesse dans ses œuvres, lui qui prônait la liberté totale, y compris sexuelle.

Pour créer sa Lulu, Frank Wedekind s'inspirera de la personnalité ambiguë de Lou-Andréa Salomé, femme fascinante, passionnée, voluptueuse, sensible, à l'intelligence prodigieuse et qui le séduira comme elle a su ensorceler, séduire tous les intellectuels qu'elle a rencontrés, Freud inclus. Wedekind fera de sa Lulu un subtil mélange de l'idéal féminin, de Lou-Andréa Salomé et de Lilith – personnage biblique, libre et révoltée -, qui symbolise encore et toujours la subversion. Louise Brooks allait incarner de façon magistrale ce personnage tout à la fois pervertie et dépravée, jeune femme perdue et contrainte à la prostitution. Elle donnera à Loulou toute la force de sa conviction. Pour les cinéphiles, Louise Brooks restera cette ingénue à la beauté redoutable et vénéneuse, au regard profond et intense, innocente et dissolue, sorte de Lola avant « L'ange bleu » et Marlène Dietrich. Pour tous, Louise Brooks est devenue la représentation de la beauté absolue, parfaite, au sens expressionniste du terme.


249 - 1 = 248 livres dans ma PAL

7 commentaires:

Theoma a dit…

J'ai bcp aimé Embrassez-moi de pancol qui parle avec tendresse de Brooks.

Domiique a dit…

Un personnage comme je les aime: il faut que j'aille voir si ce livre est disponible chez l'éditeur parce que pendant longtemps les écrits de Louis brooks ou autour d'elle étaient épuisé
ton billet est là pour nous faire chercher furieusement !

Valérie:) a dit…

J'ai longtemps rêvé d'être coiffée comme elle ! :) :)

Aifelle a dit…

Je ne connais que les posters en noir et blanc que l'on voyait un peu partout à une époque. Elle m'apparaissait très mystérieuse.

Lilibook a dit…

Chouette cet article ! C'était vraiment une très belle femme !!

Nanne a dit…

@ Theoma : Alors là, merci beaucoup pour l'info concernant ce titre de Catherine Pancol. Je vais aller chercher dans les bibliothèques pour le dénicher et le lire ... Je suis curieuse de savoir ce qu'elle a écrit sur cette actrice mystérieuse et discrète !

@ Dominique : Tu sais très bien que mon blog est là pour appuyer où ça fait mal ;-D Et Louise Brooks a toujours été un mystère pour moi ! D'avoir pu mettre la main sur ce très beau livre à la bibliothèque m'a permis d'en savoir un tout petit peu plus sur elle. Mais les éditions Texto ont ressorti ses mémoires, où elle parle de sa période à Hollywood. J'ai prévu de le lire dès que possible ...

@ Valérie:) : C'est une coiffure qui n'est pas évidente du tout à porter ;-D Mais elle faisait partie intégrante de sa personnalité !

Nanne a dit…

@ Aifelle : C'est vrai qu'on la connait surtout au travers de toutes ces photos prises lors du tournage de "Loulou" de Pabst. Et c'est un peu dommage de la réduire à une belle icône du cinéma muet, parce qu'elle avait une réelle personnalité ! Elle était non seulement belle, mais aussi intelligente et cultivée. C'est la raison pour laquelle elle n'a pas souhaité rester sous les feux de la rampe.

@ Lilibook : Merci pour le compliment. Louise Brooks était une très belle femme qui a incarné la beauté des années folles ! C'est elle qui a mis à la mode cette coupe au carré que l'on retrouve régulièrement chez les grands coiffeurs. On se dit qu'ils n'ont rien inventé ;-D