- Nina Schenk von Stauffenberg – Un portrait – Konstanze vons Schulthess – Éditions des Syrtes
« Celui qui ose faire quelque chose doit être conscient que c'est bien en tant que traître qu'il entrera dans l'histoire allemande. Cependant, s'il s'abstient d'agir, il serait alors un traître face à sa propre conscience ». C'est en ces termes que le comte Claus Schenk von Stauffenberg parle des hommes du 20 juillet 1944.
Peu le savent, mais Hitler n'avait pas que des collaborateurs zélés et fanatiques de sa politique de la Terre brûlée. Certains ont résisté. De l'intérieur. Pas évident quand on était Allemand de se battre contre les siens, sa famille parfois, au cœur même de son pays. Encore moins lorsque l'on portait l'uniforme de la Wehrmacht, que l'on était officier d’État-major et issue d'une très vieille lignée d'aristocrates. Surtout, tous savaient les conséquences immédiates non seulement pour les conspirateurs, mais pour la famille au sens large. A l'époque, cela se nommait la sippenhaft. Malgré cela, sachant les risques pris pour sa vie et celle de ses enfants, Nina Schenk von Stauffenberg va soutenir son mari – dès le début – dans cette entreprise utopique et insensée. « Elle savait, en tout cas à ce moment-là, que ce qui motivait mon père au premier chef n'était pas la perspective de réussir un coup d’État, mais que l'attentat avait pour lui une valeur hautement symbolique. Il considérait que c'était son devoir moral de montrer du courage civil, peu importe que l'attentat réussisse ou non. Il s'agissait de prouver au monde qu'il existait une résistance contre Hitler, telles étaient sa conviction et celle de ses compagnons de lutte. Cette attitude transparaît aussi dans un communique que l'un des conspirateurs, le général de division Henning von Treschow, fit parvenir à mon père avant juillet 1944 : « L'attentat doit réussir … S'il devait échouer, il faut quand même agir à Berlin. Car ce n'est plus notre objectif pratique qui importe, mais le fait que le mouvement de résistance allemande ait osé ce coup décisif devant le monde et devant l'Histoire. Tout le reste est indifférent ».
Son époux arrêté et fusillé parce que jugé traître à sa patrie, Nina von Stauffenberg va vivre le pire : les geôles de la Gestapo, le camp de Ravensbrück, la solitude, la peur, la séparation d'avec ses quatre jeunes enfants. Pour tenter de conjurer ses craintes, de dépasser ses angoisses, par goût pour la vie aussi, Nina von Stauffenberg va s'organiser psychiquement, se maintenir mentalement en vie, pour son défunt mari, pour sa famille. Pour retrouver ses enfants, surtout. Jamais elle ne faillira. Jamais elle ne lâchera prise. Avec une opiniâtreté absolue, une pugnacité infinie, et la foi de s'en sortir chevillée au corps, elle s'astreindra à des activités faisant diversion. Son éducation, sa culture littéraire et musicale lui serviront d'exutoire. « L'extinction des feux avait lieu à neuf heures, et ma mère risquait de sombrer complètement dans le néant. Elle avait toujours été une couche-tard et il n'y avait pas moyen pour elle de s'endormir de bonne heure. Elle eut finalement l'idée d'organiser pour elle toute seule des soirées musicales et littéraires imaginaires. Pour les concerts, elle faisait jouer dans sa tête les pièces pour piano, et des arias entières de symphonies. Pour les soirées littéraires, elle se récitait des poèmes, par exemple « La cloche » de Schiller ou des passages des pièces de Shakespeare. Toute sa culture artistique lui servait à fuir intérieurement sa situation oppressante ».
Ce qui lui a permis de tenir face à la violence de la répression, c'est indéniablement son indépendance d'esprit. Mariée très jeune, élevée dans un milieu où les valeurs morales étaient élevées, où le respect des traditions était intact, où chaque événement de l'existence était régi par un code établi, formalisé, Nina Schenk von Stauffenberg n'en demeure pas moins une femme affirmée, énergique, moderne – voire anticonformiste – pour l'époque. Avant d'être la mère de ses enfants, elle voulait être la femme, la partenaire, l'amante de son mari. C'est cette assurance naturelle, cette stabilité intellectuelle et cette sérénité intérieure qui permettront à Nina von Stauffenberg de se tenir aux côtés des conjurés du 20 juillet 1944, dont son mari, de les encourager par sa présence et de ne pas déchoir en gardant toujours le silence. « Il fallait que leur relation soit forte pour que ma mère arrive à ne pas montrer sa peur constante et le renforce continuellement dans ses convictions. Au début, oui, elle avait douté, mais elle se rangea vite de son côté : « Je ne voulais pas être un fil à la patte » dit-elle plus tard. Elle voulait rester dos à dos avec son mari pour le soutenir. « Dos à dos ? » Et non pas côte à côte ? J'ai beaucoup réfléchi à cette formulation. L'image qui s'impose à mes yeux quand j'essaie d'imaginer deux personnes dos à dos est celle d'une confiance absolue, mais elle a aussi quelque chose de défensif ».
En rédigeant la biographie de Nina Schenk von Stauffenber, Konstanze von Schulthess rend, avant tout, un vibrant et pudique hommage à sa mère, à la force de caractère qu'elle a déployée pour aider son mari dans son attentat contre Hitler, et dans sa détermination à survivre au pire pour ses enfants. « Nina schenk von Stauffenberg – Un portrait » où l'histoire d'une jeune femme de la noblesse allemande, pétrie de convenances et de bonnes manières, qui va se retrouver au cœur du complot du 20 juillet 1944 qui aurait dû modifier – en cas de succès – l'ordre des choses. Car à travers cette hagiographie, constituée de lettres, de témoignages familiaux et d'entretiens, se dévoile un pan de la grande histoire de la 2ème Guerre mondiale encore peu et mal connue : la résistance allemande au sein même du régime national-socialiste et de l'armée allemande.
Konstanze von Schulthess nous parle avec émotion de cette mère tant aimée, mais aussi de son père qu'elle n'a pas connu, étant née en janvier 1945. Certes idéalisé, icône d'une petite fille qui a chéri et respecter son père au travers des récits de sa mère, Konstanze von Schulthess revient sur l'engagement de Claus Graf von Stauffenberg dans la résistance allemande, dès 1938. Elle bat en brèche une idée longtemps répandue par les historiens sur l'ambigüité concernant le combat de son père. Certes, comme la majorité de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie allemandes, il a soutenu l'arrivée des nationaux-socialistes au pouvoir en 1933. Toutefois, celui-ci prend rapidement conscience des aspects monstrueux, barbares et primaires que revêt cette politique à l'égard de certaines catégories sociales. Son appartenance au Cercle de Kreisau, constitué d'opposants au régime nazi et animé par le comte Helmut James von Moltke le confirme dans sa décision d'en finir avec Hitler et sa clique. Dès 1941, l'ensemble des membres du Cercle de Kreisau avait décidé de l'élimination physique d'Hitler. Nina Schenk von Stauffenberg aura connaissance, dès cette période, des intentions fortes du groupe. Des risques aussi. Au lieu de l'en dissuader, elle soutiendra son mari jusqu'au bout, et au-delà même, entretenant ses convictions et sa mémoire.
« Nina Schenk von Stauffenberg – Un portrait » est un ouvrage très sobre, très digne, exempt de fioriture qui présente l'existence d'une femme qui a vécu son destin dans la solitude et l'abnégation. Ce portrait est un apport supplémentaire dans la reconnaissance de ces femmes qui ont lutté dans l'ombre de l'Histoire. Que son auteur en soit remerciée.
Je tiens à remercier l'équipe de Babelio et les éditions des Syrtes pour m'avoir fait découvrir Nina von Stauffenberg.
241 - 1 = 240 livres dans ma PAL ...
6 commentaires:
Je vais souvent voir les éditions des Syrtes mais je suppose que c'est une édition toute récente (babelio oblige)
j'ai lu ton billet avec grand intérêt un nom que l'on ne peut oublié, ce militaire fidèle à la fois à sa patrie et à une certaine éthique personnelle, une biographie de l'épouse qui eu à subir le contre coup est une belle façon de rendre hommage à la femme et à la mère
je garde cette référence
Un livre qui m'intéresserait, je pense. Merci pour ton billet !
Je l'ai remarqué dans la presse, c'est une histoire qui m'intéresse, on a trop occulté ces femmes qui ont été tellement courageuses dans un contexte terrible. C'est bien que la génération suivante en parle.
@ Dominique : Le livre a été publié en mars/avril 2011, donc très récent. Il est sorti en Allemagne en 2009, il me semble. C'est intéressant de lire comment cette famille a dû faire face à la "trahison" de leur père et mari ! Et on découvre toute la tragédie de cette politique basée sur la terreur, la violence, la haine et la volonté de destruction de qui voulait leur barrer la route ... En plus, cette famille est l'une des plus anciennes d'Allemagne. On apprend beaucoup sur les codes du milieu aristocratique allemand, ainsi que les valeurs patriotiques très fortes.
@ Brize : Si tu t'intéresses à cette période et aux conséquences des quelques actes de résistance allemands, alors il faut le lire ... C'est aussi un bel hommage à la femme pudique et forte à la fois, ainsi qu'à la mère qui a élevé seule cinq enfants !
@ Aifelle : On parle encore trop peu de ces femmes engagées aux côtés de leurs maris et qui les ont soutenus dans leur volonté de changer les choses. On apprend beaucoup de choses sur la résistance allemande et sur sa présence dans tous les milieux sociaux. On en découvre aussi leurs limites dans un tel État ! Et la fille de Claus Schenk Graf von Stauffenberg a voulu rétablir certaines vérités familiales sur l'engagement de son père et l'attitude de sa mère ... Un bel hommage posthume à ses parents !
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