28 mars 2010

GUENATSVALE !

  • La mer Noire - Kéthévane Davrichewy - Sabine Wespieser Éditions

"Tamaz vient aujourd'hui. Enfin. Commencer à y penser. Pour la joie et la douleur d'y penser. Il sera là ce soir. Elle remue un peu les orteils, remonte les draps sur son menton, laisse retomber sa tête sur l'oreiller. Elle referme les yeux, sent Pacha sauter sur sa poitrine. Le chat se couche contre son oreille et se met à ronronner. Tout redevient flou. Le silence de la pièce sans appareil en marche. Elle s'assoupit. Dans son sommeil, elle voit surgir le champ de blé derrière la maison. Tamaz l'appelle. Elle sursaute mais ne répond pas. Elle dort". Tamouna, dans son demi-sommeil, revient sur l'été de ses quinze ans. Sans doute le plus bel été de son existence, là-bas, en Géorgie, sur les bords de la mer Noire, à Batoumi. La famille de Tamouna possédait une petite maison. Ensemble, ils passaient l'été au frais avec Babou, le grand-père et Bébia, la grand-mère. La vie était heureuse et joyeuse, espiègle, insouciante et légère, comme l'enfance. C'est l'été de ses quinze ans que Tamouna rencontrera Tamaz, celui qu'elle attend fébrilement aujourd'hui, pour son quatre-vingt dixième anniversaire. Il a promis de venir. Depuis ses quinze ans, Tamouna attend Tamaz, l'homme de sa vie. "Il est sorti de sa vie et, pourtant, il semble l'avoir accompagnée partout. Et lui, Tamaz ? Pense-t-il à elle parfois ? Les gens sont-ils plus présents une fois partis ? En faisant sa toilette, elle songe aux absents, elle mesure leur présence dans son existence".

Tamouna qui ne comprenait pas encore toutes les subtilités du monde des adultes, les menaces qui planaient sur elle, sur les siens, sur Tamaz. Elle était tout éblouie par les sentiments étranges qui émanaient d'elle, qui - sans le savoir - la faisait grandir un peu plus à chaque instant. Tamouna est amoureuse de Tamaz, sans même le savoir, sans s'en rendre compte, et cela la gêne, la dérange, la perturbe un peu. "Je ne résiste pas à l'envie de parler de Tamaz. Cela lui donne une réalité et j'ai besoin de cette réalité. Théa m'en veut d'avoir tant attendu pour le lui dire. Elle me fait répéter inlassablement son nom, ce que nous avons dit, ce que nous avons fait. Elle refuse de croire qu'il ne m'a pas embrassée, elle me demande si j'en ai envie. Ses questions me lassent. Soudain, je regrette mes confidences". Cet été-là, Tamouna le passe à se promener aux côtés de Tamaz, le long de la mer Noire si belle, si romantique. Ne pas se toucher, ne pas se frôler, encore moins oser s'embrasser. Juste rester ensemble, côte à côte, sentir sa présence douce et troublante, penser, espérer que - pour lui aussi - l'émotion est à fleur de peau. Se dire que cet instant magique durera une éternité. C'est la seule chose que désire Tamouna.

L'échec de la démocratie, l'arrivée des bolcheviks et
son père, membre du gouvernement géorgien, qui sera forcé à l'exil par la situation politique. Ensemble, ils devront fuir pour éviter les représailles. D'un coup, Tamouna craint de perdre Tamaz, de ne plus jamais le revoir, ni lui, ni ses grands-parents, ni son oncle et sa tante, ni ses cousins. Et pour beaucoup, l'exil c'est la France et Paris. Là-bas, la communauté géorgienne recréera un peu de son histoire collective en vivant proche les uns des autres, en s'entraidant, en se soutenant. En arrivant à Paris, Tamouna prendra conscience que son amour de jeunesse est resté à Batoumi, sur les bords de la mer Noire, comme ses souvenirs et son enfance. Pour ne pas l'oublier et maintenir un lien ténu entre son passé et elle, Tamouna lui écrira plusieurs lettres qu'elle ne postera jamais. Tamaz restera ainsi l'idéal absolu, son amour pur et intact, son adolescence et son pays à jamais perdu. "Tu n'es plus qu'une silhouette sur le port de Batoumi. Et une présence, intangible, tenace et réconfortante, dans mon imaginaire. Je ne suis pas certaine de vouloir croiser ton chemin. Je ne suis pas sûre que tu me plaises. Encore moins sûre de te plaire. J'ai sans doute changé. J'ai les allures d'une élégante étudiante parisienne. Mais je ne fais pas illusion longtemps., il suffit de me parler pour que le masque tombe".

"La mer Noire" de Kéthévane Davrichewy est une ode aux souvenirs enfouis, au temps passé que ne revient pas, à tout ce que l'on aurait aimé dire, confier, dévoiler, écrire à un amour de jeunesse, à la famille au sens large. A travers Tamouna, Kéthévane Davrichewy nous parle de la Géorgie belle et indépendante d'avant la révolution de 19717. Une Géorgie qui avait décidé de reprendre ses libertés fondamentale vis-à-vis de la Russie tsariste et d'exister par elle-même. Une Géorgie qui se voulait démocratique et équitable, en prônant le partage des richesses entre tous. Une Géorgie qui n'a pas eu que des amis autour d'elle. Enfin, une Géorgie qui finira par s'exiler et se reconstruire à Paris, parmi la communauté qui a fui les répressions. "La mer Noire" est aussi un livre qui parle des proscrits, des apatrides, de ces communautés ballotées entre ici qui n'est pas tout à fait chez eux, et là-bas qui n'est plus leur pays. Le temps de cette lecture, le lecteur appartient à cette communauté géorgienne, sorte de grande famille isolée qui n'a jamais voulu abandonner ses traditions, ses rites et coutumes, son histoire, sa langue. Dans la joie et le malheur, dans le rire et la peine, dans le drame et la comédie, la famille de Tamouna sera toujours son refuge, son port d'attache, son
île, sa réserve de bonheur, sa source vive dans laquelle elle puisera sa force, son énergie, sa volonté d'avancer malgré les accrocs de l'existence, malgré les petits ennuis hurlés et les grandes souffrances muettes. Tout au long de "La mer Noire", Tamouna nous raconte sa vie, son passé, ses amours, sa famille, qui passe comme un journée un peu plus longue que les autres. Avec une beauté infinie, Kéthévane Davrichewy nous tisse une existence à l'image de son personnage, généreuse et bienveillante, touchante et passionnée, sereine et volontaire. On ressort de la lecture de "La mer Noire" avec le sentiment d'avoir passé une journée infinie en compagnie d'une amie intime, d'une parente âgée qui nous aura - dans un souffle - murmuré son histoire. C'est beau à lire, à vivre. C'est émouvant à pleurer.

Un grand merci à Aifelle pour cette superbe découverte.

D'autres blogs en parlent : Aifelle, Sylire, Leiloona, Esmeraldae, Jellybelly, Stephie, Flo, Anne, Kathel ... D'autres peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit mot.

294 - 1 = 293 livres ... Qui a dit que je n'en viendrai pas à bout ?!

15 commentaires:

Lounima a dit…

Je l'ai déjà repéré sur d'autres blogs (entre autres chez Aifelle)... ;-)

sybilline a dit…

Tu parles de ce livre avec tant de beauté et d'émotion, Nanne ! Je ne manquerai pas de le lire!

Paolina a dit…

Encore un beau roman mais ma PAL est infinie!
Bonne semaine Nanne! Je te fais parvenir bientôt Liberté comme tu le souhaitais. Je n'ai pas encore lu Petite :(, est-ce que je peux encore prendre le temps de le garder?

kathel a dit…

Je fais aussi partie des admiratrices de ce petit livre si juste et si beau.

http://lettres-expres.over-blog.com/article-kethevane-davrichewy-la-mer-noire-47443553.html

Aifelle a dit…

L'auteur va être au salon du livre demain soir, voilà qui va peut-être me décider à y aller, j'aimerais lui dire à quel point j'ai aimé son livre. Je suis très heureuse qu'il t'ait tellement plu aussi.

keisha a dit…

J'attends d'avoir lu quelques urgences et je vais mettre la main dessus!

Dominique a dit…

Avec un billet comme celui là je ne peux que me précipiter, j'ai lu aussi celui de Leiloona
aifelle ce n'est pas raisonnable de nous induire en gourmandise comme ça
je l'ai mis en commande illico

Nanne a dit…

@ Lounima : Je pense que ce roman va se retrouver sur de nombreux blogs tant il est magnifique à lire ... Il va très certainement te plaire !

@ Sybilline : Je suis heureuse de pouvoir te lire. J'espère que tu vas bien ... Il faut que tu lises ce roman merveilleux qui parle d'amour éternel et de la vie ! Je suis sûre qu'il te plaira, connaissant tes goûts ;-D

@ Mirontaine : Pour la PAL infinie, c'est tout le drame des blogs ! Si tu voyais la mienne ;-D Mais ce roman est absolument à découvrir pour la beauté du sujet et de l'écriture ! Une œuvre magistrale ... J'attends avec impatience "Liberté" pour le lire. Pour "Petite ...", tu peux le garder le temps que tu veux. Son retour n'est pas une urgence absolue ... Par contre, je t'envoie le livre sur les contes Tziganes dans la semaine (il est pour toi).

@ Kathel : Merci pour ton lien que j'ai rajouté à la liste des admiratrices de ce très beau roman ... J'ai adoré ce livre que j'ai lu en même pas deux jours ! Une vraie révélation.

Nanne a dit…

@ Keisha : Il faut absolument que tu mettes la main dessus pour le lire, parce que cela s'impose ! Tu vas tomber sous le charme de cette écriture simple et épurée, et sous l'histoire de son personnage ...

@ Aifelle : Mille fois merci pour ce prêt. Je savais, en lisant ton billet que ce roman avait tout pour me plaire, mais je ne pensais pas à ce point-là ! Tu as de la chance de pouvoir la rencontrer pour lui dire ton admiration ... Au passage, dis-lui qu'elle a de nombreuses fans sur les blogs ;-D

@ Dominique : La blogosphère est remplie de viles tentatrices, dont le seul objectif est de faire lire de beaux livres ... Et celui-ci est vraiment magnifique ! Je suis encore sous la charme de cette histoire. C'est dire ... Et je pense que tu le seras aussi ;-D

Anonyme a dit…

Quel beau billet !
Je ne lis que de bons avis sur ce roman ! il faut absolument que je le lise...

Nanne a dit…

@ Anonyme : Merci beaucoup pour ce compliment qui touche toujours et fait plaisir à lire ! Il n'y a que de bons avis sur ce roman, parce que c'est un livre magnifique qui raconte une histoire à la fois simple et belle avec une écriture épurée ... Il est absolument à découvrir. C'est une pépite littéraire dont vous ne regretterez pas la lecture.

Leiloona a dit…

Un livre sublime dont la petite musique résonnera longtemps en moi. :)

Nanne a dit…

@ Leiloona : C'est le terme qui définit le mieux ce roman, sublime ! Je suis encore sous le charme de cette lecture qui ressemble à une sonate de Chopin que j'adore ... C'est dire ;-D Et entre ton billet et celui d'Aifelle, je n'ai pas eu d'autres choix que celui de devoir le lire ...

L'or des chambres a dit…

Je suis venu imprimer ton billet pour pouvoir le lire plus tard (dès que mes idées seront au clair, c'est incroyable comme pour l'instant je suis encore dans le coltard, j'ai l'impression d'avoir du coton dans la tête)
Je te remercie Nanne pour ton très gentil mot
Bises

Nanne a dit…

@ L'or des chambres : Prends ton temps pour lire et déguster ce merveilleux roman qui fait l'unanimité sur la blogosphère pour l'instant ! Je ne me rappelle pas un billet mitigé ou négatif, c'est dire s'il a plu ... Et je suis sûre qu'il va te plaire. Et surtout, reposes-toi bien et ressources-toi, on t'attends sur la blogosphère. Très bon week end de Pâques à toi ...