Trois rendez-vous pour raconter trois univers, dans trois villes mythiques des États-Unis – Chicago, New-York, Las Vegas -, à trois périodes charnières du 20ème Siècle. "Billard blues" raconte des histoires de billard, de poker sur fond de blues, de jazz, dans des clubs semi-clandestins ou des casinos pour milliardaires.
"Et voilà, ça commence tous les soirs comme ça, avec un air de blues, un morceau de Muddy Waters, de Big Bill Broonzy, de Sonny Boy Williamson, de Lightnin'Hopkins ou d'un autre grand, peu importe, mais toujours et uniquement du blues ! Parce que, ici, ce n'est pas la simple arrière-salle d'un club de billard à la noix, non, mais un lieu magique, tout au bout de la route du blues, à Chicago, au Septième Ciel de la musique noire, quelque part dans l'univers infini de la vraie vie, là où la musique se joue à tous les coins de rues … Et on y vient d'abord pour écouter du blues ! Pas n'importe quel blues. Juste celui qui arrache les tripes et fait couler les larmes, celui qui vous tient debout et vous fiche par terre en même temps. Le blues qui vient du Sud, de Louisiane, du Mississippi, et qui est remonté lentement vers le Nord, de guitare en harmonica, au rythme lancinant de ses douze mesures, passant par Memphis, Nashville, Saint-Louis et Chicago !".
Chicago, Noël 1930, au « Billard Blues Club ». Pour bien jouer le blues, il faut avoir des tripes, la bonne couleur de peau, un passé d'esclave dans le Sud des Etats-Unis et surtout porter tout le poids de la mélancolie de ces lieux. Si tu possèdes ses trois éléments en toi, alors tu peux jouer le blues, lui faire rendre toute la beauté, la puissance, la violence de l'existence. Le joueur de blues du Billard blues Club détient tout cela, et plus encore. Pensez donc. Noir, sans diplômes, sans argent. Encore un inconnu à cette date. Chicago était sa seule planche de salut pour jouer le blues comme il le ressentait, le vivait. Parce que le blues, c'était sa vie. Il arrive parfois que dans son métier de musicien on partage des instants d'exception grâce au blues et à une partie de billard. Mais pas n'importe lequel. Un billard français ! Et pas avec n'importe quel jouer. Willie Hoppe ! « Le français à trois billes, deux blanches et une rouge : la vie, le destin et le hasard. C'est tout ça, le billard français. Un jeu terrible, sans trou ni rien, sans échappatoire, d'aucune sorte, mais un jeu magique parce que la vie, tant que tu es sur le tapis, tu peux la jouer. Et l'endroit magique où on la jouait s'appelait le Billard Blues Club ». Une vraie légende, ce type. Cinquante et une fois champion du monde. Un record. Il était l'inventeur du fameux Diamond drink. Le roi incontesté des tapis vert. Son jeu était tout en finesse et en rapidité, comme un félin. Willie Hoppe ne perdait jamais une partie. Le blues l'aidait à gagner, il magnifiait, sublimait son jeu et le plaçait au rang de l'art.
En ce jour enneigé et froid, tout le monde sentait qu'un événement exceptionnel allait se produire, comme un don du ciel ou un cadeau du Père Noël ! Instant unique qui métamorphose la vie des personnes présentes et bouleverse l'ordre des choses. En pleine prohibition, le Billard Blues Club était une plaque tournante du juteux trafic d'alcools, contrôlé par Al Capone. "Et parmi les têtes d'affiche des truands, le pire de tous était un nommé Al Capone. Un gars plutôt bien charpenté, avec une énorme cicatrice sur la joue qui le faisait surnommer le Balafré". Tout le monde le craignait. Partout où il arrivait, on se pliait à ses désirs. On les devançait même. Quand Al Capone voulait quelque chose, il l'obtenait. Et au Billard Blues Club, il ne désirait rien tant que jouer une partie avec son idole, Willie Hoppe. Même avec lui comme adversaire, Al Capone avait bien l'intention de briller ce soir-là et de gagner la partie, coûte que coûte, à sa manière. « Willie s'approcha du billard en silence, et se mit à jouer. Il réalisa une série de sept points à une vitesse record quand Capone, maladroitement, heurta le bout de sa queue, ce qui eut pour effet de le faire échouer. Capone, tout sourire, prit le relais. – On peut arrêter là si vous voulez, monsieur Hoppe, dit-il d'un ton mielleux. – Jamais. On n'arrête jamais une partie en cours, même avec des gars qui ne sont pas loyaux. Capone fit mine de s'offusquer. – Pas loyal ? Vous me décevez terriblement, monsieur Hoppe. Je suis un gars réglo, moi… du moins, j'observe les règles que je me suis fixées depuis que je suis tout petit. – Et qui sont ? – Gagner à tout prix, être le meilleur, ne jamais manquer de femmes ni d'argent ! » C'est grâce au Diamond drink que Willie Hoppe empochera les cinq mille dollars du pari d'Al Capone au cours de cette soirée mémorable de Noël 1930 !
Début des années 1960, à New York sur la 52ème rue, au Jazz Blanc. « Le seul, à New York, où les musiciens étaient blanc et le public pouvait être noir. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être parce que le jazz, c'est tout le contraire, et qu'il fallait qu'un tel lieu existât pour confirmer la règle. En tout cas, s'était un endroit unique. Le Jazz Blanc ». C'est l'univers de Max Coleman, saxophoniste blanc qui jouait une musique de noir et ne faisait qu'un avec son saxo ténor. Pour Coleman, deux choses comptaient dans son existence : l'alcool et la musique. L'un n'allait pas sans l'autre. Coleman avait le jazz dans le sang. Cette musique lui coulait dans les veines. C'était son oxygène, sa drogue, sa raison d'être. La vie de Coleman pouvait se résumer par ce triptyque "Sax, Jazz, Swing". Jamais les uns sans les autres. Dans les années 1960 - comme dans les années 1930 - au Jazz Blanc, on ne rencontrait pas que des musiciens de talent. La mafia avait encore pignon sur rue à cette époque. Les Irlandais, particulièrement. Et dans cette boîte de jazz, c'était le royaume de Maxie-la-Punaise. Il s'était pris de passion pour le jazz. Pas celui de Coleman, mais de Diana King, pianiste et chanteuse de jazz de renommée internationale. Il aurait fait n'importe quoi pour que la diva joue au Jazz Blanc, même décrocher la lune, si cela avait été possible ! Il réussira à la faire venir dans son club, pour le plus grand bonheur de Max Coleman !
Las Vegas, enfer ou paradis du jeu et des joueurs. Ville lumière aux dix millions d'ampoules clignotantes qui ne s'éteignent jamais. A Las Vegas sévit Davis Dam, meilleur joueur de poker de l'Arizona qui avait choisi les cartes parce qu'il ne se sentait aucune affinité pour jouer aux cow boys ! "Un sacré type sorti tout droit du Far West, avec un Stetson vissé sur la tête". C'est à Las Vegas que Davis Dam exercera ses talents de joueur de poker et de bluffeur. L'argent lui brûlait les doigts. Mais ce type était né sous une bonne étoile. Ce qu'il voulait, c'était décrocher la timbale, le gros lot, le jack pot, en s'invitant à la table de Nick Zimmermann, producteur à Hollywood et le plumer comme un vulgaire poulet. Comme toujours au poker, c'est au cours d'une partie infernale, où la tension va crescendo, mettant les nerfs à rude épreuve, que Davis Dam raflera la mise sur un coup de bluff. « - Le plus important aux cartes, fit Davis, ce n'est pas d'avoir du jeu. C'est de faire croire aux autres que tu en as ».
"Billard blues" de Maxence Fermine est une longue et belle balade à travers le temps et la musique. On passe du blues des années 1930 au jazz des années 1960, du billard des tripots au poker des casinos. On fredonne, on sifflote, on murmure, on susurre des airs et autres rengaines des plus grands joueurs de jazz et de blues. On s'imagine - l'espace de cette lecture - dans ces clubs de fond de rues glauques, enfumés des vapeurs bleutées des cigares et cigarettes de contrebande, sirotant de l'alcool frelaté et prohibé. On n'en revient pas de voir Al Capone avec des yeux d'enfant ébahis face au monstre sacré que représentait Willie Hoppe à sa grande époque. On tremble à la table de Davis Dam avec son jeu de poker menteur - roi de l'arnaque et de l'esbroufe - se demandant s'il repartira sans le sou ou riche à millions. Dans un style épuré, limpide et ensorcelant, Maxence Fermine nous fait entrer dans un monde clos, celui des passionnés, des initiés, de ceux qui ne vivent que par et pour leur plaisir, que celui-ci soit le jeu ou la musique. "Billard blues" est digne des meilleurs airs de jazz et de blues. C'est un recueil envoûtant, qui reste en mémoire après le livre refermé.
D'autres blogs en parlent : Stephie, Kalinga, Émilie ... D'autres, peut-être ?! Merci de me le faire savoir que je vous ajoute à la liste.
10 commentaires:
Ton billet est splendide j'ai l'impression d'être noyée par la fumée et les vapeurs de bourbon :-) une jolie évocation, il y a longtemps que je n'ai pas lu Fermine après qq déceptions mais tu me donnes des regrets
Je préfère passer. Le sujet ne me tente pas. Je passe certainement à côté d'une très belle lecture mais je ne suis pas sûre d'accrocher.
J'ai lu un bouquin de cet auteur que je n'ai pas aimé, je ne sais pas si je vais retenter l'expérience.
L'auteur ne me tente pas vraiment mais si je devais en lire un, ce serait celui-ci.
@ Dominique : Merci beaucoup, mais je ne voudrais pas t'intoxiquer ;-D Ce petit recueil de nouvelles est absolument excellent, même si je préfère la première des trois nouvelles ! C'est étrange, beaucoup de lecteurs ont été déçus par cet auteur. Alors que mes deux lectures, dont "Opium" ont été de belles surprises ...
@ Belle de Nuit : Il y a des fois où on sent que ce n'est pas le bon moment pour lire un auteur ! Dans ces cas, il ne faut surtout pas insister ... Et puis, il y a tant d'autres belles lectures qui nous attendent ;-D
@ Yv : Quel était donc ce livre ?! Les deux que j'ai lus m'ont beaucoup plu ... Il faut dire que je les avais choisis pour leur sujet qui me tentait ! Mais ce recueil est un peu différent de ses romans toujours très courts.
@ Manu : Vous êtes plusieurs à ne pas être tentés par cet auteur ! Dans tous les cas, ce recueil parle d'une autre Amérique, différente de celle que l'on a l'habitude de rencontrer dans la plupart des ouvrages ...
Tiens c'est original. Je verrais si je le trouve à la biblio.
@ Lilibook : C'est un recueil très facile à lire et agréable ! L'écriture est simple et belle. Et, en plus, c'est très court et ça parle de jazz, de blues, d'ambiances pleines de charmes ... C'est un auteur qui se trouve facilement en bibliothèque. Sinon, fais-le moi savoir et je te l'envoie ;-D
Un Français qui écrit sur le Etat-Unis, j'ai tendance à me méfier... pas la bonne couleur de peau, ou presque... mais je suis mauvaise langue car l'Anglais Ellory écrit sur les Etats Unis comme un vrai Américain, alors pourquoi pas un Français...
@ Ys : Pas la bonne couleur de peau et pas la bonne nationalité pour parler d'un pays multiculturel ... Mais tu es effectivement mauvaise langue, car il décrit très bien cette ambiance des tripots clandestins, des clubs de jazz des années 1960 et des joueurs de poker ;-D Et puis, c'est un tout petit recueil facile à lire !
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