13 février 2011

BERTOLT BRECHT, L’ETRANGER AU PARADIS

  • Poète, anarchiste et contestataire


Dernièrement, j'ai eu l'occasion de revoir et d'entendre "L'opéra de quat'sous", de Brecht et Kurt Weill. Cela faisait bien longtemps que je ne l'avais écouté et j'y ai pris un grand plaisir. Ma conscience ne me laissant jamais en paix, en a profité pour me remettre en mémoire la petite chanson si étrangement belle de la "complainte de Mackie" que tout le monde connaît - au moins l'air - pour avoir été reprise par de nombreux chanteurs. J'ai commencé à fouiller sans relâche dans ma bibliothèque à la recherche des pièces de Bertolt Brecht. J'aime son théâtre que je trouve à la fois réaliste et poétique et anti-conformiste.

S'il est une figure emblématique du théâtre moderne qui a marqué son époque comme auteur dramatique, metteur en scène, poète et militant politique, c'est bien Bertolt Brecht. Et pourtant, rien ne le prédestinait à une telle carrière, comme cela est souvent le cas.

Fils d'un fabricant de papier, issu de la bourgeoisie bavaroise, Brecht entame des études de philosophie et de médecine à l'université de Munich en 1917. Mobilisé en 1918 comme infirmier, la guerre est vécue comme un traumatisme chez lui et lui inspire sa célèbre "Légende du soldat mort". Après la première Guerre Mondiale, il écrit "Baal", sa première pièce, dont le héros est un jeune poète anarchiste et asocial qui piétine les valeurs bourgeoises. Le personnage n'est pas sans rappeler Bertolt Brecht lui-même et son expérience mortifiante. Au moment de la révolution Spartakiste en Allemagne, il devient membre d'un conseil d'ouvriers et de soldats et assiste à l'écrasement de la République des Conseils de Bavière. Révolté par l'attitude de la bourgeoisie, il délaisse un temps la politique et fréquente la bohème munichoise. En 1919, tout en reprenant ses études, il commence à écrire des chansons et ballades, inspirées par Rimbaud.

Dès 1924, il rejoint Berlin et travaille pour le Deutsches Theater de Max Reinhardt. Si l'ensemble de ses œuvres soulève de nombreuses polémiques, il n'atteint la célébrité qu'en 1928 avec la création de "L'opéra de quat'sous", un des plus grands succès théâtraux de la République de Weimar. Cette réussite repose autant sur un malentendu que sur la beauté de la musique de Kurt Weill, empruntée au jazz et aux mélodies d'avant-garde. En quelques mois, la chanson de Mackie fait le tour du monde, apportant reconnaissance matérielle et intellectuelle à son auteur. Mais la République de Weimar s'enfonce de plus en plus dans la crise sociale. Bertolt Brecht radicalise ses idées esthétiques et politiques en s'initiant au marxisme. A cette époque, il conçoit le théâtre non seulement comme un moyen de représenter le monde, mais de le transformer.

Refusant de séparer l'art et la politique, ce qui permet à Brecht de se faire le chantre des pratiques politiques délictueuses de l'époque, ses pièces vont rencontrer de plus en plus d'obstacles pour être montées. Ainsi, "Sainte Jeanne des abattoirs", pamphlet sur les injustices sociales, ne connaîtra qu'une version radiophonique partielle en 1932. La même année, inquiet de la montée du nazisme, il lance un appel à la création d'un front d'action antifasciste. Dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir, Brecht - haï par les nazis - doit s'exiler. Son œuvre sera interdite et brûlée. Comme beaucoup d'intellectuels dans son cas, Brecht parcourt l'Europe en quête d'un abri provisoire. Passant par Prague, Vienne, Zurich, Paris, il s'installe au Danemark qu'il quitte pour la Suède et la Finlande, cherchant à fuir devant la poussée des armées hitlériennes. En 1941, Brecht rejoint les États-Unis où il se sentira étranger à la société et complètement perdu dans un univers qui n'est pas le sien.

Toutefois, ces années d'exil sont fertiles, même si ses œuvres ne sont ni publiées ni jouées. C'est en Finlande que Brecht produit les pièces les plus importantes de sa carrière :"La vie de Galilée", "la résistible ascension d'Arturo Ui", "Maître Puntila et son valet Matti", ... Sa comparution devant la commission des activités anti-américaines en 1947 pour ses idées marxistes, le force à rentrer en Europe. En 1949, il s'installe à Berlin-Est parce qu'il veut contribuer à la création d'une culture socialiste et participer à la naissance d'une nouvelle Allemagne. Avec la création de sa troupe Berliner Ensemble, Brecht exprimera ses prises de position politiques. Il soutiendra la dictature communiste qui écrase violemment le soulèvement ouvrier de Berlin-Est le 17 janvier 1953. Brecht manifestera sa solidarité avec le régime en déclarant que "si le peuple pense mal, changeons le peuple". En 1955, il reçoit le Prix Staline pour la paix. Il meurt en 1956 d'un infarctus.

Bertolt Brecht voulait rompre avec l'illusion théâtrale et pousser le spectateur à la réflexion. Il met en œuvre l'effet de distanciation, qui rapproche le public du sujet représenté en transposant des scènes historiques dans le quotidien. Il use de tous les artifices permettant de saisir une représentation comme une scène de rue. Brecht force le public à avoir un regard critique en utilisant des panneaux avec maximes, des apartés en direction des spectateurs pour commenter les pièces, des intermèdes chantés. Au fur et à mesure des événements politiques, Brecht accentuera la fonction didactique du théâtre. Ses pièces antifascistes, écrites en exil, s'efforcent d'agir sur la conscience politique du public en inscrivant dans une perspective historique chaque geste de barbarie.

Au final, Brecht est un véritable poète, fasciné dès le début par la saveur des mots. Au travers de ses écrits, transparaît son immense besoin de solidarité avec les hommes et le monde.

Je vous laisse avec trois interprétations de "Mack the Knife", célèbre chanson de "L'Opéra de quat'sous", deux en anglais, une en allemand. A vous de juger la version qui vous convient le mieux !









4 commentaires:

Aifelle a dit…

Pour moi la chanson de Mackie est forcément en allemand. J'avais un 33 tours, la version avec Lotte Lenya. Dommage que Bertold Bretch n'ait pas vu le côté aussi totalitaire des régimes communistes que nazistes.

Dominique a dit…

ah Nanne Brecht c'est un vrai cas de conscience, comme toi j'aime son théâtre et son association avec Kurt weill tient du miracle MAIS
je ne peux pas m'enlever de la tête l'homme qui nie les crime staliniens, qui soutient l'écrasement du peuple, SON peuple par la dictature communiste
Comme pour Céline j'ai du mal à séparer les deux choses

Constance a dit…

Robbie Williams pour des raisons purement extra-littéraires !!!

Nanne a dit…

@ Aifelle : La chanson de Mackie est presque un passage obligé en allemand, pour qui connaît "L'opéra de quat'sous" ! Drôle de personnage que Bert Brecht qui a soutenu les communistes et le stalinisme, alors qu'il s'est opposé au nazisme ... Il y a d'autres zones d'ombre dans son passé, mais dont je n'ai pas la certitude ! Et puis, c'est lui qui s'est toujours violemment opposé à Klaus Mann, le traitant de fils à son père ...

@ Dominique : Comme toi, Brecht est un cas de conscience intellectuel ! D'un côté, le pamphlétaire et l'intellectuel qui s'oppose au nazisme, le raille et s'allie avec Kurt Weill et d'autres pour les montrer du doigt ; de l'autre, le directeur de théâtre de Berlin Est qui soutient le stalinisme et ses débordements ... Finalement, très Célinien tout cela !

@ Constance : Comme je te comprends pour ce qui concerne la version chantée par Robbie Williams ! Elle est très belle, il chante très bien, et - en plus - il n'est pas désagréable du tout ;-D Mais j'ai un faible pour la version de Ute Lemper, en allemand ... On ne se refait pas !!