27 février 2011

DASH, LE FAUCON

  • Hammett – Joe Gores – Folio Policier n°550


« Toutes les activités possibles et imaginables sont pratiquées à l'heure actuelle à San Francisco : les jeux clandestins, les paris illicites, la prostitution, le racket. Et ce, sans aucun contrôle de la pègre. Pourquoi ? […] Parce que les autorités locales sont arrivées les premières. Pendant que monsieur notre maire trimballe sa cuite droite et à gauche, les yeux fermés, les pontifes de la mairie, les flics et le bureau du district attorney tiennent la ville. Et ils sont, à leur tour, sous la coupe d'autres individus. Tout, absolument tout, est à vendre ici. Tout et tout le monde ».

Bienvenu dans le San Francisco de 1928, celui de Samuel Dashiell Hammett, ancien enquêteur de la Pinkerton Detective Agency qu'il vient de quitter pour endosser le pardessus d'écrivain de romans noirs et dénoncer les collusions entre les politiques et le milieu. En attendant la gloire, il traîne son mètre quatre-vingt-dix dans les rues de cette ville, écumant les boîtes peu recommandables, les speakeasies et autres gargotes fréquentées par une certaine population désireuse de s'encanailler en toute discrétion depuis la loi sur la Prohibition. Il boit – beaucoup trop -, il joue énormément et parie souvent sur les matches de boxe qui lui servent d'inspiration pour certaines scènes de ses romans, particulièrement « Moisson rouge » que Dash Hammett prépare en ce moment. Une chose au moins est claire dans son esprit - malgré la dèche financière dans laquelle il survivait -, jamais il ne redeviendrait détective privé, même pour le compte de Vic Atkinson, ancien collègue et ami de longue date. Certains politiciens locaux avaient décidé de nettoyer la police de San Francisco des verrues qui la corrompaient et la pourrissaient par les racines et depuis bien trop longtemps. Il était temps que l'ordre reprenne sa place dans cette ville des États-Unis. Hors de question qu'elle devienne un second Chicago avec la prééminence de la mafia dans tous les secteurs de l'économie. Et il y avait fort à faire, surtout que la situation tombait de Charybde en Scylla avec les mauvaises habitudes plus vite apprises que les règles de bonnes conduites. « Ce serait comme au bon vieux temps, mais pas question. Même si j'étais intéressé, ton comité de réforme aura besoin d'être soutenu par le maire, le district attorney et le chef de la police, et alors quelle sera leur liberté d'action ? McKenna sait bien que les gens de ce patelin l'ont élu maire pour avoir les coudées franches, et c'est bien ce qu'il leur donne ».

Dans tous les cas, l'enquête de Vic Atkinson s'annonçait difficile, personne ne voulant témoigner – même les tenancières de maisons de passe - aux risques de finir six pieds sous terre. Pauvre Vic Atkinson, trop curieux, fureteur, observateur et détective intègre dans un milieu où les coups bas, les bakchich et le silence faisaient office de loi sacrée. Il finira au fond d'une ruelle sordide de San Francisco, la tête défoncée par une batte de base ball, arme favorite de la pègre de l'est des États-Unis. « Baltimore. Son premier boulot, à treize ans, en sortant de la Polytechnic Grammar School. Son père était tombé malade et Hammett, pour faire bouillir la marmite, avait trouvé une place de garçon de courses à la compagnie de chemin de fer B&O, dans les bureaux de Charles et Baltimore Streets. Il était en retard pour venir travailler, comme d'habitude, et avait pris un raccourci en coupant par les voies. Il avait alors trébuché sur le cadavre d'un garde-frein écrasé par une locomotive de manœuvre. Sa tête avait le même aspect que celle de Vic : entière, mais curieusement déformée, presque molle, aussi flasque qu'un sac de pommes de terre. […] Une triste façon de mourir ».

Entre deux séances de soûlographie, Dash Hammett se demandera s'il est réellement responsable de la disparition de son ami après son refus catégorique de l'assister dans ses investigations, où si sa mort n'était qu'un concours de circonstance, comme la fin programmée qui nous attendait tous un jour où l'autre, et contre laquelle on ne pouvait rien. Pris de remords et rempli d'alcools de contrebande, Hammett se décidera à tirer toute cette affaire au clair et de faire le ménage dans le milieu de la police. Une façon aussi de venger la disparition de Vic Atkinson et de prévenir ceux qui avaient commandité son meurtre qu'ils seraient pourchassés sans répit. « Hammett traversait le carrefour désert en titubant, la bouteille à la main. Pop referma la fenêtre. Il frissonna comme s'il était en train de prendre froid. Que Dieu protège celui qui avait tué Vic Atkinson ».

En écrivant « Hammett », Joe Gores a voulu faire revivre un personnage de légende du roman noir américain – Samuel Dashiell Hammett -, auteur du « Faucon de Malte » et de « Sang maudit », entre autres. C'est lui qui a érigé les histoires de détectives privés populaires au rang de genre littéraire à part entière. Dans « Hammett », c'est un Dash Hammett devenu romancier qui reprend – un temps – son pardessus d'enquêteur pour mettre à jour et dénoncer la corruption qui régnait dans les rangs de la police et de la justice de San Francisco dans les années 1920.

Dans ce roman, Joe Gores fait œuvre d'hagiographe concernant le personnage principal, reprenant le parcours d'un homme singulier dans son décor d'origine, San Francisco. San Francisco, ville de l'ouest des États-Unis où tout s'achète et où tout se vend – les filles, l'alcool, la drogue, l'intégrité, les mandats -, où les politiciens côtoient d'un peu trop près la pègre locale, où les bootleggers tiennent le haut du pavé. San Francisco où la prostitution et les maisons closes ont pignon sur rue et sont protégées – moyennant finance – par la police locale. Et Hammett se saoule pour oublier la perte tragique de son ami. Il traîne sa carcasse de Chinatown aux quartiers les plus huppés des hauteurs de la ville. Il tente, tant bien que mal, de concilier l'écriture de ses romans en s'inspirant de son passé et des personnes rencontrées tout en poursuivant ses investigations.

Grâce à « Hammett » de Joe Gores le lecteur retrouve l'ambiance offensive de la prohibition, l'atmosphère de ces fameux speakeasies qui ont fleuri à cette même période avec un soupçon de jazz en toile de fond, le blues, le charleston, la contrebande, les garçonnes émancipées, la guerre des gangs qui se déplace de Chicago à San Francisco. C'est aussi l'occasion de découvrir un autre Dash Hammett, plus tout à fait détective privé, pas encore le célèbre écrivain du « Faucon de Malte » incarné au cinéma par Humphrey Bogart. Quant à l'histoire, le lecteur pourrait être (presque !) surpris de se trouver nez à nez avec un certain Big Al, bien connu à Chicago !

En lien, un traduction de l'article de Wikipedia sur Samuel Dashiell Hammet.


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6 commentaires:

Dominique a dit…

Que voilà une belle idée, sympathique réjouissante, Hammet c'est vraiment le polar à l'état pur et le retrouver en héros d'une histoire qu'il aurait pu écrire...j'aime bien les effets de miroir en littérature
J'ai toujours des hauts et des bas dans la lecture de polar, parfois je dévore et parfois j'ai une énorme impression de redite
je vais sans doute me laisser aller pour celui là histoire de rêver un peu à Bogart
Ou alors tient revisionner ce soir "le Faucon Maltais"

emmyne a dit…

Ah, Humphrey Bogart et Hammet...Quelle bonne idée cette lecture et se (re)plonger dans un pur roman noir made in USA avant !

Aifelle a dit…

Je lis le commentaire de Dominique et contrairement à elle, je suis plutôt en overdose sur ce genre de thème et de personnages, je n'ai pas envie d'y revenir en ce moment.

Kathel a dit…

Une idée originale, rien que pour le San Francisco des années 20 ou 30, cela fait déjà envie ! Et Hammett en plus...

Nanne a dit…

@ Dominique : Joe Gores a rendu un hommage appuyé à Dash Hammett en écrivant ce livre entre roman et biographie. On (re)découvre un auteur majeur du roman noir américain, qui a influencé les futurs grands du genre ... Dans cet ouvrage, c'est un Hammett plus tout à fait détective, mais pas encore totalement écrivain que l'on retrouve. Avec, en toile de fond, le San Francisco des années folles et la guerre des gangs ! Vraiment à lire et à donner envie de continuer ...

@ Emmyne : Avec ce roman, on ne peut pas faire autrement que de se (re)plonger le nez dans nos classiques du roman noir américain, que ce soit avec Hammett ou Chandler ! Le plaisir sera au rendez-vous ...

Nanne a dit…

@ Aifelle : Il y a un temps pour tout ! Et je te comprends très bien ... Mais, j'ai déjà prévu de présenter un tout petit livre de Dash Hammett concernant le McCarthysme et la chasse aux sorcières dont il a fait les frais dans les années 1945. Celui-ci te donnera peut-être plus envie de découvrir cet auteur ?!

@ Kathel : Si tu aimes particulièrement cette période aux États-Unis, elle est très bien rendue dans ce roman. L'auteur a fait des recherches poussées pour situer au mieux les lieux que fréquentaient Hammett dans les années 1920 à San Francisco. C'est une belle reconstitution de l'atmosphère de cette époque ... Et, en plus, avec Hammett en guide !