- Ivanhoé à la rescousse – William Makepeace Thackeray – Le Castor Astral Éditions
« Vous, chères jeunes dames, qui puisez votre savoir dans les rayons du bibliobus, vous seriez portées à croire que, sitôt que le but est atteint, qu'Emilia a rejoint le Comte ravi dans son cabriolet tout neuf ou que Belinda, s'étant dégagée des étreintes larmoyantes de son excellente mère, peut sécher ses adorables yeux sur le gilet palpitant de son jeune époux, vous seriez portées à croire, dis-je, que tout est terminé, qu'Emilia et le Comte couleront des jours heureux jusqu'à leur dernier soupir dans le romantique château que Sa Seigneurie possède dans les Highlands, et que Belinda et son jeune clergyman jouiront d'un bonheur sans nuages dans leur presbytère treillagé de roses, sur la côte occidentale de l'Angleterre. Mais il se trouvera parmi les lecteurs, des individus âgés, certes, mais expérimentés, qui ne se contenteront pas de si peu. Car certains, qui sont mariés, estiment qu'ils ont encore deux ou trois choses à voir et à faire en ce bas monde, et peut-être même à endurer, et que les aventures, les souffrances, les plaisirs, les impôts, les levers et les couchers de soleil, et les diverses péripéties ne s'arrêtent pas avec la cérémonie nuptiale ».
En écrivant « Ivanhoé à la rescousse », William Makepeace Thackeray souhaitait donner une suite au célébrissime roman chevaleresque de Sir Walter Scott, « Ivanhoé ». Frustré qu'il était de voir cette fresque historique s'interrompre pour le moins brutalement avec l'union de Sir Wilfrid d'Ivanhoé et de Lady Rowena, William Thackeray va se charger de nous raconter la suite. Ou, tout au moins, sa suite !
Tous deux désormais retirés sur leurs terres du comté du Yorkshire, Ivanhoé et Rowena auraient pu couler des jours paisibles, entourés de leur cour. Sauf que le souvenir de Rebecca – fils d'Ysaac d'York, riche marchand juif – vient pourrir le quotidien de ce couple idyllique. En effet, Lady Rowena est une vraie bête à Bon Dieu, une bigote hors catégorie. Au point de rendre le bouffon Wanda neurasthénique. Bref, Lady Rowena, jalouse comme un pou, ne ratait jamais une occasion de culpabiliser Ivanhoé. « Par exemple, si Gurth, le porcher, qui avait été promu garde-chasse et officier des eaux et forêts, signalait la présence d'un sanglier dans les bois et proposait une chasse, elle déclarait alors : « Allez-y, Sir Wilfrid, persécutez ces pauvres cochons : vous savez bien que vos amis les Juifs ne peuvent pas les souffrir ! » Ou si, comme cela arrivait souvent, Richard, le monarque au cœur de lion, dans le but d'obtenir un prêt ou un don des capitalistes hébreux, rôtissait une poignée d'entre eux ou bien faisait sauter les molaires des rabbins, alors Rowena exultait et s'écriait : « Ils ne l'ont pas volé, ces misérables ! ».
Et impossible pour lui de compter sur Lord Robin de Huntingdon, alias Robin des Bois. Celui-ci était encore plus étriqué moralement que Lady Rowena. Aussi, lorsqu'Ivanhoé décide de rejoindre Richard Cœur de Lion devant Châlus, Lady Rowena – dans son hystérie religieuse – se voit déjà en veuve éplorée. « Rowena, debout sur les marches du château, entonna une série de prières et de bénédictions particulièrement édifiantes, pendant que son seigneur enfourchait sa jument et que ses écuyers le menaient au pont-levis. – Car c'est le devoir de la femme britannique, lança-t-elle, d'être prête à tout supporter – tout – pour le service de son souverain. Et tant que dure la campagne, elle doit ignorer la solitude et même se préparer au veuvage, à l'abandon et à un avenir incertain ». C'est en tant que veuve quasi-officielle que cette dernière se consolera et convolera avec le cousin d'Ivanhoé, Athelstane. Au bout de maintes péripéties, toutes plus rocambolesques les unes que les autres en compagnie de Richard Cœur de Lion, Sir Wilfrid d'Ivanhoé reviendra sur ses terres dans la plus grande indifférence.
Mais la vengeance est un plat qui se mange froid, et l'infâme Jean sans Terre, fera mettre Lady Rowena au cachot pour se venger de la fidélité d'Ivanhoé à son roi. Avant de retourner en Terre Sainte chasser le mécréant et tenter de retrouver Rebecca, Lady Rowena lui fera tenir une promesse qui ne coûte pas cher et fait beaucoup de bien aux âmes en peine. « Quelle scène sublime ! Et quel lit de mort ! J'ai l'impression d'avoir créé tout ça moi-même pour que cette noble dame et moi puissions nous quitter en paix ! Imaginez l'arrivée d'Ivanhoé – leurs retrouvailles – le visage épuisé de Rowena qui rougit légèrement – la manière pathétique dont elle lui confie le petit Cédric en lui demandant de promettre de s'en occuper. – Wilfrid, mon premier amour, soupira-t-elle, le souffle court, en repoussant une mèche de cheveux gris qui tombait sur son front ridé et en regardant d'un air plein de tendresse le garçonnet assis sur les genoux d'Ivanhoé, accorde-moi, par saint Waltheof de Templestowe, accorde-moi une dernière faveur ! – Je te donne ma parole, dit le vaillant chevalier en pensant qu'elle attendait sa promesse de veiller sur son enfant. – Par saint Waltheof ? – Par saint Waltheof ! – Promets-le moi, alors, gémit Rowena en le suppliant des yeux, promets-moi que tu n'épouseras jamais une Juive. – Tu ne crois pas que tu exagères ? Enfin … Je te le promets par saint Waltheof … Que se passe-t-il, Rowena ? ».
« Ivanhoé à la rescousse » est tout sauf un livre sérieux. Reprenant le goût immodéré de ses compatriotes pour les romans de chevalerie et une certaine nostalgie pour le Moyen Âge romanesque, William Thackeray a décidé de se moquer d'une certaine société anglaise.
Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'en forçant à peine le trait, il nous donne à lire une parodie satirique qui tourne en dérision le roman chevaleresque dont Walter Scott était un des maîtres incontestés au 19ème Siècle.
Ici, Richard Cœur de Lion, Ivanhoé ou Robin des Bois et tous les héros au grand cœur, à la générosité sans bornes et ardents défenseurs des plus faibles, sont croqués comme une bande de serial killers, alcooliques, maniaco-dépressifs ou encore mystiques étriqués.
Dans « Ivanhoé à la rescousse », William Makepeace Thackeray laisse libre-cour à sa fantaisie burlesque et à son imagination débordante. Sous sa plume, Richard Cœur de Lion se transforme en tueur sanguinaire et libidineux, sans foi ni loi, se vautrant dans des orgies alimentaires et alcooliques. Même Robin des Bois est devenu un juge pire que le sheriff de la forêt de Sherwood.
Une fois n'est pas coutume, William Thackeray nous fait passer un trop court moment de lecture drolatique et jubilatoire où les scènes de massacres sont entrecoupées de tournées de bières pour tout le monde et où les happy end prennent des tournures de tarte à la crème.
D'autres blogs en parlent : Isleene, Sylvia, Chiffonnette, Lilly, Yueyin, Folfaerie, Fashion ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un petit mot.
6 commentaires:
Est-il au moins aussi drôle que ton billet ce livre ? Parce que tu m'as bien fait rire dès le matin... mais je n'ai même pas lu "Ivanhoé", c'est terrible...
je redonde je redonde sur le billet d'Ys, moi non plus je n'ai pas lu Ivanhoé, j'ai juste le film en tête, ton billet est extra d'humour et de verve
un livre manifestement amusant à garder dans un coin de sa LAL
J'ai adoré cette parodie : c'est absolument réjouissant et très bien vu !
Ton billet est extra, et rend un bel hommage à ce livre dont je garde un très bon souvenir. Thackeray est un auteur que j'adore, et auquel je devrais revenir plus souvent.
@ Ys : Je te rassure de suite, j'ai quand même beaucoup ri en imaginant certaines scènes décrites par Thackeray dans son "Ivanhoé" revu et corrigé ! Cela est très proche des parodies des Monthy Python Sacré Graal ... Et rien que pour cela, il mérite largement le détour. En plus, c'est un tout petit roman qui se lit d'une traite.
@ Dominique : Pas besoin d'avoir lu "Ivanhoé" de Scott pour lire la suite largement imaginée par Thackeray ! Il y a une telle différence entre les deux mêmes personnages que le seul point commun dont ils disposent, est leur nom ;-D C'est un roman chevaleresque pastiche qui met du baume au cœur et fait passer un (trop) court moment de joie littéraire.
@ Cécile : C'est tout à fait cela, ce roman de Thackeray ! C'est réjouissant et bien ressenti avec un cynisme implacable et une grande finesse d'esprit. Vraiment à lire et relire les jours de spleen ;-D
@ Lilly : Merci pour ton compliment. C'est un petit roman que j'ai trouvé absolument désopilant ! Et j'ai bien l'intention de persévérer avec William Thackeray, particulièrement avec son "Livre des snobs". Je crois que le titre est en lui-même tout un programme ...
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