- L'ami retrouvé - Fred Uhlman - Folio n° 1463
"Il entra dans ma vie en février 1932 pour n'en jamais sortir. Plus d'un quart de siècle a passé depuis lors, plus de neuf mille journées fastidieuses et décousues, que le sentiment de l'effort ou du travail sans espérance contribuait à rendre vides, des années et des jours, nombre d'entre eux aussi morts que les feuilles desséchées d'un arbre mort". Hans Schwarz, avocat new yorkais d'origine allemande, a toujours tout fait pour oublier sa langue maternelle. Il ne lit plus aucun auteur allemand, lui qui voulait devenir poète comme Schiller ou Hölderlin. Il évite, dans la mesure du possible, de rencontrer des Allemands. Non pas qu'il les déteste. Il tente simplement d'oublier un passé douloureux. Mais le passé est toujours là, tapi dans un coin de votre mémoire, à vous guetter, prêt à se manifester au moindre événement.
Lorsque le jeune Hans Schwarz rencontre pour la première fois Conrad Graf von Hohenfels, celui-ci sait que sa vie ne sera plus comme avant. Pour Hans, cette rencontre est comme un coup de foudre, une passion, une attirance. Lui qui n'a jamais eu d'amis jusqu’à présent, décide que Conrad sera le premier. Il a seize ans, il étudie dans le meilleur lycée de Stuttgart, il est le fils d’un médecin juif, mais Hans Schwarz prend soudain conscience que Conrad va bouleverser sa morne et ronronnante existence bourgeoise. Sans le savoir, Conrad von Hohenfels vient de mettre un coup de pied dans l’édification d’une vie sans surprise, plate, insipide et transparente. Comment faire pour montrer à un Hohenfels que l’on existe, particulièrement quand votre ascendance n’a rien de glorieux ou d’historique, surtout quand vous êtes issu d’un sombre ghetto juif d’Europe centrale ? « Qui donc étais-je pour oser lui parler ? Dans quels ghettos d’Europe mes ancêtres avaient-ils croupi quand Frédéric von Hohenstaufen avait tendu à Anno von Hohenfels sa main ornée de bagues ? Que pouvais-je donc, moi, fils d’un médecin juif, petit-fils et arrière-petit-fils d’un rabbin et d’une lignée de petits commerçants et de marchands de bestiaux, offrir à ce garçon aux cheveux d’or dont le seul nom m’emplissait d’un tel respect mêlé de crainte ? ».
S’il n’a encore aucune idée précise quant à son avenir, Hans Schwarz possède une haute opinion de l’amitié. Elle ne peut être que romanesque, fabuleuse, sublime, pure et exclusive, unique, totale, entière. Pour un ami, Hans donnerait tout. Même sa propre vie. Et pourquoi Conrad ne deviendrait-il pas cet ami tant attendu, tant désiré, tant rêvé ? Et ce songe, presque une utopie, va devenir une réalité trop belle pour durer. Ensemble, ils partageront une amitié et une intimité magnifiées. Les paysages de la Souabe et du Neckar serviront de décor à cette relation exceptionnelle, indéfectible, idyllique entre Hans et Conrad. « Nous allions parfois dans la Forêt-Noire, où les sombres bois, qui exhalaient l’odeur des champignons et des larmes ambrées des lentisques, étaient émaillés de ruisseaux à truites sur les rives desquels se dressaient des scieries. Il nous arrivait aussi de gagner les sommets montagneux et, dans les bleuâtres lointains, nous pouvions voir la vallée du Rhin au cours rapide, les Vosges bleu lavande et la flèche de la cathédrale de Strasbourg ».
Ensemble, ils débattront de sujets importants – telle que la place de la religion dans la société, ou bien plus futiles et légers comme les filles qui commençaient à les fasciner. Ils auraient pu rester ainsi, deux adolescents épris d’absolu, en quête d’une amitié sincère, authentique, conforme à leur sensibilité, à leur lyrisme, à leur enthousiasme. Si l’histoire et les événements politiques les sépareront physiquement, leur sentiment, leur affection, leur attachement l’un pour l’autre perdurera au-delà même de la vie. "Ainsi se passaient les jours et les mois sans que rien ne troublât notre amitié. Hors de notre cercle magique venaient des rumeurs de perturbations politiques, mais le foyer d’agitation en était éloigné : il se trouvait à Berlin, où, signalait-on, des conflits éclataient entre nazis et communistes. Stuttgart semblait aussi calme et raisonnable que jamais. De temps à autre, il est vrai se produisaient des incidents mineurs ».
"L'ami retrouvé" de Fred Uhlman est sans aucun doute un des plus beaux livres sur l'amitié jamais écrit. C’est l’histoire d’une amitié par-delà les différences sociales, morales, religieuses ou politiques. En racontant la relation fusionnelle entre Hans Schwarz et Conrad von Hohenfels, l’auteur nous convie à une réflexion sur la force de l’amitié vraie. Parce qu’en lisant attentivement ce court récit sur un moment aussi bref de l’existence des deux personnages principaux, le lecteur ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec « La confusion des sentiments » de Stefan Zweig.
Sauf que dans « L’ami retrouvé », ce sont deux garçons en pleine adolescence qui se rencontrent, se découvrent, se reconnaissent l’un dans l’autre et font l’expérience de l’exclusivité dans la relation amicale. Cette amitié sublimée, placée sur le piédestal du romantisme, idéalisée, exigeante et parfait, sera malmenée, chahutée par les remous de la politique et de l’histoire. Il peut paraître curieux au lecteur que Fred Uhlman parle des sentiments amicaux de la même façon qu’il traiterait des émotions amoureuses. Mais tel est le cas entre Hans Schwarz et Conrad von Hohenfels. On a l’impression qu’ils forment un couple d’amoureux platoniques mus par des sensations exaltées, à la fois tendres et fougueuses, entre jalousie et indifférence, passionnées et tourmentées. Hans s'est trouvé dans Conrad. Conrad s'est reconnu chez Hans. L'osmose est parfaite.
Cette amitié aura bien du mal à résister à un environnement social et familial hostiles. Parce que tout – ou loin s’en faut – les oppose. Hans est juif, Conrad, protestant. L’un est un simple citoyen, l’autre aristocrate issu d’une très vieille famille allemande. L’un est étranger aux mouvements politiques du pays, l’autre y est influencé par son milieu. Tous deux savent que les circonstances vont entraver leur histoire et l’entraîner vers une chute inexorable.
J’ai très souvent lu et relu « L’ami retrouvé », jusqu’à en connaître certains passages par cœur. C’est une petite pépite de la littérature. A chaque lecture, j’y retrouve toujours les mêmes émotions. C’est dire la puissance évocatrice de ce récit ! « Tous deux savions que les choses ne seraient jamais plus comme avant et que c’était le commencement de la fin de notre amitié et de notre enfance ».
D'autres blogs en parlent : Amandine, Alice, Jenny, Minyu, Mimi Pinson, Irlandaise, Majanissa, Patacaisse, Le petit mouton, Agnès, Elora, Messaline, Nathouc, Tamara, Réno (CD), Angel-A, Fleur, Dominique (CD), Calypso, Sylvie (Le boudoir des livres), Nanet, Praline, Babelio ... D'autres, peut-être, que j'ai sans doute oublié ?! Merci de vous faire connaître par un petit mot.
Je ne saurais terminé ce billet, par une vidéo qui est un extrait du film éponyme qui est enfin sorti en DVD en 2010. Pour ceux et celles qui ne l'auraient pas vu, le film est aussi réussi que ce récit est beau et touchant.
10 commentaires:
Je l'ai lu aussi et j'avais adoré ce petit bouquin.
J'ai l'impression que ce livre manque à ma culture... Je vais le noter pour une prochaine virée en bibliothèque !
@ Belle de nuit : Je lis et relis régulièrement ce récit merveilleux sur l'amitié, et à chaque fois c'est un bonheur immense ... J'ai aussi les deux autres livres de Fred Uhlman que je vais présenter ! Pour donner envie de continuer ;-D
@ Kathel : Tu le trouveras très facilement, que ce soit au rayon adulte ou adolescent ... C'est un petit récit que je compare souvent à "La confusion des sentiments" de Stefan Zweig ! Ils sont aussi beaux l'un que l'autre.
un récit dont on est jamais lassé
je l'ai lu, relu avec mes trois filles, écouté en livre audio et j'attends avec impatience le moment où mon petit fils va être en âge de le lire ...un petit chef d'oeuvre indispensable
Kathel : aucun hésitation lis le !!!
J'ai beaucoup aimé cette histoire (et sa suite, tout autant). J'ignorais qu'un film en avait été tiré. Je vais voir si je peux me le procurer.
Un grand classique. Je l'ai lu et fait lire aux enfants. mais je devrais le relire.
Je n'ai toujours pas lu ce livre ! Une grosse grosse lacune...
@ Dominique : C'est exactement cela, un livre dont on ne se lasse jamais ... Il y en a quelques-uns comme ça ! Et de le lire et le relire est toujours une source infinie de bonheur ...
@ In Cold Blog : En fait, Fred Uhlman a écrit trois livres, dont "Il fait beau à Paris, aujourd'hui" et "Lettre de Conrad". Le premier est avant "L'ami retrouvé" ; le second est sa réponse ... Dans tous les cas, les trois sont absolument à lire pour la beauté de l'écriture. Et il y a eu un film, intitulé "L'ami retrouvé" en 1989. Il vient de sortir en DVD (2010), mais en version de l'époque (qualité très moyenne). Ce film est à voir absolument, car il est très proche du récit (c'est Erwin Piscator qui a écrit les dialogues !).
@ Yv : Personnellement, je le lis et le relis régulièrement depuis très longtemps ... C'est un très beau récit autour d'une amitié vraie et absolue. Il passe de génération en génération sans prendre une ride !
@ Margotte : Dans le même club que Kathel, alors ;-D Laisse-toi tenter par ce court récit et tu risques d'être happée par son histoire ... Et comme je l'ai rappelé à ICB, il y a deux autres livres qui prolongent cette histoire.
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