7 septembre 2009

QUE D'EAU ! QUE D'EAU !

  • Les yeux dans le bouillon - Broquet & Rabaté - Casterman Éditions


"Je pourrais vous causer de l'inondation de 17, la plus grosse ... de l'eau à perte de vue, du fleuve devenu large comme l'Amazone, des gens sur leur lit emportés par le courant pendant leur sommeil et se réveillant en pleine mer ... Mais tout ça, c'est de l'immense, du rare ! Je préfère vous parler des perfides, des petites, des sans-grades, des perverses comme celle de 54 ...".

Une famille du terroir débarque dans un patelin perdu au bout du monde, sur une presqu'île des bords de Loire. Visitant le village et se pâmant sur les quelques merveilles locales et le paysage alentour, ils tombent sur un paysan madré, ivrogne notoire et conteur à ses heures perdues qui accepte de leur narrer quelques histoires sur les montées de la Loire moyennant quelques verres de vin blanc du pays.

1954. Émile est l'homme à tout faire du village. Il aurait tout pour être heureux, sauf que la terre de son jardin est une vraie calamité. Les seules herbes qui y poussent sont le chiendent. Et encore ! Mais il a trouvé la solution à moindre frais. En douce, il échange la terre pourrie de son lopin contre celle - plus fertile - du cimetière à chaque enterrement. Sauf qu'une nuit, alors que le pauvre Émile vaquait à son
coupable échange avec la tombe de la Marie Tumela à peine inhumée, voilà que le cercueil remonte à la surface. Émile, un brin naïf, est persuadé d'être puni pour avoir péché. Aussi, lorsqu'il entend le cercueil de la vieille frapper à sa porte, il est convaincu que la Marie le pourchasse outre-tombe pour sa faute.

1965. Un couple de parisiens au bord de la crise de nerfs est venu s'installer dans le coin, histoire de retrouver une seconde jeunesse. Au lieu de cela, Monsieur se prend d'amitié pour la bibine locale et décide d'écumer les propriété vinicoles de la région afin de déguster du Savennières et monter sa cave à vins personnelle. De disputes en engueulades sans fin, les Biot décident de ne plus communiquer que par petits mots interposés. Jusqu'au jour où la crue de la Loire les pousse à quitter précipitamment leur nid d'amour. Sa Peine-à-jouir veut sauver ses frusques, lui ses bouteilles. Elle le quitte les pieds dans l'eau ; il embarque ses trésors dans des bouées et navigue sur le fleuve. Il croit les avoir sauvé jusqu'à sa rencontre impromptue avec des fils barbelés.

1972. Le père Millon a vendu son garage à deux illuminés, pratiquant la culture du haschich. Pas violents pour deux sous, ils passent leur temps à rêvasser, à fumer des pétards, à poétiser en regardant le ciel étoilé, à prendre le temps de ne rien faire et à faire jaser au village. Mais une nouvelle montée des eaux de la Loire capricieuse impose au maire du village l'obligation de les faire évacuer avec leur campement. Eux décident de rester et de bivouaquer sur le toit du garage du père Millon en attendant la décrue. Mais la Loire monte, monte, monte envoyant les deux Apaches au paradis des Braves. Comme à Woodstock, la pluie diluvienne éteindra le feu de leur rêve de paradis sur Terre.

"Les yeux dans le bouillon" de Broquet et Rabaté nous raconte l'histoire
abracadabrantesque des crues de la Loire dans une bande dessinée non moins psychédélique. Les personnages sont déformés, transformés, leur donnant un aspect presque fantastique à la limite du cauchemar. Ajouter à cela, des couleurs dans les tons vert, rouge violacé, jaune orangé ou rose pétard au crayonné appuyé et faussement naïf, et vous aurez entre les mains une des meilleures bandes dessinées du genre. Parce que "Les yeux dans le bouillon" tourne autour de tranches de vie - réelles ou fantasmées - ayant pour dénominateur commun les débordements imprévisibles de la Loire. Cette bande dessinée nous révèle un univers à la Marcel Aymé, cruel, pathétique, médiocre, à l'ambiance délétère, où l'autochtone est un vieux de la vieille, rusé comme un renard, qui attrape le touriste en goguette dans le coin pour lui conter ses fables à dormir debout dignes de Maupassant et se faisant payer à coup de bonnes bouteilles de Savennières dans le seul café du village. Après avoir lu "Les yeux dans le bouillon" vous ne verrez plus jamais les locaux du même œil !

2 commentaires:

Muad' Dib a dit…

Coucou Nanne, je n'aime pas trop ce genre de dessin trop carricatural à mon goût et je regrette vraiment que tu ne mettes pas plus de photos ...
Elles étaient pourtant si belles sur ton autre blog.
Gros bisous et très bonne soirée,

Nanne a dit…

@ Muad'Dib : Pour la BD, j'ai aimé les couleurs criardes et le ton sur lequel étaient racontées ces histoires délirantes sur les crues de la Loire ! Pour les photos, je te rassure, je vais me dépêcher d'en remettre quelques-une qui sont réussies (à mon goût !) ... Belle semaine à toi !