- La nudité des femmes - Wlodzimierz Odojewski - Les Allusifs Éditions n°073
"Une grisaille veloutée baignait la vallée en même temps que les fines gouttelettes de pluie, le brouillard se formait au-dessus de la rivière. Cependant, il faisait encore suffisamment clair pour bien regarder les femmes. Mais les avait-il vraiment regardées ? Avait-il bien tout vu ? Avait-il vu quoi que ce fût ? Combien de fois par la suite a-t-il tenté de se persuader qu'à cette heure on ne voit pas grand-chose, ou bien que dans la lumière diffuse du soir les choses prennent les formes les plus invraisemblables, voire repoussantes, et ne doivent nullement être vraies". Deux nouvelles composent "La nudité des femmes" pour raconter l'éveil à la volupté et au corps de la femme en 1941 dans un village de Galicie sous occupation allemande, vue par Marek, un garçon de douze ans qui quitte - petit à petit - le monde paisible et innocent de l'enfance pour entrer dans celui, plus réaliste et plus passionné, de l'adulte en devenir.
Dans la première nouvelle, "La nudité des femmes" - titre éponyme - Marek et Wictor son frère aîné, sont confrontés à un pogrom qui balaie une partie de la population du village. D'un coup, ce lieu si vivant, si animé, si dynamique va se vider d'une partie de ses habitants et se réduire à une localité figée, au silence lourd et pesant. Seulement, les enfants sont ce qu'ils sont, curieux, avides de savoir ce que les adultes leur cachent et intrigués de ne pas comprendre une situation, même dramatique. Aussi, se dépêchent-ils de se rendre à l'ancienne sablière. Et là, Wiktor et Marek découvrent un amas de corps enchevêtrés les uns aux autres. Corps d'hommes, d'enfants, de vieillards. Et de femmes. Les deux frères essaieront d'enfouir cette vision d'épouvante en se terrant dans un mutisme total. Un corps de femme, à douze ans, devient un objet de fantasme et d'imagination, de crainte et d'obsession, de désir et de trouble, même pendant une guerre. C'est Karola, la cousine de Marek, qui l'éveillera inconsciemment à cette sensualité, en lui demandant de l'aider à choisir une robe pour sa représentation de la Vierge Marie. En voyant sa cousine essayer différentes robes, se vêtir, se dénuder devant lui, dans la pénombre de la chambre de leur grand-mère et dévoilant les courbes naissantes de ce corps évoquant la féminité, Marek semblera plongé entre rêve et cauchemar, entre douce réalité d'un sein effleuré et horreur terrifiée des corps mutilés découverts dans la fosse. "Les robes qu'elle sortait pour les essayer devait avoir de nombreuses années, il n'avait jamais vu sa grand-mère les porter, il n'avait d'ailleurs jamais vu personne en porter, leur coupe correspondait à une mode qu'il ne connaissait que par les photographies, et au début cela lui sembla même assez amusant de regarder sa cousine les essayer, les enfiler par-dessus son chandail et sa jupe, se regarder chaque fois attentivement dans le miroir, puis les ôter par le haut ou par le bas, mettre la suivante, se regarder à nouveau sous toutes les coutures, prenant à l'occasion diverses poses étranges : elle levait les bras, se dressait sur la pointe des pieds, bombait le torse et rentrait le ventre, ou bien rentrait le torse et gonflait le ventre, et pendant ce temps, les mines qu'elle faisait étaient encore beaucoup plus étranges que ses poses".
Avec "Le Cirque", c'est l'arrivée d'une troupe de saltimbanques dans leur village au début de l'automne qui intriguera Marek, Wiktor et Karola. L'installation de ce petit chapiteau presque minable aurait pu passer complètement inaperçu aux yeux de Marek si celui-ci n'avait pas été fasciné par la présence de deux sœurs françaises et lilliputiennes - Simone et Jacqueline - écuyères de leur état. A douze ans, se sont les premiers sentiments amoureux qui naissent en lui, alors même qu'il ne peut expliquer ce phénomène étrange pour un garçon de son âge. Pour ces deux êtres singuliers, hors normes, Marek se sent prêt à tout, à ne plus se rendre à l'école clandestine pour étudier, à se faire embaucher par ce cirque minable pour rester à leur côté.
Et lorsque Simone et Marek font connaissance, c'est comme si un univers nouveau s'ouvrait à lui. Pour ne pas paraître idiot et se valoriser face à Simone la lilliputienne, Marek s'invente une vie de voyages dans des pays où il n'a jamais mis les pieds, sauf à travers ses lectures et son imagination. Continuellement, Marek sera tiraillé entre ses obligations d'enfant confronté à un monde d'adultes dur, coincé entre recherche de nourriture et crainte d'une arrestation pour activité clandestine, et son désir brûlant de voler du temps pour retrouver Simone, son premier amour. Simone qui lui offrira ses premiers émois amoureux et la jouissance d'un baiser posé sur ses lèvres. ""Je vous plais ?" lui demande-t-elle soudain, mais il ne sait que répondre, il cherche les mots qui conviennent, ne les trouve pas et se contente de quelques balbutiements, elle se penche alors vers lui, pose les mains sur ses épaules, se redresse tout entière et l'embrasse sur la bouche. Elle lui demande encore une fois si elle lui plait, mais elle ne le vouvoie plus et il sait qu'il est encore plus incapable de lui répondre, alors, n'attendant manifestement pas de réponse, elle lui donne un deuxième baiser, puis un troisième, enfin elle le repousse doucement et ils restent assis côte à côte, elle ferme à nouveau les yeux et tourne son visage vers le soleil".
La littérature polonaise a cela d'extraordinaire qu'elle est capable de raconter au lecteur les drames et autres catastrophes historiques qui ont jalonné ce pays en les parant de la beauté d'une écriture poétique et laconique. Et "La nudité des femmes" de Wlodzimierz Odojewski parle de l'une des périodes les plus sombres, les plus lugubres pour la Pologne - l'occupation allemande en 1941 - raconté par Marek qui découvre la sensualité et s'initie au corps féminin. Alternant des passages difficiles et les réflexions de ce jeune garçon cherchant à comprendre les bouleversements psychologiques qu'il vit en partant à la rencontre de la Femme, "La nudité des femmes" est un recueil sur l'apprentissage des sens, du corps et de ses secrets, un ouvrage sur les tourments de l'amour aux prémices de l'adolescence. Dans une écriture singulière, monobloc, comprenant très peu de dialogues, l'auteur nous parle de ces rencontres amoureuses fortuites, de ces pensées érotiques naissant à l'adolescence et qui marquent - pour chacun de nous - le passage dans le monde des adultes.
Alice a adoré ce court recueil, Lau a été touchée par cette lecture, Choupynette a trouvé ce livre très agréable à lire malgré son style surprenant, Méria - que je remercie pour le prêt et la lecture de ce petit bijou de la littérature polonaise - a aussi aimé ce recueil, et un billet très détaillé chez Bartleby ... D'autres peut-être ?! Faites-vous connaître par un petit commentaire.
Dans la première nouvelle, "La nudité des femmes" - titre éponyme - Marek et Wictor son frère aîné, sont confrontés à un pogrom qui balaie une partie de la population du village. D'un coup, ce lieu si vivant, si animé, si dynamique va se vider d'une partie de ses habitants et se réduire à une localité figée, au silence lourd et pesant. Seulement, les enfants sont ce qu'ils sont, curieux, avides de savoir ce que les adultes leur cachent et intrigués de ne pas comprendre une situation, même dramatique. Aussi, se dépêchent-ils de se rendre à l'ancienne sablière. Et là, Wiktor et Marek découvrent un amas de corps enchevêtrés les uns aux autres. Corps d'hommes, d'enfants, de vieillards. Et de femmes. Les deux frères essaieront d'enfouir cette vision d'épouvante en se terrant dans un mutisme total. Un corps de femme, à douze ans, devient un objet de fantasme et d'imagination, de crainte et d'obsession, de désir et de trouble, même pendant une guerre. C'est Karola, la cousine de Marek, qui l'éveillera inconsciemment à cette sensualité, en lui demandant de l'aider à choisir une robe pour sa représentation de la Vierge Marie. En voyant sa cousine essayer différentes robes, se vêtir, se dénuder devant lui, dans la pénombre de la chambre de leur grand-mère et dévoilant les courbes naissantes de ce corps évoquant la féminité, Marek semblera plongé entre rêve et cauchemar, entre douce réalité d'un sein effleuré et horreur terrifiée des corps mutilés découverts dans la fosse. "Les robes qu'elle sortait pour les essayer devait avoir de nombreuses années, il n'avait jamais vu sa grand-mère les porter, il n'avait d'ailleurs jamais vu personne en porter, leur coupe correspondait à une mode qu'il ne connaissait que par les photographies, et au début cela lui sembla même assez amusant de regarder sa cousine les essayer, les enfiler par-dessus son chandail et sa jupe, se regarder chaque fois attentivement dans le miroir, puis les ôter par le haut ou par le bas, mettre la suivante, se regarder à nouveau sous toutes les coutures, prenant à l'occasion diverses poses étranges : elle levait les bras, se dressait sur la pointe des pieds, bombait le torse et rentrait le ventre, ou bien rentrait le torse et gonflait le ventre, et pendant ce temps, les mines qu'elle faisait étaient encore beaucoup plus étranges que ses poses".
Avec "Le Cirque", c'est l'arrivée d'une troupe de saltimbanques dans leur village au début de l'automne qui intriguera Marek, Wiktor et Karola. L'installation de ce petit chapiteau presque minable aurait pu passer complètement inaperçu aux yeux de Marek si celui-ci n'avait pas été fasciné par la présence de deux sœurs françaises et lilliputiennes - Simone et Jacqueline - écuyères de leur état. A douze ans, se sont les premiers sentiments amoureux qui naissent en lui, alors même qu'il ne peut expliquer ce phénomène étrange pour un garçon de son âge. Pour ces deux êtres singuliers, hors normes, Marek se sent prêt à tout, à ne plus se rendre à l'école clandestine pour étudier, à se faire embaucher par ce cirque minable pour rester à leur côté.
Et lorsque Simone et Marek font connaissance, c'est comme si un univers nouveau s'ouvrait à lui. Pour ne pas paraître idiot et se valoriser face à Simone la lilliputienne, Marek s'invente une vie de voyages dans des pays où il n'a jamais mis les pieds, sauf à travers ses lectures et son imagination. Continuellement, Marek sera tiraillé entre ses obligations d'enfant confronté à un monde d'adultes dur, coincé entre recherche de nourriture et crainte d'une arrestation pour activité clandestine, et son désir brûlant de voler du temps pour retrouver Simone, son premier amour. Simone qui lui offrira ses premiers émois amoureux et la jouissance d'un baiser posé sur ses lèvres. ""Je vous plais ?" lui demande-t-elle soudain, mais il ne sait que répondre, il cherche les mots qui conviennent, ne les trouve pas et se contente de quelques balbutiements, elle se penche alors vers lui, pose les mains sur ses épaules, se redresse tout entière et l'embrasse sur la bouche. Elle lui demande encore une fois si elle lui plait, mais elle ne le vouvoie plus et il sait qu'il est encore plus incapable de lui répondre, alors, n'attendant manifestement pas de réponse, elle lui donne un deuxième baiser, puis un troisième, enfin elle le repousse doucement et ils restent assis côte à côte, elle ferme à nouveau les yeux et tourne son visage vers le soleil".
La littérature polonaise a cela d'extraordinaire qu'elle est capable de raconter au lecteur les drames et autres catastrophes historiques qui ont jalonné ce pays en les parant de la beauté d'une écriture poétique et laconique. Et "La nudité des femmes" de Wlodzimierz Odojewski parle de l'une des périodes les plus sombres, les plus lugubres pour la Pologne - l'occupation allemande en 1941 - raconté par Marek qui découvre la sensualité et s'initie au corps féminin. Alternant des passages difficiles et les réflexions de ce jeune garçon cherchant à comprendre les bouleversements psychologiques qu'il vit en partant à la rencontre de la Femme, "La nudité des femmes" est un recueil sur l'apprentissage des sens, du corps et de ses secrets, un ouvrage sur les tourments de l'amour aux prémices de l'adolescence. Dans une écriture singulière, monobloc, comprenant très peu de dialogues, l'auteur nous parle de ces rencontres amoureuses fortuites, de ces pensées érotiques naissant à l'adolescence et qui marquent - pour chacun de nous - le passage dans le monde des adultes.
Alice a adoré ce court recueil, Lau a été touchée par cette lecture, Choupynette a trouvé ce livre très agréable à lire malgré son style surprenant, Méria - que je remercie pour le prêt et la lecture de ce petit bijou de la littérature polonaise - a aussi aimé ce recueil, et un billet très détaillé chez Bartleby ... D'autres peut-être ?! Faites-vous connaître par un petit commentaire.
13 commentaires:
Malgré mes origines polonaises, je ne lis jamais d'auteurs polonais. je pourrai peut-être commencer par celui-ci?! ton billet me tente en tous cas.
Je ne crois pas avoir déjà lu de littérature polonaise... Je note !
Voilà un livre qui me tente beaucoup et qu'elle bonne idée que deux histoires pour parler de cet éveil à la sexualité. je note aussi :)
Je ne suis pas sûre d'être tentée quant à moi.
Magnifique commentaire !
@ Lapinoursinette : C'est un comble que de ne pas lire les auteurs de son pays d'origine ;-D C'est vrai que les romanciers polonais sont peu connus en France et c'est bien dommage, car ils écrivent très bien. Ils sont occultés par les auteurs russes ... Celui-ci pourrait être une bonne introduction pour découvrir cet auteur. Ou alors "Une saison à Venise" du même auteur, mais plus drôle !
@ Liliba : C'est une petite lacune à combler ;-D Ce petit livre est très facile à lire, même si certains passages de la première nouvelle sont un peu difficiles ...
@ Geisha Nellie : Surtout que les deux nouvelles ont les mêmes personnages et se situent à une période identique ...
@ Manu : Je comprends très bien, car il y a des passages qui peuvent heurter, particulièrement dans la première nouvelle où se situe le pogrom ... Après, il y a tant de romans et d'auteurs à découvrir !
@ Méria : Merci pour ce compliment ... J'ai adoré ce petit livre de cet auteur peu connu en France ! J'ai "Une saison à Venise" où l'on retrouve encore Marek, le personnage principal de "La nudité des femmes". On verra si celui-ci me plaira autant que l'autre. Je te renvoie le livre dans la semaine ...
Non, non ! Propose le à quelqu'un plutôt !
@ Méria : Donc, je vais le garder encore un peu pour le proposer à d'autres lectrices ...
Rien que le titre et je suis tentée !
@ Théoma : Si tu veux le lire, je peux te le faire parvenir ! C'est un très court roman avec deux nouvelles qui se suivent et qui vaut vraiment la découverte ... Fais-le moi savoir ;-D
Ces deux nouvelles me tentent.
@ Cléanthe : Je suis sûre que ces deux nouvelles te plairaient ! Si tu veux le lire, je peux te le faire parvenir ...
Enregistrer un commentaire