- Le Portrait de Mr. W.H. - Oscar Wilde - Livre de Poche Classique n°14185
"C'était un portrait en pied d'un jeune homme en costume de la fin du XVIème Siècle, debout à côté d'une table, la main droite reposant sur un livre ouvert. Il paraissait avoir environ dix-sept ans, et était, de toute sa personne, d'une beauté absolument extraordinaire, bien que manifestement un peu efféminée. En vérité, n'eût été le costume et les cheveux coupés court, on eût dit que ce visage, avec ses yeux rêveurs et mélancoliques, et ses lèvres rouges et délicates, était celui d'une jeune fille. Par la facture, et en particulier par la façon dont étaient traitées les mains, cette peinture rappelait la dernière manière de François Clouet. Le pourpoint de velours rouge, aux pointes fantasquement dorées, et le fond bleu paon sur lequel il se détachait si agréablement, et qui lui faisait prendre une valeur de couleur si lumineuse, étaient bien dans le style de Clouet ; et les deux masques représentant la Tragédie et la Comédie, qui étaient suspendus un peu conventionnellement au piédestal de marbre, avaient cette dureté sévère de touche - si différente de la grâce facile des Italiens [...]". Alors qu'Oscar Wilde discute des supercheries littéraires avec Macpherson, Ireland et Chatterton - trois célèbres faussaires en la matière - celui-ci apprend de son hôte, Erskine, que le portrait qu'il possède et fascine tant le romancier n'est autre que celui du mystérieux Mr. W.H. pour lequel Shakespeare a dédié ses Sonnets parus en 1609. Cette énigme étonne d'autant plus l'auteur que celui-ci est persuadé que le dédicataire de ces poèmes n'était autre que Lord Pembroke. Bien que n'en croyant pas un mot, Oscar Wilde consent à écouter le récit de Erskine concernant la théorie d'un certain Cyril Graham à ce sujet.
Cyril Graham, personnage sensible, intelligent, cultivé et bien né, était persuadé avoir découvert qui se cachait derrière ce Mr. W.H. A force de recherches, de lectures assidues de ces Sonnets, il avait fini par percer ce secret et trouvé la solution en analysant le sens profond de ces vers. D'un coup, Cyril Graham avait balayé toutes les hypothèses alors en cours en explicitant pourquoi elles n'étaient pas fondées. Selon lui, ce ne pouvait être Lord Pembroke, les dates entre leur amitié et l'écriture des Sonnets par Shakespeare ne concordaient pas du tout. Et encore moins Lord Southampton qui était plutôt laid et ne ressemblait pas du tout à sa mère, comme cela était entendu dans les vers. De même, il avait écarté aussi aisément les erreurs dues à d'éventuelles fautes d'impression. Pour Cyril Graham, ce Mr. W.H. était une personne bien réelle, sans doute un comédien de la troupe de Shakespeare - la Blackfriars Theatre - pour qui il devait écrire les rôles de ses héroïnes dans ses célèbres pièces, les femmes ne jouant pas encore au théâtre à cette époque. "Il commença par insister sur ce que le jeune homme à qui Shakespeare adressa ses poèmes étrangement passionnés devait être quelqu'un qui fût un facteur réellement vital dans le développement de son art dramatique, ce que l'on ne pouvait dire ni de Lord Pembroke, ni de Lord Southampton. Et même, qui que ce fût, ce ne pouvait être un homme de haute naissance, ce qui ressortait clairement du sonnet XXV, dans lequel Shakespeare se pose en contraste avec ceux qui sont "les favoris des grands princes" [...]". Ainsi, ne trouvant pas trace de mystérieux Mr. W.H. - alias Willie Hughes - parmi les acteurs de la troupe élisabéthaine de Shakespeare, Cyril Graham va créer un faux grâce à cette peinture pour démontrer la véracité de sa théorie et tenter de convaincre Eskine de la justesse de sa conclusion. Ce dernier, choqué du comportement de son ami ne pourra admettre son hypothèse et le poussera indirectement au suicide. De son côté, Oscar Wilde - acquis à cette conclusion - reprendra l'analyse de Cyril Graham pour la faire connaître au grand public.
Quel texte que ce "Portrait de Mr. W.H." d'Oscar Wilde ! Court comme une nouvelle, mais dense, riche, foisonnant, passionnant et passionné comme son auteur, particulièrement pour les mystères à résoudre ou à créer. Et dans ce texte, Oscar Wilde part d'une énigme quasi insoluble pour les spécialistes des Sonnets de Shakespeare pour élargir son thème à l'art du faux et du mensonge, préalable - selon lui - à tout œuvre littéraire. En devenant auteur et acteur de son "Portrait de Mr. W.H.", Oscar Wilde en profite pour élaborer sa réflexion sur le sujet aussi délicat de la vérité mystifiée et arrangée pour servir la réalité d'une œuvre d'art ou la vie d'un personnage célèbre tel que William Shakespeare. A travers ce court roman, Oscar Wilde démontre qu'il maîtrise parfaitement la période artistique élisabéthaine ainsi que le texte de ces Sonnets, dans lequel Shakespeare déclare indirectement et pudiquement sa flamme et sa passion à un amour interdit et coupable, source de son inspiration pour l'écriture de ses pièces de théâtre. Ainsi, Wilde et Shakespeare se retrouvent sur un terrain commun, celui de l'homosexualité dissimulée, tue, enfouie pour conserver les apparences dans des sociétés à la morale stricte, victorienne pour l'un, élisabéthaine pour l'autre. Écrit dans les années 1888 - 1889, "Le Portrait de Mr. W.H." préfigure déjà la réussite littéraire d'un autre portrait, celui qui allait donner ses lettres de noblesse à Oscar Wilde, "Le Portrait de Dorian Gray". Éblouissant !
324 - 1 = 323 ouvrages qui se fossilisent dans ma PAL ...
Cyril Graham, personnage sensible, intelligent, cultivé et bien né, était persuadé avoir découvert qui se cachait derrière ce Mr. W.H. A force de recherches, de lectures assidues de ces Sonnets, il avait fini par percer ce secret et trouvé la solution en analysant le sens profond de ces vers. D'un coup, Cyril Graham avait balayé toutes les hypothèses alors en cours en explicitant pourquoi elles n'étaient pas fondées. Selon lui, ce ne pouvait être Lord Pembroke, les dates entre leur amitié et l'écriture des Sonnets par Shakespeare ne concordaient pas du tout. Et encore moins Lord Southampton qui était plutôt laid et ne ressemblait pas du tout à sa mère, comme cela était entendu dans les vers. De même, il avait écarté aussi aisément les erreurs dues à d'éventuelles fautes d'impression. Pour Cyril Graham, ce Mr. W.H. était une personne bien réelle, sans doute un comédien de la troupe de Shakespeare - la Blackfriars Theatre - pour qui il devait écrire les rôles de ses héroïnes dans ses célèbres pièces, les femmes ne jouant pas encore au théâtre à cette époque. "Il commença par insister sur ce que le jeune homme à qui Shakespeare adressa ses poèmes étrangement passionnés devait être quelqu'un qui fût un facteur réellement vital dans le développement de son art dramatique, ce que l'on ne pouvait dire ni de Lord Pembroke, ni de Lord Southampton. Et même, qui que ce fût, ce ne pouvait être un homme de haute naissance, ce qui ressortait clairement du sonnet XXV, dans lequel Shakespeare se pose en contraste avec ceux qui sont "les favoris des grands princes" [...]". Ainsi, ne trouvant pas trace de mystérieux Mr. W.H. - alias Willie Hughes - parmi les acteurs de la troupe élisabéthaine de Shakespeare, Cyril Graham va créer un faux grâce à cette peinture pour démontrer la véracité de sa théorie et tenter de convaincre Eskine de la justesse de sa conclusion. Ce dernier, choqué du comportement de son ami ne pourra admettre son hypothèse et le poussera indirectement au suicide. De son côté, Oscar Wilde - acquis à cette conclusion - reprendra l'analyse de Cyril Graham pour la faire connaître au grand public.
Quel texte que ce "Portrait de Mr. W.H." d'Oscar Wilde ! Court comme une nouvelle, mais dense, riche, foisonnant, passionnant et passionné comme son auteur, particulièrement pour les mystères à résoudre ou à créer. Et dans ce texte, Oscar Wilde part d'une énigme quasi insoluble pour les spécialistes des Sonnets de Shakespeare pour élargir son thème à l'art du faux et du mensonge, préalable - selon lui - à tout œuvre littéraire. En devenant auteur et acteur de son "Portrait de Mr. W.H.", Oscar Wilde en profite pour élaborer sa réflexion sur le sujet aussi délicat de la vérité mystifiée et arrangée pour servir la réalité d'une œuvre d'art ou la vie d'un personnage célèbre tel que William Shakespeare. A travers ce court roman, Oscar Wilde démontre qu'il maîtrise parfaitement la période artistique élisabéthaine ainsi que le texte de ces Sonnets, dans lequel Shakespeare déclare indirectement et pudiquement sa flamme et sa passion à un amour interdit et coupable, source de son inspiration pour l'écriture de ses pièces de théâtre. Ainsi, Wilde et Shakespeare se retrouvent sur un terrain commun, celui de l'homosexualité dissimulée, tue, enfouie pour conserver les apparences dans des sociétés à la morale stricte, victorienne pour l'un, élisabéthaine pour l'autre. Écrit dans les années 1888 - 1889, "Le Portrait de Mr. W.H." préfigure déjà la réussite littéraire d'un autre portrait, celui qui allait donner ses lettres de noblesse à Oscar Wilde, "Le Portrait de Dorian Gray". Éblouissant !
324 - 1 = 323 ouvrages qui se fossilisent dans ma PAL ...
21 commentaires:
Oscar Wilde j'aime beaucoup, l'humour la férocité parfois et Shakespeare comme sujet, là c'est carrément grandiose, je ne connaissais pas ce titre mais ça ne va pas durer
@ Dominique : C'est un très beau texte d'Oscar Wilde sur l'homosexualité et le mensonge dans l'art qui préfigure déjà le "Portrait de Dorian Gray". Il se sert de l'homosexualité supposée de Shakespeare pour parler de lui-même, mais d'une manière absolument merveilleuse ! C'est avec de tels textes que l'on prend la mesure de la qualité d'un tel auteur ...
Oscar Wilde est l'un des auteurs que je vise pour mes lectures "english classics" aussi je m'empresse de noter ce titre que je ne connaissais pas !
J'adore Oscar Wilde et je note donc ce titre en plus de tout ceux que je dois encore lire de lui ! Je trouve que c'est un écrivain vraiment fascinant !
Encore une lecture que je note : tu en parles si bien !
En plus, je ne connais pas encore cet auteur mais je souhaite lire un de ses ouvrages dans le cadre du challenge "J'aime les classiques" de Mariel ;-)
Dans ma PAL pour le challenge 2 euros, j'ai hâte ;)
@ Kathel : C'est une nouvelle que ne je connaissais pas et qui m'a enchantée, comme d'habitude avec Oscar Wilde ... Et en plus, elle se lit très vite et ne coûte pas cher. What else ?!
@ Alwenn : Je suis heureuse de te revoir enfin parmi nous ;-D Il faudra que j'aie un jour la volonté de lire les œuvres complètes de cet auteur d'une très grande qualité littéraire ...
@ Lounima : S'il y a un livre à lire d'Oscar Wilde, c'est "Le Portrait de Dorian Gray". C'est un roman merveilleux et d'une finesse psychologique incroyable ! Tu ne devrais pas regretter ces deux lectures qui se complètent !
@ Cynthia : J'ai honte, parce que je me suis inscrite à ton challenge ! Je rajoute ton logo et t'envoie le lien ... Cette lecture devrait te plaire si tu aimes le style d'Oscar Wilde ...
En fait, je suis embêtée car je pensais qu'il s'agissait d'un Folio 2 euros (comme je l'ai dans cette édition, je n'ai pas pensé qu'il puisse exister dans d'autres:/)
Je l'ajoute mais je précise pour les prochaines fois éventuelles que le challenge regroupe uniquement les Folio et Librio 2 euros (ça fait déjà pas mal de bouquins l'air de rien^^), voilou ;)
Je ne connaissais ce titre que de nom. Il m'a l'air des plus tentants, moi qui aime particulièrement la plume d'Oscar Wilde !
@ Cynthia : Il existe aussi en Folio 2€ et je me suis rendue compte de ma méprise après ! Je te rassure, j'ai d'autres Folio 2€ à présenter ... La prochaine fois, je ne me tromperai pas ;-D
@ Manu : Si tu aimes Oscar Wilde, si tu lui voue une passion, alors tu liras ce tout petit roman très vite (à peine 2 heures de lecture !)... Et en plus, il parle des célèbres Sonnets de Shakespeare !
J'espère retrouver ce livre dans mon colis swap livres et peinture auquel je participe. Il a l'air vraiment fascinant.
@ Lætitia : J'espère pour toi que tu le trouveras dans ton colis swap livres et peinture auquel je participe aussi ! Sinon, je pourrai te l'envoyer sans problème ... C'est une petite merveille, comme tous les écrits d'Oscar Wilde !
Tiens, j'ai un titre d'Oscar Wilde dans ma pal en ce moment : un Prince heureux ! De cet auteur, je n'ai lu pour l'instant que le portrait de Dorian Gray...
Oups j'ai oublié de taper mon nom sur le commentaire ci-dessus, en fait pas du tout anonyme ! :-)
@ Marie : "Le Portrait de Dorian Gray" est une œuvre majeure d'Oscar Wilde, parce que la plus connue et la plus lue. Mais elle n'est pas la seule ! J'ai lu le "Prince heureux" dans un recueil de nouvelles, "Le fantôme de Canterville" et je l'ai trouvé très sensible, très belle mais aussi très cruel. De toute façon, chez Oscar Wilde, tout est à découvrir, car c'est un auteur merveilleux !
Oh comme je l'aime ce dandy cruellement et délicieusement lucide. Wilde sera le gagnant de mon challenge english classics (il doit certainement m'en vouloir d'ailleurs mais Karine n'a pas voulu changer le titre en english/irish classics ;-)
@ Theoma : Je pense aussi qu'Oscar Wilde va t'en vouloir en le lisant pour le challenge english classics de Karine:) ... Rassure-toi en te disant que c'est la faute à Karine qui n'a pas voulu modifier le titre de son challenge ! Mais comme je te comprends de l'apprécier autant ...
Moi j'ai assez bien aimé aussi, mais toute la démonstration de la théorie m'a ennuyé ... toutes ces citations de sonnets et ces explications ... si j'avais été passionnée des Sonnets pourquoi pas mais ... bref Le portrait de Dorian Gray c'est quand même mieux.
(raison-et-sentiments.cowblog.fr)
@ Anonyme : La partie théorique peut rebuter un peu le lecteur. Elle est néanmoins nécessaire pour bien comprendre le cheminement de la pensée d'Oscar Wilde ! Et puis, les quelques extraits des Sonnets de Shakespeare sont judicieusement choisis par l'auteur lui-même ... "Le Portrait de Dorian Gray" est l'aboutissement de cette courte nouvelle, à mon avis !
Je viens juste de terminer cette lecture et j'ai beaucoup aimé. j'étais un peu sceptique au début et puis le charme a opéré, Wilde sait transmettre sa passion pour tout ce qui touche à la renaissance et au théâtre Elizabéthain.
Je suis contente de savoir que tu l'as lu et aimé ;-)
@ Émilie : Je vais aller lire ton billet sur cette très courte nouvelle d'Oscar Wilde qui n'est pas évidente à lire ! C'est vrai qu'au début on a du mal à entrer dans le sujet ... Et puis, le charme de son écriture opère, et c'est un vrai bonheur au final. J'ai vraiment beaucoup aimé ce texte qui m'a donné envoie de lire une biographie sur Shakespeare.
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