- Premières années - Marie d'Agoult - Folio 2€ n°4875
De Marie d'Agoult, beaucoup connaissent sa liaison sulfureuse avec le musicien Franz Liszt. Femme du monde, aristocrate, intellectuelle et cultivée, Marie d'Agoult a aussi été l'amie de George Sand et écrivain sous un pseudonyme masculin, Daniel Stein. Tout comme George Sand, elle s'est passionnée pour la condition des femmes de son époque. Contrairement à son amie, Marie d'Agoult affirmera des positions plus tranchées que celle-ci concernant la place des femmes dans une société très largement patriarcale. Ce que souhaite Marie d'Agoult, ce sont des femmes fortes, économes et responsables, qu'elles sortent enfin du schéma paternaliste où la société les a placées, les faisant passer de la tutelle du père ou du frère à celle de l'époux. "Premières années" constitue la première partie de son autobiographie dans laquelle elle parle de son enfance, de ses parents et de sa jeunesse jusqu'à son mariage.
Son père, Alexandre de Flavigny, noble français, catholique de confession et officier du roi Louis XVI, sera hébergé en 1797 au sein de la famille Bethmann, riches banquiers de Francfort sur le Main. Bel homme, aimable et plaisant, il s'éprend de la fille de cette famille de la haute bourgeoisie luthérienne, Marie-Élisabeth, jeune veuve de dix-huit ans. Le mariage aura lieu contre vents et marées. C'est au sein de cette famille unie que naîtra Marie d'Agoult, née Flavigny. "Selon ce qui m'a été rapporté, je suis née à Francfort sur le Main, vers le milieu de la nuit du 30 au 31 décembre de l'année 1805. Il règne en Allemagne une superstition touchant ces Enfants de minuit, Mitternachtskinder, comme on les appelle. On les croit d'une nature mystérieuse, plus familiers que d'autres avec les esprits, plus visités des songes et des apparitions. J'ignore sur quoi s'est fondée cette imagination germanique, mais, il faut bien que je le dise, dût l'opinion qu'en prendra de moi la sagesse française en être très diminuée, je n'ai lieu, en ce qui me touche, ni de railler ni de rejeter entièrement la croyance populaire qui m'apparente aux esprits". Élevée dans un univers où régnait la paix et la tolérance, elle ne subira jamais de châtiments corporels ou moraux, comme il était souvent d'usage à cette période pour éduquer les enfants. Les règles existaient bien, mais elles étaient souples et sans contrainte. Son enfance se passera à l'abri des fureurs de la cour, à la campagne entre Tours et Châteaurenaud, sur le domaine paternel du Mortier. Marie d'Agoult grandira entre découverte de la nature en compagnie de son père qu'elle idolâtrait, et chasse, pêche, cuisine allemande et tourangelle. Spontanée et naturelle, elle se liera avec les enfants des métayers de ses parents. L'orgueil et la fierté n'étaient pas dans son caractère. "[...] d'ailleurs la vanité n'avait en moi que de faibles germes, et ces germes ne se développèrent point dans la maison maternelle où régnait, malgré la condition de mes parents, une simplicité de mœurs parfaite".
Envoyée en Allemagne pour des raisons politiques, Marie d'Agoult découvrira la magnificence de l'environnement dans lequel les Bethmann évoluaient. C'est au Baslerhof - demeure des Bethmann - que Marie d'Agoult enfant fera la connaissance de Goethe qui fréquentait alors la famille. "Peu à peu, pendant qu'il s'entretenait avec mes parents, je m'enhardis jusqu'à lever sur lui les yeux. Tout aussitôt, comme s'il l'avait senti, il me regarda. Ses deux prunelles énormes qui flamboyaient, son beau front ouvert et comme lumineux me donnèrent une sorte d'éblouissement. Lorsqu'il prit congé de mes parents, Goethe mit sa main sur ma tête et l'y laissa, caressant mes cheveux blonds : je n'osais pas respirer. Peu s'en fallut que je ne me misse à genoux. Sentais-je donc qu'il y avait pour moi, dans cette main magnétique, une bénédiction, une promesse tutélaire ? Je ne sais". Cette enfant curieuse, avide de savoirs, de comprendre et de connaissances trouvera dans les livres de quoi alimenter son imaginaire riche et fertile. En découvrant Madame Cottin, Madame de Genlis, Madame Riccobini, Ann Radcliff, la jeune Marie d'Agoult rencontrera un monde poétique, chimérique et romanesque qui la comblera de bonheur. La mort soudaine de son cher père la laissera dans un profond désarroi que la lecture et la rêverie atténueront quelque peu.
Les "Premières années" de Marie d'Agoult sont l'occasion de découvrir une femme du 19e Siècle qui a choqué, en son temps, la morale et les bonnes mœurs. Mariée au comte d'Agoult à vingt-deux ans en 1827 et mère de deux enfants, Marie d'Agoult fera la connaissance de Franz Liszt en 1832. Très vite, elle devient sa maîtresse, avant de fuir avec lui à Bâle, abandonnant son époux. Avec le musicien et compositeur, elle vivra une vie de bohème entre la Suisse et l'Italie, à la fois passionnée et romantique, vivant pour l'amour de l'art et de la littérature, refusant les convenances de son époque et de son milieu social. Femme cultivée, libre d'esprit, polyglotte, musicienne accomplie et de talent, Marie d'Agoult nous relate dans "Premières années" son enfance jusqu'à son mariage, partagée entre la France - patrie de son père bien aimé - et l'Allemagne, pays de sa mère. Dans ses souvenirs, elle revient - non sans effroi - sur le retour de Bonaparte en 1815 et l'engagement politique de son père, ultra-royaliste de la première heure resté fidèle à la famille royale. Le domaine du Mortier deviendra un lieu de rendez-vous des Ultras et des Vendéens restés dévoués aux Bourbons, des mécontents du bonapartisme et des agitateurs politiques. Le poids de la religion et les recensions entre catholicisme et protestantisme sont encore prégnants à son époque. Née protestante, elle sera baptisée catholique en France et reniée en tant que telle en Allemagne chez la Vieille dame, sa grand-mère maternelle. Pire encore, recevoir chez soi une personne de confession juive, aussi riche soit-elle, relevait presque de l'anathème. Entrée au couvent du Sacré Cœur, institution pour jeunes filles de la noblesse, Marie d'Agoult sera tentée de former ses vœux. Pieuse et dévote, elle trouvera dans la religion un refuge alimentant son esprit exalté. En lisant les "Premières années", on découvre une jeune fille élevée en liberté, amoureuse de la vie, des arts, proche de la nature et soucieuse de son prochain. Marie d'Agoult apparaît déjà comme une femme indépendante, sûre de ses choix et de ses désirs, refusant obstinément les mariages de convenance qui étaient la règle à son époque. Elle avait d'ores et déjà décidé de qui elle épouserait et non pas de prendre pour mari un titre nobiliaire ou une fortune. Avec George Sand, sa future amie, elle appartient à cette lignée de femmes qui ont permis la reconnaissance de leur position dans une société encore très largement dominée par les hommes. Et pour longtemps !
290 - 1 = 289 livres dans ma PAL
Son père, Alexandre de Flavigny, noble français, catholique de confession et officier du roi Louis XVI, sera hébergé en 1797 au sein de la famille Bethmann, riches banquiers de Francfort sur le Main. Bel homme, aimable et plaisant, il s'éprend de la fille de cette famille de la haute bourgeoisie luthérienne, Marie-Élisabeth, jeune veuve de dix-huit ans. Le mariage aura lieu contre vents et marées. C'est au sein de cette famille unie que naîtra Marie d'Agoult, née Flavigny. "Selon ce qui m'a été rapporté, je suis née à Francfort sur le Main, vers le milieu de la nuit du 30 au 31 décembre de l'année 1805. Il règne en Allemagne une superstition touchant ces Enfants de minuit, Mitternachtskinder, comme on les appelle. On les croit d'une nature mystérieuse, plus familiers que d'autres avec les esprits, plus visités des songes et des apparitions. J'ignore sur quoi s'est fondée cette imagination germanique, mais, il faut bien que je le dise, dût l'opinion qu'en prendra de moi la sagesse française en être très diminuée, je n'ai lieu, en ce qui me touche, ni de railler ni de rejeter entièrement la croyance populaire qui m'apparente aux esprits". Élevée dans un univers où régnait la paix et la tolérance, elle ne subira jamais de châtiments corporels ou moraux, comme il était souvent d'usage à cette période pour éduquer les enfants. Les règles existaient bien, mais elles étaient souples et sans contrainte. Son enfance se passera à l'abri des fureurs de la cour, à la campagne entre Tours et Châteaurenaud, sur le domaine paternel du Mortier. Marie d'Agoult grandira entre découverte de la nature en compagnie de son père qu'elle idolâtrait, et chasse, pêche, cuisine allemande et tourangelle. Spontanée et naturelle, elle se liera avec les enfants des métayers de ses parents. L'orgueil et la fierté n'étaient pas dans son caractère. "[...] d'ailleurs la vanité n'avait en moi que de faibles germes, et ces germes ne se développèrent point dans la maison maternelle où régnait, malgré la condition de mes parents, une simplicité de mœurs parfaite".
Envoyée en Allemagne pour des raisons politiques, Marie d'Agoult découvrira la magnificence de l'environnement dans lequel les Bethmann évoluaient. C'est au Baslerhof - demeure des Bethmann - que Marie d'Agoult enfant fera la connaissance de Goethe qui fréquentait alors la famille. "Peu à peu, pendant qu'il s'entretenait avec mes parents, je m'enhardis jusqu'à lever sur lui les yeux. Tout aussitôt, comme s'il l'avait senti, il me regarda. Ses deux prunelles énormes qui flamboyaient, son beau front ouvert et comme lumineux me donnèrent une sorte d'éblouissement. Lorsqu'il prit congé de mes parents, Goethe mit sa main sur ma tête et l'y laissa, caressant mes cheveux blonds : je n'osais pas respirer. Peu s'en fallut que je ne me misse à genoux. Sentais-je donc qu'il y avait pour moi, dans cette main magnétique, une bénédiction, une promesse tutélaire ? Je ne sais". Cette enfant curieuse, avide de savoirs, de comprendre et de connaissances trouvera dans les livres de quoi alimenter son imaginaire riche et fertile. En découvrant Madame Cottin, Madame de Genlis, Madame Riccobini, Ann Radcliff, la jeune Marie d'Agoult rencontrera un monde poétique, chimérique et romanesque qui la comblera de bonheur. La mort soudaine de son cher père la laissera dans un profond désarroi que la lecture et la rêverie atténueront quelque peu.
Les "Premières années" de Marie d'Agoult sont l'occasion de découvrir une femme du 19e Siècle qui a choqué, en son temps, la morale et les bonnes mœurs. Mariée au comte d'Agoult à vingt-deux ans en 1827 et mère de deux enfants, Marie d'Agoult fera la connaissance de Franz Liszt en 1832. Très vite, elle devient sa maîtresse, avant de fuir avec lui à Bâle, abandonnant son époux. Avec le musicien et compositeur, elle vivra une vie de bohème entre la Suisse et l'Italie, à la fois passionnée et romantique, vivant pour l'amour de l'art et de la littérature, refusant les convenances de son époque et de son milieu social. Femme cultivée, libre d'esprit, polyglotte, musicienne accomplie et de talent, Marie d'Agoult nous relate dans "Premières années" son enfance jusqu'à son mariage, partagée entre la France - patrie de son père bien aimé - et l'Allemagne, pays de sa mère. Dans ses souvenirs, elle revient - non sans effroi - sur le retour de Bonaparte en 1815 et l'engagement politique de son père, ultra-royaliste de la première heure resté fidèle à la famille royale. Le domaine du Mortier deviendra un lieu de rendez-vous des Ultras et des Vendéens restés dévoués aux Bourbons, des mécontents du bonapartisme et des agitateurs politiques. Le poids de la religion et les recensions entre catholicisme et protestantisme sont encore prégnants à son époque. Née protestante, elle sera baptisée catholique en France et reniée en tant que telle en Allemagne chez la Vieille dame, sa grand-mère maternelle. Pire encore, recevoir chez soi une personne de confession juive, aussi riche soit-elle, relevait presque de l'anathème. Entrée au couvent du Sacré Cœur, institution pour jeunes filles de la noblesse, Marie d'Agoult sera tentée de former ses vœux. Pieuse et dévote, elle trouvera dans la religion un refuge alimentant son esprit exalté. En lisant les "Premières années", on découvre une jeune fille élevée en liberté, amoureuse de la vie, des arts, proche de la nature et soucieuse de son prochain. Marie d'Agoult apparaît déjà comme une femme indépendante, sûre de ses choix et de ses désirs, refusant obstinément les mariages de convenance qui étaient la règle à son époque. Elle avait d'ores et déjà décidé de qui elle épouserait et non pas de prendre pour mari un titre nobiliaire ou une fortune. Avec George Sand, sa future amie, elle appartient à cette lignée de femmes qui ont permis la reconnaissance de leur position dans une société encore très largement dominée par les hommes. Et pour longtemps !
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16 commentaires:
Encore un très bel article, Nanne, et je ne peux que noter ce livre ! ;-)
J'aime toujours beaucoup lire la vie de ces femmes compagnes de grands artistes mais elles-mêmes avec une forte personnalité!
J'aime beaucoup les biographies et encore plus quand il s'agit d'hommes ou de femmes de caractère à la vie riche, je n'ai jamais rien lu sur cette femme et j'ignorais tout de sa vie à part la liaison avec Liszt un billet bien instructif, j'ai vu qu'il venait de sortir une biographie de Pauline Viardot une femme elle aussi hors du commun
Coucou Nanne, merci de nous la faire découvrir.
Gros bisous et très belle journée,
Merci pour cette découverte Nanne... Encore une femme incroyable on dirait... Dont je n'avais pas encore entendue parler... Heureusement que tu es là !
Bonne journée Nanne et à très bientôt !
Ps : Fais t'il aussi un beau soleil chez toi Nanne ? C'est tellement agréable, un vrai bonheur !
Une lecture intéressante.
Passionnante la vie de ces femmes qui ont osé prendre des positions totalement contraires à leur époque et à leur condition. On pourrait encore largement s'en inspirer aujourd'hui.
@ Lounima : Merci beaucoup pour ce compliment qui touche toujours autant ! C'est un petit livre, mais très dense et où on apprend de nombreuses choses sur Marie d'Agoult, son époque et son milieu ...
@ Mango : J'aime aussi ces (auto)biographies de femmes, compagnes sécrètes et discrètes de grands hommes. Elles permettent de mieux comprendre ces derniers et d'en savoir plus sur leur vie. J'en ai d'autres concernant la femme d'Émile Zola, la mère de Proust ou l'amie de Kafka ...
@ Dominique : Il a été un temps où je lisais énormément de biographies en général, dont celles de femmes marquantes à leur époque. J'avoue un goût pour ce genre de lecture ... Marie d'Agoult est surtout connue pour avoir été la maîtresse de Franz Liszt, mais c'est plutôt réducteur comme existence. Surtout que ce Folio 2€ la montre sous un autre jour. Femme de caractère, intelligente et cultivée, elle a été féministe avant l'heure. Concernant Pauline Viardot, je connais la biographie de Patrick Barbier et "La vestale" d'Arièle Butaux. Il y en aurait donc un nouveau ?!
@ Muad'Dib : Merci pour ton passage et ton message ! Excellente fin de semaine ensoleillée à toi ... Bises.
@ L'or des chambres : Mais que feriez-vous sans moi, les filles ;-D C'est un tout petit livre qui se lit très bien, mais qui est très riche parce que la vie de Marie d'Agoult est un vrai roman ! Ici il fait des journées merveilleuses et chaudes qui aident à voir les choses différemment ... Heureusement qu'il y a le soleil en ce moment !
@ Lilibook : Plus qu'intéressant, c'est presque passionnant de découvrir une vie aussi riche !
@ Aifelle : Ces femmes sont les premières féministes sans même le savoir. Elles ont tracé la voie aux suivantes et ont permis de faire évoluer la condition de toutes les femmes par leurs attitudes et leurs positions tranchées ! Mais il fallait beaucoup de courage, et plus de caractère encore ...
Ton billet me donne très envie !!!!
@ Celsmoon : Tant mieux !!! Il est très intéressant ...
Voilà, j'ai enfin rattrapé mes oublis! Tes titres apparaissent dans la liste.
Merci à toi!
@ Marie L. : Merci beaucoup et désolé pour le travail ! Désormais, dès que j'aurai lu un classique, je t'enverrai le lien de mon billet ;-D
Je viens de finir ma lecture des Premières années de Marie d'Agoult. Bien que je trouve que ce soit un livre passionnant, écrit avec esprit et par une femme de caractère, je n'ai pas pu m'empêcher d'être agacée par l'orgueil de Marie.
J'ai l'impression qu'elle explique à chaque page pourquoi elle/son papa/son milieu/son château sont si supérieurs aux autres ! Un peu de modestie - même fausse, ne lui aurait pas fait de mal !
En tout cas, je comprends mieux maintenant pourquoi, après une courte période d'amitié, elle et George Sand se sont fâchées...
@ Céline : Je te comprends très bien quand tu dis avoir été agacée par le comportement de Marie d'Agoult ! Il faut aussi savoir qu'à l'époque, une femme qui écrivait se transformait en homme sous un pseudonyme ... Ceci pourrait expliquer cela ! Et puis, elle sortait d'un milieu aristocratique, était la maîtresse de Franz Liszt et qu'elle avait tout quitté pour lui ... Il fallait encore plus de courage que maintenant pour oser être une femme, écrivain et indépendante ! George Sand et Marie d'Agoult ont toujours été proches. Elles ont pris de la distance, parce qu'elles n'avaient pas la même conception de l'indépendance de la femme. Et c'était deux caractères bien trempés !
Bonjour,
je viens de faire des recherches sur la comtesse de Flavigny et là que de découvertes!!!!!Vous m'avez donné envie de la lire en fait je possede un de ses livres, un livre de prières!!!! et oui je pensais qu'elle était une femme pieuse et soumise que nenni!!!!!Je vais partir à sa découverte. Merci à vous.
Marido
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