- Carmen Cru - Lelong - Intégrale Tome 1 (Audie/Fluide Glacial)
Qui ne connait pas Carmen Cru, la petite vieille autiste de la bande dessinée ? Pour les quelques rares qui seraient passés à côté de ce phénomène de la nature, je vais tenter de vous en brosser un rapide portrait.
Carmen Cru est une pie-grièche sans âge, acariâtre, venimeuse, méchante comme la teigne, qui ne parle pas ou - quand elle parle - c'est pour sortir des horreurs à tous ceux qui l'entourent et la supportent. Elle est née il y a très, très (trop ?!) longtemps pour s'en souvenir, sans doute avant la guerre - la Grande - peut-être même avant 1870. Elle traîne avec elle un vélo qui date de la même période avec un cageot pourri en bois. Un conseil, si vous en trouvez un comme le sien, gardez-le ! On en fait plus depuis longtemps !
Physiquement, Carmen Cru porte sur son visage les stigmates des bêtises vue, vécues et entendues tout au long de son existence. Et elle en a vu ! Deux yeux exorbités et strabiques qui vous fixent et vous glacent les sangs, un nez proéminent avec une verrue pour accentuer encore ce regard de sorcière à l'âge canonique. Un menton crochu et velu, une mâchoire édentée depuis belle lurette, des mains aux doigts coudés et rabougris par une arthrose déformante, une paire de charentaise aux pieds et un chapeau cloche vissé sur la tête. Voilà un portrait saisissant de cette infâme rombière apparue dans "Fluide Glacial", le magazine d'Umour et Bandessinées en 1982.
Carmen Cru use et abuse de son grand âge et de sa supposée fragilité mentale pour vivre comme bon lui semble. Refusant obstinément la société et son époque, elle est le symbole d'une certaine France, nostalgique des années 1950, cultivant un art de vivre unique en son genre, celui de la France profonde, volontiers râleuse, grincheuse et contestataire. Elle profite de son déclin physique et mental pour vivre de l'humanité de son entourage et ne rien payer partout où elle passe ! Adepte des fernet-branca qu'elle avale comme on boit du petit lait ou de vins chauds accompagnés de gâteaux secs, cette harpie n'hésite jamais à faire partager ses douceurs aux petits enfants. Et quand ce n'est pas avec du vin chaud que la mémé empoisonne les petits qu'on lui impose, Carmen Cru distribue aussi ses chiques de tabac !
Dans l'intégrale "Brut de décoffrage", c'est une Carmen Cru égale à elle-même, odieuse, peu amène, roublarde en diable, malicieuse et pas souriante du tout que l'on lit avec avidité, un sourire au coin des lèvres et le ricanement permanent. On y trouve pêle-mêle une série de sketches toujours drôles, parfois émouvants et touchants ou hilarants. Ainsi "Les escrocs" avec une Carmen Cru décidément en forme olympique, qui confond -intentionnellement - anciens et nouveaux francs (la BD date des années 1980) et perturbant le fonctionnement des machines performantes de l'Ecureuil. Avec "Le cageot cassé", elle coupe le courant à toute sa cour d'habitation pour le seul plaisir de les polluer. On rencontre à cette occasion quelques personnages récurrents de cette BD, dont Poupi Mouvillon, le voisin atrabilaire, anti-vieux, nationaliste et xénophobe de Carmen Cru, mais aussi le concierge de cette arrière-cour surréaliste où la misère morale et intellectuelle semble s'être donnée rendez-vous pour se pourrir l'existence, M. Raoul. Ivrogne mais magnanime avec sa sympathique voisine, il passe son temps à lui porter sa bicyclette de la rue à la bicoque et retour. "Le portrait artistique" est sans aucun doute une des saynètes les plus drôles de cette intégrale, avec une Carmen Cru qui décide de se faire tirer le portrait pour l'envoyer à sa mère (?!). Un vrai portrait, digne des momies égyptiennes embaumées avec un sourire d'outre-tombe !
Dans cette intégrale, on fait aussi la connaissance d'un des personnages principaux de cette BD hors norme dans le 9ème Art, Monsieur l'abbé. Toujours généreux avec plus faible que lui, il passe presque tout son temps libre à rendre service à une Carmen Cru revêche et peu accort. A chacune de leur rencontre, M. le curé raconte avec toute sa verve, sa faconde et son langage fleuri ses souvenirs et ses déboires mécaniques avec le garage à vélo du séminaire. Dans "Le terreau", il vient encore en aide à une Carmen Cru toujours aussi agréable qui a décidé de préparer son jardin. Et où va-t-elle trouver son terreau, mémé ? Au cimetière de son patelin perdu, parmi les tombes oubliées depuis des lustres par les familles de certains morts ! S'ensuit une série de gags truculents entre l'abbé et la petite vieille.
"Le caniveau" met en scène Carmen Cru avec un éboueur noir croisé dans la rue. Dans un geste de philanthropie comme on lui en connaît peu, elle lui proposera de venir dans son jardin pour y manger les asticots, les limaces et autres bêtes gluantes et rampantes, persuadée qu'elle est que tous les Africains sont cannibales ou mangent des vers ! "L'héritage" avec le neveu de l'infâme grabataire. Idiot congénital, ivrogne et fainéant, c'est un autre personnage récurrent de la bande à Carmen. Toujours intéressé par le devenir de sa Tanti qui le déteste et n'hésite à le lui rappeler à chacune de ses visites, leurs rapports sont toujours froids, pour ne pas dire gelés voir glaciaux ! Pour se venger de ne pas avoir pu récupérer une photo de famille, la vieille revêche lâchera les cochons dans le jardin de la ferme.
La dernière partie de cette intégrale, outre les habitués de la BD, on rencontre une Carmen Cru allant à la bibliothèque et qui n'hésite pas à déchirer les pages intéressantes dans les livres. Et quand le bibliothécaire la menace d'une amende pour dégradation d'ouvrage, l'aïeule détourne le problème en accusant son voisin de table de vol de livres. Dans "Trois heures du matin", elle devient malgré elle mémé à chats qu'elle voudrait bien noyer pour s'en débarrasser, mais qu'elle refile en douce à M. Raoul, son gardien ivrogne. Enfin, dans une ultime saynète, Carmen Cru met la pagaille dans le courrier de son voisinage pour retrouver la lettre envoyée par sa mère (?!) pour son anniversaire. Elle refusera de payer la taxe pour le timbre périmé d'avant-guerre et se verra menacer d'expulsion par Poupi Mouvillon.
Voici, par l'intégrale "Brut de décoffrage", un portrait sur le vif de cette vétérante de la bande dessinée qui réussit malgré sa méchanceté, sa scélératesse et son aigreur à nous émouvoir et à nous la rendre attachante, sans doute par les quelques confidences qu'elle nous distille sur sa vie. Car, à y regarder de plus près, Carmen Cru n'est pas simplement une BD d'humour. C'est aussi - et avant tout - une série d'historiettes sur la solitude, la décrépitude et l'outrage du temps. Avec la série "Carmen Cru", et la vie de la vieille recluse dans sa bicoque au fond d'une arrière-cour insalubre, c'est toute la misère des personnes âgées, esseulées, oubliées, voire abandonnées que l'on lit entre les lignes. Même les personnages - dignes des romans naturalistes de Zola ou de Huysmans - traînent dans leur sillage toute les calamités de la société : l'alcoolisme, exclusion, bêtise, pauvreté, égoïsme, intérêt, xénophobie, et j'en passe. Au fond, à la fin de cette lecture délassante, on se dit que ce n'est pas Carmen Cru qui est détestable, c'est surtout la société et les autres qui sont haïssables. Leurs travers, leurs manies, leurs volontés de faire enfermer cette petite vieille ou de l'expulser de chez elle, la rend au lecteur de cette BD encore plus touchante et pathétique !
Carmen Cru est une pie-grièche sans âge, acariâtre, venimeuse, méchante comme la teigne, qui ne parle pas ou - quand elle parle - c'est pour sortir des horreurs à tous ceux qui l'entourent et la supportent. Elle est née il y a très, très (trop ?!) longtemps pour s'en souvenir, sans doute avant la guerre - la Grande - peut-être même avant 1870. Elle traîne avec elle un vélo qui date de la même période avec un cageot pourri en bois. Un conseil, si vous en trouvez un comme le sien, gardez-le ! On en fait plus depuis longtemps !
Physiquement, Carmen Cru porte sur son visage les stigmates des bêtises vue, vécues et entendues tout au long de son existence. Et elle en a vu ! Deux yeux exorbités et strabiques qui vous fixent et vous glacent les sangs, un nez proéminent avec une verrue pour accentuer encore ce regard de sorcière à l'âge canonique. Un menton crochu et velu, une mâchoire édentée depuis belle lurette, des mains aux doigts coudés et rabougris par une arthrose déformante, une paire de charentaise aux pieds et un chapeau cloche vissé sur la tête. Voilà un portrait saisissant de cette infâme rombière apparue dans "Fluide Glacial", le magazine d'Umour et Bandessinées en 1982.
Carmen Cru use et abuse de son grand âge et de sa supposée fragilité mentale pour vivre comme bon lui semble. Refusant obstinément la société et son époque, elle est le symbole d'une certaine France, nostalgique des années 1950, cultivant un art de vivre unique en son genre, celui de la France profonde, volontiers râleuse, grincheuse et contestataire. Elle profite de son déclin physique et mental pour vivre de l'humanité de son entourage et ne rien payer partout où elle passe ! Adepte des fernet-branca qu'elle avale comme on boit du petit lait ou de vins chauds accompagnés de gâteaux secs, cette harpie n'hésite jamais à faire partager ses douceurs aux petits enfants. Et quand ce n'est pas avec du vin chaud que la mémé empoisonne les petits qu'on lui impose, Carmen Cru distribue aussi ses chiques de tabac !
Dans l'intégrale "Brut de décoffrage", c'est une Carmen Cru égale à elle-même, odieuse, peu amène, roublarde en diable, malicieuse et pas souriante du tout que l'on lit avec avidité, un sourire au coin des lèvres et le ricanement permanent. On y trouve pêle-mêle une série de sketches toujours drôles, parfois émouvants et touchants ou hilarants. Ainsi "Les escrocs" avec une Carmen Cru décidément en forme olympique, qui confond -intentionnellement - anciens et nouveaux francs (la BD date des années 1980) et perturbant le fonctionnement des machines performantes de l'Ecureuil. Avec "Le cageot cassé", elle coupe le courant à toute sa cour d'habitation pour le seul plaisir de les polluer. On rencontre à cette occasion quelques personnages récurrents de cette BD, dont Poupi Mouvillon, le voisin atrabilaire, anti-vieux, nationaliste et xénophobe de Carmen Cru, mais aussi le concierge de cette arrière-cour surréaliste où la misère morale et intellectuelle semble s'être donnée rendez-vous pour se pourrir l'existence, M. Raoul. Ivrogne mais magnanime avec sa sympathique voisine, il passe son temps à lui porter sa bicyclette de la rue à la bicoque et retour. "Le portrait artistique" est sans aucun doute une des saynètes les plus drôles de cette intégrale, avec une Carmen Cru qui décide de se faire tirer le portrait pour l'envoyer à sa mère (?!). Un vrai portrait, digne des momies égyptiennes embaumées avec un sourire d'outre-tombe !
Dans cette intégrale, on fait aussi la connaissance d'un des personnages principaux de cette BD hors norme dans le 9ème Art, Monsieur l'abbé. Toujours généreux avec plus faible que lui, il passe presque tout son temps libre à rendre service à une Carmen Cru revêche et peu accort. A chacune de leur rencontre, M. le curé raconte avec toute sa verve, sa faconde et son langage fleuri ses souvenirs et ses déboires mécaniques avec le garage à vélo du séminaire. Dans "Le terreau", il vient encore en aide à une Carmen Cru toujours aussi agréable qui a décidé de préparer son jardin. Et où va-t-elle trouver son terreau, mémé ? Au cimetière de son patelin perdu, parmi les tombes oubliées depuis des lustres par les familles de certains morts ! S'ensuit une série de gags truculents entre l'abbé et la petite vieille.
"Le caniveau" met en scène Carmen Cru avec un éboueur noir croisé dans la rue. Dans un geste de philanthropie comme on lui en connaît peu, elle lui proposera de venir dans son jardin pour y manger les asticots, les limaces et autres bêtes gluantes et rampantes, persuadée qu'elle est que tous les Africains sont cannibales ou mangent des vers ! "L'héritage" avec le neveu de l'infâme grabataire. Idiot congénital, ivrogne et fainéant, c'est un autre personnage récurrent de la bande à Carmen. Toujours intéressé par le devenir de sa Tanti qui le déteste et n'hésite à le lui rappeler à chacune de ses visites, leurs rapports sont toujours froids, pour ne pas dire gelés voir glaciaux ! Pour se venger de ne pas avoir pu récupérer une photo de famille, la vieille revêche lâchera les cochons dans le jardin de la ferme.
La dernière partie de cette intégrale, outre les habitués de la BD, on rencontre une Carmen Cru allant à la bibliothèque et qui n'hésite pas à déchirer les pages intéressantes dans les livres. Et quand le bibliothécaire la menace d'une amende pour dégradation d'ouvrage, l'aïeule détourne le problème en accusant son voisin de table de vol de livres. Dans "Trois heures du matin", elle devient malgré elle mémé à chats qu'elle voudrait bien noyer pour s'en débarrasser, mais qu'elle refile en douce à M. Raoul, son gardien ivrogne. Enfin, dans une ultime saynète, Carmen Cru met la pagaille dans le courrier de son voisinage pour retrouver la lettre envoyée par sa mère (?!) pour son anniversaire. Elle refusera de payer la taxe pour le timbre périmé d'avant-guerre et se verra menacer d'expulsion par Poupi Mouvillon.
Voici, par l'intégrale "Brut de décoffrage", un portrait sur le vif de cette vétérante de la bande dessinée qui réussit malgré sa méchanceté, sa scélératesse et son aigreur à nous émouvoir et à nous la rendre attachante, sans doute par les quelques confidences qu'elle nous distille sur sa vie. Car, à y regarder de plus près, Carmen Cru n'est pas simplement une BD d'humour. C'est aussi - et avant tout - une série d'historiettes sur la solitude, la décrépitude et l'outrage du temps. Avec la série "Carmen Cru", et la vie de la vieille recluse dans sa bicoque au fond d'une arrière-cour insalubre, c'est toute la misère des personnes âgées, esseulées, oubliées, voire abandonnées que l'on lit entre les lignes. Même les personnages - dignes des romans naturalistes de Zola ou de Huysmans - traînent dans leur sillage toute les calamités de la société : l'alcoolisme, exclusion, bêtise, pauvreté, égoïsme, intérêt, xénophobie, et j'en passe. Au fond, à la fin de cette lecture délassante, on se dit que ce n'est pas Carmen Cru qui est détestable, c'est surtout la société et les autres qui sont haïssables. Leurs travers, leurs manies, leurs volontés de faire enfermer cette petite vieille ou de l'expulser de chez elle, la rend au lecteur de cette BD encore plus touchante et pathétique !
17 commentaires:
Oh mais cette dame a l'air à découvrir !!! décapant , non?
A côté de Carmen Cru, Tatie Danielle est un ange de vertu !
Je ne possède pas l'intégrale mais j'ai bien apprécié les quelques volumes que j'ai à la maison ;)
@ Keisha : Tout à fait, décapant ! Elle me fait mourir de rire à chaque fois que je lis cette BD ... Elle est odieuse et monstrueuse, mais tellement attachante !
@ In Cold Blog : Je suis d'accord avec toi pour la comparaison ... Je me régale de cette petite vieille depuis Fluide Glacial ! L'intégrale comprend les trois premiers albums de Carmen Cru.
Je ne connais pas du tout (peut-être parce que je suis née dans les années 80?) mais je pense que j'aimerais vraiment, je note tout de suite !!
@ Lou : Je pense que tu n'as pas connu en raison de tout très jeune âge ... Mais tu peux te rattraper en lisant les BD où elle sévit !
Ton article est absolument savoureux, Nanne, et comme toujours tu ne manques pas de déceler, par delà les apparences, la trame humaine et souffrante de ces histoires.
Il ne me reste plus qu'à rencontrer cette Carmen Cru et à frémir jubilatoirement devant les horreurs de cette mégère!
@ Sybilline : Merci pour tout ... Tu es trop gentille avec moi ! Carmen Cru est un sacré personnage de la BD qui mérite un petit détour pour le plaisir de rire à ses horreurs !!
Eh bien j'ai lu le tome 1. En effet, elle est particulière cette dame, mais elle a la tête sur les épaules!
@ Keisha : Elle a la tête sur les épaules, et la langue bien fourchue, cette petite vieille bien sympa ! Je trouve ... Alors, What else ?!
Elle m'a toujours fait peur moi cette Carmen Cru!!
@ Isabelle : C'est juste une impression ! Je reconnais qu'elle ressemble plus à une sorcière qu'à une pin up, mais son humour noir est décapent !
C'est vrai qu'elle est mythique Carmen Cru, c'est vraiment génial à lire. Un peu dans le même style, il y a aussi Soeur Marie-Thérèse des Batignolles de Maëster (je ne sais pas si tu connais)
Ton article m'a donné envie de les relire en tout cas^^
@ Mr. Zombi : Carmen Cru incarne la décadence de la vieillesse avec un fond d'humour féroce et noir ! C'est un vrai phénomène de la BD que cette petite vieille qui se dit persécutée par tout le monde ... Je connais aussi Sœur Marie-Thérèse des Batignolles par le magazine "Fluide Glacial" ! Il me semble qu'il existe une BD où l'on retrouve ces deux personnalités atypiques et décapantes ;-D
Je me doutais que tu devais connaître vu que les deux paraissent dans "Fluide Glacial" justement.
Ohoh le duo doit être redoutable, faudra que j'essaye de voir ça, merci pour l'info^^
@ Mr Zombi : J'ai été une inconditionnelle de "Fluide Glacial" adolescente ! Je le suis encore de temps en temps, mais j'ai tellement de choses à lire que je l'achète moins souvent ... Essaie de trouver cet album, il doit être détonnant !
C'est vrai que c'est pas toujours facile de devoir choisir parmi toutes les bonnes lectures qui s'offrent à nous. Je vais me mettre en quête de cet album^^
@ Mr Zombi : Si tu ne le trouves pas, il y a plein d'excellentes BD réjouissantes et belles à lire pour passer un bon moment de lecture !
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