- Un beau matin d'été - Sur les routes d'Espagne (1935 - 1936) - Laurie Lee (Phébus Libretto n° 168)
Lorsque Laurie Lee quitte son village du fin fond de l'Angleterre, il est très loin de se douter de ce qu'il va entrevoir au cours de son voyage. On est dans les années 1930, en Europe, et l'époque n'est plus à l'euphorie des Années Folles, mais à celle des désœuvrés et des chômeurs. Tout cela pousse l'auteur sur les chemins, mais aussi ses vingt ans, la poésie qu'il écrit et l'envie d'aller voir ailleurs pour tenter sa chance. C'est le cœur léger, rempli d'espoir en l'avenir et muni de son violon qu'il laisse mère et fratrie pour rejoindre Londres, première escale pour ce marcheur invétéré. La solitude des premiers kilomètres laisse vite la place à une longue colonne de déplacés économiques et involontaires. "Je remarquai vite qu'il s'y trouvait beaucoup d'autres voyageurs, et que tous, nous avancions vers le nord en une sombre et lente procession. Si certains étaient vagabonds professionnels, la majorité appartenait à la grande armée des chômeurs qui, à cette époque-là, errait sans but à travers toute l'Angleterre."
Après avoir suivi le chemin des écoliers pour voir la mer longtemps imaginée, Laurie Lee arrive à Londres qu'il compare à "[...] une énorme croûte, à un tas de cendres qu'eût crachées un volcan avant de mourir." Apprenti-poète et musicien des rues, il survivra à Londres grâce à des petits boulots et divers travaux précaires sur des chantiers. Cela n'entame en rien son optimisme, puisqu'il se verra - dans le même temps - récompensé par un journal local qui éditera ses premiers poèmes. Mais son insouciance et sa jeunesse lui donnent des fourmis dans les jambes. A l'asservissement d'une situation précaire et sans lendemain, il préfère la liberté et ses aléas. Un beau matin, se souvenant d'une phrase polie apprise en espagnol : "Pourriez-vous me donner un verre d'eau, s'il vous plait ?", il décide de partir pour ce pays dont il ne connaît que le nom.
La première ville espagnole aperçue est Vigo, qui lui donne la sensation d'une apparition. Venant de la mer, cette citée ressemblait à une épave. Avec toujours, comme une interminable ritournelle, la misère qu'il trouvera sur son chemin, dans chaque ville, chaque village, chaque campagne traversés. Cette pauvreté qui sera associée à une grande générosité de la part des plus démunis. Chaque étape sera l'occasion de s'enfoncer un peu plus dans le paupérisme absolu. Il partira à la rencontre d'une véritable cour des miracles qui peuple la plupart des villes espagnoles. Cette vision donne le sentiment que l'Espagne vit encore dans un Moyen-Age entièrement soumis aux lois des Grands de ce pays et des religieux. "Jeunes et vieux étaient comme l'émanation de l'espèce de moyen-âge étouffant qui régnait encore [...]. Tous étaient infectés par ses pierres mêmes et, ainsi que les effigies vérolées des églises de l'endroit, comptaient au nombre des grands blasphèmes de l'Espagne." C'est un pays qui, tout en vivant aux portes de l'Europe civilisée et émancipée, s'était replié sur lui-même, figé dans ses grandeurs et ses malheurs passés, et avait oublié que les temps étaient aux transformations sociales profondes et douloureuses. L'Espagne allait en faire les frais à ses dépends.
Le dénuement est partout lisible et visible du nord au sud du pays, à un point tel que Laurie Lee se prendra d'amour pour ce peuple et partagera leur révolte. Mais ce qui le choque le plus dans ce déballage c'est l'extrême opulence qui côtoie en permanence l'extrême indigence. "J'y avais accepté que, bien gras et bien riche, le gros bonnet contemplât tout d'un œil vitreux alors qu'au marché, des hommes se battaient pour quelques déchets, que d'aimables vierges de la haute vinssent à l'église en carrosse alors que des mendiantes accouchaient dans les coins de portes [...]. J'avais cru que les uns et les autres faisaient tout simplement partie du tableau et ne m'étais jamais posé la question de savoir si c'était juste ou injuste. [...] J'eus pour la première fois conscience que le grabuge n'allait pas tarder." Il assistera au changement de la politique en Espagne et au fol espoir que cela fera naître au sein des plus malheureux. Il reviendra - quelques mois après avoir rejoint l'Angleterre -, se battre aux côtés de ceux qui ont su l'accueillir en partageant fraternité et générosité.
"Un beau matin d'été" est un livre réjouissant, chaleureux et résolument optimiste malgré la difficulté des situations que connaîtra son auteur. L'humour est partout présent, comme pour atténuer le poids des souffrances vécues. C'est tout à la fois poétique, libre et libertaire. En suivant Laurie Lee sur les chemins de traverse on a la sensation de revoir les pèlerins en partance pour Jérusalem ou Saint-Jacques de Compostelle, avec leurs illuminations et leurs hallucinations. La solitude devient même une source de joie. Mais c'est aussi un roman qui nous raconte, en direct, la misère quotidienne de cette Espagne au bord du gouffre, en pleine métamorphose, juste avant le grand basculement. Un peu comme des clichés de Cartier-Bresson ou de Capa. C'est très bon, tout simplement.
7 commentaires:
il y a des livres que j'aime refeuillete celui ci en fait partie Un beau matin d'été est une lecture que je n'ai jamais oublié
je viens de le relire partiellement avec bonheur, tu en parles très bien, je termine la suite qui vient de paraitre chez Phébus sur la guerre d'Espagne
Un livre chaleureux et optimiste sur cette époque , en Espagne, ça me tente bien!
Je connais seulement le nom de l'auteur mais je note ce livre grâce à toi. Tu lui rends très bien hommage !
Encore un que je ne connais pas du tout, mais qui semble bien mériter plus qu'un petit détour... Terrible ces lectures des blogamis, je ressors à chaque fois avec une LAL agravée !
@ Dominique : C'est un livre enchanteur, malgré la période, et qui montre la réalité tout en restant positif. J'ai vu qu'il y avait la suite sur son engagement dans la guerre d'Espagne. Et il y a aussi son livre qui raconte son enfance dans la campagne anglaise. De belles lectures en perspective !
@ Mango : C'est tout à fait cela ! Un livre très optimiste malgré la situation et très heureux, aussi.
@ Lou : Merci beaucoup ! Il fait partie d'une trilogie concernant la vie de ce poète anglais. Et j'ai bien l'intention de lire les deux autres ...
@ Liliba : Il est à lire parce qu'il explique partiellement les raisons de la guerre d'Espagne. C'est un roman très agréable à lire ! Je te rassure pour ce qui est de la LAL et PAL. Elles doivent exploser chez la plupart des LCA ...
J'aime énormément ton article qui rend tellement bien l'esprit et le coeur de ce livre! A lire aussi de cet auteur trop méconnu "Rosie ou le goût du cidre"...
@ Sybilline : C'est un auteur qui a une écriture très optimiste et pleine d'un humour raffiné que j'apprécie beaucoup. J'ai d'ailleurs prévu "Rosie et le goût du cidre", souvenirs d'enfance dans la campagne anglaise, ainsi que ses souvenirs de la Guerre d'Espagne qui vient de sortir chez Phébus Éditions ! Donc, Laurie Lee sera encore à l'honneur sur ce blog ...
Enregistrer un commentaire