"Le vieux Marian Dunka, aux cheveux argentés, tapait sur la table avec son archet pour imposer le silence, haussait ses sourcils épais et remuait les genoux, alors les gars commençaient à jouer, tout d'abord des airs slovaques et ruthènes : Ô belle demoiselle, comme un fruit épanoui, comment ne pas aimer ton minois si joli ... Et quand musiciens et invités étaient bien guillerets, la conversation roulait sur les czardas, toujours plus rapides et endiablées, parce que avec la gnôle qui coulait à flots il commençait à y aller de leur vie, les voix se démêlaient et se mêlaient comme l'eau d'un torrent, elle montaient dans le ciel et retombaient de nouveau, l'alcool se déversait dans ces gosiers assoiffés, les habitants de Poljana s'écroulaient les uns après les autres, comme des arbres que l'on abat, tandis que des gouttes de sang perlaient aux doigts écorchés des musiciens et que des bouts de crin déchiqueté voletaient autour des archets. Et, au matin les Tziganes se regroupaient, à l'écart, et lançaient, pour le plaisir, leur refrain languissant et nostalgique : Gadzeske basavav andro kan, Romeske andro jilo, jusqu'à munuit avec les gadjé, pour l'argent, et ensuite avec nous, pour le coeur ... Enfin, ils balançaient leurs instruments et entonnaient, d'une voix enrouée : Chajori romani, ker mange jagori, na cikni na bari, carav tro vod'ori ... Petite, ma petite, je t'en supllie, allume un feu ... Et ils s'ouvraient si grand, ils avaient tellement mal qu'ils se mettaient à pleurer comme des petits enfants, sans avoir aucunement honte de leurs larmes noires. Soudain, en effet, tout était inutile, même ces instruments, ces cordes et ces archets ; même les mots étaient creux et vains : il ne restait que la chaude nuit noire, d'un noir profond, les étoiles fugitives, les parfums et les couleurs, un chagrin et une douleur à perdre la raison ... Et quinconque les entendait ainsi, au matin, leur pardonnait les agneaux égarés, le poulailler vide ou le sillon piétiné, parce que l'on sentait qu'à travers ces voix rauques on retombait quelque part à la source, aux racines, en même temps que l'on touchait les étoiles ; que tout, agneaux, pommes de terre, eau-de-vie maison et larmes, était indissociable, et que sans les Tziganes, les forgerons, les puisatiers et les musiciens l'existence ne serait peut-être même pas concevable. A Zemplin, on disait même : Tant qu'un Tzigane ne t'a pas fait ses compliments, le bonheur n'entre pas dans la maison ...
Extrait - "Petite, allume un feu ..." - Martin Smaus
Extrait - "Petite, allume un feu ..." - Martin Smaus
10 commentaires:
un extrait comme celui là donne envie de se précipiter sur le livre
@ Dominique : C'est un livre que j'ai découvert grâce à Babelio et qui a été une très belle découverte et l'occasion de mieux connaître la communauté Tzigane ! Je peux te prêter le livre, si tu le souhaite ...
Coucou Nanne, c'est sympa d'être passée me dire au revoir mais tu sais, je reviendrais vite ...
Gros bisous et très bon week-end,
À travers cet extrait, on les entendrait presque jouer...Bon week-end Nanne !
@ Muad'Dib : J'espère que tu ne nous quittes pas comme cela, sur un simple coup de tête ! Il est toujours bon de prendre un peu de recul avec son blog pour mieux le retrouver et l'apprécier ... Très bon week end à toi !
@ Florinette : En tendant l'oreille, je crois que l'on peut les entendre jouer quelques airs de chez eux ! Bon week end à toi ...
J'adore l'extrait... ça donne le goût de lire le livre!
Il n'y a pas très longtemps j'ai noté ce livre en même temps que "Zoli"... et étrangement, en ce moment il y a un extrait du film : "Latcho Drom" sur mon blog-it express... Le hasard des blogs...
@ Karine:) : C'est vraiment un livre à découvrir qui permet de mieux connaître la communauté Tzigane, peu présente dans les romans. C'est vraiment un très beau livre qui mérite le détour !
@ Sylvie : J'ai aussi "Zoli" qui est sorti en poche à lire. Mais j'attends encore avant de m'y plonger dedans ! Le hasard des blogs est vraiment étrange ... Si tu souhaites lire ce roman, je peux te l'envoyer en te retournant "L'Irlandaise" !
merci nanne, mais là... non, vraiment, je ne peux pas... je viens de finir "le père de la petite", reçu en livre voyageur... Et je viens de recevoir le message de babelio m'annonçant l'arrivage de deux bons gros livres... Ceci s'ajoutant à ma pal chancelante que tu connais, je décline l'invitation.. ;)merci quand même:)
@ Sylvie : Ce n'est pas grave ! Je connais aussi ce problème de PAL chancelante ... Je crois que c'est une maladie chronique chez toute LCA !
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