- Le voyageur sans bagage -Jean Anouilh (Folio n° 118)
Pour écrire "Le voyageur sans bagage", Jean Anouilh s'est inspiré de "Siegfried et le Limousin" de Jean Giraudoux, qui avait lui-même trouvé le thème de sa pièce dans les tragiques conclusions de la Grande Guerre. En effet, le sujet commun à ces deux pièces est l'amnésie et plus particulièrement le cas d'un certain Anthelme Mangin. Ce Poilu, blessé en 1914 et rapatrié d'Allemagne en 1918, n'a jamais pu retrouver l'identité qui était la sienne auparavant.
Au printemps 1918, Gaston a été découvert dans une gare de triage, devant un train de prisonniers venant d'Allemagne, complètement amnésique. Ne sachant que faire de son cas, jugé comme "l'un des plus troublants pour la psychiatrie et l'une des énigmes les plus angoissantes de la Grande guerre", il se retrouve dans un asile d'aliénés, tenu par le docteur Bonfant. Celui-ci emploie Gaston comme jardinier et homme à tout faire. Tout était parfait dans le meilleur des mondes, jusqu'au jour où son successeur - le docteur Albert Jibelin - débarque. En prenant possession de l'hôpital, il s'empare du cas des patients, bien décidé à stimuler leur mémoire. "Avec lui, heureusement, tout cela est en train de changer. Confrontations, expertises graphologiques, analyses chimiques, enquêtes policières, rien de ce qui est humainement possible ne sera épargné pour que son malade retrouve les siens. Côté clinique également, Albert est décidé à le traiter par des méthodes les plus modernes. Songez qu'il a fait déjà dix-sept abcès de fixation ! [...] Il aura le derrière comme une écumoire, mais il retrouvera son passé. Quel homme de cœur hésiterait entre son passé et la peau de son derrière ?."
La tante du nouveau médecin, la duchesse Dupont-Dufort - présidente des œuvres d'assistance de l'hôpital - organise des rencontres avec les familles supposées et les patients amnésiques. Beaucoup sont uniquement attirés par l'appât du gain que représente Gaston. Parmi celles-ci, la famille Renaud, grands bourgeois, qui pense avoir reconnu leur cadet, Jacques. Quand Gaston entend le portrait peu élogieux que l'on fait de son double, il ne s'y reconnaît nullement. Ivrogne, brutal avec sa mère, odieux avec le personnel de maison, coureur de jupons, bon à rien, voleur, escroc. Il préfère dire et répéter qu'il n'a aucun rapport avec ce Jacques. "Mais, voyez-vous, pour un homme sans mémoire, un passé tout entier, c'est trop lourd à endosser en une seule fois." Pour se laisser une chance de reconstruire sa nouvelle vie, Gaston décidera de tuer Jacques, moralement. L'occasion lui en sera donnée par l'arrivée d'un petit garçon anglais, riche et orphelin, qu'un notaire sans scrupules veut détrousser de sa fortune. En repartant avec lui, Gaston se créé un nouvel avenir, dépouillé d'un passé lourd et incommode. Il permet aussi à cet enfant de toucher son héritage.
Écrite en 1937, "Le voyageur sans bagage" revisite le mythe du Docteur Jekyll et Mister Hyde. Sauf que Gaston veut à tout prix gommer un pan de son existence jugée négative. Il souhaite repartir sur des bases saines et reprendre une vie plus conforme à ses nouvelles aspirations. C'est une pièce grave et profonde, écrite sur un ton apparemment mais qui ne fait pas oublier le cœur même du sujet, l'amnésie et son corollaire que sont ces questions lancinantes : peut-on faire table rase d'un passé encombrant et ne garder que les bons côtés ? Peut-on se refaire une nouvelle vie avec des règles faussées ? Peut-on vraiment tout oublier d'un coup ?
11 commentaires:
Lu il y a très très longtemps... mais je pense que ce livre mérite une lecture quelle que soit l'époque.
Merci d'en parler.
Ca y est, tu m'as convaincue de découvrir cet auteur, et particulièrement ce livre !
Lu il y a très longtemps aussi, mais je suis une adepte d'anouilh (tu pouvais t'en douter ;o))...je les ai presque tous et c'est toujours un bonheur que de retrouver ses petites questions existentielles et répliques ironiques.
Quel bonheur que ton billet
je suis pas vraiment toute jeune et ce voyageur là est un de mes souvenirs de lycée, j'ai eu, sans doute comme vous, un professeur marquant, c'était en 4ème et la moitié des heures de cours étaient dévolues à la lecture à haute voix, à elle seule elle a enrichi le libraire voisin car à la fin de son cours nous nous précipitions sur le livre en poche
j'ai encore mon exemplaire d'anouilh qui tombe en morceaux mais que je ne jette pas .....
Jamais entendu parler de cette pièce : merci pour ce billet !
@ Keisha : C'est une des pièces d'Anouilh que je préfère et que je relis de temps en temps, juste pour la beauté de l'écriture de l'auteur ! C'est vraiment à lire ou à découvrir ...
@ Lilly : Si tu ne connais pas Anouilh, cette pièce est une bonne entrée dans son domaine rempli de cynisme, de drôlerie, mais aussi de vraies questions existentielles !
@ Antigone : Je m'en doutais un tout petit peu ! Je suis aussi une adepte de cet auteur de théâtre que j'admire pour son écriture et sa capacité à rire de choses graves ...
@ Dominique : J'ai lu une 1ère fois Anouilh au collège et j'avoue être tombée sous le charme de cet auteur ! Mon exemplaire de cette pièce est aussi en mauvais état, mais je le conserve malgré tout !
@ Ys : Tu sais maintenant ce qu'il te reste à faire ... Une belle découverte qui te plaira certainement beaucoup !
J'aime énormément Anouilh que je n'ai pourtant pas lu depuis des années. Je note ce titre que je connaissais pas! Merci! et bon week-end
@ Choupynette : C'est une pièce qui devrait te plaire, drôle, cynique et très critique sur une certaine société ! Bonne semaine à toi ...
Tu es sacrément convaincante!! Hop, dans ma LAL!
@ Kali : et, en plus, cette pièce se lit très vite car elle est très drôle !
A paraître,
D'après le livre éponyme de Jean Yves Le Naour, éd Fayard, 2002. La bd
avec les dessins de Mauro Lirussi, textes de Jean Yves Le Naour, aux éditions roymodus.
Dossier de presse : http://www.roymodus.com/ftp/soldat_inconnu_vivant_extrait.pdf
Phylactérement votre
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