- L'art de Céline et son temps - Michel Bounan - Allia Éditions
Sans doute ne l'avez-vous pas remarqué, mais tout ce qui touche à Louis Ferdinand Céline m'intéresse, me passionne. Dès qu'un ouvrage paraît concernant la vie, l'œuvre, les idée ou les pensées de cet auteur très controversé, je ne peux m'empêcher de me le procurer pour le lire. Sans être une célinienne érudite, je commence à effleurer les rivages de sa personnalité complexe, et à appréhender un tout petit peu mieux son œuvre.
Dans "L'art de Céline et son temps", Michel Bounan revient sur les écrits à odeur de soufre de Céline et ses opinions xénophobes. Pour argumenter ses propos, l'auteur revient dans son essai sur "L'histoire des protocoles des Sages de Sion", traité antisémite visant à démontrer un soi-disant complot juif destiné à asservir le monde et ressorti, agité, pour détourner la population des vrais problèmes politiques, économiques ou sociaux. Selon lui, à chaque période de l'histoire du 20ème Siècle, cette théorie méphitique créée de toutes pièces par l'Okhrana - service secret du Tsar - sert d'épouvantail pour éluder la réalité au peuple. "On tenait donc la clef des malheurs publics et des injustices sociales, des guerres et des révolutions, des crimes d'État et des mensonges journalistiques. Point n'était besoin d'expliquer ces malheurs par l'économie ou la lutte des classes, par la dialectique historique ou par la décadence des mœurs, par la trahison des mauvais dirigeants ou par la rusticité des stupides dirigés. Bien au contraire, ces supposées causes résultaient du complot initiale et quiconque prétendait en disputer, ou seulement en rire, dévoilait par là même, sa connivence objective, et souvent intéressée, avec les chefs de la conspiration".
Quand, en 1932, "Voyage au bout de la nuit" est publié avec tout le Barnum littéraire et médiatique qui a suivi, la situation politique est au chaos, au désordre. Le terreau des idées fumeuses de Louis Ferdinand Céline est fin prêt. Le spectacle peut commencer et donner sa pleine mesure. Il y aura du monde au balcon pour applaudir et rigoler ! Car il ne faut pas oublier que Céline a officié dans les écrits tendancieux bien avant ses pamphlets racistes. Dans des publications à la Société de médecine de Paris, Céline vante les mérites d'une théorie d'un certain Henry Ford - financier de la publication des "Protocoles des Sages de Sion" aux États-Unis -, qui préconise l'embauche "d'ouvriers tarés physiquement et mentalement", et propose la création de médecins-policiers d'entreprise chargés de convaincre les ouvriers malades de continuer à travailler coûte que coûte, car "ce qui nous paraît beaucoup plus sérieux, c'est l'intérêt patronal et son intérêt économique, point sentimental". En un mot comme en cent, Céline prône déjà pour le réalignement du peuple, une réorganisation plus stricte de la société civile, une mise au pas, une "[...] entreprise patiente de correction et de rectification intellectuelle". Si, à cette époque, Louis Ferdinand Céline n'est pas encore le libelliste raciste, il est déjà petit bourgeois et réactionnaire dans ses idées. A travers ces vues, Céline ne souhaite qu'une seule et unique chose, retrouver son lustre d'antan, celui de ses vagues origines aristocratiques et bourgeoises. Rien d'autre.
Mais Céline sera un maître dans l'art de la manipulation des esprits et des lecteurs. Toute sa vie, il jouera sur la gamme de la misère sociale en se fabriquant une biographie à son image. Enfance pauvre avec une mère ouvrière, exploitée par qui ? des Juifs, des études de médecine - bien sûr - mais grâce à un travail de livreur depuis l'âge de douze ans. A le lire, on se croirait dans un roman digne de Zola ou de Dickens ! Or, depuis, tout le monde a appris qu'il n'en était rien. Au contraire. "Évidemment, confiait-il alors à son correspondant Joseph Garcin, dans les interviews j'amuse la galerie, pitre autant que je peux. Mais tout ceci entre nous (13 mai 1933)". Tout cela ne servira qu'à renforcer ses écrits, dont "Voyage au bout de la nuit" n'aura été que le premier d'une longue lignée. Les aventures de Céline / Bardamu ont ravis les intellectuels de gauche qui ont vu en lui un des leurs, un vrai de vrai, un pur et dur, un anarchiste. De Aragon à Trotsky en passant par Sartre - pas encore "agité du bocal" -, tous le croient révolutionnaire, avec des théories progressistes, novatrices, un style qui va renouveler les romans classiques.
Il n'en est rien. Céline est et restera un réactionnaire, antisémite forcené jusqu'à l'obsession et qui n'hésitera pas à se servir de la propagande nazie des services de Goebbels pour instiller dans la société française les pensées les plus nauséeuses, nauséabondes, funestes qui soient : le Juif est responsable de tout, domine tout et tout le monde, l'État, l'église catholique, l'économie nationale et mondiale, même les marins bretons en sont victimes ! Les âmes charitables sont prêtes pour ce qui va suivre. "Un seul mot d'ordre doit donc s'entendre maintenant en France comme en Allemagne : "luxer le Juif au poteau ! Y a plus une seconde à perdre". Et sans aucune ambiguïté : "s'il faut des veaux dans l'Aventure, qu'on saigne les Juifs ! C'est mon avis". Seul un pogrom universel et complet délivrera les pauvres de leur servitude et l'humanité de ses souffrance ("c'est un grand succès dans son genre un pogrom, une éclosion de quelque chose ...). Céline réclame dès lors une "alliance immédiate avec Hitler", unique moyen d'abattre le capitalisme et ses véritables maîtres juifs". Dans l'immédiat après-guerre, Céline tentera bien de se refaire une virginité intellectuelle par un mea culpa de surface. Il essaiera de manipuler quelque peu cette période sombre en arrangeant des vérités et en soutenant que ces ouvrages étaient écrits contre la guerre, jamais contre les Juifs !
Au final, "L'art de Céline et son temps" est un essai supplémentaire qui revient, appuie, insiste sur l'aspect raciste, fasciste et réactionnaire de cet auteur, sans pour autant apporter de réponses sur ce qui aurait pu pousser Louis Ferdinand Céline à se comporter de cette manière désastreuse. Michel Bounan a voulu faire de son essai un second "Céline en chemise brune" de Hans-Erich Kaminsky. Si, par certains aspects il y arrive parfaitement, la fin de son ouvrage s'élargit et part sur la théorie du complot de l'ultra-gauche. Le lecteur en sort un peu décontenancé. C'est bien dommage.
Dans "L'art de Céline et son temps", Michel Bounan revient sur les écrits à odeur de soufre de Céline et ses opinions xénophobes. Pour argumenter ses propos, l'auteur revient dans son essai sur "L'histoire des protocoles des Sages de Sion", traité antisémite visant à démontrer un soi-disant complot juif destiné à asservir le monde et ressorti, agité, pour détourner la population des vrais problèmes politiques, économiques ou sociaux. Selon lui, à chaque période de l'histoire du 20ème Siècle, cette théorie méphitique créée de toutes pièces par l'Okhrana - service secret du Tsar - sert d'épouvantail pour éluder la réalité au peuple. "On tenait donc la clef des malheurs publics et des injustices sociales, des guerres et des révolutions, des crimes d'État et des mensonges journalistiques. Point n'était besoin d'expliquer ces malheurs par l'économie ou la lutte des classes, par la dialectique historique ou par la décadence des mœurs, par la trahison des mauvais dirigeants ou par la rusticité des stupides dirigés. Bien au contraire, ces supposées causes résultaient du complot initiale et quiconque prétendait en disputer, ou seulement en rire, dévoilait par là même, sa connivence objective, et souvent intéressée, avec les chefs de la conspiration".
Quand, en 1932, "Voyage au bout de la nuit" est publié avec tout le Barnum littéraire et médiatique qui a suivi, la situation politique est au chaos, au désordre. Le terreau des idées fumeuses de Louis Ferdinand Céline est fin prêt. Le spectacle peut commencer et donner sa pleine mesure. Il y aura du monde au balcon pour applaudir et rigoler ! Car il ne faut pas oublier que Céline a officié dans les écrits tendancieux bien avant ses pamphlets racistes. Dans des publications à la Société de médecine de Paris, Céline vante les mérites d'une théorie d'un certain Henry Ford - financier de la publication des "Protocoles des Sages de Sion" aux États-Unis -, qui préconise l'embauche "d'ouvriers tarés physiquement et mentalement", et propose la création de médecins-policiers d'entreprise chargés de convaincre les ouvriers malades de continuer à travailler coûte que coûte, car "ce qui nous paraît beaucoup plus sérieux, c'est l'intérêt patronal et son intérêt économique, point sentimental". En un mot comme en cent, Céline prône déjà pour le réalignement du peuple, une réorganisation plus stricte de la société civile, une mise au pas, une "[...] entreprise patiente de correction et de rectification intellectuelle". Si, à cette époque, Louis Ferdinand Céline n'est pas encore le libelliste raciste, il est déjà petit bourgeois et réactionnaire dans ses idées. A travers ces vues, Céline ne souhaite qu'une seule et unique chose, retrouver son lustre d'antan, celui de ses vagues origines aristocratiques et bourgeoises. Rien d'autre.
Mais Céline sera un maître dans l'art de la manipulation des esprits et des lecteurs. Toute sa vie, il jouera sur la gamme de la misère sociale en se fabriquant une biographie à son image. Enfance pauvre avec une mère ouvrière, exploitée par qui ? des Juifs, des études de médecine - bien sûr - mais grâce à un travail de livreur depuis l'âge de douze ans. A le lire, on se croirait dans un roman digne de Zola ou de Dickens ! Or, depuis, tout le monde a appris qu'il n'en était rien. Au contraire. "Évidemment, confiait-il alors à son correspondant Joseph Garcin, dans les interviews j'amuse la galerie, pitre autant que je peux. Mais tout ceci entre nous (13 mai 1933)". Tout cela ne servira qu'à renforcer ses écrits, dont "Voyage au bout de la nuit" n'aura été que le premier d'une longue lignée. Les aventures de Céline / Bardamu ont ravis les intellectuels de gauche qui ont vu en lui un des leurs, un vrai de vrai, un pur et dur, un anarchiste. De Aragon à Trotsky en passant par Sartre - pas encore "agité du bocal" -, tous le croient révolutionnaire, avec des théories progressistes, novatrices, un style qui va renouveler les romans classiques.
Il n'en est rien. Céline est et restera un réactionnaire, antisémite forcené jusqu'à l'obsession et qui n'hésitera pas à se servir de la propagande nazie des services de Goebbels pour instiller dans la société française les pensées les plus nauséeuses, nauséabondes, funestes qui soient : le Juif est responsable de tout, domine tout et tout le monde, l'État, l'église catholique, l'économie nationale et mondiale, même les marins bretons en sont victimes ! Les âmes charitables sont prêtes pour ce qui va suivre. "Un seul mot d'ordre doit donc s'entendre maintenant en France comme en Allemagne : "luxer le Juif au poteau ! Y a plus une seconde à perdre". Et sans aucune ambiguïté : "s'il faut des veaux dans l'Aventure, qu'on saigne les Juifs ! C'est mon avis". Seul un pogrom universel et complet délivrera les pauvres de leur servitude et l'humanité de ses souffrance ("c'est un grand succès dans son genre un pogrom, une éclosion de quelque chose ...). Céline réclame dès lors une "alliance immédiate avec Hitler", unique moyen d'abattre le capitalisme et ses véritables maîtres juifs". Dans l'immédiat après-guerre, Céline tentera bien de se refaire une virginité intellectuelle par un mea culpa de surface. Il essaiera de manipuler quelque peu cette période sombre en arrangeant des vérités et en soutenant que ces ouvrages étaient écrits contre la guerre, jamais contre les Juifs !
Au final, "L'art de Céline et son temps" est un essai supplémentaire qui revient, appuie, insiste sur l'aspect raciste, fasciste et réactionnaire de cet auteur, sans pour autant apporter de réponses sur ce qui aurait pu pousser Louis Ferdinand Céline à se comporter de cette manière désastreuse. Michel Bounan a voulu faire de son essai un second "Céline en chemise brune" de Hans-Erich Kaminsky. Si, par certains aspects il y arrive parfaitement, la fin de son ouvrage s'élargit et part sur la théorie du complot de l'ultra-gauche. Le lecteur en sort un peu décontenancé. C'est bien dommage.
16 commentaires:
On est synchros dis donc ;o) Je ne sais vraiment pas quoi penser de Céline, mais je compte bien moi aussi me documenter. Ca a l'air d'être assez complexe en tout cas.
@ Lilly : J'ai pensé la même chose hier soir après avoir lu ton billet sur le "Voyage ..." ! Les grands esprits se rencontrent ;-D Je ne te conseille pas ce petit livre pour découvrir Céline, c'est trop difficile à appréhender. Je te conseillerai plutôt une biographie, celle de Frédéric Vitoux qui est très complète et (assez) objective. Mais, attention, Céline est un vrai poison !
sinon tu peux lire le livre "Céline" d' Emile Brami (chez Ecriture) qui est très plaisant à lire et en dit plus long.
Sinon pour l'antisémitisme; il est tombé dedans quand il était petit (comme Obelix)
@ Zorglub : Merci pour la référence d'un ouvrage sur Céline que je ne connaissait pas. Je suis toujours à l'affût de documents concernant cet auteur pour tenter de mieux comprendre ses écrits et ses idées antisémites !
il y a des choses interessantes :
http://lepetitcelinien.blogspot.com/2009/06/louis-ferdinand-celine-sur-radio.html
http://lepetitcelinien.blogspot.com/2009/07/luchini-lit-celine.html
http://lepetitcelinien.blogspot.com/2009/06/louis-ferdinand-celine-jpsartre.html
http://lepetitcelinien.blogspot.com/2009/05/yann-moix-louis-ferdinand-celine-le.html
@ Zorglub : Merci pour tous ces liens très intéressants concernant Céline, sa vie et ses œuvres ...
Le but de Céline, ce n'était pas juste une aristocratie, mais bien un but religieux, spirituel, et il a détecté tous les agents du matérialisme et du désenchantement du monde, de son enfer terrestre.
Mais pas religieux au sens biblique qu'il exécrait, mais au sens animiste, celtique, d'où sa quête de l'émotion, et des belles âmes.
@ Red Lanar : Je suis d'accord avec vous sur la détection des agents du matérialisme et du désenchantement du monde dans une société qui commençait à se déliter ! Je le suis un peu moins concernant le but religieux, spirituel au sens païen du terme (une recherche commune d'un mieux-être, une autre manière de penser les émotions), dans les écrits et pensées céliniennes. Il était plus dans une vision nihiliste de la société de son époque et ne cherchait pas nécessairement à être chef de file d'un quelconque mouvement littéraire, contrairement à d'autres !
Nanne, ok,
voici une citation de Céline, que vous n'oublierez plus de toute votre vie :
Il écrit à son amie Marie Le Bannier, qui lui loue une villa à Saint-Malo « notre civilisation est juive, nous sommes tous des sous-juifs. A bas les juifs ne veut rien dire. C’est vive quelque chose qu’il faudrait pouvoir, mais vive quoi ? Les druides ? Hélas oui ! Des néo-druides aussi différents de nous que furent les chrétiens des païens ; il faut des hommes nouveaux. Ils ne naîtront qu’après quelques décades de catastrophes sans nom ».
@ Red Lanar : Je connais cette citation et je pense savoir de quel ouvrage elle est tirée ! Cette phrase a été écrite pendant la 2ème Guerre Mondiale, alors que Louis-Ferdinand Céline s'était retiré à Saint-Malo, si je ne me trompe pas ... Je crois malheureusement que le sens de cette tirade est suffisamment claire pour qui connaît l'histoire et la pensée de Céline. Je ne veux pas en dire plus, car il est hors de question pour moi de rentrer dans ce genre de discussion.
Nanne,
ainsi soit-il !
pauvre France et pauvres français colonisés.
ciao.
@ Red Lanar : Ainsi soit-elle ! On reprendra alors les armes, comme nos grands-parents ...
Nanne, malheureusement, ce ne sont pas les armes qui paient et font gagner, la lutte est uniquement sur le terrain idéologique et religieux.
Car les armes c'est surtout une histoire de marchand d'arme qui détermine l'issue finale.
Et comme tu dis, les grands parents ont déjà testé, et le résultat est bien pire. La génération, la notre, est gavée de matos et de libertinage, mais elle n'a plus d'âme, plus de transcendance, plus d'histoire, et ça, ça la rend salope, prête à toutes les compromissions, même les plus humiliantes.
Alors les armes, apparemment ça ne sert plus à rien, mais la lutte doit se faire dans l'intelligence et dans les rennes de l'économie et des médias.
Sauf qu'il n'y a plus d'hommes dans ce pays. Que des victimes tombées amoureuses de leur violeur !... Une calamité.
Entre nous, les carottes sont cuites, "encore quelques décades de catastrophes sans nom et viendra peut-être le nouvel homme".
Pour les lecteurs s'intéressant à LF Céline :
http://lepetitcelinien.blogspot.com
L'éternel incompris, qui avait tout compris.
@ Rouge Le Renard : Céline était certainement trop en avance sur son époque du point de vue littéraire et il a été incompris. Il n'en reste pas moins qu'il est un personnage jouant sur l'ambiguïté et le doute en permanence !
Enregistrer un commentaire