29 juillet 2009

DES COUPS !

  • Darling - Jean Teulé - Pocket Éditions n°10675


"Maman m'a souvent accusée d'avoir déclenché la panique à cette Saint-Luc de 65. Chaque fois qu'elle était en colère, elle me le reprochait : "Tu as toujours été une emmerdeuse ! Déjà, deux heures avant ta naissance, tu as gâché la fête et fait chier le monde !" "Toi aussi, maman, je t'ai fait comme tu dis ?" "Oui !" qu'elle me répondait ... De toute façon, moi, c'est vrai que partout où je suis passée, ça été la merde. Par exemple, la première fois où je suis allée à la messe, le curé est mort pendant le sermon ! J'étais toute petite. Je ne devais pas avoir quatre ans ...". Catherine Nicolle n'est pas née sous une bonne étoile. C'est le moins que l'on puisse penser quand on lit son histoire. Elle désirait tellement que quelqu'un l'écoute, au moins une fois dans sa sinistre existence, qu'elle aurait fait n'importe quoi pour cela. Elle a croisé la route de Jean Teulé - son cousin -, qui l'a écoutée, interloqué, sidéré, stupéfait. Il a décidé de raconter l'histoire de Catherine.

Cette fille savait, dès sa naissance, que sa vie ne serait qu'une suite d'ennuis, de problèmes qui s'enchaîneraient comme d'autres enfilent des perles. De son enfance dans la campagne normande, elle ne vivra qu'une série de catastrophes, pathétiques, calamiteuses et monstrueuses. Née la dernière après deux frères, elle sera le souffre-douleur de sa famille, leur tête de turc, leur punching-ball. Refoulée dès sa naissance, l'avenir de Catherine Nicolle s'engageait plutôt mal. Et ce n'est pas un euphémisme ! Très tôt, le monde paysan la rebute. Elle veut fuir. Elle sait qu'elle partira, parce qu'elle ne veut pas de cette vie toute tracée, comme celle de sa mère. "Ces choux, dans ma tête, je me disais que c'était des crânes de paysans. Et moi, en tournant la manivelle, en cassant les crânes, à chaque tour, je répétais "Je ne serai jamais paysante, moi ... Je ne serai jamais paysante ..." - Sanne ! - Hein ? - Pay ... sanne ! - Ah bon, t'es sûr ? - Oh, pratiquement. - Nous on disait paysante mais on ne nous a jamais appris grand-chose à nous ... - Tu es quand même allée à l'école ... - L'instituteur me gardait à condition que je fasse le ménage chez lui sinon il m'aurait virée. Il aurait alors fallu que j'aille dans une classe de perfectionnement qui s'occupe des échecs scolaires mais c'était à Montebourg et ça n'arrangeait pas les parents. Alors je faisais le ménage chez l'instituteur ... Un jour, je l'ai entendu dire à papa : "Vos deux gars, déjà, c'est pas terrible mais votre fille, c'est pire que tout"".

Rapidement, elle cherche à s'évader de "La Barberie", sa barbarie à elle, en rêvant aux poids lourds qui passe devant chez elle. Ces camions, semi-remorques qui
traçaient du nord au sud, d'est en ouest étaient son eldorado, les routiers, ses aventuriers du nouveau monde, ivres de liberté, races bien supérieures à ces bouseux de la campagne qu'elle abhorre et lui rappellent son père, son frère - Joseph - méchant comme la teigne. Illettrée, pour ne pas dire analphabète, Catherine - alias Tartine ou Grosse futaille pour les intimes - fuira cet enfer familial en travaillant dans une pâtisserie de son village. Quatre ans de bonheur dans une vie de chaos, de coups, d'insultes.

Et quand elle ne travaille pas à la pâtisserie, elle court le long de la nationale qui va vers Bayeux en agitant les bras comme un goéland échoué sur le bas-côté pour que les routiers la remarquent. Parce que le rêve secret de Catherine est de rencontrer un routier qui l'amènerait loin de ce cloaque, de cette vie de chien battu, de misère sociale et humaine. Et pour trouver l'oiseau rare, rien de tel que la C.B. "Le canal où j'étais le plus souvent, c'était le 19, donc le canal des routiers. Quand tu veux lancer un appel, tu le lances sur le 19 ou le 27. Et une fois que tu as pêché quelqu'un, il faut que tu changes. Tu n'as pas le droit de rester sur le 19 ou le 27. T'es obligée d'aller sur un autre canal. Tu lui donnes un rendez-vous, tu lui dis : "On se retrouve sur le 15", par exemple ... On ne se retrouve pas sur le 30 ni sur le 13 parce que là-bas, c'est interdit, ce sont les canaux réservés aux navigateurs. Autrement, tu pouvais aller où tu voulais entre 1 et 40. On parlait de la pluie et du beau temps. Des fois, on se retrouvait là-dessus à plusieurs, comme entre copains, et on parlait de notre vie". En fait de routier sympa, la pauvre Catherine tombera sur un vaurien qui se surnommera Roméo. Sauf qu'elle ne sera jamais aimée comme la Juliette de Shakespeare. En décidant d'unir sa vie à celle de son Roméo, Catherine ne sait pas encore qu'elle vient de signer un pacte avec la violence physique, verbale et morale.

Rire du malheur des autres, se mettre du côté des rigolards pour éviter de trop se questionner sur la vie de bâton de chaise de cette "Darling" de Jean Teulé a été ma première réaction. Attitude inepte, mais salvatrice pour ne pas refermer le livre avant la fin devant tant de souffrances humaines, morales, psychologiques. La
"Darling" de cet auteur de talent, c'est l'écho et la voix du quotidien des quelques deux millions de femmes battues, humiliées. Elle, a eu le courage, la force, la volonté de raconter son parcours pour exorciser, pour se donner une chance de tourner le dos à son passé, pour ultime pied de nez à ses tristes souvenirs. Il n'empêche, entre ricanements idiots et envie de pleurer sur le sort effrayant que la vie a jeté à Catherine, c'est l'histoire d'une femme forte et fragile, courageuse et volontaire, spontanée et candide que nous dévoile Jean Teulé. Tout cela, mais certainement pas une pessimiste. On suit, médusé, le parcours semé d'embuches, la montée au calvaire d'une fille repoussée par tous, sa famille, son mari, les autres. Elle qui ne désirait rien d'autre qu'un petit bonheur tout simple en sortant de sa condition de "paysante", connaîtra l'horreur, la descente en enfer. Et le plus fort de tout cela, c'est que jamais elle ne renoncera. Toujours, elle trouvera la force, la capacité, la volonté d'avancer, d'espérer, de rêver de jours meilleurs. En lisant "Darling", on est scotché à son récit. Au fur et à mesure, on se prend d'amitié pour cette fille attachante, généreuse. On ne peut que ressentir de l'empathie pour cette "Darling", parce que - tel le Phénix - elle a toujours su renaître de ses cendres. "Cette fille me file le tournis ... Elle remonte les pentes à une vitesse fantastiques et moi je ne comprends pas où elle puise cette énergie-là. Où va-t-elle chercher cette rage d'être encore verticale ? Y aurait-il donc des gens dont la force de vie serait sans limite ? Moi, juste écrivant un roman à bord de cette jeune femme - chenille humaine pour montagnes russes de fête foraine -, j'ai vécu de sacrés loopings et des doubles. Par moment, c'est moi qui était effondré et elle qui me remontait".

Ce livre a pris EmiLie aux tripes, Sandrounette ne regrette pas sa lecture malgré la dureté du sujet, Jean Teulé a touché Livrovore en plein cœur, quelques autres avis sur Blog-o-book ... D'autres avis, merci de me le faire savoir dans les commentaires.

12 commentaires:

sylire a dit…

De Teulé je n'ai lu que "je François Villon", j'hésite un peu à lire autre chose car si je reconnais le talent de Teulé, je trouve son humour un peu spécial... et ses livres violents.

Biblio a dit…

J'ai beaucoup aimé ce livre d'une rare violence et qui pourtant arrive a nous faire rire. On a du mal a croire que c'est tiré d'une histoire vraie et pourtant. Un coup de coeur et le livre de Jean Teulé que j'ai préféré.

Meria a dit…

J'avoue qu'à la lecture du résumé, j'ai lâchement pris le parti de ne pas lire ce livre, plein de violences morales, physiques et autres. Pourtant, j'aime beaucoup ce qu'écrit Jean Teulé...

Nanne a dit…

@ Sylire : Dans "Darling", l'humour sauve une situation intenable et monstrueuse, et heureusement, car je n'aurais pas terminé ce livre très bien écrit ! Jean Teulé réussi l'exploit de nous faire rire avec une histoire catastrophique ...

@ Biblio : Je comprends que tu aies aimé ce roman pour la force qu'il contient ... Cela a été terrible pour moi de rire de la vie misérable de cette personne, mais salvateur pour sa lecture !

@ Meria : Je comprends très bien ta réticence concernant ce roman ... Personnellement, j'ai mis presque deux ans avant de pouvoir le lire ! Mais je ne le regrette pas.

Muad' Dib a dit…

Bonsoir Nanne, un p'tit coucou rapide après avoir retrouvé Aïda sur ton ancien blog tout à l'heure.
Bonne soirée,

Leiloona a dit…

Ce livre pourrait-il être mon dernier essai avec Teulé ? Son dernier livre ne m'a pas paru convaincant, mais peut-être celui-ci est-il meilleur ?
Sinon je constate encore une fois que Teulé écrit à propos de la violence ... il devrait peut-être essayer un autre registre.

Anjelica a dit…

je l'ai lu il y a bien longtemps et je t'avoue que ce livre m'a vraiment traumatisé. Je crois que je ne m'en suis jamais vraiment remise.D'ailleurs, jusqu'à maintenant je me suis refusée à relire cet auteure. Un livre à lire mais en sachant qu'il faut avoir le coeur et l'âme bien accrochés !

Manu a dit…

Je pense que cet auteur n'est vraiment pas pour moi !

EmiLie a dit…

J'ai le souvenir d'avoir fini ma lecture vraiment écoeurée. Le livre est court mais les choses horribles y sont nombreuses. Merci pour le lien.

Nanne a dit…

@ Muad Dib' : Cette statue se situe en banlieue bordelaise ... Si tu veux que je te l'envoie par mail avec celle de Verdi, fais-le moi savoir ! Excellent week end à toi ...

@ Leiloona : C'est vrai qu'il a une tendance marquée pour écrire sur des thèmes violents ... Il réussit à nous faire rire avec les horreurs quotidiennes et je crois que c'est une qualité ! Mais tu peux essayer "Le magasin des suicides" qui me paraît plus léger à lire (c'est celui que je vais lire pour continuer avec cet auteur).

@ Anjelica : Heureusement que l'humour était présent à (presque) toutes les pages, sinon j'aurais renoncé à le terminer ! J'ai bien envie de voir le DVD avec Marina Foïs et Guillaume Canet, mais cela me fait plus peur que la lecture ... L'as-tu vu ?!

@ Manu : Âmes sensibles s'abstenir ! Surtout certains passages vraiment très difficiles ... Il y a d'autres auteurs à découvrir !

@ EmiLie : Les horreurs se succèdent, mais le cynisme n'est jamais loin comme pour dédramatiser une situation vraiment calamiteuse !

Anjelica a dit…

Non, je n'ai pas vu le film, pas envie...et franchement dans le livre je ne me rappelle pas de l'humour mais de l'horreur.

Nanne a dit…

@ Anjelica : C'est exactement ce que je craignais lorsque j'ai vu la B.O. du film ... Cela m'a rendu malade de ressentir cette violence perçue dans le roman ! A travers les acteurs, il n'y avait pas la moindre once d'humour, comme dans le roman !